§ 1 – Nantissement du contrat d’assurance vie multisupport
Le cas de figure est courant93, où un souscripteur emprunte des deniers en vue d’effectuer des
placements financiers, mettant en garantie du prêt un compte d’instruments financiers ou un
contrat d’assurance-vie. C’est un montage financier bien connu des gestionnaires de
patrimoine qui adossent un contrat de prêt in fine à un contrat d’assurance vie, l’opération
devant être rentable grâce à son traitement fiscal et à la valorisation supposée des unités de
compte. L’article L 132-10 aménage le principe et les conditions du nantissement quant aux
droits du bénéficiaire.
S’agissant du souscripteur du contrat, celui-ci se dessaisit-il de la faculté d’arbitrage au
bénéfice du créancier nanti ?
Certains auteurs, analysant la sûreté, considèrent qu’elle s’étend aux « accessoires de la
créance, sauf convention contraire et aux droits attachés au contrat », et pourrait à ce titre
s’étendre au droit d’arbitrer94. « Il semble que rien n’interdirait au constituant de conférer le
droit d’arbitrage, ou le droit de contrôler les arbitrages effectués par lui et au besoin de s’y
opposer. » L’enjeu est de taille car il s’agit pour le créancier nanti d’éviter de laisser son gage
perdre (potentiellement) de la valeur.
Toutefois, ce n’est pas cette solution qui a été consacrée par la jurisprudence. La chambre
commerciale de la Cour de cassation a énoncé la solution dans un arrêt qui mérite d’être
souligné tant sont rares ceux dont la question de droit porte sur le sujet de l’arbitrage en
assurance vie. Par un arrêt du 12 juillet 200595, elle décide que le créancier hypothécaire n’a
aucun droit de s’opposer à des arbitrages faits par le souscripteur, sauf clause contraire.
En l’occurrence, le souscripteur conserve le pouvoir d’arbitrer son contrat, qu’importent les
conséquences sur la valorisation ultérieure de la prestation d’assurance, au motif notamment
que le « créancier nanti[…] dispose, en sa qualité de dépositaire de cette chose jusqu’à sa
restitution, du seul pouvoir de la garder et conserver sans acquérir celui d’en user ni de
l’administrer ».
La faculté d’arbitrage exercée par le souscripteur ne s’oppose pas au droit de propriété de la
banque sur sa créance, qui serait protégée au titre de la propriété privée énoncé à l’article
premier du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des
libertés fondamentales et des droits de l’homme.
Le recours aux textes spéciaux ou généraux n’auront pas suffi à convaincre les juges du fond
ni la Haute juridiction que l’arbitrage entre unités de compte vide de sa substance le droit du
créancier nanti, ni que sa sûreté l’autoriserait, à défaut d’arbitrer, à tout le moins à s’opposer à
certains arbitrages. Aucune gradation n’intervient donc à ce titre dans la faculté d’arbitrage.
La solution qu’apportera la pratique à une telle analyse sera contractuelle. Les prêteurs de
deniers ne manqueront pas d’adapter désormais leurs contrats. Ils y intégreront une clause en
vertu de laquelle le souscripteur se dessaisira du pouvoir d’arbitrage. Il semble probable que
les souscripteurs ne s’opposent d’ailleurs pas à cette formule qui aura l’avantage de confier
l’arbitrage à un professionnel de la finance, et rien ne s’oppose en théorie à ce qu’ils puissent
désigner avec lui un profil d’investissement qui lui convienne. Les actes d’arbitrage seront
alors effectués au nom du créancier à titre principal (ce qui distingue ce schéma d’un mandat
qu’aurait conclu le souscripteur).
Evoquons également le cas où le souscripteur désignerait, comme bénéficiaire du contrat, son
prêteur de deniers. Il s’agit là d’une stipulation pour autrui à titre onéreux au sens de l’article
1121 et suivants du Code civil. Comme nous avons pu l’évoquer, le bénéficiaire n’étant pas
doté de la faculté d’arbitrage, cet acte ne contentera pas l’objectif de sécurité recherché par la
banque, qui lui préfèrera la première solution.
§ 2 – La délégation de contrat
Certains souscripteurs ont recours, au mécanisme de la délégation96 sur le contrat d’assurance
vie, pour constituer une sûreté : une délégation imparfaite par l’effet de laquelle une
obligation nouvelle naît à la charge du délégué (ici, l’assureur vie) tant que le délégataire n’a
pas été payé. Ce contrat fonctionne par triangularité. En vertu de celui-ci, l’exercice de
l’ensemble des droits que tient le délégant sur le contrat est transféré au délégataire, de telle
sorte que la faculté d’arbitrage suit certainement le même sort.
§ 3 – La fiducie
Le recours à la fiducie97 de contrats d’assurance vie est envisageable, à titre de sûreté, sur le
modèle du trust anglo-saxon, et bien que nous ne puissions énoncer aucun chiffre, l’efficacité
d’une telle mesure justifiera le recours à ce mécanisme récent, malgré son formalisme lourd et
ses conditions restrictives. Notamment, la valeur du contrat (le bien objet de la fiducie) sera
estimée au jour de la constitution de la fiducie, sans doute à la valeur de la prestation telle
qu’elle serait valorisée par référence aux unités de compte au jour de la constitution.
Pendant le cours de la fiducie, il est opéré un transfert de la propriété du contrat au profit du
fiduciaire ayant pour mission sa gestion dans un but donné. A ce titre, la faculté de gestion
étant transférée au fiduciaire (par l’effet d’un transfert de patrimoine), le souscripteur
constituant perdra la faculté d’arbitrage, donnant toute efficacité au mécanisme.
A défaut de paiement de la créance garantie à son échéance, et sauf clause contraire, le
créancier fiduciaire (un établissement de crédit par exemple) acquiert la libre disposition du
bien meuble objet de la fiducie (tel que peut être qualifié le contrat d’assurance vie, bien
qu’immatériel). Le contrat est transféré dans son patrimoine, et à cet égard la faculté
d’arbitrage. En l’occurrence, le fiduciaire acquiert la qualité de souscripteur. A l’issue de cette
opération, le souscripteur ne se dépossède pas à proprement parler de sa faculté d’arbitrage :
la faculté demeure attachée à cette qualité, c’est la personne qui revêt cette qualité qui change.
Outre ces opérations, dont l’objet essentiel ne consiste pas à dissocier les qualités de
souscripteur et les fonctions d’arbitre entre les unités de compte, envisageons le cas le plus
fréquent en pratique de la délégation d’arbitrage, qui opère volontairement cette dissociation à
titre principal.
93 ex : CA Paris, 20 décembre 2007, RG 06/11908
94 Traité de droit des assurances, Tome 4 Les assurances de personnes, sous la direction de Jean BIGOT, LGDJ,
ed. 2007, op. cit.
95Arrêt n° 1244, pourvoi 04-10.214
96 Article 1275 du Code civil
97 Article 2372-1 et suivants du Code civil
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