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b) Narration imposée vs narration « omnipotente »

Le « cheminement contrôlé » est ce qui distingue les récits des visuels interactifs où l’internaute est omnipotent : il peut aller où il veut quand il veut, parfois au risque d’un manque de profondeur narrative. Dans le récit interactif au contraire, l’accent est mis sur le point de vue de l’auteur qui constitue la trame du web documentaire. La distinction est toutefois très schématique et toute une palette de nuances existe entre les deux formules.

Certains web documentaires sont à la frontière des genres comme « La Cité des mortes(30)» produit en 2005 par Upian. Diffusé sur un site internet dédié, il a accompagné la sortie du livre « La ville qui tue les femmes(31)», des journalistes Jean-Christophe Rampal et Marc Fernandez qui ont mené deux ans d’enquête sur la ville mexicaine de Ciudad Juarez où près de 400 femmes ont été assassinées et 500 autres ont disparu depuis 1993. De cette investigation, ils ont également réalisé un documentaire diffusé sur Canal +. Le postulat de départ est identique à celui des sujets qui viennent d’être cités : faire jouer un rôle actif à l’internaute en lui donnant différentes clefs pour mener sa propre enquête. En naviguant sur les ondes de radio Ciudad, il peut ainsi accéder à différents témoignages (un avocat, un enquêteur, un criminologue, le père d’une victime …).

Il peut aussi consulter une carte qui situe les différents acteurs et les lieux du drame, cliquer sur les fiches signalétiques des victimes, faire défiler un portfolio de photos prises par les journalistes pendant leur enquête. L’ensemble du site possède par ailleurs une unité visuelle forte qui renforce l’impression d’immersion de l’internaute. En revanche, aucune trame narrative ne relie ces différents éléments qui cohabitent de manière indépendante.

C’est à l’internaute de recréer sa propre narration et de remettre les différents éléments en perspective, ce qui peut s’avérer fastidieux et frustrant. « La Cité des mortes » peut s’analyser comme une tentative de récit interactif mais qui se rapproche davantage du visuel interactif en raison de la délinéarisation totale du récit. Cela s’explique sans doute par le fait que les auteurs ont conçu le site internet comme un complément à leur livre enquête. Ainsi, chaque photo comporte le numéro de chapitre du livre qui s’y rapporte et les fiches signalétiques des victimes sont présentées comme « un complément visuel et une aide à la lecture ». Pour Joël Ronez, directeur du pôle web d’Arte France, il est important qu’un web documentaire puisse exister de manière autonome même s’il est pensé dès le départ comme le pendant d’une diffusion télé par exemple.

« On a voulu d’abord produire, et c’est encore notre critère aujourd’hui, des choses qui tiennent debout toutes seules sur le web » a-t-il expliqué à l’occasion de l’atelier « Doc on Web » organisé par la SCAM, le 20 janvier 2010(32). « On les développe de manière autonome et on a comme condition qu’il n’y ait pas besoin d’antenne pour que cela fonctionne. (…) Cela nous a permis aussi d’explorer de nouvelles formes de narration, de nouvelles formes de productions, de recherche d’interfaces ».

30 http://www.lacitedesmortes.net
31 Hachette Littérature, 2005
32 http://www.dailymotion.com/video/xc0dia_doc-on-web_creation#from=embed?start=2

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