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Situation clinique

« Tout groupe humain prend sa richesse dans la
communication, l’entraide et la solidarité visant à
un but commun : l’épanouissement de chacun dans
le respect des différences. »

Françoise Dolto

Les établissements recevant des personnes handicapées vieillissantes, sont les seules structures financées
par des fonds publics pour une population âgée dépendante spécifique, si l’on exclue les services dédiés
à la prise en charge d’une pathologie spécifique (exemple : maladie d’Alzheimer). Pourrait-il s’agir d’un
paradigme qui permettrait une déclinaison d’établissements dédiés à des communautés ou peut-on en
déduire des règles de financement public ?

SITUATION

Nicole est une femme de 47 ans qui présente une trisomie 21 avec une déficience mentale moyenne. Elle
a eu un parcours institutionnel (IM-Pro puis CAT jusqu’en 2005). Elle est actuellement en foyer de vie.
Depuis peu, son état se dégrade rapidement avec un syndrome démentiel et une grabatisation. Aucun
établissement spécialisé pour personnes handicapées ne répond favorablement aux demandes en
invoquant le manque de places et son état médical (elle relèverait d’une Maison d’Accueil Spécialisée
du fait de la lourdeur des soins médicaux). Le public des établissements spécialisés pour personnes
handicapées vieillissantes est plutôt représenté par des personnes déficientes mentales ou ayant un
handicap psychique, pour une moyenne d’âge inférieure à 70 ans. Les personnes conservent une certaine
autonomie à l’entrée permettant le maintien d’activités.

Bien que le foyer de vie, où elle est accueillie, ne soit pas médicalisé, celui-ci fait intervenir une
auxiliaire de vie matin, midi et soir, a loué un lève-malade et un lit médicalisé. Ce qui ne suffit pas à
empêcher la survenue d’escarres.

Finalement, une Unité de Soins de Longue Durée (USLD) accepte de la prendre dans une section qui
accueille principalement des personnes handicapées vieillissantes. L’établissement d’origine met en
place un transport et un accompagnement pour permettre aux résidents qui le souhaitent de lui rendre
visite.

Les personnes handicapées vieillissantes : une identité collective subie qui ne constitue pas pour
autant une communauté

Il est possible de distinguer schématiquement divers types d’identités.

L’identité individuelle (ou psychologique) peut-être définie comme « la conscience qui résulte de
l’expérience propre à un sujet, lui permettant de se sentir exister en tant qu’être singulier, différent des
autres », alors que l’identité sociale est constituée « par l’ensemble des caractéristiques personnelles
ou comportementales, par lesquelles un individu révèle son appartenance à un groupe »11. Quant à
l’identité culturelle ou politique d’un groupe opprimé, elle relèverait d’un partage social, d’un
mouvement de résistance permettant de se construire une identité collective et individuelle positive.
« Mettre en commun nos expériences nous rend plus fort ».

A. Memmi4 rappelle que l’identité est une construction de l’imaginaire, ce qui ne veut pas dire dérisoire
et fallacieuse, il s’agit bien d’une réalité psychique dans le vécu de la personne. L’appartenance ellemême
à une tradition n’induit pas un mode de vie standard dans la mesure où le sujet a une adhésion
relative et limitée à ce qu’il en connait et ce qu’il souhaite en respecter. I. Levy9, rapporte que faute
d’aborder la question des croyances et de ses modes d’observance, des menus cashers ou halals sont
commandés systématiquement sur la seule consonance du nom ou sur l’origine réelle ou supposée de la
personne.

C’est que l’identité collective peut-être libre mais aussi subie ou imposée. Dans le cas des personnes
handicapées, celle-ci n’est aucunement libre, mais imposée du fait de l’inadéquation des structures de
droit commun. Il n’y a donc pas là une véritable communauté, au sens où on l’entend habituellement. Le
sentiment d’appartenance ne sera pas tant celui qui lie à l’ensemble des personnes handicapées qu’à la
communauté de lieu de vie. Dans le cas clinique présenté, l’enjeu n’était pas celui du maintien d’une
identité communautaire « personne handicapée » mais du maintien des liens sociaux dans un
environnement adapté.

Cette remarque vaut totalement pour les personnes accueillies en EHPAD, et atteintes de la maladie
Alzheimer. On ne peut pas dire, non plus qu’elle revendiquent leur appartenance à un groupe.

Mais il est important de noter que le sentiment d’identité persiste tant que le sujet « peut donner un sens
de continuité à la rupture et au changement »12. Ce qui n’est pas le cas, par exemple, pour une personne
âgée entrant en EHPAD de manière non préparée et trop brutale13. Par la préparation, le maintien de
l’identité sociale, du sentiment d’appartenance peut contribuer à atténuer l’effet de rupture en constituant
un élément de continuité. Pour les personnes handicapées mentales, ce changement d’identité collective
et concomitant de celui d’identité individuelle (de personnes handicapées à personnes âgées) nécessite
une transition douce du fait de difficultés de compréhension et d’adaptation chez un sujet qui ne s’est
jamais préalablement identifié comme âgé.

Le concept de Personnes Handicapées Vieillissantes ne suffit pas, à lui seul, à définir des besoins
spécifiques

Sous la pression démographique, les autorités administratives ont multiplié les réflexions sur les
solutions à apporter à une nouvelle catégorie administrative : les Personnes Handicapées Vieillissantes
(PHV)

En effet, la courbe d’espérance de vie des personnes handicapées dessine des profils de mortalité tendant
à se rapprocher des courbes d’espérance de vie de la population générale, ainsi, l’espérance de vie d’une
personne Trisomique 21 était de 9 ans en 1929, alors que de nos jours, 70 % vivront au-delà de 55 ans.
Le débat a fini par retomber sur un consensus : il faut une palette de réponses diversifiées pour s’adapter
aux différentes situations individuelles dont des Foyer d’Accueil Médicalisé (FAM) pour personnes
handicapées vieillissantes et des Petites Unités de Vie (PUV) 14.

Mais peut-on seulement définir une « personne handicapée », sachant que ce terme recouvre « un
mille-feuilles » de situations différentes, en fonction du type de handicap (mental, moteur,
sensoriel…), de la sévérité de celui-ci (déficience mentale légère ou sévère..), de son origine (de
naissance, acquis à l’âge adulte…)

Il est donc impossible de dresser un tableau cohérent et précis, y compris sur les besoins, ce qui
n’empêche pas la multiplication d’études dressant le tableau précis de la personne handicapée
vieillissante.

Le handicap est avant tout conditionné en France par une reconnaissance réglementaire (Maison
Départementale des Personnes Handicapées ou CRAMIF). Ne peut se prévaloir de ce statut pour accéder
à un dispositif spécifique, une personne qui n’en aurait pas préalablement réclamé la reconnaissance
administrative avant l’âge de 60 ans. C’est à la personne qu’il incombe d’en faire la demande, qui lui
permettra une fois admise en EHPAD (au titre d’une dérogation d’âge) de bénéficier des avantages liés à
ce statut [pas d’obligation alimentaire, conserve un « reste à vivre » de 30% de l’AAH (218 €) contre
10% de l’Allocation de Solidarité aux Personnes Agées (77 €), recours en succession uniquement et à
condition que l’ayant droit ne soit ni l’un des parents, le conjoint ou la (ou les) personnes (s) ayant
assuré la charge effective et constante de la personne].

Il n’existe pas non plus de modèle de vieillissement qui serait spécifique de celui d’une catégorie de
handicap, même si l’on peut noter des caractéristiques retrouvées dans certains cas. Par exemple : il
n’existerait de vieillissement précoce que pour les personnes trisomiques, polyhandicapées ou
épileptiques avec état de mal. Les personnes handicapées moteurs seraient plutôt confrontées à une
usure articulaire. Tandis que dans la plupart des autres cas où les effets du vieillissement ne sembleraient
pas suivre une évolution normale, il s’agirait de « régression », de « désadaptation », de « rupture
d’équilibre précaire ».

En réalité, la majorité des foyers pour personnes handicapées accueillent des personnes présentant un
handicap mental et/ou psychique. Et c’est bien de cette catégorie de personnes dont il est question dans
l’immense majorité des débats. En effet, les EHPAD savent prendre en charge le handicap physique ou
sensoriel, mais sont mis en difficulté, principalement, par certains troubles du comportement.

Ce n’est qu’en octobre 2010, dans son dossier technique, que la CNSA fait le constat qu’il n’existe pas
de définition de la personne handicapée vieillissante et en propose une qui tente de tracer les contours
d’une figure polygonale sans doute trop complexe pour espérer la voir se diffuser largement auprès des
professionnels :

« Une personne handicapée vieillissante est une personne qui a entamé ou connu sa situation de
handicap, quelle qu’en soit la nature ou la cause, avant de connaître par surcroît les effets du
vieillissement. Ces effets consistent plus ou moins tardivement en fonction des personnes en l’apparition
simultanée:

· d’une baisse des capacités fonctionnelles ;
· d’une augmentation du taux de survenue des maladies liées à l’âge, maladies
dégénératives et maladies métaboliques ;
· mais aussi d’une évolution de leurs attentes dans le cadre d’une nouvelle étape de vie.

Cette définition impose une prise en compte du vieillissement en tant que phénomène individuel,
influencé par l’histoire et l’environnement de la personne, se traduisant en termes de perte d’autonomie.

Un consensus se forme autour de l’âge de 40 ans, à partir duquel la vigilance s’impose. »
L’accueil des personnes handicapées mentales vieillissantes en EHPAD se heurte à des difficultés
liées aux besoins suivants :

a. Les troubles du comportement nécessitent notamment des ratios d’encadrement importants
(1,08 ETP en FAM* et 1,21 en MAS† contre 0,59 en EHPAD)

b. Des formations adaptées aux différents types de handicaps, des suivis et des prises en
charge, spécifiques de certains handicaps (trisomie 21 par exemple) ; des difficultés à faire
la part de ce qui relève du handicap de celui du vieillissement normal ou pathologique. La
méconnaissance des professionnels ainsi qu’une certaine peur vis-à-vis d’un tel public

c. Une transition douce du fait de difficultés d’adaptation qui peut-être facilitée par « l’effet de
filière » (passer progressivement d’une structure à une autre, gérées par la même
association),

d. Un besoin d’animations et d’activités occupationnelles plus importants, lié aux différences
d’âges (les personnes handicapées rentrent avant 60 ans alors que la moyenne d’âge
dépasse les 85 ans en EHPAD) et à la différence d’autonomie (GMP‡ en EHPAD souvent
supérieur à 600 sur 1000 alors que les personnes handicapées mentales accueillies ont
tendance à relever d’un GIR 5-615). De plus, les EHPAD offrent rarement un
accompagnement à la vie sociale suffisant dans leurs prestations.

e. Les différences de parcours entre les deux publics (les personnes handicapées mentales ont
souvent un parcours institutionnel), de liens familiaux (pas de descendance mais une fratrie
qui a « hérité » d’une gestion de mesure de protection pour les uns et descendance pour les
personnes âgées)

f. Une confrontation à la fin de vie en EHPAD qui peut s’avérer difficile à vivre pour une
personne qui aura une durée de séjour beaucoup plus longue16.

g. Le rejet de la part des personnes âgées du fait des comportements parfois trop démonstratifs
par la recherche de signes d’affection, ou de l’image dépréciative que leur renvoi le
handicap. De la part des familles aussi : « je ne mettrais pas mes parents avec des fous » 17
Pour les résumer, les personnes handicapées cumulent ainsi des freins à l’admission de 3 types :

· Des contraintes matérielles : une prise en charge nécessitant des compétences techniques
spécifiques (des formations adaptées à chaque catégorie de handicap), des moyens humains et
financiers adaptés.
· Une représentation sociale encore péjorative générant une ségrégation de la part des publics
accueillis et de leur famille, ainsi que des craintes des professionnels.
· La nécessité d’une transition douce dans l’environnement humain notamment par rapport au
public et aux modes de prises en charge auxquels la personne a été astreinte toute sa vie

Ces besoins sont difficilement conciliables avec les moyens qui sont ceux des EHPAD pour pouvoir
prétendre accueillir dans de bonnes conditions toutes les personnes handicapées mentales et/ou
psychique (ou polyhandicapées).

Les surcoûts éventuels qu’entraine la prise en charge des personnes handicapées mentales vieillissantes,
ne sont pas liés à un choix de vie mais bien à un désavantage social du fait de l’inadaptation de
l’environnement.

Cela n’empêche pas de plus en plus d’EHPAD de pratiquer l’accueil des personnes de moins de 60 ans.
Cette cohabitation étant présentée comme ayant l’avantage pour les personnes âgées d’un milieu plus
stimulant, d’une aide pour l’autonomie, voire d’un soutien pour le personnel grâce aux petits services
rendus. Les personnes handicapées mentales y trouvent parfois une relation de tendresse et de substitut
du lien perdu avec les parents qui étaient eux-mêmes âgés (l’admission se faisant assez fréquemment au
décès des parents).

Mais dans l’ensemble, le secteur gériatrique semble insuffisamment adapté à la prise en charge des
personnes handicapées mentales et psychiques et celui des personnes handicapées insuffisamment formé
à la gériatrie.

La non-adaptation du dispositif de droit commun aux personnes handicapées mentales
vieillissantes relève d’un désavantage social et non d’un choix ou d’une option.

Les personnes handicapées ont longtemps pâti du modèle médical bâti sur les déficiences (classification
de Wood), obligeant les « patients » à adopter un récit négatif, attirant la sympathie des professionnels,
une sorte d’auto-apitoiement orchestré par la société. Depuis l’adoption de la classification
internationale des fonctionnement (CIF) adoptée par l’OMS en 2001, a permis l’émergence d’un modèle
social qui définit le handicap comme la résultante de conditions environnementales pouvant être
compensées politiquement ou socialement, sans nier pour autant les caractéristiques personnelles
déficitaires. Dès lors, il n’existerait pas de véritable différence intrinsèque entre les individus, et il
appartient donc à la société de réduire le niveau d’incapacité par des aménagements techniques, sociaux
ou politiques11.

De fait, cela implique que toute personne handicapée peut revendiquer l’accès aux dispositifs de droit
commun, et c’est déjà le cas avec la scolarisation par défaut, des enfants handicapés dans l’établissement
scolaire dont dépend le domicile des parents. Il faut donc en conclure qu’une personne handicapée ne
peut se voir refuser l’accès à un EHPAD, du seul fait de son handicap.

Il en découle que le principe mis en oeuvre par les établissements recevant spécifiquement des personnes
handicapées vieillissantes, est celui de la compensation d’un désavantage social, mais aussi celui de
constituer un terrain d’innovations exportables pour favoriser l’intégration, faire évoluer la
connaissance et les méthodes d’accompagnement.

On peut dès lors s’interroger sur la pertinence qu’il y aurait à maintenir un cloisonnement entre ce que la
CNSA reconnait être « deux cultures d’accompagnement des personnes vulnérables : l’une s’attachant
au modèle biomédical via l’influence de la gériatrie et l’autre privilégiant un modèle fonctionnel et une
dimension environnementale du handicap » Autrement dit, entre un modèle qui serait valorisant pour
tous (usagers et professionnels), et un autre qui dans l’imaginaire collectif se limiterait à un
accompagnement de la dépendance et des mourants. Le fait que les établissements pour personnes
handicapées vieillissantes soient majoritairement gérés par des associations de parents*, laisse imaginer
la conception qu’elles ont elles-mêmes des EHPAD.

La création d’unité de vie spécialisées au sein des EHPAD est certainement une voie qui permet une
moins grande dichotomie entre les deux types accompagnements, tout en permettant des rapprochements
entre les personnes handicapées elles-mêmes voire entre celles ayant fréquenté les mêmes structures
antérieurement.

Dans tous les cas, il est indispensable de mettre en place un projet d’accueil spécifique et que la
personne handicapée puisse choisir son lieu de vie.

Première tentative de critères de financement public

Les critères de financement public des établissements médico-sociaux dédiés à une population
spécifique pourraient se résumer ainsi (indépendamment des notions de communauté, de
communautarisme ou de besoins) :

1. Le projet est conforme aux valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternités et respecte
les droits fondamentaux. Le projet d’établissement vise à maintenir la richesse et la diversité des
liens sociaux, ainsi que l’intégration dans la cité

2. S’il déroge au principe d’égalité d’accès à tout citoyen, c’est pour :

a. Répondre à un droit de compensation, un souci de discrimination positive du fait d’un
désavantage social avéré sur des éléments objectivables et objectifs

b. Une contrainte technique à laquelle il est difficile de répondre dans le cadre du
fonctionnement habituel d’un EHPAD, ou du fait d’un surcoût trop important.

* Les foyers d’accueil médicalisés (FAM) sont des établissements financés par le Conseil général pour la partie
hébergement et par l’assurance maladie pour la partie soin. Ils peuvent correspondre aux missions de l’EHPAD.
† Les Maisons d’Accueil Spécialisées (MAS) sont des établissements médico-sociaux financés par l’assurance
maladie exclusivement, destinées aux personnes nécessitant des soins constants. Elles sont l’équivalent des Unité
de Soins de Longue Durée (USLD) hospitalières sauf en ce qui concerne le financement.
‡ Le GIR moyen pondéré correspond au niveau moyen de dépendance des résidents. Un GMP supérieur à 300
correspond à un établissement médicalisé.
* Les associations de parents gèrent en France, 90 % des établissements pour personnes handicapées contre 30 %
de ceux pour personnes âgées

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