Institut numerique

2. Revue de la littérature

Dans ce chapitre, nous viserons à expliciter la problématique et à présenter les facteurs mis en avant dans nos lectures, pour expliquer les abandons dans les écoles secondaires argentines.

Cette analyse de la littérature comportera deux parties : dans la première nous évoquerons d’importants changements éducatifs survenus depuis les années 90 en Argentine et qui, d’après la plupart des auteurs, permettent de comprendre la situation actuelle. Dans cette section nous donnerons également un aperçu accompagné de données statistiques, de l’accès et de l’insertion scolaire dans l’Argentine d’aujourd’hui en général et à Cordoba en particulier.

Dans la seconde partie, nous aborderons le noeud du problème en examinant les différents facteurs qui, selon les auteurs que nous avons lus, expliquent les abandons scolaires dans le secondaire. C’est dans cette section que nous justifierons notre positionnement et l’hypothèse de recherche qui en découle.

2.1. Des années 90 à nos jours

2.1.1. La décentralisation et ses conséquences

Pour la plupart des auteurs qui se sont penchés sur l’éducation en Argentine, la situation qu’elle connaît actuellement découle d’importantes mesures qui ont été prises dans les années 90. Une des plus importantes est la décentralisation de la gestion éducative.

Si dans les années 1980 de plus en plus d’élèves eurent accès à l’enseignement secondaire, ces décennies furent cependant marquées par la stagnation économique et la diminution des budgets éducatifs et des salaires des professeurs.(25) Vu cette augmentation des effectifs scolaires et les difficultés éprouvées par l’Etat argentin pour continuer à investir massivement dans l’éducation(26), commença un processus de décentralisation de la gestion éducative, processus qui s’intensifia jusqu’au début des années 90. Ainsi, le système éducatif argentin s’est vu profondément transformé dans ces années-là avec le transfert des services éducatifs nationaux aux provinces et à la ville de Buenos Aires.(27)

Le processus commença dans les années 80 avec le passage des écoles primaires sous le contrôle provincial et continua au début des années 90 avec les écoles secondaires et l’enseignement supérieur. A partir de 1994, les établissements éducatifs ne dépendront plus directement du Ministère de la Culture et de l’Education.(28)

En outre, une importante loi entre en vigueur en 1993, il s’agit de la première Loi Fédérale d’Education en Argentine, adoptée dans le but d’améliorer la qualité et l’équité du système éducatif.(29) Cette loi introduit de profonds changements non seulement au niveau du programme de cours, en matière de formation des professeurs, d’évaluation du système… mais, une des transformations les plus importantes fut le passage de l’obligation scolaire de sept à dix ans.(30)

Jusque là, la structure académique était composée de sept années d’études primaires obligatoires (à partir de six ans) et de cinq années d’études secondaires non obligatoires. Mais avec l’adoption de la Loi Fédérale d’Education en 1993, la scolarité obligatoire comprendra désormais au moins une année d’études préprimaire (à cinq ans) et neuf années d’Education Générale Basique (EGB).(31)

L’Education Générale Basique, le second niveau du système éducatif, est une des innovations qu’introduit la Loi Fédérale d’Education. Répondant à de multiples motifs organisationnels, socio-éducatifs, psychologiques et pédagogiques, ce niveau est structuré en trois cycles, chacun d’une durée de trois ans. […] Le regroupement de trois années en un cycle permet à l’équipe pédagogique d’intégrer les apprentissages, en complétant ou renforçant les diverses activités en fonction de ce qui a été appris les années antérieures dans ce même cycle.(32)

Après ces neuf années d’EGB les élèves ont la possibilité de suivre trois années, non obligatoires, d’éducation dite polymodale.

Dans ce nouveau système, les deux premiers cycles de l’EGB correspondent en fait à l’enseignement primaire et, le dernier cycle et l’éducation polymodale à l’enseignement secondaire.(33) Si le dernier cycle de l’Education Générale Basique (obligatoire) permet aux étudiants de « compléter les apprentissages considérés basiques, tant pour leur développement personnel que pour l’exercice de leurs fonctions civiques et sociales »34, l’éducation polymodale, elle, (non obligatoire) vise à développer chez eux de manière générale les compétences nécessaires, soit pour continuer des études supérieures, soit pour l’exercice d’activités professionnelles.(35)

Les tableaux qui suivent permettent de visualiser la structure académique avant et après la loi de 1993.(36)

Figure 1 : Structure du système éducatif argentin avant la Loi Fédérale d’Education

Figure 2 : Structure postérieure à la Loi Fédérale d’Education

La décentralisation a démarré principalement pour des raisons financières(37), l’objectif était de pallier la crise fiscale(38), de réduire les dépenses du gouvernement central en transférant la gestion éducative aux provinces.(39) Mais, l’idée sous-jacente était également que cela permettrait d’améliorer la qualité et l’équité du système éducatif argentin, notamment à travers l’adoption de la loi de 1993 et les différentes réformes qui suivirent (modification de la structure académique, des cours, de l’évaluation des professeurs…).(40)

Concrètement, avec la décentralisation de la gestion éducative, les 24 provinces eurent pour missions de « financer, administrer et gérer les écoles, et engager et former les professeurs »(41) tandis que le Ministère national de l’Education assurerait l’évaluation et le suivi du système éducatif tout en fournissant « une assistance financière et technique pour améliorer la qualité et l’équité ».(42) A partir de 1994, il fut décidé qu’environ 25 % du budget éducatif serait national et les 75 % restants aux mains des provinces.(43)

Aujourd’hui, le bilan face aux apports de la décentralisation et des réformes qui l’ont accompagnée est mitigé : si d’une certaine manière il semble qu’en effet cela ait permis d’améliorer la qualité du système éducatif et de permettre l’accès à l’éducation à un plus grand nombre d’élèves, dont ceux issus de milieux précaires(44), pour d’autres cela a au contraire contribué à approfondir les inégalités.(45)

« La décentralisation était vue par les acteurs de la communauté éducative comme un mécanisme qui permettrait d’en finir avec la bureaucratie du système […] et d’adapter les styles de gestion, les contenus et les modalités institutionnelles aux réalités locales »(46), or il semble que les écoles continuent à dépendre assez fortement de l’Etat pour définir leurs actions. Cela peut déboucher sur un « cercle vicieux dans lequel l’Etat attend que l’institution éducative formule les actions adéquates pour le contexte dans lequel elle se trouve insérée, en même temps que l’école s’attend à ce que celles-ci soient promues par des organismes l’Etat ».(47)

De même, les provinces restent dans une certaine mesure dépendantes financièrement de l’Etat(48), au lieu d’une réelle décentralisation, il s’agit plutôt d’une « déconcentration »(49) :

« Avec ce terme on fait référence à des processus dans lesquels une administration centralisée opte volontairement d’attribuer des fonctions déterminées à d’autres organes qui maintiennent une certaine relation de dépendance avec elle. Dans ce cas, la dépendance est principalement financière ».(50)

Finalement, la plupart des auteurs qui se sont intéressés aux réformes éducatives des années 90 considèrent qu’elles ont contribué à augmenter l’inégalité entre les provinces argentines. Dans un rapport du CIPPEC (Centre de mise en oeuvre de politiques publiques pour l’équité et la croissance) paru en février 2011, les auteurs soutiennent que la décentralisation a consolidé les inégalités structurales entre les provinces.51 Une partie des ressources dont disposent les provinces proviennent du gouvernement national et l’autre partie de fonds propres. Dès lors, les inégalités fiscales entre provinces se retrouvent au niveau du système éducatif.(52)

D’après ce même rapport, un bon indicateur des inégalités est le montant qu’investit chaque province par étudiant du secteur public.

Le graphique qui suit permet de se faire une idée à partir des chiffres obtenus pour 2009.

Figure 3 : Investissement par élève du secteur public, en pesos courants (2009)(53)

Si l’on prend les deux extrêmes de ce graphique, à savoir les provinces de Salta et de Tierra del Fuego, on remarque qu’il existe une grande différence entre elles en matière d’investissement: alors qu’en 2009 Tierra del Fuego dépensait près de 13.700 pesos par élève du secteur public, Salta elle investissait moins de 2.800 pesos.(54)

Quant à Cordoba, son investissement se situe au-dessus des 4.000 pesos mais en- dessous de la moyenne de 6.126 pesos.

Les provinces qui investissent le plus selon ce graphique sont en fait situées dans la région patagonique de l’Argentine tandis que celles qui investissent moins se situent plus au nord.(55)

Cette différence peut se comprendre dans le sens où les provinces du nord sont également les plus pauvres en Argentine, d’après le calcul de leurs PIB (produit intérieur brut) et PGB (produit géographique brut) par habitant.

Le PIB par habitant est une mesure de la production de richesse d’une unité territoriale à une période déterminée, en relation avec le nombre d’habitants. Le PGB par habitant est l’indicateur analogue à l’antérieur, utilisé pour décrire la situation provinciale ou régionale d’un pays. Ces deux indicateurs sont fréquemment utilisés pour estimer le bien-être matériel d’une société…(56)

Ci-dessous, nous reprenons un tableau paru en 2010 dans une publication du DINIECE (Direction Nationale d’Information et d’Evaluation de la qualité éducative), qui montre les différences de PIB/PGB total et par habitant en fonction des régions en Argentine de 2005 à 2009.(57)

Figure 4 : PIB et PGB total et par habitant en Argentine et dans ses régions intérieures. En pesos courants(58)

On remarque ici que, bien que de manière globale le PBI et PBG, total et par habitant, aient augmenté de 2005 à 2009 dans toutes les régions, c’est cependant dans celles du nord qu’on retrouve les chiffres les moins élevés.

Les inégalités régionales en matière de condition socioéconomique sont évidentes lorsqu’on analyse les PGB par habitant, en particulier, du nord-ouest et nord-est argentin, qui révèlent que dans ces régions les niveaux sont entre 50/55 % inférieurs au PIB par habitant du pays. A l’inverse, au sud, la rareté de la population contribue, en partie, à ce que le PGB soit 40 % supérieur au niveau par habitant national…(59)

Finalement, plusieurs auteurs considèrent que les bénéfices supposés de la décentralisation n’ont pas atteint de la même manière toutes les provinces et ont contribué à approfondir les inégalités déjà existantes.(60)

Dans le cas de Buenos Aires et Cordoba par exemple, il s’agit de provinces puissantes politiquement et dotées de compétences techniques, « comme elles génèrent autour de 30 % et 7 % du PNB, respectivement, elles peuvent dépendre moins du financement fédéral ».(61)

Par contre, à Jujuy, une province pauvre avec peu de capacités administratives et institutionnelles(62), « la décentralisation est décrite comme un “abandon politique” de la part du gouvernement national. Les tentatives d’établir des conseils scolaires et de mettre en oeuvre un processus de prises de décisions local échouèrent parce que le gouvernement provincial les découragea activement, tandis que les politiciens locaux abusèrent des nouvelles ressources sous leur contrôle ».(63)

La décentralisation pose donc problème dans un certain nombre de provinces pauvres où les communautés locales ne sont pas capables d’exprimer leurs revendications.

En outre, comme le salaire des enseignants est majoritairement financé par les provinces(64), l’inégalité dans la distribution des ressources dont disposent les provinces se reflète dans les salaires des enseignants (lesquels représentent une part importante du budget éducatif des provinces)(65) : de manière générale, les professeurs qui enseignent dans les provinces du nord de l’Argentine seront moins bien payés que ceux des autres provinces.(66)

Dès lors, certains auteurs signalent qu’il est possible que des communautés locales ne soient pas capables d’attirer des directeurs d’écoles et des enseignants compétents(67), ce qui débouche finalement sur ce qu’ils ont appelé des « circuits de qualité différentiée au sein du système éducatif »(68) ou encore « des écoles de pauvres dans des quartiers pauvres pour des enfants pauvres ».(69)

Finalement, si le bilan est mitigé par rapport aux réformes qui ont eu lieu dans les années 90 en Argentine, étant donné la différence des situations en fonction des provinces, la plupart des auteurs reconnaissent tout de même que cela a permis à un plus grand nombre d’enfants et de jeunes d’avoir accès à l’enseignement secondaire. En effet, avec le passage de l’obligation scolaire de sept ans à dix ans, beaucoup de jeunes qui n’avaient, jusque là, pas la possibilité de suivre des études secondaires, ont pu y accéder.(70)

Cependant, cette tendance à l’augmentation du nombre d’inscrits en secondaire n’est pas exclusive aux années 90 : comme le montre le tableau qui suit(71), on assista à une augmentation du taux net de scolarisation dans le secondaire déjà dans les années 80.(72)

« Le taux net de scolarisation primaire/secondaire est le quotient entre les personnes scolarisées dans le primaire/secondaire qui ont l’âge pertinent pour ce niveau et le total de la population appartenant à ce groupe d’âge, en pour cent ».(73) C’est un indicateur qui permet de voir dans quelle mesure la population qui devrait par son âge assister à un niveau de l’enseignement, est effectivement scolarisée dans ce niveau.(74)

Figure 5 : Taux nets de scolarisation par niveau d’éducation, 1960-1997

Ce tableau permet de voir que, déjà dans les années 1980 à 1991, le taux net de scolarisation dans le secondaire passa de 38.8 % à 59.3 % et depuis il n’a pas cessé d’augmenter jusque 1997. Dans le cas du primaire, la progression est moins importante mais on remarque que, déjà en 1980, le taux net de scolarisation atteignait les 90.5 %.

Cependant, il faut garder un certain recul par rapport à ces données statistiques car elles varient quelque peu d’un ouvrage à l’autre : par exemple, une autre source(75) mentionne un taux net de scolarisation dans le secondaire de 42.2 % pour l’année 1980 au lieu des 38.8 % mentionnés ici, tandis que pour l’année 1991 le taux de 59.3 % est le même dans les deux sources. Les statistiques que nous présentons sont donc à titre informatif, afin d’avoir des estimations chiffrées et non pas à prendre pour argent comptant.

De toute manière, on constate une augmentation des effectifs surtout dans le secondaire dans les années 90 mais, pour beaucoup d’auteurs, c’est une progression qui s’est faite au détriment de la qualité.(76)

Si un des objectifs de l’implantation d’une nouvelle structure académique (dont l’Education Générale Basique en trois cycles) était de rendre la transition du primaire au secondaire plus facile, elle a cependant créé de nouveaux problèmes pour les provinces(77) et a contribué a augmenté entre elles les disparités en matière de qualité des services éducatifs.(78)

A côté des disparités géographiques, Barbeito et Goldberg relèvent aussi l’existence de disparités sociales au sein des provinces : il existe un écart important entre les pauvres et ceux qui ne le sont pas, non pas tellement en matière d’accès à l’enseignement mais dans leur capacité à compléter les différents cycles, particulièrement dans le secondaire.(79)

Malgré une augmentation des effectifs, on remarque déjà en 1998-1999(80) que beaucoup de jeunes abandonnent l’école durant les deux dernières années de l’Education Générale Basique (les deux dernières années de l’enseignement obligatoire à l’époque), tendance qui continue à augmenter à partir de 2001 « dans un contexte de restrictions budgétaires sévères et d’aggravation de la crise sociale ».(81)

Face à cette problématique, une nouvelle loi est entrée en vigueur en 2006 pour remplacer celle de 1993 et homogénéiser la structure académique du système éducatif(82) : il s’agit de la Loi Nationale d’Education, qui va mettre fin à la structure antérieure de l’Education Générale Basique et de l’éducation polymodale et rendre tout l’enseignement secondaire obligatoire.(83) Ainsi, les enfants argentins doivent depuis 2006 suivre, après leurs études primaires, cinq ou six années d’études secondaires, lesquelles sont divisées en deux cycles : un cycle basique et un cycle spécialisé.(84)

Les provinces se retrouvent en fait devant deux options : soit une structure académique de sept années primaires et cinq années secondaires, soit six années primaires et six années secondaires(85) ; à l’heure actuelle l’offre éducative au niveau du secondaire n’est toujours pas homogène(86) et certaines provinces n’ont pas encore adopté complètement la nouvelle structure. Dans le cas de Cordoba, c’est la deuxième option qui est d’application.(87)

L’obligation scolaire passe donc en 2006 de dix à douze ans, ce qui a pour effet d’augmenter sensiblement le nombre d’inscrits en secondaire ( de manière générale de 2 % de 2006 à 2009).(88)

Malgré les transformations entreprises, le problème des abandons dans le secondaire reste cependant toujours d’actualité.

L’atteste par exemple un article paru en 2007 dans le journal La Nacion qui évoque pour l’ensemble du pays un taux d’abandons interannuel moyen de près de 9 % dans les premières années du secondaire, taux qui s’élève à presque 20 % dans les trois dernières années.(89)

Plus près de nous, et concernant directement le cas de la ville de Cordoba, un article dans La Mañana de Cordoba datant du 5 mai 2010, mentionne des chiffres selon lesquels un jeune sur quatre à Cordoba abandonnerait ses études secondaires.(90)

Il faut cependant garder un certain esprit critique par rapport à ces statistiques et la manière dont elles sont calculées.

Schiefelbein par exemple, dans un article sur l’éducation et la pauvreté en Amérique latine, parle du « mythe des taux élevés d’abandons »(91), qui selon lui a pour origine la manière dont les directeurs d’écoles remplissent les formulaires statistiques qu’ils envoient au Ministère.

Ils doivent indiquer les élèves qui “se sont retirés” de leur école, mais il n’y a pas d’espace (dans le formulaire) pour indiquer quels sont les élèves qui ont changé d’école (dans beaucoup de cas ils ne le savent pas non plus) et ils ne sont pas tenus d’informer sur les retraits temporaires durant l’année. Dès lors, beaucoup d’apparents décrocheurs (du système) l’année suivante redoublent la même classe dans une autre école. En d’autres mots, les formulaires obligent les directeurs à sous-estimer le redoublement et à surestimer l’abandon.(92)

En conséquence, une certaine distance est de mise par rapport aux chiffres fournis mais, les nombreux articles et ouvrages parus récemment sur les abandons dans le secondaire en Argentine laissent néanmoins penser que c’est un sujet qui préoccupe actuellement le pays.

Pour suivre, avant de nous intéresser de plus près à la problématique des abandons, nous allons fournir un bref aperçu statistique de la situation actuelle en Argentine et à Cordoba en particulier, en matière d’accès et d’insertion scolaire. Nous allons donc surtout nous intéresser au parcours scolaire des élèves une fois qu’ils ont accès à l’enseignement primaire et secondaire.

2.1.2. Aperçu statistique

Les indicateurs que nous prenons en compte ici pour juger de la performance du système scolaire argentin sont : le taux de scolarisation, le taux de promotion, le taux de redoublement et le taux d’abandon (au niveau du primaire et du secondaire). La somme des taux de promotion, de redoublement et d’abandon représente 100 % des échantillons totaux d’élèves, c’est-à-dire une unité d’analyse.(93)

L’idée est qu’un système éducatif performant « retiendra un pourcentage élevé d’inscrits et leur assurera un passage régulier et sans retards par les diverses étapes de la carrière scolaire ».(94) Un tel système devrait donc compter des taux de redoublements et d’abandons bas. Cependant, la performance envisagée ici est surtout une performance quantitative plutôt que qualitative. Il se peut en effet, que certaines provinces ou écoles aient par exemple des taux de redoublements bas ou inexistants, car elles pratiquent la promotion directe d’une classe à l’autre. Ces systèmes paraîtraient donc plus efficients que d’autres où les taux de redoublements sont plus élevés, alors que les élèves n’auraient pas forcément un meilleur rendement scolaire.(95)

Pour des facilités de présentation, nous ne présenterons ici que les tableaux faisant référence au secondaire mais, les tableaux reprenant les chiffres pour le primaire sont consultables en annexe.

Taux nets de scolarisation – année 2001(96)

Pour rappel : « Le taux net de scolarisation primaire/secondaire est le quotient entre les personnes scolarisées dans le primaire/secondaire qui ont l’âge pertinent pour ce niveau et le total de la population appartenant à ce groupe d’âge, en pour cent ».(97)

Les données les plus récentes en matière de taux nets de scolarisation primaire et secondaire proviennent de la DINIECE(98) et datent de 2001, c’est-à-dire à une époque où la structure académique était encore divisée en 9 années d’Education Générale Basique et 3 années d’études polymodales.

Cependant, d’après Axel Rivas, il n’y a pas eu de réelle modification de ces chiffres durant les dix dernières années.(99)

Les taux nets de scolarisation dans le primaire (EGB1 et 2) sont élevés car proches de 100 % et ils ne varient pas tellement d’une province à l’autre.

Par contre, l’enseignement secondaire connaît de manière générale une baisse des taux, surtout au niveau des trois dernières années (polymodal) et également des disparités importantes en fonction des provinces : les provinces du nord présentent les taux les plus bas tandis qu’on trouve à Buenos Aires et Tierra del Fuego, situées respectivement au centre et au sud de l’Argentine, les taux les plus élevés. Cordoba, elle présente des taux moyens entre ces deux extrêmes.

Taux de promotion- année 2008

Le taux de promotion exprime « le pourcentage d’élèves qui ayant effectué le cours i durant l’année scolaire t, assistent effectivement au cours i + 1 l’année suivante t + 1 ».(100)

Les chiffres présentés dans le tableau ci-dessous proviennent aussi de la DINIECE(101) mais sont plus récents car ils datent de 2008.

Figure 6 : Taux de promotion dans le secondaire, année 2008

On constate que les taux oscillent de manière générale entre 70 et 85 %.

Pour l’ensemble du pays, le pourcentage de promotion est plus élevé dans le cycle basique du secondaire (79.39 %) que dans le cycle orienté (74.88 %).

Mais, si l’on prend le cas de chaque province, on observe des disparités importantes : alors qu’à Buenos Aires et Tierra del Fuego il y a plus de promus les trois premières années du secondaire que les trois dernières, c’est le contraire qui se passe dans le cas de Cordoba, Corrientes et Santiago del Estero.

Pour prendre le cas particulier de Cordoba, le taux de promotion le plus élevé se situe au niveau de la 11e année d’étude (85.79 %) et le plus faible au niveau de la 8e (70.40 %)
.

Taux de redoublement- année 2008(102)

Le taux de redoublement exprime le pourcentage d’élèves qui, ayant effectué un cours une année scolaire donnée, le recommencent l’année suivante.(103)
Il s’agit d’un indicateur important lorsqu’on s’intéresse aux abandons scolaires dans la mesure où beaucoup d’auteurs voient le redoublement comme un « prélude de l’échec scolaire »(104) et de l’abandon précoce des études.

Figure 7 : Taux de redoublement dans le secondaire, année 2008

Les taux de redoublement dans le secondaire sont dans l’ensemble tous plus élevés que ceux du primaire (qui tournent généralement autour des 5 %), surtout au niveau du cycle basique où les taux dépassent tous les 10 % et là, Tierra del Fuego n’est pas épargnée car elle présente même un taux total de 17.74 %, plus élevé que toutes les autres provinces mentionnées.

C’est surtout la deuxième année secondaire (8e année d’étude) qui est la plus critique puisque le taux de redoublement varie entre 14.10 % pour Santiago del Estero et 18.77 % pour Tierra del Fuego, et Cordoba présente elle aussi un taux élevé de 17.73 %.

Selon certains, ce pic atteint pendant la 8e année d’étude s’explique par le fait que beaucoup d’élèves entrent à ce moment-là en secondaire, en fonction de la structure académique de chaque province.(105) En effet, si on considère la structure académique composée de sept années d’études primaires et cinq années de secondaire, la 8e année d’étude correspond à la première année de secondaire dans ce cas-là.

Pour ce qui est du cycle orienté du secondaire (les trois dernières années), les taux les plus élevés se retrouvent au niveau de la première année (10e année d’étude) mais si on considère l’ensemble du cycle, les taux de redoublement sont plus faibles que pour le cycle basique.

Taux d’abandon interannuel- année 2008/2009(106)

Le taux d’abandon interannuel permet de voir « le pourcentage d’élèves qui, ayant suivi le cours i une année scolaire donnée t ne se retrouvent pas l’année t+1, ni en train de réaliser le cours i +1, ni en train de repasser le cours i ».(107)

Il est généralement calculé à partir de la somme des taux de promotion et de redoublement qu’on soustrait de 100 % (les 100 % d’élèves inscrits qui constituent l’unité d’analyse).(108)

Figure 8 : taux d’abandon dans le secondaire, année 2008

Dans le cas du secondaire, les taux d’abandon se situent, pour l’ensemble du pays, autour de 9 % dans le cycle basique du secondaire et près du double (18 %) dans le cycle orienté.

Là encore existent des variations entre provinces, mais de manière générale toutes présentent des taux élevés d’abandon, particulièrement dans les dernières années du secondaire.

Au niveau du premier cycle, c’est la 8e année d’étude qui est la plus critique en la matière avec un taux de 12.08 % (sauf dans le cas de Santiago del Estero où le problème se pose davantage pendant la 7e année avec 17.95 %).

Comme indiqué plus haut, il s’agissait aussi d’une année qui comptait un taux particulièrement élevé de redoublements (près de 16 % pour l’ensemble du pays).
Au niveau du cycle orienté, ce sont la 10e et dernière année d’étude qui comptent le plus d’abandons, ce qui pourrait être une conséquence directe des redoublements répétés dans les années antérieures.(109)

Finalement, on constate que le taux d’abandon scolaire en secondaire tourne autour des 30 % pour l’ensemble de l’Argentine (24 % à Cordoba) et que c’est surtout en fin de secondaire, que la situation est la plus critique.

Une remarque importante à signaler ici est la relation entre abandon et pauvreté.

D’après Axel Rivas, avant la réforme de 1993, les provinces les plus pauvres étaient celles qui présentaient les taux d’abandon scolaire les plus élevés mais ensuite, cette tendance a changé et avec la crise de 2001, la problématique des quartiers urbains marginaux s’est aggravée.(110)

Depuis la dernière décennie ce sont les provinces les plus peuplées comme Cordoba et Buenos Aires par exemple, qui ont vu augmenter leur taux d’abandon dans le secondaire111, ce qui s’est soldé aussi par une diminution de leurs résultats en matière de qualité éducative.(112)

Une autre particularité de ces deux provinces et leur importante proportion d’écoles privées par rapport aux écoles publiques.(113)

A Buenos Aires et Cordoba, près d’un tiers des élèves sont inscrits dans des écoles privées.(114) Dans ce cas-là, on parle de « dualisation de l’éducation »(115), tandis que dans les provinces pauvres du nord, la plupart des écoles sont publiques.(116)

Cependant, dans les provinces patagoniques, plus riches, la proportion d’élèves qui se rendent dans des écoles publiques est également élevée, cela peut s’expliquer par l’important financement éducatif dont elles disposent.(117)

Néanmoins, les élèves inscrits dans le public n’appartiennent pas au même secteur socio-économique que ceux du privé : ce sont principalement les enfants issus de secteurs aisés qui se rendent dans les écoles privées alors que les plus pauvres ne vont pratiquement que dans des écoles publiques.(118) Et dans le cas de la ville de Cordoba, ces inégalités sociales sont fort présentes : tandis que 63.5 % du tertile ayant les revenus les plus élevés fréquente une école privée (primaire ou secondaire), c’est le cas pour seulement 10 % du tertile aux revenus les plus bas.(119)

Concernant la problématique des abandons, d’après des chiffres de 2006, elle concerne surtout les établissements publics avec 21.6 % d’abandon au niveau du secondaire supérieur tandis que cette proportion se réduit à 12.5 % dans le privé.(120)

Nous allons à présent entamer la deuxième section de cette revue de la littérature, qui traite des causes avancées pour expliquer les abandons scolaires dans le secondaire.

2.2. Les causes des abandons scolaires

La plupart des auteurs de l’école secondaire en Argentine s’accordent pour dire qu’elle traverse aujourd’hui une « crise d’identité »(121), beaucoup d’étudiants ne la considèrent plus comme un moyen d’assurer leur ascension sociale(122) et de trouver facilement un emploi à la fin de leurs études.(123)

En outre, avec le développement des technologies et des médias, l’école se voit petit à petit dépossédée du monopole qu’elle détenait jusque là en matière de transmission des savoirs(124), lesquels sont perçus trop conceptuels et éloignés des réalités vécues par les étudiants.(125)

Dès lors, face à cette dévalorisation de l’école secondaire et aux dires des enseignants, les jeunes ne s’y rendent plus tellement pour apprendre mais pour se divertir(126) ou passer le temps.(127)

D’après Itzcovich(128), l’enseignement secondaire est face à au moins deux situations porteuses de défis : d’une part, il s’agit de la présence dans les écoles secondaires de nouveaux secteurs de la population qui n’avaient jusque là pas accès à ce niveau d’enseignement et, d’autre part, il est confronté à un changement de valeurs et à l’apparition de nouveaux savoirs.

Avec l’extension de l’obligation scolaire, l’école secondaire s’est vue confrontée à l’arrivée d’un nouveau public : des jeunes issus de secteurs précaires, espérant parvenir par le biais des certificats scolaires à une meilleure intégration sociale et professionnelle.(129) Pourtant, bien que la situation de ces jeunes soit hétérogène, l’école elle continue à se penser de manière homogène.(130)

Comme le dit Ferreyra, l’extension de la couverture scolaire et l’augmentation de l’hétérogénéité sociale à l’école se sont accompagnées d’une « difficulté institutionnelle pour comprendre les nouvelles demandes et problématiques juvéniles, faisant prévaloir dans beaucoup de cas la culture de l’école secondaire traditionnelle »(131), laquelle attend de ces élèves des attitudes et des motivations qu’ils n’ont pas parce qu’ils ne les ont pas apprises, elles ne leurs ont pas été transmises dans leur famille.(132)

Parallèlement, beaucoup d’ouvrages parlent d’une perte des valeurs par rapport au passé, telles que la responsabilité, l’effort et le respect de l’autorité.(133) Certains enseignants présentent leurs étudiants comme peu studieux(134), désintéressés voire rebelles ; alors que dans les générations antérieures les jeunes discutaient la culture adulte et scolaire, aujourd’hui ils la nient ou l’ignorent.(135)

L’époque actuelle semble caractérisée par « l’apathie des jeunes en général, le désintérêt en particulier pour la connaissance, la perte de valeur de l’éducation et la délégitimation de l’autorité ».(136) Les professeurs ajoutent aussi face à ce manque d’intérêt pour l’école, l’indiscipline et l’augmentation des conduites violentes au sein de la classe(137), ce qui les conduit souvent à passer plus de temps à construire les conditions pour enseigner, à garantir un minimum d’ordre, qu’à réellement donner cours.(138)

Beaucoup d’enseignants évoquent aussi la responsabilité des parents dans la dévalorisation de l’école et des savoirs transmis(139) : il est possible que certains parents y envoient leurs enfants plus à titre de garderie que pour s’y instruire(140) et, l’école se voit assigner un rôle de contention sociale pour éviter que les jeunes se retrouvent dans la rue sans emploi ni études.(141)

De manière générale, les ouvrages qui traitent des abandons scolaires en Argentine mettent en avant deux types de facteurs explicatifs : des facteurs internes au système éducatif et des facteurs externes. Nous allons passer en revue ces différents facteurs puis évoquer brièvement le cas concret de recherches portant sur les causes de l’abandon scolaire.

2.2.1. Les facteurs internes et externes au système éducatif

Du point de vue des établissements et des enseignants, l’échec scolaire et l’abandon sont souvent liés à des facteurs exogènes(142) tels que la condition socio-économique défavorable des élèves(143), le manque d’appui et d’intérêt de la part de leurs parents(144), les caractéristiques individuelles du jeune (rebelle, distrait, désintéressé, irresponsable…).(145)

Le facteur socio-économique est très souvent mentionné en premier lieu dans la littérature qui traite des abandons scolaires : « en Argentine, les enfants pauvres redoublent quatre fois plus que les non pauvres, ont quatre ans de moins de scolarité ».(146)

Il s’agit d’une pauvreté matérielle(147) à savoir qu’ils n’ont par exemple pas les moyens de payer le transport pour se rendre à l’école, pour acheter le matériel scolaire, ou doivent pratiquer une activité professionnelle pour subvenir aux besoins du ménage ; mais ils sont aussi caractérisés par leur « carence socio-culturelle »(148) et affective(149), beaucoup proviennent de ménages monoparentaux et/ou familles nombreuses, où les parents n’ont pas le temps de les aider dans leur parcours scolaire(150) ou même la possibilité, étant donné qu’eux-mêmes souvent n’ont pas pu réaliser d’études secondaires.(151)

L’abandon scolaire n’est pas seulement le produit de situations économiques précaires ou de situations familiales conflictuelles, il est aussi fort lié eu rendement scolaire du jeune : la probabilité d’abandon des études est plus élevée chez les élèves ayant redoublé dans le passé que chez ceux pour qui ça n’a jamais été le cas.(152)

Cependant, on constate aussi que le redoublement et les résultats scolaires peu élevés concernent surtout les secteurs sociaux plus vulnérables.(153) Dès lors, même si aujourd’hui davantage d’enfants issus de secteurs pauvres peuvent accéder à l’école secondaire, en général beaucoup ne parviennent pas à terminer la scolarité obligatoire.(154)

A côté de ces facteurs exogènes, apparaissent aussi des facteurs liés au système éducatif lui-même. C’est l’idée que les enseignants ne sont pas suffisamment préparés, les cours pas assez captivants, les méthodes dépassées(155)…

Selon Ferreyra, les écoles en général et surtout celles du secondaire continuent aujourd’hui dans une mesure plus ou moins grande, à enseigner « des contenus du XIXe siècle, avec des enseignants du XXe siècle, à des adolescents et jeunes du XXIe siècle »(156), illustrant par là la rupture qui existe aujourd’hui entre la culture scolaire et celle des jeunes.

Selon lui, une bonne école est une école qui définit sa pédagogie « à partir des nécessités, intérêts, connaissances et potentiels de ses étudiants ».(157) Or, il semble que pour l’instant les politiques éducatives s’interrogent très rarement sur le contexte des étudiants auxquels est destinée l’enseignement secondaire(158), de même que la formation est souvent de faible qualité et peu pertinente par rapport à la réalité socio-éducative.(159)

Pour Gluz, les enseignants ne disposent pas d’une formation adéquate « pour faire face à la diversité et adapter le modèle éducatif aux caractéristiques de la classe ».(160)

Ils ne sont pas formés pour gérer les conflits qui peuvent subvenir en classe et il n’y a pas assez de suivi et d’évaluation des pratiques pédagogiques, « pour atteindre de meilleurs résultats d’apprentissage et pour obtenir un plus grand engagement » des familles en rapport avec l’éducation de leurs enfants.(161)

Souvent, les élèves sont perçus à travers leurs carences et les enseignants ne se sentent pas assez formés pour donner cours à ces adolescents.(162)
Le principal critère de qualité cité par les professeurs et les établissements éducatifs de manière générale, est « l’adaptation aux demandes du milieu, de la famille, et des élèves eux-mêmes » (163), ce qui implique de les connaître. Une école sera donc considérée comme bonne si elle satisfait aux demandes, s’il n’y a pas de conflits en son sein.(164)

Le problème qui se pose alors est ce que certains ont qualifié de « clientélisation des institutions éducatives »(165), avec l’apparition de « circuits différenciés en termes de qualité et de résultats ».(166)

Certains enseignants, vu leur manque de formation et leur méconnaissance des attentes et intérêts des élèves issus de zones urbaines marginales(167), ont tendance à « simplifier ou infantiliser les contenus conceptuels »(168) et à privilégier les activités pratiques, lesquelles leurs semblent plus adaptées à ces jeunes.(169)

Mais, de telles stratégies peuvent mener à « la reproduction et l’approfondissement des distances culturelles »(170) et, à maintenir ces enfants dans des sortes de « ghettos », de « réserves scolaires » où ils recevraient une éducation appauvrie, renforçant de la sorte leur exclusion sociale.(171)

Certains professeurs ont aussi tendance à diminuer leurs exigences en fin de primaire et à laisser passer plus facilement en secondaire les élèves issus de milieux précaires. Ils le font dans une sorte d’optique de promotion sociale(172), mais il s’avère que souvent ces mêmes élèves redoublent dans le secondaire parce qu’ils n’ont pas acquis les compétences et savoirs basiques nécessaires pour ce niveau d’enseignement. Parmi eux, certains finissent alors, éventuellement, par abandonner leurs études.(173)

Un autre élément problématique et qui concerne principalement les enseignants du secondaire, est le fait qu’ils travaillent en général dans plusieurs écoles, d’où leur qualification de « prof-taxi »(174), c’est-à-dire qu’ils se déplacent d’une école à l’autre.

Cette situation a un impact sur la qualité de leur travail car ils ont moins de temps à consacrer non seulement à leur formation mais aussi au suivi de leurs élèves.(175)

Dans la littérature, les abandons scolaires semblent donc le résultat de multiples facteurs, tant ceux liés à l’école et aux enseignants que ceux liés aux conditions socio-économiques des élèves, à leur intérêt et celui de leurs parents,…

Pour conclure cette partie consacrée à la revue de la littérature, nous allons à présent brièvement aborder deux recherches qui se sont intéressées aux causes des abandons scolaires en Argentine et, justifier le choix de notre hypothèse.

2.2.2. Deux cas concrets

En 2005, des chercheurs pour le compte de l’Unicef, ont tenté de déceler ce qui pouvait expliquer les abandons scolaires dans le secondaire en Argentine, en s’intéressant aux jeunes de trois types de milieux différents : des jeunes issus de foyers socialement exclus, de foyers vulnérables (mais pas nécessairement marginaux), et de la classe moyenne et moyenne-basse.(176) Pour ce faire, ils ont interrogé 104 étudiants de Buenos Aires dont la moitié avait abandonné ses études et l’autre moitié était inscrite dans les deux dernières années du secondaire.(177)

De cette enquête, il ressort que les principaux aspects liés à l’abandon scolaire sont : le contexte familial (niveau de conflit présent et d’instabilité suite à des séparations ou changements de domicile, niveau de valorisation et d’attentes des adultes par rapport à l’éducation, valeurs transmises, capacité d’aider et degré de contrôle exercé sur les jeunes…), la situation économique du foyer (ressources disponibles pour assurer les nécessités basiques du foyer, pour acheter du matériel scolaire…), l’activité professionnelle du jeune (que ce soit pour aider le foyer ou subvenir à ses propres dépenses), le rôle de l’école ( qui d’après les jeunes, n’encourage pas assez l’accès et la confiance des étudiants) et, la grossesse durant l’adolescence (qui peut être un obstacle dans la poursuite des études aussi bien de la mère que du père).(178)

L’importance relative de ces différents facteurs varie en fonction du milieu dont proviennent les jeunes(179) : ceux issus de foyers socialement exclus abandonnent leurs études surtout en raisons de difficultés économiques et familiales (nécessités basiques généralement insatisfaites, conflits familiaux, manque de valorisation de l’éducation…)(180) ; ceux provenant de foyers vulnérables mais moins marginaux (en général des milieux ouvriers), abandonnent leurs études en raison d’une activité professionnelle, d’un manque de motivation ou d’un début de grossesse(181) ; quant aux jeunes issus de la classe moyenne ou moyenne-basse, les abandons scolaires font souvent suite à « des événements traumatiques ponctuels qui modifient la concentration et l’intérêt pour les tâches scolaires » ou des problèmes de rendement scolaire, un manque d’intérêt pour l’école où ils considèrent perdre leur temps.(182)

Plus récemment, une enquête rapportée par Andrea Brito en 2009, s’est intéressée aux opinions des professeurs cette fois-ci, sur les causes des abandons en secondaire (384 enseignants ont été interrogés dans différentes régions de l’Argentine).(183)

Les deux premières raisons énoncées regroupaient le niveau de conflit des familles et la nécessité de devoir travailler (associée à un niveau socio-économique bas).(184) Ensuite, venaient d’autres explications comme les problèmes d’apprentissage, le redoublement, le manque de respect des normes, la pauvreté, les problèmes d’addiction, l’ennui en classe et la situation de maternité ou de paternité des élèves.(185)

A partir de là, les enseignants témoignaient aussi de leurs difficultés à gérer de telles situations, qui excédent souvent « leurs connaissances et stratégies pédagogiques » et ont peu à voir avec ce qu’on qualifie traditionnellement de scolaire.(186)

Au vu des différents arguments exposés dans la littérature, nous avons donc élaboré notre hypothèse en reprenant les deux facteurs explicatifs qui nous ont semblé le plus souvent cités : la situation socio-économique précaire des élèves qui abandonnent leurs études et l’inadaptation du système éducatif au contexte dans lequel ils vivent et à leurs intérêts (manque de formation des professeurs et cours peu captivants).

Les mauvais résultats scolaires et le redoublement sont également souvent mentionnés comme précédant l’abandon, c’est pourquoi nous avons introduit dans notre hypothèse l’idée de désintérêt progressif : les élèves se désintéressent petit à petit de leurs études, ce qui peut déboucher sur des mauvais résultats scolaires et des redoublements voire finalement l’abandon des études.

Notre but sera donc de voir dans quelle mesure cette hypothèse se vérifie ou non, au travers de notre enquête dans la ville de Cordoba.

25 ACEDO, C., J.M. GOROSTIAGA et S. SENEN-GONZALEZ, « Decentralization and structural change in secondary education in Argentina : The case of the province of Buenos Aires », Prospects, 37 (1): 2007, p.129.
26 Ibidem
27 FILMUS, D., « La descentralizacion educativa en Argentina : elementos para el analisis de un proceso abierto », site de l’UNPAN, novembre 1997, http://unpan1.un.org/intradoc/groups/public/documents/CLAD/CLAD0031501.pdf, page consultée le 20/07/2011.
28 Ibidem
29 ACEDO 2007, p.130.
30 Ibidem
31 GARCIA SOLA, M., Enseñar el futuro. Diez años de transformacion educativa en la Argentina, 1989-1999, Buenos Aires, MCyE, 1999, p.63.
32 Ibid., p.67. (traduction libre)
33 Ibidem
34 FERREYRA, H.A., Transformacion de la educacion media en la Argentina. Tensiones y conflictos en el diseño y la implementacion en la provincia de Cordoba, Cordoba, EDUCC, 2006, p.138. (traduction libre)
35 Ibid., p.140.
36 Ibid., p.115. (tableaux adaptés)
37 ACEDO 2007, p.129.
38 Voir FILMUS 1997.
39 Ibidem
40 BARBEITO, 2007, p.195.
41 ACEDO, 2007, p.130.
42 Ibidem
43 RIVAS, A., Radiografia de la educacion argentina, Buenos Aires, CIPPEC, 2010, p.36.
44 ACEDO, loc.cit., p.140.
45 FERREYRA 2006, p.138. (traduction libre)
45 Ibid., p.167.
46 Voir FILMUS 1997.
47 CARENA 2008, p.333.
48 Voir FILMUS 1997.
49 Ibidem
50 Ibidem
51 RIVAS, A., A. VERA, et P. BEZEM, « Monitoreo de la ley de Financiamiento Educativo. Cuarto informe anual 2010 », Informe de Monitoreo y Evaluacion, Buenos Aires, CIPPEC, 2011, p.19.
52 Ibid., p.20.
53 Ibidem
54 Ibidem
55 Voir carte de l’Argentine en annexe.
56 JUDENGLOBEN, M., et C. ROGGI, « Una mirada sobre la escuela III. 40 Indicadores sobre el sistema educativo », site de la DINIECE, 2010, http://diniece.me.gov.ar/images/stories/diniece/publicaciones/Una%20mirada%20III%20-%20web.pdf, page consultée le 22/07/2011. (traduction libre)
57 Voir annexe pour noms des provinces en fonction des régions.
58 Voir JUDENGLOBEN 2010.
59 Voir JUDENGLOBEN 2010.
60 GALIANI, A., P. GERTLER, et E. SCHARGRODSKY, « Descentralizacion escolar : ayudando a los buenos a ser mejores, pero dejando a los pobres atras », in Reformas pendientes en la educacion secundaria, sous la direction de S. Cueto, 27-63. Santiago-Chile : Preal, 2009, p.59.
61 ACEDO 2007, p.132.
62 GALIANI 2009, pp.37-38.
63 Ibidem
64 RIVAS 2011, p.25.
65 Ibid., p.24.
66 Voir graphique en annexe.
67 GALIANI 2009, p.32.
68 BARBEITO 2007, p.197.
69 Ibidem
70 ACEDO 2007, p.140.
71 Ibidem
72 BARBEITO 2007, p.196.
73 SITEAL, « Conceptos y deficiones. Perfiles de paises », http://www.siteal.iipe-oei.org/sites/default/files/perfiles_-_conceptos_y_definiciones.pdf, page consultée le 26/07/2011.
74 Ibidem
75 RIVAS 2010, p.13. (voir graphique en annexe)
76 ACEDO 2007, p.141.
77 Ibidem
78 BARBEITO 2007, p.196.
79 Ibid., p.197.
80 ACEDO 2007, p.141.
81 Ibidem
82 DIRIE, C., et al., « La transformacion del Nivel Secundario (2006-2009) », site de la DINIECE, janvier-février 2011, http://diniece.me.gov.ar/images/stories/diniece/publicaciones/boletin/9-Boletin-2011.pdf, page consultée le 26/07/2011.
83 Ibidem.
84 ACEDO 2007, p.142.
85 Voir tableau en annexe.
86 Voir DIRIE 2011.
87 Voir tableau en annexe.
88 Voir DIRIE 2011.
89 CASANOVAS, L., « Desercion escolar », site du journal La Nacion, 17 mars 2007, http://www.lanacion.com.ar/891965-desercion-escolar, page consultée le 27/07/2011.
90 ROMITO, M., « Secundarios cordobeses con 40 % de desercion escolar », site du journal La Mañana de Cordoba, 5 mai 2010, http://www.lmcordoba.com.ar/nota.php?ni=12633, page consultée le 27/07/2011.
91 CARENA 2008, p.233.
92 Ibidem (traduction libre)
93 SABATTINI, A., Transformacion Educativa en Cordoba. Un estudio de caso : Rendimiento de Aprendizajes en el CBU, Cordoba, Atenea, 1998, p.133.
94 Ibid., p.135.
95 OLBERMAN, I., « Sistema Nacional de Indicadores Educativos », site de la DINIECE, http://diniece.me.gov.ar/images/stories/diniece/estadisticas/doc_metodologicos/indicadores_educativos.pdf, page consultée le 27/07/2011.
96 Voir tableau en annexe.
97 SITEAL, « Conceptos y deficiones. Perfiles de paises », http://www.siteal.iipe-oei.org/sites/default/files/perfiles_-_conceptos_y_definiciones.pdf, page consultée le 26/07/2011.
98 La DINIECE est la Direction Nationale d’Information et d’Evaluation de la Qualité Educative, elle fait partie du Ministère d’Education de la Nation. Voir site web : http://diniece.me.gov.ar, page consultée le 27/07/2011.
99 RIVAS 2010, p.82.
100 SABATTINI 1998, p.133.
101 Voir site web de la DINIECE.
102 Voir site web de la DINIECE.
103 Voir site web de la DINIECE.
104 RIVAS 2010, p.148.
105 RIVAS 2010, p.148.
106 Voir site web de la DINIECE.
107 SABATTINI 1998, p.133.
108 Voir OLBERMAN (s.d.).
109 BAQUERO, R., et al., « Variaciones del regimen academico en escuelas medias con poblacion vulnerable. Un estudio de casos en el area metropolitana de Buenos Aires », Revista Iberoamericana sobre Calidad, Eficacia y Cambio en Educacion, 7 (4): 2009, p.295.
110 RIVAS 2010, p.84.
111 Ibidem
112 Ibid., p.101.
113 voir graphique en annexe.
114 RIVAS 2010, p.88.
115 Ibidem
116 Ibidem
117 Ibidem
118 Ibid., p.92.
119 Ibid., p.93. (voir graphique en annexe)
120 Ibid., p.84.
121 FERREYRA 2006, p.107.
122 Ibidem
123 TIRAMONTI, G., « La educacion argentina en el contexto de las transformaciones de los años 90 », Pro-Posiçoes, 16(3): 2005, p.66.
124 CARENA 2008, p.388.
125 PUIGGROS, A., et al., En los limites de la educacion. Niños y jovenes del fin de siglo, Rosario, Homo Sapiens Ediciones, 1999, p.34.
126 PAULIN, H., et al., Conflictos en la escuela secundaria : diversidad de voces y miradas, Cordoba, Universidad Nacional de Cordoba, 2008, p.114.
127 FERREYRA 2006, p.94.
128 ITZCOVICH, G., « Mapa de Jovenes : Una aproximacion al grupo de 12 a 17 años », site du Ministère de l’Education argentin, novembre 2005, http://me.educ.gov.ar/secundaria/files/2009/12/inf_jovenes.pdf, page consultée le 29/07/2011.
129 MONTESINOS, M.P., et al., « Sentidos en torno a la obligatoriedad de la educacion secundaria », site de la DINIECE, mars 2009, http://diniece.me.gov.ar/images/stories/diniece/publicaciones/boletin/obligatoriedad-ed-media.pdf, page consultée le 30/07/2011.
130 Voir ITZCOVICH 2005.
131 FERREYRA 2006, p.270.
132 BAQUERO 2009, p.303.
133 BRITO, A., « Acerca de un desencuentro : la mirada de los profesores sobre los alumnos de la escuela secundaria en Argentina », Revista Iberoamericana de Educacion, (51): 2009, p.146.
134 Ibidem
135 PUIGGROS 1999, pp.20-21.
136 PAULIN 2008, p.118.
137 PUIGGROS 1999, p.30.
138 BRITO 2009, p.155.
139 CARENA 2008, p.70.
140 SABATTINI 1998, p.138.
141 TIRAMONTI 2005, p.65.
142 FERREYRA 2006, p.287.
143 CARENA 2008, p.460.
144 Ibid., p.461.
145 PAULIN 2008, p.112.
146 CARENA 2008, p.460.
146 Ibid., p.116.
147 CARENA 2008, p.103.
148 FERREYRA 2006, p.286.
149 Ibid., p.421.
150 PAULIN 2008, p.44.
151 SABATTINI 1998, p.165.
152 BINSTOCK, G., et, M. CERRUTI, « Carreras truncadas. El abandono escolar en el nivel medio en la Argentina », site de l’Unicef, août 2005, http://www.unicef.org/argentina/spanish/Carrerastruncadas%281%29.pdf, page consultée le 01/08/2011.
153 FERREYRA 2006, p.281.
154 Ibid., p.295.
155 Ibid., p.16.
156 Ibid., p.15.
157 Ibid., p.310.
158 Ibid., p.99.
159 Ibid., p.220.
160 CARENA 2008, p.34.
161 Ibid., p.35.
162 Ibid., p.214.
163 Ibid., p.30.
164 Ibid., p.89.
165 Ibidem
166 MORA, M., et al., « El perfil de los docentes en la Argentina. Analisis realizado en base a los datos del Censo Nacional de Docentes 2004 », site de la DINIECE, décembre 2007, http://diniece.me.gov.ar/images/stories/diniece/publicaciones/boletin/boletin4_sitio.pdf, page consultée le 25/07/2011.
167 CARENA 2008, p.455.
168 Ibid., p.188.
169 Ibid., p.179.
170 Ibidem
171 Ibid., p.180.
172 SABATTINI 1998, p.138.
173 Ibid., p.164.
174 TIRAMONTI 2005, p.72.
175 Voir MORA 2007.
176 Voir BINSTOCK 2005.
177 Ibidem
178 Ibidem (souligné par l’auteur).
179 Ibidem
180 Ibidem
181 Ibidem
182 Ibidem
183 BRITO 2009, p.142.
184 Ibid., p.154.
185 Ibidem
186 Ibidem

Page suivante : 3. Méthodologie

Retour au menu : L’EDUCATION PRIMAIRE ET SECONDAIRE EN ARGENTINE : APERÇU DE LA SITUATION ACTUELLE EN MATIERE D’ACCES ET D’INSERTION SCOLAIRE