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CHAPITRE III : LE PHENOMENE MIGRATOIRE AUX TEMPS ANCIENS : LADITE « POLYNESIE MARGINALE »

« Les travaux des linguistes viennent confirmer les recherches archéologiques entreprises dans certaines îles, il semble probable que ces Polynésiens marginaux n’ont pas été laissé en chemin mais qu’ils représentent les aboutissements de plusieurs voyages vers l’Ouest, à des époques différentes, de Polynésiens occidentaux».

Daniel Frimigacci

La question des « Outliers Polynésians (86)» ou de « La Polynésie Marginale », termes employés par les chercheurs anglophones pour désigner les « enclaves polynésiens » dans les îles dites « mélanésiennes », nous intéresse de près car cette étude nous éclairera sur les conditions d’intégrations des groupes humains extérieurs, en Nouvelle Calédonie. Quelles seraient ces îles ? On pourrait se demander quelles étaient les causes de ces déplacements de ces populations ? D’où et comment se déplaçaient-ils, aussi loin et aussi vite ? Vers quelles destinations ? Qui étaient-ils ? Comment se traduisait les contacts avec les autres insulaires ?

Pour tenter de répondre en partie à ces questions, nous nous intéresserons tout d’abord à la Polynésie Occidentale, en particulier aux îles Tonga, supposées être le berceau de la diaspora polynésienne à l’Est comme à l’ouest de l’Océanie insulaire. Nous aborderons très succinctement la question des pirogues, le moyen de communication de ces marins « préhistoriques ».

1. L’origine des migrations « austronésiennes »

Il y a 50 000 ans, les ancêtres des Océaniens, originaires de la chine du Sud Est, se seraient déplacés pour atteindre les îles de La Sonde, à l’Ouest des de la Nouvelle Guinée. Pendant des millénaires, les populations établies dans ces contrées(Sonde) ont constitué des sociétés et une culture plus ou moins homogène. Et c’est à partir de cette « Océanie Proche » – terme employé par les ethnolinguistes – que le phénomène migratoire vers le sud ouest par vagues successives, a débuté pour atteindre l’Océanie la plus éloignée.

Ainsi, il y a trois mille ans, les ancêtres des Océaniens actuels ont migré plus au sud, pour atteindre la Nouvelle-Calédonie mais aussi plus à l’Ouest, pour atteindre la Polynésie occidentale. Si l’île de Formose a été le berceau à partir duquel les « Austronésiens (87)» se sont propagés en Océanie, l’Océanie Centrale a été le point de départ de l’occupation polynésienne des archipels et des îles de plus en plus éloignées vers l’est, mais aussi vers l’ouest. Cette affirmation est le résultat de nombreuses recherches archéologiques, avec la découverte extraordinaire en autre, des sites des poteries LAPITA disséminés dans une grande partie de l’Océanie. Ces trouvailles archéologiques(88) ont pu ainsi déterminer les déplacements des populations « faiseurs de poteries » mais surtout, elles ont pu être datées.

Des études génétiques ont aussi contribuées à ces enquêtes. Par exemple, une étude 1983 analysant l’ADN de 2400 personnes dans les îles Salomon et le Vanuatu ont trouvé les marqueurs qui distinguent clairement les îles polynésiennes d’annexe du groupe. Des quatre annexes polynésiennes considérées, Anuta était le plus génétiquement distinct, suivi de Rennell et de Bellona. Tikopia a montré plus d’influence de la population mélanésienne voisine. Tous indiquent des traces des mouvements de population « d’inter island ».

Même si beaucoup reste à faire, d’autres recherches scientifiques (géologie, ethnologie, botanique…) mais plus récemment des travaux linguistiques, ont pu apporter d’autres précisions. Effectivement, les linguistes ont pu reconstituer les différentes familles des langues océaniennes, et plus récemment ont élaboré un lexique étoffé de la langue mère originelle grâce à la méthode comparative. L’austronésien, cette langue hypothétique, a évolué dans le temps et dans l’espace et serait à l’origine de toutes les langues actuelles de l’Océanie (polynésiennes, mélanésiennes et micronésiennes) mais aussi d’ailleurs (89).

Aban Bensa a préfacé le livre de Isabelle MERLE : Expériences coloniales et écrit ceci :

« Il y a quelques 3600 ans, les ancêtres des Kanak d’aujourd’hui firent souche dans l’archipel calédonien jusqu’à là encore vierge de toute implantation humaine. On ne saura jamais précisément ce qui poussa des cultivateurs de tubercules originaires d’Asie du Sud est et noirs de peau, à prendre la mer, à quitter une île pour une autre, au point finalement d’occuper toutes les terres utilisables du Pacifique insulaire. Il faut supposer que leurs sociétés hiérarchisées imposaient à un certains de leurs membres (les cadets, les vainqueurs, les chefs déchus, de prendre des risques de la navigation hauturière pour trouver ailleurs un nouveau havre. Ainsi, ceux qui devinrent peu à peu des hommes d’Océanie étaient-ils, à chaque étape de leur parcours, sans doute remis en mouvement par une sorte de mal être (90)».

Ce « mal-être » auquel fait allusion Alban Bensa, si c’est le cas, a perduré durant trois mille ans, puis que la dernière migration en date dans les îles inhabitées du Pacifique, celle d’Aotearoa, a été peuplé vers 900 après Jésus Christ. Et la dernière migration polynésienne dont on se souvient encore, est bien celle du wallisien KAUKELO au milieu du XVIIIème siècle à Ouvéa.

Carte 3 : Répartition linguistique des langues dites « austronésiennes »

2. L’expansion de l’empire « tongien »

Ainsi comme l’avons dit plus haut, la Polynésie dite « marginale » est en fait le retour des populations qui étaient passées par là des siècles, voir plusieurs millénaires auparavant. La tradition orale de Wallis et Futuna commence elle, avec l’arrivée des Tongiens dans ces archipels ; le Père Henquel a recueilli cette histoire des origines au début du XXème siècle:

« On raconte que Maui Atalaga et Maui Kisikisi ; le père et le fils seraient parti de Aotéaroa à la recherche d’une terre d’asile et auraient découvert ainsi Tonga et Uvea.

Ils arrivèrent d’abord à Tonga puis à Uvéa et constatèrent que ces îles étaient inhabitées. Ils repartirent vers les îles Samoa puis revinrent à Tonga où ils s’installèrent sur l’île de Vavau au lieu dit Mataika. Peu de temps après, ils se rendirent à Tongatapu au lieu dit Hamene’uli. Le monument Ha’amonga à Maui est la marque de leur passage, il fut construit par le Tu’i Tonga Tu’itatui. L’île de Tonga fut alors peuplée.

Beaucoup plus tard, deux Tongiens nommés Hauolekele et Ufi allèrent à Uvea, ils firent rejoints par un troisième Tongien nommé LUPELUTU ; Ces trois Tongiens et leurs femmes seraient à l’origine de la population de l’île d’Uvea.

Quand la population commença à être nombreuse, le noble Hoko ou Tu’uhoko arriva à Tonga et s’intitula chef d’Uvea et intronisa Tauloko comme premier Hau» (91).

Des guerres se succèdent entre les Uvéens et les envahisseurs Tongiens, avant que Wallis deviennent plus ou moins indépendant au XVIIIème siècle. Guerres de chefs et vengeances tongiennes, ont alimenté la mémoire des « vieux » encore vivace. Depuis, l’île de Wallis est imprégnée de la culture et de la structure politique tongienne (92). Bernard BROU (93) dans son ouvrage d’essai historique, souligne qu’il y avait eu plusieurs vagues de migrations polynésiennes : une vers 1100 ou 1500, puis vers 1700 en Nouvelle Calédonie (94). Cependant, on ne peut s’empêcher de faire le lien entre ces migrations, et les évènements politiques de l’Océanie Centrale durant cette période.

Toujours est-il, que ces migrations sont liées à l’expansion de l’empire Tonga. I.C Campbell qui est spécialisé dans l’histoire des Tonga, ayant collaboré avec J.P Latouche chercheur au CNRS, dans l’ouvrage « Les insulaires du Pacifique (95) » nous indique que :

Carte 4- Le berceau polynésien

« Seul parmi les groupes insulaires du Pacifique, Tonga avait établit un système politique centralisé et unifié, sous l’autorité d’un seul monarque le TUI TONGA. Les traditions et les généalogies suggèrent que ce développement se produisit au Xème siècle après Jésus Christ, et à l’époque de la visite de l’explorateur hollandais Abel TASMAN en 1643, il y avait les signes d’une paix durable établies. Celle-ci se maintient, semble-t-il pendant un autre siècle et fut alors apparemment menacée par des ambitions dynastiques. »

Apparemment, Tonga propagea son influence sur toute « la Polynésie Centrale » avec entre autre Fidji, Samoa, en passant par Uvéa et Futuna. On verra plus tard, que le contexte particulier dans cette zone, va favoriser les excursions hauturières de grande envergure . L’affaiblissement de l’hégémonie tongienne au XVIIIème siècle est, selon l’auteur, dû aux conflits internes entre les chefs en quête de suprématie. En 1799, une guerre civile éclata jusqu’en 1852, au moment où un chef de l’île de Ha’pai prit le pouvoir à Tongatapu pour former la dynastie actuelle. Les auteurs rajoutent :

« Ces dynasties ont pu se maintenir grâce à la mise en avant du « statut » au détriment de « la parenté », le « territoire » a pris le pas sur « la descendance » comme nouveau concept identitaire d’un groupe social. Le mana devait être remplacé par un concept plus séculier de légitimité, et le tabou par un procédé juridique plus systématique. Cette nouvelle donne, va permettre d’avoir un pouvoir centralisé autour d’un monarque ».

Remarquons tout de même, que cette physionomie politique n’a pas survécu dans les îles mélanésiennes occupées exclusivement d’exilés de l’Océanie centrale. Sans doute, que ces migrations « polynésiennes » fuyaient ce dictat imposé par Tonga, et qu’elles constituaient en fait, des « réfugiés politiques » (97). Le système de chefferies que ces migrants rencontrent dans les sociétés mélanésiennes seront à leur avantage, à partir du moment où les accueillants les pousseront à devenir leur chef (98). Grâce au système de filiation, les nouveaux chefs pourront pérenniser leur propre statut à leur descendance filiale (99) alors que cela n’était pas systématique en Polynésie dû à la multiplication des prétendants au sein de la famille. Jean GUIART fait allusion à cette problématique, quand il constate qu’à Ouvéa, Nékélo le chef théorique suprême au départ de Wallis n’est plus aussi respecté à l’arrivée à Ouvéa par ses compagnons de route (100), et que les chefferies de ces populations migrantes sont calquées sur les chefferies « mélanésiennes ».

De même, à cette même époque à Viti Levu, la petite communauté de BAU (petite île à l’ouest de Fidji) prétendra à la suprématie dans tout l’archipel, de par la stratégie de mariage entre les grandes lignées d’une part, et d’autre part par leur maîtrise de la technologie maritime.

Concernant les dynasties d’Hawaï et de Tahiti en Polynésie Orientale, la perte de vitesse de la suprématie des chefs, sera due aux conflits entre les prêtres traditionnels et les chefs. Ces nouvelles donnes permettront à ces dynasties d’organiser des voyages maritimes ; les conflits internes dans les îles se traduiront par des fugues. La surpopulation, les catastrophes naturelles (101), la famine, contribueront à ces départs en pirogue double vers l’Est comme vers l’Ouest. Un essai intéressant de Léo Paléo (102) a été publié en 1993 dans le bulletin scientifique de la Société d’Etudes Historiques. Il aborde « l’épopée de la dynastie tongienne » et l’influence tongienne à « Wallis » et à Futuna (103).

Ainsi, le contexte politique tongien au début du premier millénaire, a favorisé les migrations des populations du berceau « polynésien » (Tonga, Samoa, Futuna, Wallis, Fidji etc.) vers les archipels de l’ouest, et notamment vers celui de la Nouvelle-Calédonie. S’intéresser à ces îles annexées (ou confiées) par ces « Polynésiens » dans l’espace mélanésien, nous serait profitable.

Fig.8 et 9 – Ustensiles anciens des Tongiens

3. Les réseaux maritimes traditionnels : Le retour des Polynésiens

DUMONT D’URVILLE a inventé pour la première fois les termes de Mélanésie, Polynésie et Micronésie pour décrire les différences évidentes entre l’ouest et l’est du Pacifique ; mais c’est oublier que plus à l’ouest étaient éparpillées de petites communautés de Polynésiens, telles que Ontong Java, Tipokia dont Anuta (104), Renell, Bellona, Nukumanu, Kapingamalangi et les îles Loyauté (105). Daniel FRIMIGACCI (106) s’est penché dès les années 70, aux courants migratoires anciens et il écrit de façon claire :

« Il existe tout au long de la partie orientale de la Mélanésie et en Micronésie, des petites îles habitées par des « Polynésiens ». Les îles Loyautés, au large de la Nouvelle Calédonie, en sont un exemple. Ces populations parlent des langues polynésiennes et leur organisation sociale est de type polynésien. Par contre, leur système économique et leur culture matérielle sont calqués sur leurs voisins mélanésiens ou micronésiens…On a longtemps cru que les Polynésiens qui vivaient en marge de la Polynésie, étaient des vestiges de la grande migration des Austronésiens vers l’est. Mais des progrès ont été faits dans ce domaine. On sait maintenant que les Fidji sont le point de départ originel de l’entité dite polynésienne.

A ce propos, beaucoup d’avancées ont été faites. Par exemple, l’ouvrage de Christophe SAND dans « le temps d’avant », synthétise les dernières recherches à ce sujet. Par ailleurs, GARANGER a répertorié une vingtaine d’îles ou d’archipels mélanésiens et micronésiens occupés par des populations de type « polynésiens ». Au Vanuatu, cela concerne quatre îles : Futuna Lalo, Mélé Fila, et Aniwa et Maé. D. FRIMIGACCI (107) nous informe que :

« Vers les années 1200 de notre ère, de nouvelles populations arrivent dans les îles du centre (parlant de l’archipel du Vanuatu actuel), peut être des Samoa, par la Micronésie. Elles introduisent l’usage de la fabrication d’outils en coquillage. On voit alors disparaître les outils de pierre et l’art de la Céramique qui, cependant, subsisteront ailleurs dans l’archipel».

Ce même auteur nous dit quinze ans plus tard en s’appuyant des dernières découvertes de l’archéologue KIRCH (108):

« Les recherches archéologiques ont montré que Futuna Lalo (Vanuatu) aurait été occupée par les Futuniens vers 1500 de notre ère et que le peuplement des îles de Kapingamarangi et Nukuoro, à partir de Tuvalu, se situerait à peu près à la même époque. D’autres îles de Polynésie Extérieure, telle que Anuta et Tikopia (Salomon), ont une séquence culturelle s’étendant sur près de 3000 ans. Le peuplement de l’île d’Anuta fait apparaître que les Océaniens n’ont jamais cessé de voyager et d’entretenir des relations entre eux. Les récits de la tradition orale d’Anuta font état d’un peuple ancien envahi par des étrangers venus d’Uvéa, vraisemblablement de Wallis. (109) Nous pouvons aussi citer « la légende de Roy MATA (110) », tirée de la tradition orale de ces îles mélanésiennes. Ce personnage légendaire arrivé de l’Ouest il y a 500 ans a, selon l’histoire, su pacifier l’archipel après une catastrophe naturelle causé par un volcan dans l’île d’Efaté. Les habitants de ces îles étaient en conflit au sujet des terres.

En Août 1774, Cook rencontre déjà à Tanna, ces « outliers polynésiens » venant de l’île d’Erronan dont la langue ressemble à celle des îles Tonga (111). Il est indéniable que ces populations aient prolongé leur migration jusque dans les côtes et ses îles Loyauté. Ils ont emmené avec eux des outils et des monnaies d’échanges et notamment tous leurs savoirs, et savoirs faire. L’apport d’autres dieux a pu par ailleurs constituer des moyens d’intégration et d’adoption auprès des populations rencontrées.

Aussi, l’île du nom d’ « Aniwa » de l’archipel vanuatais, n’est autre que « Anawa » lieux situés au nord de Lifou, et notamment une des baies de l’île d’Ouvéa qui est baptisé du même nom par les habitants de l’île. Or, ces lieux dits ont été marqués par le passage de « Polynésiens », les traditions orales nous en attestent. Les découvreurs européens nommaient des lieux souvent en souvenir de leur pays d’origine ou d’un personnage connu. L’Océanien pouvait faire de même et nommer un lieu dit en souvenir d’un autre lieu dit ; cela explique l’existence de patronymes dans des lieux géographiques différents (112) qui correspondrait en définitif à des parcours maritimes balisés.

Comment expliquer qu’en 2009, le premier ministre du Vanuatu revendique les îles de Matthew et de Hunter situé à 475kilomètres au sud Est de l’île des Pins alors qu’elles appartiennent au Territoire de La Nouvelle Calédonie ? Ce pays voisin signe avec le représentant du FLNKS Monsieur TUTUGORO un accord de reconnaissance qui est contesté par le gouvernement de la Nouvelle Calédonie. En effet, le Vanuatu considère ces îles comme des propriétés coutumières des clans de la province de Taféa. Cette quête s’explique et provient des anciennes relations entre ces îlots volcaniques et les habitants de l’archipel du Vanuatu dont fait allusion la tradition orale (113) de clans mélanésiens l’archipel voisin. Selon nous ces îles habitées de manière sporadique et provisoire constituaient de véritables balises maritimes pour accéder à l’archipel voisin calédonien, la tradition orale devrait conforter nos affirmations.

Dans cette étude, nous avons tenté d’effectuer une synthèse des noms toponymiques en Océanie qui restent à approfondir. Ce travail permet selon nous, de mettre en évidence les migrations « polynésiennes » plus ou moins récentes. Avec l’appui de la tradition orale, les parcours migratoires repérés ont constitué un réseau maritime permanent. (Voir tableau)Le Père Goujon qui animait la mission à l’Ile Des Pins entre 1867 et 1871, nous a laissé quelques mythes indigènes dont voici un extrait de ces histoires, sur l’origine des tribus (114):

« A une époque de l’existence de ce peuple premier à Kunié, arriva sur une petite pirogue à Neghan (à l’est de l’île), dit on de kiamou ou Anatom (Ile de Hébrides) une femme nommée WATEPETWA. Elle avait dans sa pirogue des semences de tous les fruits qu’on cultive à KWnyé, excepté ceux apportés par les Européens. Elle les plante dans la bonne terre de Neghan…pénètre dans l’île, fait connaissance et enfante la célèbre et nombreuse tribu de Ti Upi ».

Ce contact fréquent entre les Loyaltiens avec les gens des Hébrides confirme un réseau de communications traditionnelles entre les archipels mélanésiens voisins. Dans le récit, le contact a favorisé les échanges et l’importation de végétaux, par exemple. L’igname aurait été importée par biais de ce réseau, selon la tradition maréenne (115). Le réseau maritime traditionnel forme une boucle essentiellement entre les îles Loyauté, jusqu’à l’île des Pins et toute la côte est de la Grande-Terre. En réalité, il couvrait l’ensemble de l’archipel et même au-delà, en passant par l’archipel du Vanuatu actuel jusqu’aux îles Salomon (116). Des allers retours entre les îles et ces lieux n’étaient pas rares.

Carte 5- des îles de Salomon au Nord de la N C où des « outliers polynésiens » se sont introduits et installés

Des anthropologues anglophones ont relevé dans les années soixante, des légendes des îles Renell et Bellona, deux atolls qui constituent aujourd’hui l’une des provinces des îles Salomon. Un des mythes racontés par un des clans Kaitu’u, fait allusion aux origines du peuplement qui constitue une véritable épopée. Apparemment l’histoire nous révèle clairement les liens de parentés et les contacts, entre Ouvéa lalo et Uvéa mamao, en passant par l’île de Futuna dans l’archipel actuel du Vanuatu.

Par ailleurs, Jean GUIART constate que la société mélanésienne de Nouvelle Calédonie évolue différemment selon les régions, mais on peut mettre en évidence une généralité, décrite en ces termes :

« les structures apparaissent liées entre elles par des systèmes d’identification ou d’opposition formalisées, qui couvrent apparemment toute l’archipel, permettant aux individus qui y sont inscrit de trouver partout accueil, nourriture, sécurité, don et contre dons, épouses si nécessaire, et terres disponibles transmises ensuite à leurs enfants en fonction de la relation dite de « nya », celle qui s’établit entre oncle maternel et neveu utérin. Le terme commode, et plutôt moderne, de « réseau » a été proposé pour désigner de tels systèmes qui transcendent des systèmes de parenté malléables selon l’opportunité.(117)»

Cette spécificité océanienne est déterminante pour la compréhension, en particulier de l’implantation de ces groupes que les Européens ont nommés « Polynésiens » en Nouvelle Calédonie.

Carte 6- La répartition culturelle de l’Océanie et poussée polynésienne vers l’Est

La question de la migration unique est notamment soulevée par certains chercheurs, car il est fort probable que le peuplement des îles Loyauté, d’Ouvéa entre autre, soit le résultat de plusieurs migrations successives (d’allers et retours) de Polynésiens dans une période s’étalant sur plusieurs siècles.

Aussi, la confusion d’un « enracinement » d’origine tongienne, wallisienne et futunienne ou samoane ou autres est remarquable dans les témoignages, les généalogies et les écrits concernant ces populations à cette période. Soit, il y a eu plusieurs migrations successives venues de Tonga, d’autres de Wallis, de Samoa, de Fidji ou d’ailleurs … en même temps, les pirogues qui arrivaient étaient composées souvent composés de personnes d’origines diverses. Il est probable aussi que durant les escales, les pirogues laissent une partie de leur équipage de grès ou de force. D’autres individus, pour diverses raisons, ont pu embarquer dans les pirogues lors de débarquements ou d’arrêts (118).

Nous verrons que ces deux hypothèses peuvent se vérifier au travers de cet exposé. Il n’est pas étonnant qu’à Wallis les habitants soient originaires de plusieurs îles environnantes car les contacts étaient fréquents (Futuna, Samoa, Tonga, Fidji, Tokelau, Niue etc.) Le père HENQUEL, vers la fin du 19ème siècle dénombre 10% de la population de Wallis est issue d’autres îles environnantes, les liens de sanguinité entre Futuniens, Tongiens, Samoans, Tokelau, Niue sont élevés (119). Même si aujourd’hui Futuna est étroitement liée administrativement à Wallis, au temps précolonial, Uvéa avait des liens beaucoup plus étroits avec Tonga ou Tokélau. A l’heure actuelle, toutes les familles wallisiennes ont des liens de parenté avec des familles des îles Tonga, de Futuna, Samoa, de Fidji ou d’ailleurs. Peut être dû à l’effervescence pour la généalogie, certaines familles tentent de retisser les liens familiaux bravant les nouvelles frontières étatiques préétablies.

L’esprit aventurier du « Polynésien » semble être omniprésent de nos jours car il n’est pas rare de voir plusieurs membres de cette « communauté » exilés en métropole ou dans un autre pays d’Europe ou d’ailleurs. Il est évident qu’à l’époque, la mobilité de ces « Polynésiens » aura forcément des conséquences sociales non négligeables dans tout l’archipel calédonien. Cette mobilité peut sous-tendre dans cette période du début des premiers contacts européens au développement de la communication inter îliens , à l’échange économique ou au troc , aux déplacements de populations plus fréquents, aux conquêtes guerrières maritimes, aux mariages matrimoniaux entre la grande terre et les îles. Mais plus tard, cette mobilité propulsera la propagation de la religion, malheureusement à la propagation des maladies aussi… il est très difficile de reconstituer les déplacements (fréquences, buts, nombres, conséquences) des

Polynésiens, en particulier des Ouvéens par les témoignages écrits de missionnaires, de marins ou de militaires d’autant plus que ces déplacements seront par la suite stoppés par l’autoritarisme colonial.

Jean Louis RALLU (120) spécialiste de ce sujet confirme que :

« Les migrations ont existé de tout temps dans le Pacifique, étant à la base du processus de peuplement des îles. Après l’arrivée des européens, à la fin XVIIIème siècle et au début du XIXème siècle, les migrations des insulaires ont continué, mais elles étaient relativement entravées. D’abord par les missionnaires, sous prétexte que les voyages en mer sur les pirogues étaient dangereux, décourageaient les migrations qui éloignaient leurs fidèles et réactualisaient la société et la culture pré européenne ».

Quand les premiers navigateurs européens ont sillonné le Pacifique pour la première fois à partir du XVIème siècle (Magellan), le phénomène migratoire par voie marine propre aux austronésiens était à ce moment là toujours d’actualité. Il est fort probable que la présence des « Papalagi (121) » soit déjà connue dans toutes ces contrées avant même l’arrivée de James Cook. Par ailleurs, certains universitaires contestés, considèrent foncièrement que « les Océaniens » ont atteint le continent américain et australien, il y aurait déjà plusieurs siècles (122).

En autre, l’étude d’archives nous montre que les descendants de l’expédition de Kaukelo se sont propagés en moins d’un siècle dans tout l’archipel calédonien. Mais le convoi maritime de cet ancêtre historique ou mythique n’a sûrement pas été le premier convoi venu de l’est. Ouvéa serait le résultat de plusieurs migrations successives, les migrants « polynésiens » étaient assez nombreux pour constituer des « colonies », puis des clans et des chefferies autonomes. Il est indéniable que les catéchistes « polynésiens » en 1840 ont pris les routes maritimes traditionnelles entre Maré et Lifou, entre la tribu de Rô à Maré et le Sud de Lifou (Mû) dans la chefferie de Boula. Jean GUIART confirme par ses enquêtes ethnologiques que les lieux sus dits étaient occupés par des familles revendiquant leurs origines « polynésiennes ». Ces réseaux de communication en pirogue vont accélérer les échanges de biens et de personnes. On a vu aussi, que les pirogues sont aussi à cette époque des biens très sollicités, et que la monnaie kanake sur la grande Terre permettait d’en acheter. La venue de bateaux sophistiqués d’européens va semble t-il raviver les convoitises.

Carte 7 moderne du Vanuatu à l’est des Loyauté

Jean GUIART a schématisé les routes maritimes traditionnelles, tracées par les personnes originaires de « Polynésie » dans l’archipel calédonien. Ces routes maritimes ont sûrement évolué dans l’espace et dans le temps. Des réseaux par voie terrestre se sont développés à l’intérieur des terres (123).

4. La hache ostensoir et le cycle du jade

Cet objet tire son nom français de sa ressemblance avec l’ostensoir du culte catholique. Son caractère de parade n’a pu qu’encourager cette appellation, qui n’a aucun lien avec sa dénomination autochtone. Son nom en Nouvelle Calédonie est en effet lié au casse –tête, « o kono » en ajië, « sio » en dréhu. Il est donc considéré typologiquement plus comme un assommoir que comme une hache. Sa lame peut être en serpentine ou en jade verdâtre. D’Entrecasteaux a remarqué cette arme qui semblait être utilisée comme une hache cérémonielle. Parmi d’autres, la hache que l’on peut voir ci-dessous a été collectée par F.Sarazin (1859-1942) savant allemand à Ouabatche en 1911. Cet objet est un objet de richesse et de prestige, lié aux chefferies lors d’échanges. La matière première nécessaire à sa fabrication se trouve de manière abondante au sud de la Grande Terre, principalement à l’île Ouen. Maurice Leenhardt parle d’un véritable « cycle du jade » (124). Ce cycle intéressait notamment les colliers de jade, bracelets de coquillages, monnaies « kanakes » etc. Ces objets ou la matière à l’état brut venaient du sud (île des Pins notamment), migraient vers le nord via les Loyautés, en outre Ouvéa. La hache ostensoir dans les îles avait la particularité de porter un nom propre détenteur d’un néné, d’un esprit et d’une puissance (qui peut être identifié au mana polynésien) et ces haches ostensoirs, par contre ne circulaient pas et servaient de prestige de pouvoir pour les clans détenteurs.

Priday nous dit qu’à Ouvéa, la hache était habitée par l’esprit du dieu Kongo Hulup (125):

« Cette hache servait au sorcier du chef à trancher, en grande cérémonie, les doigts des morts, à nous Européens celui qui presse la gâchette, et aux indigènes celui qui tient le doigtier. Ces symboles de force et d’adresse guerrière étaient offerts à l’esprit de la hache avec un mouvement assuré et solennel, signe d’une immense joie » (126).

Certains auteurs comme Eliane Métais ont constaté que (1952) :

« La hache ostensoir est un complexe, dans l’élaboration duquel l’influence polynésienne pourrait bien avoir été prédominante » (127).

Pour cet auteur, la hache ostensoir est une réinterprétation d’objets culturels polynésiens liés au culte du dieu Rongo (128). Pour Emmanuel Kasarhérou (129):

« Cette hypothèse a le mérite de poser le problème, au travers d’un objet symbolique, des rapports entre les mondes polynésiens et mélanésiens en Nouvelle Calédonie. Elle ne doit pas nous faire oublier la spécificité de la forme et de la matière de cet objet dont on ne connaît aucun équivalent en Océanie, et qui pour cette raison, apparaît comme le symbole de la société néo-calédonienne d’autrefois ».

Autre objet clé, la pirogue, qui a été le moyen de communication et de transport le plus utilisé en Océanie depuis la nuit des temps. Il serait intéressant d’approfondir des recherches sur les échanges entre les groupes, au-delà de leur aire linguistique ou culturelle. Nous sommes persuadés que le recoupement des résultats de ces enquêtes sur le terrain, pourra faire progresser les connaissances sur nos préoccupations.

Photo 5- tirée du musée des Confluences : Exposition virtuelles Cultures, Musée du Quai Branly

5. Sur le sillage des Pirogues…

Jean NEYRET S.M a rassemblé durant quarante cinq ans de nombreux dessins et documents présentant ces derniers vestiges du pacifique. Cet auteur a effectué un travail considérable, présenté en plusieurs tomes, concernant les pirogues. (130) Il affirme que :

« L’île d’Uvéa (Wallis) joue un rôle important dans l’évolution des pirogues océaniennes. Les Uvéens ont été de tout temps réputés comme constructeurs de pirogues et de plus ils étaient de grands voyageurs (131). Situés à la limite de la Polynésie et de la Mélanésie et à la portée des archipels micronésiens, ils ont su faire la synthèse des techniques propres à ces régions disparates, et ce sont eux très vraisemblablement qui ont contribué le plus au développement des grandes pirogues doubles de Fidji, introduites ensuite à Tonga, à Samoa et jusqu’en Nouvelle Calédonie et aux Nouvelles Hébrides. Il est en effet très probable que ce sont eux qui les premiers ont adopté et fait connaître la nouvelle voile latine micronésienne, principal facteur de la supériorité de ces pirogues ».

Concernant cette dernière évolution technique, l’auteur souligne qu’elle a été introduite en Nouvelle Calédonie au début du 19ème siècle, ce qui correspond à la période d’expansion polynésienne dont nous parlons. Il écrit plus loin, en ces termes :

« La seule grande énigme est la présence aux TOUAMOTU de pirogues doubles amphi dromes à deux voiles latines mélanésiennes. Le même type de voile qu’en Nouvelle Calédonie. C’est un petit mystère non dénué de piquant (132)».

Il semble donc qu’il y ait eu de manière évidente, un échange entre ces groupes d’archipels. Il ne serait pas étonnant que la communication entre les îles de l’Océanie insulaire par l’intermédiaire des pirogues ait été beaucoup plus développée que l’on imagine. Selon Jean GUIART, il y aurait même eu des contacts entre les calédoniens et les maoris de Nouvelle Zélande, avant l’arrivée des européens (133), la tradition orale conforte ses dires.

Fig. 9- Pirogues Tongiennes

Fig. 10- Pirogues des îles Carolines.

Il est intéressant tout de même de souligner l’importance de la matière pour la construction des pirogues. Ne serait- ce pas l’un des mobiles majeurs de déplacements des Polynésiens à la recherche d’une forêt de tamanou ou d’autres bois ? Hélène GUIOT confirme cette idée. Elle parle d’une véritable politique arboricole et forestière des sociétés « polynésiennes » précoloniales (134). Effectivement, dans certaines îles, le bois de construction n’existait pas. Donc l’exil vers d’autres lieux était nécessaire pour se procurer de la matière première, et les grandes îles comme la Nouvelle-Calédonie étaient prisées par les clans « constructeurs de pirogues ».

A ce sujet, on a retrouvé il y a quelques années du côté de Hienghène un gros tronc d’arbre coupé, au milieu de la chaîne sûrement par des constructeurs de pirogues. Mais on ignore pour quelles raisons le tronc fut abandonné et par qui exactement. Christophe SAND pense que ce tronc d’arbre date du début du XIXème siècle, serait-ce au moment où les Polynésiens se sont installés dans cette région ? Selon Jean GUIART la tribu d’Ouassé (135) de Canala fournissait, le bois pour la construction des pirogues aux Gens de Lifou.

Fig. 11- Pirogue des îles Torres.

Les routes maritimes traditionnelles ont facilité l’introduction de la religion protestante dans cette tribu de la Grande-Terre. Il est certain que l’arrivée de polynésiens occidentaux dans les eaux calédoniennes, a contribué à l’évolution technique de la navigation et de la construction des pirogues (136). Comme nous l’avons dit par ailleurs, leur goût pour les déplacements a aussi permis de développer les déplacements d’hommes et de femmes vers d’autres lieux. Ces migrations internes ou externes ont également contribué aux échanges culturels mais aussi économiques, entre les îles et la Grande-Terre. Le père Lambert dans son ouvrage évoque l’apport des Tongiens concernant la technologie de navigation :

« …Sous le chef Kaoua, le père de Toourou, des étrangers arrièrent dans l’île sur une grande pirogue. Cette pirogue n’avait qu’une voile avec une chambre sur le pont voguait parfaitement bien. Elle provoqua l’admiration de tous et, sans hésiter, on adopta le nouveau système pour le pays. Les Kouniés sacrifièrent ainsi leur vieille pirogue à deux voiles avec faux pont et lui préférèrent la pirogue à une voile avec chambre sur le pont. Les hommes de l’île des Pins disent que ces visiteurs étrangers venaient du côté de Tonga. Ils ne restèrent que quelques jours dans l’île et se dirigèrent vers les Loyautés. Les Ti-kouniés, fières de leur nouveau système de navigation ne tardèrent pas à reprendre les relations avec les tribus du sud de la Grande Ile, soit par des guerres, soit par des rapports amicaux. Ils pénétrèrent jusqu’à Canala sur la côte Est et sur Nouméa sur la côte ouest. Les diverses tribus qui les reçurent admirèrent, elles aussi la nouvelle pirogue et se hâtèrent de l’adopter ». (137)

La pirogue constitua un élément de convoitise et de prestige dans toutes les îles du Pacifique, les constructeurs de ces moyens de locomotion souvent « étrangers » n’ont pas eu de soucis à se faire « adopter » en échange de leur savoir faire.

Photo Manille 1899

Dans ce contexte de voyages hauturiers réguliers et permanents, la présence de « Polynésiens » en Nouvelle Calédonie n’aurait en fin de compte rien d’extraordinaire, sauf que le regard extérieur européen le considérait comme un exploit hors du commun (138). Sans boussole, ils pouvaient se déplacer et se repérer dans l’immensité océane. Leur connaissance des éléments naturels, du vent, des nuages, des courants marins, des étoiles, des animaux leur ouvrait les portes de la conquête du Pacifique. Leur sens de l’observation développé ainsi que leurs pratiques mystiques et de croyances (139) ont sans doute été déterminantes dans les traversées. Ce dernier aspect, ne doit surtout pas être occulté, car il se révèlera être selon la tradition orale le mobile de plusieurs évènements marquants. Il en a été de même, lors des premiers contacts avec les européens.

Le phénomène de migration en Océanie repose sur les recherches archéologiques et ethnolinguistiques essentiellement, mais cela n’est guère suffisant pour affiner les données et la conjonction avec la tradition orale semblant faire avancer ces investigations.

José GARANGER en 1976, prétendait d’une manière réaliste que:

« Il serait utopique de prétendre pouvoir un jour découvrir l’origine insulaire précise de telle population, il ne paraît pas raisonnable, en effet de continuer à considérer le peuplement de l’Océanie comme le résultat de multiples migrations unilinéaires et successive que l’on pourrait dater et inscrire avec précision sur une carte du Pacifique »(140).

La « Polynésie marginale » expression utilisée par les océanistes, correspond à l’avancée migratoire de populations de l’Océanie Occidentale vers l’est cette fois ci, comme un retour vers les îles sur lesquelles leurs ancêtres se sont auparavant installés. La percée des Polynésiens dans ces zones maritimes, vont à l’encontre de la répartition théorique ethno-géographique cartésienne préconisée par les premiers découvreurs, au point d’être nommées « marginales (141)» ou considérées comme des « enclaves » par les scientifiques.

Or, elles ne sont que la partie visible de l’iceberg. C’est à partir des recherches essentiellement ethnolinguistiques dans une moindre mesure, que l’on a pu identifier ces populations comme telles, classées comme non « mélanésiennes ». De plus, la langue parlée reste tout de même un facteur d’identification ambigüe selon le statut qu’elle détenait ou qu’elle détient dans la société conservée (142). La langue polynésienne était encore utilisée au nord de la grande Terre au milieu du XIXème siècle ainsi qu’aux îles Loyautés, par des groupes humains ayant un mode de vie relativement homogène, elle s’est maintenue aux extrémités d’Ouvéa mais pas ailleurs. Pour confirmer ces contacts de manière précise, l’utilisation du test ADN peut être efficace pour évaluer le degré d’échange au sein de ces populations.

La puissance étatique française, véritable « rouleau compresseur (143) » a complètement bouleversé les structures traditionnelles au point que des réactions violentes mais sporadiques se sont succédées de la part des Autochtones en infériorité militaire. Les Européens dont le mode vie étaient différents, n’avaient rien de comparables avec ceux venus « du soleil levant » avec qui ils avaient l’habitude de traiter, ils étaient imposants, puissants et de plus en plus nombreux. La hiérarchie des clans et leur rôle respectifs face à de nouveaux venus ne pouvaient se faire naturellement et normalement, les chemins coutumiers n’étaient plus respectés.

Le pouvoir colonial a gelé l’évolution naturelle et traditionnelle des échanges et des contacts entre les populations insulaires. Cette « mise en quarantaine » des populations autochtones en Nouvelle Calédonie ne leur a plus permis de fait, d’alimenter ces réseaux maritimes en jouant pleinement leur rôle d’ « accueillant » et « d’intégration réciproque » mais se sont contentées de réseaux internes imposés par les aléas coloniaux (144). Cette rupture d’échange a maintenu ces populations, dans un enfermement et dans un cloisonnement soit dans leur île, soit dans des réserves limitées dans l’espace. Le système colonial a contribué à accélérer la poussée des populations de l’Océanie Centrale vers l’extérieur, beaucoup plus tard, les Kanak eux, ont pu se déplacer librement à la fin de l’indigénat à partir de 1946. Avant cette date les mouvements de populations constituaient de véritables « déportations » dans la mesure où ils étaient imposés et contrôlés, soit par l’administration ou par les missionnaires religieux. En dehors des capacités ou des aptitudes de ces populations à construire des pirogues, à les utiliser et à se repérer dans l’immensité océane pour des déplacements à longues distances, l’étude de ces mouvements migratoires dans des milieux déjà peuplés, va permettre de mieux comprendre les enjeux que cela implique dans les rapports de force des populations en présence. Y aurait-il une stratégie des allochtones pour se faire accepter ? D’autres parts, y aurait-il une stratégie d’accueil de la part des autochtones ? L’idée que l’on a de l’altérité en Océanie, et l’étude des mythes racontés de mémoire par les populations en question, pourraient nous semble-t-il, apporter un certain nombre d’éclaircissements.

Pirogue récente de pêche ( kodjeu Ile des Pins 2012 )

86 Ces langues de Polynésie “extérieure”, connues (en anglais) sous le nom d’Outliers Polynesian, correspondent historiquement à des migrations tardives de populations du triangle polynésien ; elles se trouvent aujourd’hui très isolées de leurs cousines polynésiennes. Les archipels où l’on trouve ces outliers sont : Le sud de la Micronésie (2 langues), Ce qu’on appelle traditionnellement la Mélanésie, dans les îles Polynésiennes (6 langues), le Vanuatu (3 langues) et la Nouvelle Calédonie (1 langue), l’île Bougainville en Papouasie Nouvelle-Guinée (3 langues).
87 Nous appellerons « Austronésiens » les locuteurs parlant une langue d’origine austronésienne. (cf. carte p 47)
88 On peut citer Christophe SAND éminent archéologue calédonien spécialiste du Pacifique : Le temps d’Avant.- La préhistoire de la Nouvelle-Calédonie, Harmattan, 1995, 356 p.
89 La langue malgache au Madagascar est une langue de la famille austronésienne, ce qui porte à croire que des migrations ont eu lieu depuis l’Asie. La tradition orale malgache fait allusion à cette migration d’antan. Ratrimo Andriantefinanahary, a décrit le parcours historique de cette population austronésienne d’origine, en Madagascar qui s’élève à plus de 2 millions de personnes à l’heure actuelle ; Cf. Ratrimo Andriantefinanahary Les Mérinas, novembre 1996. (& aussi la carte p 19)
90 Isabelle MERLE, Expériences coloniales- La Nouvelle-Calédonie (1853-1920), Editions BELIN, 1995, p 7.
91 Le Père Henquel a publié, vers 1910, Talanoa ki Uvea nei, Wallis, Presses de la Mission, 63p. Il s’agit d’un recueil de généalogies et de l’histoire traditionnelle de Wallis, encore largement commentée de nos jours.
92 Ch. SAND in. 101 mots pour le dire- Wallis et Futuna, Iles de lumière, 1999, p 95.
93 Bernard BROU, Préhistoire et société traditionnelle de la Nouvelle Calédonie, 1987, Edition SEHNC, cite AVIAS p 147.
95 I.C Campbell &JP Latouche, Les insulaires dans le Pacifique, Edition PUF, 2001 p 46 à 53.
96 La tradition Wallisienne fait allusion à des voyages légendaires comme celui d’une pirogue géante connue sous le nom de Lomipéau.
97 Nous verrons dans le chapitre IV que ce sera le cas de Kaukelo à Ouvéa.
98 Raymond H. LEENHARDT, Au vent de la Grande-Terre- les îles Loyautés de 1840 à 1895, p 9. Cet auteur suppose que « l’absence de femmes » dans les pirogues polynésiennes s’est traduit par l’adoption de ces migrants de l’organisation politique des sociétés mélanésiennes, p11.
99 Notons qu’à Wallis et Futuna, le roi n’est plus forcément élu de père en fils mais un roi peut être destitué par un autre prétendant membre de la même famille, puisqu’il y a plusieurs lignées éligibles à cette plus haute fonction. Les intermariages rendent complexes les palabres et le consensus.
100 Jean GUIART, la chefferie en Mélanésie, Institut d’Ethnologie, 1992, p 438. Effectivement toutes les familles d’origines wallisiennes ne dépendent pas forcément de la chefferie Nékélo sensées représenter les clans d’origine uvéenne.
101 Les volcans, les cyclones, les tsunamis et les tremblements de terre sont fréquents dans cette partie du monde.
102 Spécial Wallis et Futuna, SEHNC, n° 97, 1993, Ancienne et récente préhistoire de Wallis et Futuna, p 29 à 35.
103 Cf. notamment LELEVAI, l’influence Tongienne à Wallis et Futuna, Mémoire de maîtrise à l’UNC.
104 Un petit morceau de terre de 900 mètres de large perdu dans le Pacifique Sud : Anuta, île des Salomon, abrite environ 250 personnes. La population a la particularité de connaître la chasse à la sarbacane et la pêche nocturne au harpon.
105 I.C CAMPBELL- JP LATOUCHE, les insulaires du Pacifique-Histoire et situation Politique, Ed Puf, 2001, p10.
106 Daniel FRIMIGACCI, peuplement de l’Océanie et de l’Australie, collection Eveil, DEC, 1976, p 36.
107 Voir notamment ses travaux les plus récents, Daniel FRIMIGACCI, Aux temps de la terre noire, Editions Peeters SELAF, 321p, op.cité. 1990, p40 à 43.
108 V. KIRCH, the Lapita Peoples, Ancestors of the Oceanic World, Blackwell, Cambridge, Massachusetts, 1997.
109 Ce fait est révélé notamment dans son ouvrage du Père LAMBERT, Mœurs et superstitions des néo-calédoniens, 1900, p55.
110 Nous ferons allusion à cette légende plus en détail ultérieurement.
111 James COOK, Relations de voyage autour du monde, traduit de l’anglais par Gabriel RIVES, Edition La découverte, 1998, p261.
112 Cf. tableau de toponymie comparative.
113 Voire les Nouvelle Calédoniennes, décembre 2009 : Des représentants politiques loyalistes n’ont pas traîné à prendre la plume, après l’annonce, dans notre édition d’hier, de la signature par le Premier ministre vanuatais, Edward Natapei, et le porte-parole du FLNKS, Victor Tutugoro, d’un accord reconnaissant « à la République de Vanuatu, l’appartenance des Îles Matthew et Hunter ». Des Îlots sur lesquels la France revendique sa souveraineté. Soucieux de pointer tout d’abord un document sans «aucune valeur juridique», Simon Loueckhote s’« interroge sur le comportement du Premier ministre du Vanuatu qui ne peut ignorer les règles internationales ». Dans l’élan, le sénateur « déplore le climat polémique créé par les plus hauts responsables de la République du Vanuatu d’une part et par le FLNKS d’autre part quelques jours avant la tenue du 3e Sommet France Océanie ». Sur le même ton, le Rassemblement-UMP rappelle le passé : « nous savons qu’il s’agit d’un contentieux ancien opposant la France au Vanuatu. Il n’empêche qu’en 1998 au moment de la signature de l’accord de Nouméa, le Rassemblement et le FLNKS ont reconnu que la Nouvelle-Calédonie comprend la Grande-Terre, l’île des Pins, Bélep, les îles Loyauté et les îles Matthew et Hunter (article 1er de la Loi organique) ». Dès lors, « comment comprendre cette déclaration du FLNKS ». Le mouvement de Pierre Frogier « est dans l’attente que l’ambassadeur de France au Vanuatu s’exprime à ce sujet et s’interroge sur la raison de cette déclaration à la veille du prochain sommet France-Océanie ».
114 Journal du P. GOUJON d’octobre 1866 au 2 février 1867 à Ile Des Pins. (Archive consultable à l’Archevêché de Nouméa)
115 Pierre Gope parle de cette migration dans une de ses pièces de théâtre.
116 S.H ELBERT and T.MONBERG, in the two canoes, Oral Traditions of Renell and Bellona Islands, Danish National Museum/University of Hawaï Press, Copenhague/Honolulu 1965. Ce mythe est cité par Vaimu’a Muliava in Collectif, Ta’vaka Lanu’imoana, Mémoires de Voyages.CCT, p 22-23
117 Opt.cité.
118 Exemple de l’escale de Lifou des pirogues « wallisiennes » au 18ème siècle avant de partir pour Ouvéa selon la tradition orale que nous verrons plus loin dans le chapitre III.
119 Cité par ANGLEVIEL dans les missions à Wallis et Futuna. & aussi les légendes, et la cosmogonie de ces îles de la Polynésie centrale.
120 Jean Louis RALLU, Population, migration et développement dans le Pacifique sud, Unesco, 1997, p 21.
121 Terme du Polynésien occidental désignant « le Blanc » qui signifie textuellement : « terre-ciel ou planche du ciel » serait-ce leur grand navire aux voilures blanches immenses dont le Polynésien a tiré cette appellation ?
122 Cette théorie fut supposée par l’anthropologiste et explorateur norvégien Thor EVERDAHL. La présence de la patate douce aux îles Cook dès le Xème siècle selon des archéologues est la preuve qu’il y a eu des contacts entre les îles polynésiennes et le continent sud américain. Quand les premiers Navigateurs espagnols abordèrent le continent sud américain, ils trouvèrent la présence de poules alors que cet animal n’est nul par ailleurs dans le continent…à moins que cet animal soit venu des polynésiens, qui eux par contre en élevaient. D’autres chercheurs ont tout récemment prouvé que des contacts ont eu lieu à au début du deuxième millénaire entre les polynésiens et la Californie. Le contact entre les austronésiens et le continent australien semble être prouvé par la présence du dingo, animal originaire de l’Asie du sud est.
123 Cf. Collectif, Histoire, cycle 3, Nouvelle Calédonie, 2007, p 52.Cf. annexe 3
124 LEENARDT Maurice, les gens de la Grande Terre, Paris Gallimard, N.R.F., p27-28, 228p.
125 Le patronyme « Kongo » ressemble étrangement à « Rongo », un des dieux polynésiens le plus vénéré de cette époque ; les Polynésiens ont-ils apporté avec eux leurs dieux ?
126 Priday, A polynesian migration circa 1765, Journal of Polynesian Society, 1950, p 251, cite par Métais.
127 Eliane Métais, Hypothèse sur l’origine de la hache ostensoir néo-calédonienne, J.S.O. t. VIII, n°8, décembre 1952 p 137.
128 Que les gens d’Ouvéa nomment Kongo Ulup.
129 Directeur actuel du Centre Culturel Tjibaou à Nouméa depuis 2010.
130 Jean NEREY S.M, Pirogues océaniennes, Tome II, Association des Musées de la Marine, 1974, p 131.
131 On peut penser à la légende wallisienne du « LOMIPEAU », une pirogue géante qui pouvait transporter 400 personnes, cité par J. HENQUEL et P. Chanel SIMUTOGA dans, technologie traditionnelle à Wallis, SO, Paris, 1992. Cf. aussi Nancy POLLOCK, The Lomipeau, a legendary canoe linking Uvea and Tonga. Cette dernière met en évidence une variante de l’histoire entre Wallis et Tonga.
132 Père NEYRET, les pirogues océaniennes.
133 Jean GUIART, la chefferie en Mélanésie du Sud, Institut d’Ethnologie, 1992, p 457, citant B.ELSDON, the Maori as a deep sea voyager, journal of the polynesian Society, vol 33,1924, p 29-33.
134 Hélène GUIOT, Waka et construction navale : Mobilisation de l’environnement et de la société chez les anciens polynésiens. Thèse Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, Paris, 1997. Ainsi, la Grande Terre est beaucoup plus fournie en Bois de construction, la côte est comme Canala aurait été des points de ravitaillement.
135 Tribu de pêcheurs de la commune de Canala la plus éloignée et très difficile d’accès par la route, à mi parcours sur la montagne, on peut s’arrêter au pied « d’un arbre » dont les racines rejoindraient un banian à Ouloup au centre de l’île d’Ouvéa. Ce lien symbolique et mythique est sans doute historique. Cette tribu a été sous les feux des projecteurs dans le film : le gendarme citron. Ce n’est pas un hasard aussi si cette tribu est lié avec les tribus du sud de Lifou là où les Polynésiens y ont fait souche.
136 Pierre Chanel SIMUTOGA, technologie traditionnelle à Wallis, Publication de la Société des Océanistes, Paris 1992.
Les techniques traditionnelles pour la construction d’une pirogue y sont décrites de façon exhaustive.
137 Père LAMBERT, Mœurs et superstitions des Néo-calédoniens, p 196-1997.
138 Michel ORLIAC, Horticulture et conquête maritime en Océanie, in Jean Guilaine, Premiers paysans du monde, Naissances des agricultures, Séminaire du Collège de France, Errance, Paris, 2000 ; citant le cas de TUPAIA le prêtre polynésien qui a guidé James COOK dans ces périples voyages au XVIIIème siècle. TUPAIA aurait été capable de nommer cent trente îles et d’en remplacer soixante-quatorze sur une carte, l’auteur cite aussi le cas fut un des rares Océaniens encore capables de guider le fabuleux voyage du Hokulea, en 1976. Ce navire à deux coques, réplique des anciens bateaux polynésiens, avait alors conduit Ben Finney, quatorze hommes d’équipage (et deux photographes) d’Hawaii à Tahiti (environ cinq mille kilomètres !) en trente-trois jours : le retour n’en dura que vingt-cinq.
139 Nous aborderons cet aspect dans le chapitre suivant.
140 José GARANGER, 1976, cité par FRIMIGACCI.
141 Les anglophones utilisent le mot « outliers » qui se disent des personnes exilés de leur environnement naturel.
142 « Parler chinois » ne donne pas forcément l’identité du locuteur : Parler chinois ne fait du locuteur « un chinois ».
143 Expression employée pour désigner l’occupation américaine en termes de puissance technologique, sur les lieux de combat durant la deuxième guerre mondiale,.
144 Durant la période coloniale, les déplacements de populations dus à l’administration ou aux missions ont bouleversé les repères de la société kanake d’une manière totale et rapide. En même temps son enfermement à l’intérieur des nouvelles frontières modernes (tribu, district, petites et grandes chefferies, missions catholiques ou protestantes etc.) est selon nous, une des conséquences de la baisse démographique notifiée à cette période.

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