Institut numerique

4. Une étude de cas : le Paris-Saint-Germain

Histoire du Paris-Saint-Germain(24)

Le contexte sportif qui préside à la naissance du Paris-Saint-Germain (PSG) fut plutôt difficile. Au début des années 1970, le football français est à un niveau sportif relativement médiocre symbolisé par les piètres performances de l’équipe nationale durant la décennie précédente. La situation de ses finances et de son organisation ne vaut guère mieux. La situation du football parisien est également particulière. A Paris en effet, le sport est depuis le début du siècle avant tout un spectacle auquel assiste un public composé de spectateurs bien plus que des supporters, souhaitant avant tout en « avoir pour son argent ».

En 1970, le Stade Saint-Germain termine troisième de son groupe de CFA et est promu en Division 2 qui devient « open », c’est-à-dire ouverte aussi bien aux clubs professionnels qu’aux clubs amateurs. Parallèlement la Fédération française de football (FFF) organise en février 1969 une consultation auprès des parisiens : « Voulez-vous un grand club à Paris ? ». Le « sondage » recueille plus de 66 000 réponses positives. De là né le Paris FC mené par Guy Crescent et Pierre-Etienne Guyot. Mais le « grand club » parisien n’existe alors que sur le papier. Il ne dispose ni de joueurs, ni d’encadrement, ni de terrains. Il lui faut, en quelque sorte, « vampiriser » un club organisé et disposant d’infrastructures. C’est le cas du Stade Saint-Germain, dont le président Henri Patrelle laisse alors la place au tandem Guyot et Crescent, lors de la fusion de mai 1970. C’est là l’acte de fondation du Paris-Saint-Germain était né. Au terme de la saison 1970-1971, le club remporte le championnat national et obtient son billet pour la première division. Mais il n’en connaît pas moins la première crise de son histoire. En effet, trois jours après un vote confirmant le maintien du nom du club, le PFC annonce sa sécession. La FFF et la Ligue cèdent à la volonté de la Mairie de Paris en accordant toutes les dérogations nécessaires à une telle démarche. Le PFC récupère ainsi l’équipe professionnelle, tandis que le PSG conserve tous ses joueurs amateurs. Ce dernier repart en 1972 en troisième division, un niveau où évolue jusque-là son équipe réserve.

Le PSG « survit » malgré tout au « divorce sans consentement mutuel » qu’il vient de connaître et réussit à remonter en deuxième division en 1973. Cependant, le retour au professionnalisme nécessite des moyens financiers très supérieurs à ceux que peuvent engager les dirigeants en poste. Il faut donc une équipe de direction capable de trouver des financements. En juin 1973, Daniel Hechter prend ainsi la direction du club. Le PSG accède à la première division dès la fin de la saison 1973-1974, alors même que, dans le même temps, le Paris FC est pour la première fois rétrogradé en deuxième division. Le PSG devient résident du Parc des Princes en juin 1974. Ce sont alors les années d’enracinement sous la présidence de D. Hechter de 1974 à janvier 1978, puis de Francis Borelli qui dirige le club jusqu’en mai 1991. Sous la direction de ce dernier, le PSG devient l’un des grands clubs français, et remporte la coupe de France en 1982 et 1983, ainsi que le championnat de France en 1986.

Cependant, les succès restent fragiles. Et le PSG voit son affluence baisser largement dans les années 1980, passant de 25 000 spectateurs en moyenne par match à 16 000 à la fin de la décennie. De plus la majorité des personnes qui viennent au Parc des Princes restent des spectateurs, quand ils ne prennent pas partie pour l’équipe visiteuse25. Les matchs que dispute l’AS Saint-Étienne à Paris, par exemple, transforment le Parc des Princes en « chaudron vert ». Le PSG ne sert donc de support à l’affirmation d’une identité locale revendiquée.

C’est au début des années 1980, par effet d’imitation du modèle de supportérisme anglais, que né le « Kop » de la tribune Boulogne, composé en partie de skinheads, qui viennent au stade essentiellement pour prendre à parti les spectateurs d’origine africaine à la fin du match. Ce sont les mêmes individus qui, en octobre 1983, provoquent de graves incidents après la venue de la Juventus de Turin. Le début des années 1990 peut être rapproché de celui de la décennie 1970 tant le thème de la nécessité d’un grand club à Paris revient dans les débats alors que l’époque est marquée par l’hégémonie sportive de l’Olympique de Marseille, le club d’une ville qui se pose comme l’anticapitale française.

La saison 1990-1991 apparaît comme une année charnière. Dans les coulisses, le PSG cherche des appuis extérieurs pour faire face à de graves difficultés financières. Après être devenu une association loi 1901 à statuts renforcés lors de son assemblée générale du 13 décembre 1990, le PSG conclut fin mai 1991 un accord avec la chaîne de télévision à péage Canal + et la Mairie de Paris. Le PSG adopte le statut de Société Anonyme à Objet Sportif, présidée par Pierre Lescure, dont 40% des parts sont détenus par la chaîne. Sur le plan sportif l’intervention de Canal + est un succès avec un titre de champion de France conquis en 1994, cinq coupes de France (1993, 1995, 1998, 2004, 2006), deux Coupes de la Ligue (1995 et 1998) et une Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupes (1996).

L’une des plus belles réussites du club est de fidéliser à cette époque son public et ses abonnés. Les déboires sportifs du début des années 2000 n’enrayent pas cet état de fait. La moyenne d’affluence au Parc des Princes passe ainsi de 14 500 spectateurs au début des années 1990 pour atteindre plus de 35 000 cinq ans plus tard, et même 40 000 personnes entre 2002 et 2009. Et même si les rapports entre la direction du club et les supporters des tribunes Boulogne et Auteuil ont permis de penser que les dirigeants avaient pu entretenir des relations ambiguës avec les plus violents d’entre eux, leur présence apporte une autre dimension au simple match de football. En effet, le spectacle du stade jusqu’en 2009, n’est plus seulement ce qui se passe sur la pelouse. C’est aussi la chorégraphie, comme l’appelle les Italiens dans les tribunes : chœurs, couleurs, mouvements, banderoles…sont présents pour soutenir l’équipe. Comme le remarque Patrick Mignon, les spectateurs parisiens sont véritablement devenus des supporters et des acteurs des rencontres jouées au Parc des Princes.

Le Parc des Princes

Inauguré le 4 juin 1972, le Parc des Princes est doté d’une architecture avant-gardiste pour l’époque. En juin 1974, le Paris Saint-Germain devient le club résident de ce nouveau stade et décide d’associer son image ainsi que son histoire à cette enceinte. En configuration football, la capacité du stade est de 45 500 places assises. Depuis la Coupe du Monde 1998, le PSG est désormais seul maître des lieux et y a installé son siège social, le Parc ayant bénéficié d’importants travaux de rénovation. Le stade est situé au sud-ouest de la ville de Paris, dans le XVIe arrondissement, quartier essentiellement résidentiel, mais néanmoins très marqué par la présence de lieux dédiés aux spectacles sportifs (outre le football, le tennis et le rugby) et par ailleurs très visité par les touristes pour ses nombreux musées et ses lieux remarquables comme le Trocadéro ou le bois de Boulogne. Il abrite le plus grand nombre d’ambassades et de consulats de Paris(26). Ainsi l’environnement bourgeois du Parc des princes conforte l’idée que les supporters marquent une rupture par rapport à une certaine représentation de l’espace parisien »(27).

L’origine de la rivalité PSG-OM(28)

Contrairement à une idée admise, la rivalité entre le Paris-Saint-Germain, club de la capitale, et l’Olympique de Marseille (OM), club de la deuxième ville française, n’a pas toujours existé(29). Elle ne s’est jamais exprimée dans le football avant le tournant des années 1980 et 1990. En effet, fondés respectivement en 1984 et 1985, les Ultras Marseille et les Boulognes Boys se disputent le titre honorifique et symbolique de premier groupe ultra fondé en France. Mais l’opposition va réellement débuter avec la reprise du club par Bernard Tapie en 1986 et le recrutement de vedettes spectaculaires qui font la une des médias. L’OM est ainsi vu, à Paris, comme l’équipe qui vole la vedette aux Parisiens alors champions de France. Les provocations vont alors se multiplier.

Après le match de mai 1989 où, pour la première fois, il y a lutte pour le titre de champion de France entre les deux équipes (1-0 pour l’OM), la rivalité est entrée dans une autre phase avec l’arrivée de Canal + à la tête du PSG en mai 1991. Bernard Tapie, a lui besoin d’un concurrent fort en première division pour préparer l’OM à son ambition de victoires en Coupe d’Europe. En même temps, Canal + détient les droits de diffusion du Championnat de France et souhaite que son « produit » soit le plus passionnant possible, pour qu’il y ait le plus d’abonnés possible. Des deux côtés, on se rend compte que Marseille-Paris constitue une rivalité qui marche bien d’un point de vue sociologique, et on fait donc en sorte de créer une rivalité sportive. À Canal +, cette thèse n’est pas niée. Tapie, quant à lui, déclare volontiers qu’il a « tout créé ».

Dit autrement, c’est la rencontre de deux intérêts économiques. L’olympique de Marseille, à ce moment, est en situation de « monopole » sur le football français, chose peu compatible avec le principe d’incertitude propre au sport qui fonde l’intérêt des spectateurs et téléspectateurs. Acteurs historique du club parisien, un temps président, Alain Cayzac résume : « PSG-OM, ce sont des gens intelligents qui se sont entendus pour faire une bonne affaire ». Aujourd’hui, cet antagonisme est entré dans la culture sportive du pays.

L’organisation des tribunes de 2007 à aujourd’hui

Nous avons tenté, avec l’aide d’Antoine Lech, sociologue et spécialiste des supporters de football(30), de reconstituer l’organisation des tribunes au Parc des Princes, et ce à deux moments différents, en 2007 et aujourd’hui. Pour chaque association, nous avons référencé au mieux la moyenne d’âge des groupes de supporters, leur nombre de membres, et le modèle de supportérisme revendiqué. Pour ce dernier point, nous en avons défini quatre, le style Ultra à l’italienne (chants programmés et continus, tifos, pyrotechnie : un spectacle visuel et sonore), le style Kopiste britannique (chants beaucoup plus spontanés, moins de spectacles visuels), le style Indépendant (hooligans en mode casual, recherche du fight31 et aucune animation en tribune), le style Classique (supporters un peu fair-play, jamais contestataires, qui encouragent leur équipe sur un mode plutôt conforme aux attentes des organisateurs et des diffuseurs du spectacle). Le tableau ci-dessous révèle les différentes associations de supporter présentes au Parc des Princes en 2007.

Aujourd’hui, les trois groupes qui ont gardé leur place au Parc sont les Titifosi (tribune A bleu), les Hoolicool (Tribune K rouge) et les Amis du PSG (tribune B rouge). Toutes les autres associations n’existent plus dans le cadre du plan Leproux.

24 Ce passage s’appuie sur : Paul Dietschy, « Le Paris-Saint-Germain dans le football français et européen », Bulletin des Amis du Vieux Saint-Germain, n° 39, 2002, p. 273-291.
25 Paris et ses environs sont en effet caractérisés par la présence de nombreux provinciaux « montés à la capitale » pour faire carrière. La venue des équipes provinciales est une bonne occasion de soutenir le club de ses origines.
26 Voir, pour plus de détails : http://www.leparcdesprinces.fr/. Se reporter également à : C. Rivière, « Quand le sport travaille la ville. Stadisation et luttes pour l’espace dans le quartier du Parc des Princes », Annales de la recherche urbaine, n°106, 2010, p. 121-131.
27 P. Mignon, La passion du football, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 249.
28 Ce passage s’appuie sur un article paru sur le site L’Equipe.fr le 27 avril 2006. Pour plus de détails voir : J-F. Peres, D. Riolo, OM-PSG, les meilleurs ennemis, enquête sur une rivalité, Paris, éditions Mango Sport, 2003.
29 Sur ce point, voir : L. Lestrelin, L’autre public des matchs de football. Sociologie des « supporters à distance » de l’Olympique de Marseille, Paris, éditions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, 2010, p. 85-91. Voir aussi un article récent paru sur le site Atlantico, rédigé par l’historienne Marion Fontaine : http://www.atlantico.fr/decryptage/ompsg-rivalite-moins-ancienne-qu-parait…-58739.html
30 Voir sa thèse : A. Lech, Comment peut-on être supporter(s), thèse de doctorat en sociologie, université Paris Descartes, 2008
31 Bagarres planifiées par les deux camps se déroulant loin du match dans l’espace et dans le temps.

Page suivante : 5. Un terrain investi au moyen de deux méthodes qualitatives d’enquête

Retour au menu : SÉCURITÉ ET AMBIANCE DANS LES STADES : Un compromis possible ?