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Section 1 : L’aléa imprévisible ?

Les catastrophes naturelles et technologiques doivent être traduites dans la prime qui est le coût du risque et de son transfert (A). De plus, la réassurance joue un rôle central dans l’appréhension des risques environnementaux (B).

A- Le calcul de prime

La prime est élément de droit privé(73) dont la définition peut être vulgarisée par l’expression de « coût du risque ». La prime est une composante sine qua non de l’opération d’assurance, elle doit être obligatoirement indiquée au sein même de la police(74). En cas de non-paiement de la prime en assurance non-vie, les garanties qui sont objets de la convention peuvent être suspendues, et le contrat peut être légalement résilié unilatéralement par l’assureur, si le paiement de la prime n’a pas été effectué dans un délai de dix jours après expiration du délai de trente jours après mise en demeure de l’assuré par l’assureur.(75) La prime est une obligation légale(76) pour l’assuré à partir du moment où la convention est conclue, elle devient exigible pour l’assureur et son règlement doit être intervenu aux « époques convenues ». Cette exigibilité s’explique par le fait que la prime est la traduction pécuniaire de l’opération de transfert des risques de l’assuré vers l’assureur. Il s’agit d’une contrepartie-prix, fixée par l’assureur pour une période donnée et prévue au titre de la police. Ce prix n’est pas fixé de manière simple et aisée, il résulte des calculs actuariels de l’assureur. L’opération d’assurance est au carrefour de l’assurance et de la finance, aussi la prime est composée de marges, réserves, frais et provisions. Son calcul est l’élément de base de l’aspect financier de l’assurance. La prime doit permettre de générer un retour sur investissement et rendre rentable l’entreprise d’assurance, dans le respect de la réglementation, cadre strict qui entoure l’activité et de l’intervention possible du Bureau Central de Tarification qui peut imposer des prises en garantie d’assurés ne répondant pas aux critères de sélection de l’Assureur.

Le calcul de se décompose en plusieurs éléments : la prime pure, les chargements (frais de fonctionnement de l’entreprise d’assurance), la rémunération éventuelle des intermédiaires et des frais et taxes . La prime pure est déterminée, en assurance de chose, en fonction risque déclaré par le biais d’un questionnaire précis établi par l’assureur(77) qui l’éclaire sur les circonstances « qui sont de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge ». C’est consécutivement aux réponses au questionnaire que l’assureur détient alors les éléments susceptibles de déterminer la prime, le loyer de ses engagements. Pour les biens, il s’agit souvent des valeurs des biens assurés(78) et des événements que l’assuré souhaite voir garantis.

Toute modification du risque doit être déclarée puisqu’elle fait évoluer la prime, corollaire du risque(79). La logique est identique pour l’apparition de nouvelles circonstances, qui pourraient aggraver le risque(80) et travers lui, l’engagement de l’assureur. La sanction du défaut de déclaration des circonstances nouvelles ou de l’aggravation du risque est dissuasive : l’assureur a la faculté de résilier le contrat, si les risques, tels qu’ils sont avérés, l’auraient dissuadé de contractualiser avec l’assuré. Il dispose également de la faculté de réviser la prime en cours de contrat, à la hausse comme à la baisse, afin qu’elle corresponde clairement à ses engagements. La fausse déclaration ou la réticence à la déclaration exacte des risques par l’assuré entraine la nullité du contrat lorsqu’elle est intentionnelle, et même si elle est sans influence sur le coût d’un éventuel sinistre. (81)L’assureur dispose d’un arsenal juridique à disposition afin d’obtenir une vision la plus exacte possible, de ses engagements. Il va pouvoir déterminer sa tarification pour une police donnée et ses objets de risques contractuellement définis et limités.

Pour appréhender le risque, et en complément du questionnaire, l’assureur va étudier la sinistralité passée. Elle est extrapolée afin de connaitre la probabilité d’occurrence de la sinistralité à venir. Cette règle n’est valable que dans une certaine mesure pour les risques de fréquence, les risques d’intensité sont proches de l’inassurable et donc de l’imprévisible. En l’espèce, une marge correspondant à leur survenance sera déterminée et adossée à la prime, événement garanti par événement garanti selon les biens, personnes(82) et responsabilités civiles idoines. Le changement climatique confère une nouvelle dimension à l’engagement de l’assureur qui doit, de manière macro-économique, intervenir plus souvent à cause de la multiplication des événements climatiques, majeurs ou non. Ainsi, le risque d’inondation sera plus fréquent que par le passé, pour autant ce risque n’est pas forcément d’ordre catastrophique. En revanche, l’engagement de l’assureur s’accroit. La survenance de risques d’intensité extrême, vient se surajouter à la charge des assureurs, ce qui engendre clairement de nouveaux défis pour les assureurs. Les indemnisations dues en raison des engagements juridiques sont in fine plus nombreuses et plus coûteuses pour les assureurs.

Cela a pour effet négatif, d’influer sur l’équilibre financier de ces derniers, en mettant en péril, les capacités et réserves des assureurs en première ligne. Au rythme de la survenance des sinistres majeurs, et en premier lieu ceux d’origine naturelle, qui ont un coût important pour l’assureur, les engagements contractuels donnent lieu à indemnisation en application des termes et conditions de la police. Aussi, l’assureur, doit verser autant d’indemnités que la somme de ses engagements contractuels le prévoient en cas de réalisation d’un risque, d’un événement ou d’une série d’évènements. L’assureur doit avoir effectué des provisions techniques à des niveaux adéquats. Ces provisions techniques, consistent, dans les faits, à placer une partie de la prime tout comme les réserves énoncées au sein du code des assurances. Les méthodes de calculs sont fixées par le Ministère de l’Economie et des Finances et sont encadrées réglementairement(83) . Les provisions techniques sont en assurance de choses de trois ordres : provision pour sinistre à payer, pour primes non-acquises, et pour risques en cours. La provision pour risques en cours doit correspondre pour l’ensemble des contrats à « la charge des sinistres des frais afférent aux contrats pour la période s’écoulant entre la date d’inventaire et la date de première échéance des primes […] ou le terme du contrat ». L’assureur doit être réglementairement en mesure de répondre financièrement à ses engagements. La prime ainsi que son placement sont les seuls moyens de répondre à cette exigence réglementaire. La difficulté est de prévoir l’aléa en absence d’éléments précis, la raison principale en est le cycle inversé de la production qui veut qu’en assurance, le prix soit déterminé avant la prestation, soit l’indemnisation d’un sinistre. Les indemnités versées en masse fragilisent l’équilibre économique de l’entreprise d’assurance, qui, en réponse, va moduler sa prime afin qu’elle tienne compte financièrement de l’augmentation statistique du nombre d’interventions de l’assureur. Toute la difficulté est ici résumée : la prime doit, autant que faire se peut, rester économiquement supportable pour les personnes physiques ou morales souscriptrices. L’assureur peut faire varier à la hausse comme à la baisse la prime, le coût du risque de l’assuré, afin que cette dernière corresponde de manière exacte à son engagement (84). Par exemple, après la catastrophe d’AZF du 21 septembre 2001, les assureurs ont procédé à des augmentations de primes allants de 80% à 200%.

Il s’agit de l’illustration de ce que la profession de l’assurance appelle les cycles de primes. Ils sont dits « haussiers » ou « baissiers », hard ou soft market dans le monde ango-saxons. Ces cycles sont le résultat du surplus ou de l’épuisement capacitaire des assureurs et réassureurs. Ils sont fonction de la sinistralité et de la demande de couverture et de leurs niveaux idoines par les assurés. Si le cycle est soft, les primes seront abordables, en revanche, elles seront plus coûteuses si le cycle est hard. Ces cycles sont des éléments variables de la prime et sont déterminés par branche d’assurance.

En complément, La difficulté de calcul de la prime pour les assureurs découle également de la problématique de risque de cumul. En effet, les conséquences d’une catastrophe naturelle se situent dans une zone large et difficilement définie, de ce fait, les dommages corporels, matériels et immatériels idoines touchent un très grand nombre d’assurés. L’engagement de l’assureur peut être colossal s’il s’avère être prépondérant et bien implanté dans la zone sinistrée. Comme précisé précédemment, la concentration urbaine et côtière des populations a entrainé une concentration proportionnelle des biens et des valeurs assurés. Un événement n’avait pas les mêmes conséquences financières un siècle en arrière. D’un point de vue actuariel, le calcul de prime est notamment régi par le principe mathématique de loi des grands nombre. La probabilité d’occurrence d’un risque est distribuée parmi un très grand nombre d’acteurs, ce qui diminue ses conséquences. Le risque est « noyé » dans la masse.

Le principe de mutualisation des risques permet également de réduire l’impact financier d’un événement de même type parmi un portefeuille d’assurés qui payeront la même prime. De ce fait, lorsque les assurés subissent en nombre, voire en masse, un même événement garanti, l’assureur doit contractuellement la prestation à chacun, ce qui peut être de nature à déstabiliser sa pérennité financière s’il a mal évalué le risque. La problématique est ici énoncée, le modèle actuariel de calcul de la prime intègre t’il les mutations de l’environnement et les risques de masse ? A la suite des plus grandes catastrophes naturelles, les assureurs et réassureurs – ces derniers payant les risques de crête, ils sont majoritairement impactés, ont fait face à des difficultés non négligeables. Les résultats techniques de nombreux assureurs et réassureurs ont été altérés par les ouragans Katrina et Rita en 2005 ou par les tempêtes de 1999 et de 2009 en Europe continentale. Cela démontre que les principes de mutualisation et des grands nombres ne peuvent s’appliquer en matière de catastrophes naturelles. Le risque n’est pas noyé dans la masse d’assurés mais proportionnel au nombre d’assurés sur une même zone. Le risque de masse engendre un plein de souscription sur ce risque plus rapidement atteint que pour les autres événements garantis.

En France, les catastrophes naturelles sont couvertes, sous conditions, par un dispositif spécial qui prévoit un montant alloué d’indemnité liée à une prime spécifique. Pour autant, les assureurs sont liés contractuellement selon un champ d’application plus large que le dispositif. De même, au niveau international, la multiplication des événements dommageables de cet acabit témoigne de la limite atteinte par les modèles actuariels classiques et les acteurs du marché doivent nécessairement adapter leur modélisation pour la faire correspondre à la réalité de l’exposition croissante aux risques des assurés.

L’assureur peut demander l’intervention du réassureur, selon les termes d’un traité préalablement contracté, afin d’équilibrer ses engagements, ses capacités et sa tarification.

B- Le rôle de la réassurance

La réassurance joue également un rôle magistral dans les montages d’assurance. Elle libère les assureurs de certains de leurs engagements contractuels par le biais des traités de réassurance. Cette opération est une technique de dispersion des risques, par le biais d’un transfert auprès d’une entreprise tierce, qui permet de protéger l’exposition aux risques des assureurs contractuellement engagés auprès de leurs assurés. Il n’y a de ce fait aucun lien juridique entre l’assuré et le réassureur. La réassurance dilue les risques extrêmes et laisse à la charge de l’assureur une partie des risques contractualisés avec les assurés. En fonction du traité de réassurance, le réassureur prend le relais de l’assureur. Ce dernier peut souscrire selon son plein de souscription, il s’agit de la somme totale que l’assureur garantit à la masse de ses assurés. Dans l’hypothèse de la survenance d’un risque majeur, l’assureur sera appelé en garantie pour un nombre important de sinistre, ce qui être de nature à mettre en péril ses fonds propres. L’assureur doit donc, déterminer son plein de souscription, soit la somme maximale qu’il peut garantir pour un risque donné, afin que son calcul actuariel de prime soit équilibré et nullement mis en danger par la survenance d’un risque extrême. Ce plein doit être analysé au regard d’un autre seuil, le plein de conservation qui constitué la somme maximale que l’assureur peut régler, le surplus devra être transféré au marché de la réassurance, qui par définition intervient en premier plan pour les risques majeurs. La réassurance est une « opération par laquelle une entreprise d’assurance (la cédante) s’assure elle-même auprès d’une autre société (le réassureur ou le cessionnaire) pour une partie des risques qu’elle a pris en charge(85) ». La réassurance est une activité réglementée(86) qui s’organise autour de deux types de traités. La réassurance proportionnelle d’une part, est une opération de cession en fonction du risque. Elle peut être effectuée en quote-part, donc une part de la prime est cédée, ou en excédent de plein, ce qui signifie que le surplus du plein de conservation est cédé.

D’autre part, le traité de réassurance peut être articulé en réassurance non-proportionnelle, l’assureur lui cède une partie de la charge des sinistres, soit en excédent de sinistre et le réassureur intervient pour les sinistres dépassant un montant préfixé, soit en excédent de pertes, situation dans laquelle le réassureur intervient lorsque l’ensemble des sinistres annuels dépasse un certain pourcentage des primes encaissées. L’engagement des réassureurs ne peut être illimité et les traités comportent souvent des plafonds de réassurance. Sur les risques induits par le réchauffement climatique, les entreprises de réassurance peuvent se réunir en « syndicate » afin de prendre en garantie un risque majeur si les capacités d’un seul réassureur n’est pas suffisante. La réassurance française, malgré la hausse de la sinistralité des risques catastrophiques sur les années 2005 ( Katrina, Wilma), 2009 ( Klaus), 2010 ( Xynthia, Deepwater Horizon, Eyjafjoll ) et 2011 (Fukushima, Costa Concordia, …) bénéficient de niveaux important de capacités ; les capacités du marché ont pu se reconstituer assez rapidement et sans recours aux capacités de la réassurance alternative ; le marché est largement capacitaire.

La réassurance constitue le dernier rempart de l’assurance traditionnelle, en effet, les risques inhérents aux événements naturels représentent 40% des budgets de réassurance du marché français, loin devant tous les autres risques réassurés. (87) La couverture de ces risques est un sujet majeur de préoccupation. Par exemple, malgré l’absence d’événement désastreux en 2012, les coûts de renouvellements de réassurance en matière de risques « tempête » ont augmenté de 5% par rapport à l’exercice précédent.(88) Depuis une décennie, COVEA(89)a mis en place un traité dédié aux risques climatiques appelé « force de la nature » qui intervient en complément des capacités individuelles par une capacité commune propre aux risques dont la période de retour est à minima de 60 ans. La SGAM mutualise les portefeuilles essentiellement constitués de risques de particuliers, des trois entreprises d’assurance mutuelles qui la composent, afin d’attirer l’appétence des réassureurs pour les risques homogènes.(90)

Les risques majeurs, climatiques ou humains, sont de nature à influer directement sur les fonds propres des compagnies d’assurances. En raison de la mise en place de nouveaux critères comptables de solvabilité au niveau européen(91), la réassurance prend encore plus de sens ; même si les entreprises françaises d’assurances n’ont pas de problèmes de fonds propres avec Sovency II, la gestion des fonds propres et donc du capital devient primordiale et la réassurance se transforme peu à peu, en un outil de management économique et de pilotage du capital. Soumise directement aux risques majeurs, la réassurance a une facette inattendue : les catastrophes impactent directement ses résultats techniques, elle a donc besoin de pourvoir les analyser au mieux. De fait, la réassurance est devenue prescriptrice en matière scientifique et particulièrement active sur les risques climatiques et leurs évolutions. Par conséquent, la réassurance, grâce aux traités de réassurance ne permet pas prévoir l’aléa, mais elle permet toutefois, avec une grande efficacité d’endiguer ses conséquences. La contractualisation est un outil juridique de maîtrise des risques, et notamment des risques financiers pour l’entreprise d’assurance, qui améliore ses résultats techniques et protège ses fonds propres et réserves lors de l’opération de cession. Pour autant, la connaissance des risques, à destination d’un transfert d’assurance ou de réassurance reste le maillon fort de l’opération d’assurance.

73 Elle se rapporte à une convention.
74 En application de l’article L.112-4 du code des assurances.
75 En application du deuxième alinéa de l’article L.113-3 du code des assurances.
76 L.113-2 du code des assurances.
77 Article L.113-2 2°) du code des assurances
78 Souvent dénommés « Capitaux assurés »
79 Obligation de l’article L.113-2 du code des assurances.
80 Selon l’article L113-4 du code des assurances, la prime est une variable d’ajustement du risque.
81 En application de l’article L.113-8 du code des assurances.
82 Morales et physiques en ce qui concerne la RCMS
83 En application de l’article R.331-6 du code des assurances.
84 En vertu de l’article L.113-4 du code des assurances
85 Article L.111-3 du code des assurances.
86 Directive 2005/68/CE et article L.310-1-1 du code des assurances, notamment.
87 La Tribune de l’Assurance Décembre 2012 N°175.
88 La Tribune de l’Assurance Décembre 2012 N°175
89 COVEA regroupe GMF, Maaf, MMA
90 La Tribune de l’Assurance Décembre 2012 N°175
91 Directive Solvency II.

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