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IV. LE CYCLE DE L’OBJECTIVATION-SUBJECTIVATION DANS L’ECRITURE

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1°/ L’universalité et l’intime du langage :

La possibilité de l’écriture passe par la castration et la frustration. En effet, l’enfant doit
accepter d’apprendre, accepter de ne pas savoir faire immédiatement, pour pouvoir écrire. En plus
de cela, le langage implique une soumission à un ordre social commun, incarné par la langue, qui
permet la communication. Dans l’écriture en particulier, l’individu doit respecter un code plus strict
afin d’être compris, incluant les règles de vocabulaire bien sûr mais aussi les règles de syntaxe et de
ponctuation qui donnent le ton du texte. Les symboles ou les signes de la langue ont un caractère
”arbitraire”. Ferdinand De Saussure (cité par DOR, 1992)(1) nous apprend que les mots sont des
associations, sans lien naturel, entre un concept (qui devient le signifié) et une image acoustique ou
l’empreinte psychique du son (qui devient le signifiant). Une fois choisi, le signifiant reste inchangé
ce qui permet le partage d’une langue commune dans une même société, à laquelle l’individu est
assujetti. L’écart entre le signifiant et le signifié induit un laïus dans le langage que chacun s’efforce
d’oublier dans une ”illusion efficace de compréhension” (WINNICOTT, cité par GIMENEZ dans
CHOUVIER et al., 2002) ; l’illusion que nous nous comprenons complètement en tout point lorsque
nous nous exprimons. Jean Guillaumin, qui travaille sur la sublimation, et plus particulièrement sur
l’écriture, distingue dans le langage un pôle universel, parfaitement partagé, d’un pôle intime, qui ne
peut absolument pas être communiqué via les symboles ; entre les deux résidant une tension en
quête de sublimation, en quête de création (GUILLAUMIN dans CHOUVIER et al., 1998). Ce nonsymbolisable
cherchant à prendre forme se rapproche donc de l’incréé tendant à une mise en sens à
la base de l’écriture, que nous avons déjà évoqué. André Green (cité par FRANCOIS, 2009), très
attentif à ses ressentis, qualifie le texte ”d’objet transnarcissique” en ce sens que le lecteur est
touché à la fois dans ce point d’universalité qui fait que l’auteur est un être semblable à lui, et dans
sa singularité dans la signification que lui-même donne aux mots de l’écrivain. Ce point de nouage
entre l’universel et l’intime dans les mots se retrouve donc à la fois chez le lecteur et l’écrivant.

Nous avons pu observer tout au long de l’atelier cette utilisation singulière des mêmes mots
par les différents participants, à la fois dans une mise en sens subjective et dans une acception
objective et commune. Le mot ”Soleil” par exemple est très souvent utilisé. Il est d’abord usité dans
sa naissance à l’aube (”c’est le matin le soleil se lève”, Mme Y, Séance 6 ; ”Un nouveau jour
commence par l’apparution du soleil”, Mme MV, Séance 8) ou dans sa qualité de chauffage (”Il fait
également en été monter la température”, Mme MV, Séance 8). Mais il peut aussi avoir un sens plus
personnel, associé au bonheur ou à la bonne humeur (”Le soleil nous rend de bonne humeur.”, Mme
Y, Séance 13 ; ”il donne également de la Bonne humeur et de la joie de vivre_”, Mme MV, Séance
13), nécessaire à l’image du beau (”Je voudrais créer un tableau où le bonheur se voit à travers de
belles couleurs. Un paysage tranquil au bord de la mer. Le soleil est magnifique, la mer est calme.”,
Mme Y, Séance 13). Mme Zen s’empare de cette symbolisation faite par d’autres dans la chaîne
associative groupale pour l’intégrer dans un sens à la fois commun au groupe et dans un sens
subjectif ; de mieux-être d’abord (”Elle a sentit un rayon de soleil sur son visage.(…) le moral s’était
brillant. (…) Elle etait plus dans l’ombre du passé.”, Séance 12), à la base de la vie (”Lumière du
ciel, eclaircie la terre. Source de energie et la vie”, Séance 13), mais le soleil peut aussi être perçu
comme énigmatique (”Est-ce qu’on connait vraiment du soleil, la nature du soleil du Près ?”,
Séance 8) ou comme mauvais objet frustrant et douloureux (”Quand il chauffe beaucoup on souffre.
Mais quand il n’y pas on le cherche. Il nous manque”, Séance 13).

Le terme ”Éveil” s’inscrit dans le groupe avec une signification commune de sa définition de
sortie du sommeil ou de l’engourdissement. Or, le mot est rattaché pour chacun à un vécu et une
coloration affective différente. Pour Mme Y, l’éveil est associé à un retour de la souffrance (”c’est
l’heure de l’éveil. J’ouvre les yeux et la douleur revient”, Séance 8) alors que Mr X parle du réveil de
ses neurones (Séance 15) grâce à l’atelier dans un renouveau de sa vie psychique.

Le ”Rêve”, intensément vécu par le psychisme, est bien entendu marqué de beaucoup de
subjectivité. Un rêve peut avoir une valeur de restauration narcissique (”son rêve était de devenir
danseuse de ballet”, Mme Zen, Séance 2 ; un bon rêve pour Mme Y serait un rêve où elle
retrouverait une vie normale, Séance 6), ou de satisfaction de la pulsion d’emprise (”le métier de
médecin, qui lui permettait de sauver des vies. C’était son rêve”, Mr DT, Séance 4 ; un bon rêve
pour Mme Zen est un rêve où l’on rencontre un obstacle que l’on parvient à surmonter, Séance 6).
Un rêve peut aussi donner de l’espoir (”Je l’ai ecouté conté des histoires qui font rever. Une société
nouvelle ou l’argent aurai disparu ou l’abondance regnerait plus de misére ni de famine”, Mme OR,
Séance 15 ; ”Je voudrais pas crever avant d’avoir (…) un sommeil paisible et douces pleins de
rêves d’espoir et des comptes de fées”, Mme Zen, Séance 7) ou un idéal à atteindre (”La vie n’est
Pas formidable. Elle ne reflecte pas mon rêve”, Mme Zen, Séance 10). Mais il peut être compris
dans sa caractéristique transitoire ou non réelle (”c’est la joie le bonheur – Mais peut-être n’est-ce
qu’un rêve ? – Dans mon sommeil voici mon rêve – Mais le réveil a sonné”, Mme Y, Séance 8).

La séance 13 est intéressante sur ce point car les membres du groupe ont justement pris
conscience des deux pôles universel et intime des mots. Mme Zen parle ”d’histoire différente”
attachée au mots pour chacun et Mme Y de ”signification différente” témoignant ainsi du pôle
intime qui colore les mots communs de la langue. Mme MV relève que, malgré tout, les mots
permettent de communiquer, marquant ainsi le pôle universel et la définition commune des mots qui
nous permettent quand même de pouvoir échanger. Il est alors question du manque du mot quand
l’affect est trop fort, dans le sens où il n’y aurait ”pas assez de mots pour définir ce que l’on ressent
parfois” (Mme Y). Cela est observable sur les termes mais aussi sur les textes en général dans ce
qu’ils avaient toujours de commun et de singulier face à un même inducteur. Nous notons par
exemple les propos de Mme Zen à la séance 8, suite aux réflexions de Mme MV et de Mme Y à
propos de ce qu’elles ont compris de son texte. Après avoir accepté le semblable, elle insiste sur
l’identité propre de chacun et de la signature (trace écrite de soi) que l’on peut reproduire
contrairement à l’empreinte digitale qui est unique. L’inscription dans un groupe social donné se fait
via la signature et l’acceptation du pacte autour de l’illusion de compréhension dans le langage ;
mais grâce à la mise en sens de ses vécus affectifs et corporels à la base de la création, l’individu
peut affirmer sa place de sujet unique et distinct de la masse symbiotique groupale.

2°/ Distanciation et séparation :

– De l’impossible séparation de Mr X

Dès la séance 2, alors que nous demandons aux écrivants d’incarner des personnages créés
dans un dialogue, Mr X ne peut se laisser imaginer. Il insère sa maladie, le CMP, et son passé
sportif. Allain Glykos nous apprend que la première mise à distance induite par le fait même d’écrire
ne devient un réel décollement que lorsque l’on peut passer de ”l’affliction à la fiction” (GLYKOS,
2009) ce qui n’est pas le cas de Mr X. De la même manière, à la séance 5, Mr X ne peut se décoller
de son propre ressenti face aux peintures présentées qui semblent réveiller un vécu mortifère (”Je
vois une statue en forme de squelette.”). Depuis le début, et à cette séance plus particulièrement
(parce que je n’ai moi-même pas réussis à me décoller), Mr X est dans une relation symbiotique
avec moi, ne s’adressant qu’à ma personne sans se tourner vers le groupe qu’il ne semble pas
percevoir.

La relation duelle mère-bébé du début de la vie est nécessaire à la survie psychique de
l’enfant mais l’autonomie psychomotrice lui permet de s’éloigner de la mère et de commencer à
exister à la fois séparé et en lien avec elle. Or, pour pouvoir enclencher le processus d’individuation,
le sujet doit avoir introjecté les objets leur conférant ainsi un état de permanence. Pour Mr X, la
dépendance à sa famille l’a longtemps empêché d’intégrer une quelconque activité sociale extérieure
et la dépendance envers moi et mon étayage réel dans l’atelier l’empêche de se tourner vers les
autres.

La seule solution qui semble s’offrir à lui est le déchirement brutal de la membrane qui
enveloppe la relation fusionnelle en s’absentant de plusieurs séances, instaurant ainsi une séparation
physique réelle. Cette absence et ma propre prise de conscience ont été positives dans son
positionnement ultérieur dans le groupe et face à l’écriture. S’ensuivra moins de lenteur
psychomotrice et une affirmation de son style et de ses intérêts propres en ne collant pas forcément
à ce que nous demandons. A son retour dans le groupe de la séance 9, nous voyons apparaître le
premier ”je” non-attaché à une quelconque angoisse. A la séance 10, il prend lui-même la parole en
instituant le premier âge du scriptoclip donc l’indication sur laquelle tout le groupe va ensuite
écrire ; il donne aussi son avis quant au sens de la vie (qui reste quand même teintée de clivage avec
le karma positif et négatif). L’expérience d’une écriture plus sereine avec des animatrices moins
envahissantes dans son espace psychique lui a permis de mettre en place un espace intermédiaire,
dans lequel il peut inclure un peu d’altérité et dans lequel il peut expérimenter (il est initiateur du
mouvement d’exploration des supports d’écriture à la séance 11) ; d’où l’importance de repérer
qu’une relation indifférenciée peut être maintenue par les soignants.

Malgré tout, nous continuons à observer sa difficulté de séparation psychique. A la séance 9,
après avoir créé des paysages communs, nous demandons au groupe de proposer un nom pour le
lieu ainsi fini. Mr X ne nomme que des petits éléments dans le dessin ; quand je le lui fais
remarquer, il ne nommera plus rien. Le fait de nommer un objet total (ici, le lieu dans une
unification de tous les éléments morcelés) signe la réparation de l’objet accomplie avec une
acceptation de la réalité et de la vie différenciée de l’objet comme séparée de celle du sujet
(SEGAL, 1969/2011). Ceci semble impossible pour Mr X qui ne peut que cliver les objets
conservant ainsi son omnipotence infantile. De même, le rapport avec l’objet-texte ne peut être pour
lui que projectif. Après son retour dans l’atelier à cette séance 9, Mr X ne lira plus ses textes, les
conservant ainsi pour lui-même. Nous pouvons supposer que ce mécanisme ressemble à celui
d’écrivains qui ne supportent pas de se séparer de leurs écrits en les soumettant à la publication.
Dans ces cas-là, nous dit Didier Anzieu (ANZIEU, 1981), l’individu est soumis à l’identification
projective avec son oeuvre. Le texte peut être considéré comme un bon ou un mauvais objet ; s’il est
le bon objet, l’écrivain peut désirer conserver son omnipotence et la jouissance exclusive de son
oeuvre ou craindre qu’elle soit jalousement dévorée ; et s’il est le mauvais objet, l’auteur ne peut
supporter de laisser voir les parties mauvaises de lui-même au-dehors par crainte d’être ensuite luimême
attaqué. Il nous paraît que Mr X souhaite, en refusant toute lecture, conserver pour lui-même
le bon objet par crainte de la dévoration de son écrit et par conséquent de lui-même.

Il est intéressant de noter à nouveau que Mr X a pu évoluer au cours de l’atelier dans le
groupe et dans la place qu’il y a prise, de plus en plus affirmée et subjectivée. A la séance 11, il
évoque son sentiment nouveau de liberté qui nous fait personnellement associer sur une séparation
possible. Ceci paraît confirmé par sa vision qu’il qualifie de ”moins floue”. Autrement dit, il sort de
l’indifférenciation ce qui lui garantit de meilleurs repères. Il écrit sans aide de notre part comme s’il
avait pu intégrer un peu de l’étayage que nous lui avons fourni, tout en se permettant de verbaliser
(ce qui est nouveau aussi) sa détresse et une demande d’aide envers nous à la séance 12.

L’intégration du bon objet constitue une ”balise externe d’orientation” vers lequel le sujet peut
retourner si nécessaire (ABADIER-ROSIER, 2009)(2). Le thème de la dévoration qu’il retrouve dans
le mythe de Cronos semble néanmoins le désorganiser mais ce qui est intéressant, c’est qu’il ressent
le désir de communiquer son malaise à un autre différencié en nous le verbalisant. Il nous explique
que ”l’intérieur, les dieux”, l’empêchent de réfléchir et que quand j’arrête de parler, il oublie ce qu’il
pense, marquant ici, quand même, sa fragilité face à la fusion orale. Dans la discussion postécriture,
Mr X comprend la jalousie et la haine en fonction du karma positif et négatif des autres
personnes qu’il incarne (”c’est tous les humains en nous”) et que l’on ne peut pas voir de l’extérieur.
Mr X semble alors nous dire que malgré sa difficulté de réparation, de réunification de l’objet, il
peut conserver et contenir en lui ses contenus psychiques bons et mauvais avec une assurance de ses
enveloppes psychiques.

A la séance 14, alors qu’il est explicitement question de séparation, Mr X nous explique que
quand on aime quelqu’un, il est impossible de s’en séparer et que la seule séparation est celle de la
mort, quand on va à la guerre. Nous comprenons ce discours comme une possibilité de séparation
avec le mauvais objet attaqué par les pulsions agressives mais pas de séparation possible avec le
bon objet, qui n’est pas encore suffisamment introjecté, pour cause du manque induit par le clivage
de l’objet. La dernière séance illustre bien cette impossible séparation de Mr X. Alors que nous
offrons aux écrivants la photocopie de tous leurs textes, il a du mal à les relire. La projection de
l’écriture, si on en reste à ce niveau, implique que le sujet vive l’objet de projection comme
consciemment indépendant de lui-même (ALI, 1970) ; or, se faire lecteur de soi-même suppose une
réappropriation, ou du moins une reconnaissance, des mouvements internes déchargés auparavant.

Jean Broustra nous dit que les patients psychotiques ont de grandes difficultés à symboliser et que la
création, impliquant une séparation psychique entre le sujet et son texte, n’est pas présente chez eux.

Ce qui persiste en revanche, c’est un ”prolongement métonymique” avec un déni de la perte qui
maintient magiquement l’unicité à l’identique de l’écrivant et de sa création (BROUSTRA, 2000).

Mr X, qui écrit toujours au crayon à papier car cela peut s’effacer est dans ce fonctionnement
métonymique, ne supportant pas de vivre ses écrits concrètement séparé de lui.

– Mise à distance et réappropriation subjective de Mr DT

Mr DT a, tout au long de l’atelier, une difficulté à se lancer dans l’écriture. Il a besoin d’un
étayage de la part des animatrices pour accepter de se séparer d’une partie de lui sur la feuille
comme s’il voulait être assuré d’avoir une mémoire et un contenant concret suffisamment présents et
fiables pour recevoir ses contenus psychiques. Le premier texte de Mr DT est intéressant en ce sens
qu’il met en scène une part de son histoire (raison pour laquelle il était aussi enthousiaste de
participer à cet atelier d’écriture) mais qu’il n’assume que dans l’après-coup dans la discussion.

Tout commença au printemps 2008, le jeune étudiant guinéen, pays situé à l’Ouest de
l’Afrique, d’une superficie de 245 000 km et d’une population de 10 000 000 d’habitants,
tomba malade dans un pays qui lui et inconnu dans tous les plans, mais grâce à son
entourage et aux soins des médecins il a pu vaincre la maladie, mais hélas il est difficile
de vaincre si facilement une maladie incurable, le jeune Guinéen rechuta trois ans après,
à peu-près à la même période. Etant conscient de sa maladie incurable, il se fixe un
objectif, de ne jamais arrêter le traitement tant qu’il vit, il as peur de devenir un fardot
pour la société.

Mr DT a réécrit ce texte en deux fois satisfaisant ainsi sa pulsion d’emprise sur l’objet-texte en
opposition à l’impuissance qu’il semble ressentir face à sa maladie. Dans cette production, Mr DT
nous donne réellement à voir ce que Donald W. Winnicott appelle ”l’espace transitionnel”
(WINNICOTT, 1971)(3). Cet espace est un espace intermédiaire, entre le dedans et le dehors, entre
soi et l’autre, qui permet d’expérimenter son imaginaire à travers diverses activités créatrices. Dans
cet espace, le sujet est en présence d’objets ”trouvés-créés”. Mr DT projette ici dans l’espace
transitionnel de la feuille, l’objet trouvé-créé qu’est son histoire. Celle-ci est déjà là mais il en
devient le créateur par l’utilisation, non pas d’un style autobiographique à la première personne,
mais celui d’un narrateur omniscient qui écrit l’histoire du ”jeune étudiant guinéén” qu’il est luimême.

La première mise à distance effectuée ici par Mr DT vient répondre à son désir de redevenir
acteur et créateur de son histoire. Le texte produit à la séance 3 témoigne aussi de ce remodelage
singulier d’un objet déjà-là, amené par les animatrices. L’objet trouvé-créé des ”jumelles” dans un
contexte de guerre mondiale contient l’angoisse interne là où l’espace psychique personnel ne suffit
pas. La sublimation de l’agressivité ne semble possible pour lui que dans cet espace partagé entre
”l’objectivement perçu et le subjectivement conçu” (SOREANU, 2011) et c’est ce qu’il nous
confirme à l’entretien final en disant que ”le groupe donne plus d’imagination”.

Le sentiment d’identité est dépendant de l’autre nous dit Freud (cité par BERRY, 1987)(4) car
le Moi n’a de représentations de lui-même que par l’intermédiaire du regard de l’autre, faute de quoi
il serait fasciné par sa propre image le poussant à sa destruction (cf histoire de Narcisse). L’autre est
présent dans l’espace intermédiaire et module la création du sujet. L’autre lui confère à Mr DT une
réelle protection contre la maladie (”un bon entourage qui l’aidait dans toutes ses difficultés”,
Séance 4) ce qui le place dans une dépendance rassurante. Or, le bon objet ne semble pas
suffisamment introjecté car toujours menacé de disparition (”c’est pour cela sa femme est ses
enfants le quittèrent”, Séance 4) et donc toujours recherché dans la réalité dans sa fonction de
protection et de détoxification. A la séance 4, il projette des éléments angoissants qu’il ne parvient
pas lui-même à élaborer, en attente d’une détoxification de la part de l’écrivant qui passera après lui
dans le jeu des cadavres exquis en feuilles tournantes :

Il ne veut pas (Mme O-R) fournir d’effort dans sa vie, c’est pour cela sa femme est ses
enfants le quittèrent. Mais heureusement…
ou Quel gachis de (Mme O-R) perdre son temps dans ce domaine. Mais heureusement…

Jean-Marc Talpin, qui étudie le processus créateur des auteurs littéraires, repère que certains
écrivains, pour lesquels la médiation interne échoue, projettent sur le public réel leurs objets clivés
afin de s’en débarrasser ; c’est alors au lecteur de les métaboliser à la place de l’auteur (TALPIN,
dans CHOUVIER et al., 2003). De la même manière, l’écriture graphiquement illisible de Mr DT
donne à voir son attente d’une fin de symbolisation de ses contenus psychiques de la part de l’autre,
marquant ainsi une dépendance de l’ordre d’un échec du processus d’individuation (Du PASQUIER,
dans MARCILHACY et al., 2011). Observons ces divers éléments :

Séance 2 : Mr DT donne comme caractéristiques du personnage Ange Gardien le métier de
médecin et l’aspect sportif
Séance 4 : Il était une fois un homme vivant sur une île déserte, il s’ennuyait trop de vivre
sans compagnie, mais comme il était en formation militaire, c’était une obligation pour lui
de rester sur cette île durant tout l’été, c’est à dire de toute la durée de la formation, sa
maman lui disait à chaque fois qu’il ne veut pas fournir d’efforts dans sa vie. Comment
explique t’on cela ? Ça ne s’explique pas parce qu’il est fainéant. Malheureusement, il ne
sait pas quoi faire dans sa vie, il est difficile pour lui de se décider.
Séance 6 : Je cherche à trouver une occupation dans ma vie
Séance 9 : Chaque été le sportif part en vacances au village à la campagne, histoire de
s’éloigner de la ville pour respirer un peu d’air pur et de bien s’amuser avec les amis en
jouant au tennis, en faisant de balancoire, tout ça c’est pour oublier un peu la ville.
Séance 10 : Je viens d’entrer à l’université et j’ai passé mon permis, je vivais dans la
maison de mes parents, j’envisageais de faire la médecine pour être pédiatre parce que
j’aime les enfants, chaque vacances on partait à la campagne chez ma grand mère. elle
nous faisait à manger de bons plats traditionnels qu’on ne trouve pas en ville. et on partait
à la forêt avec mes cousins pour cueillir des fruits sauvages

Mr DT nous dit qu’à 18 ans il pouvait rêver d’être un grand informaticien ou un grand médecin. Le
texte de la séance 4 semble reprendre un pan de son histoire actuelle car il a effectivement émigré
de son pays d’origine pour effectuer une formation en France, loin de sa famille proche. A cette
séance, Mr DT n’assume pas ce mouvement comme lui étant propre, adoptant la même mise à
distance que dans son premier texte ; or, à la séance suivante, il peut se réapproprier, pour lui-même
ce qu’il avait simplement projeté à la séance précédente quant à son indécision sur l’avenir. De la
même manière, le texte de la séance 9 et les caractéristiques données au personnage de la séance 2
marquent une projection sur les personnages qui deviennent des analogons indépendants du sujet.

En revanche, à la séance 10, Mr DT reprend à son compte, dans ses propres souvenirs son désir de
devenir médecin et ses vacances à la campagne qui l’aident à sortir de son stress nous explique t-il à
l’oral. Mr DT a donc besoin de passer par une projection de l’ordre de la décharge psychique ou de
la mise en sens distanciée afin de se réapproprier ses propres mouvements internes en son nom
propre. On peut alors penser au jeu, en particulier au jeu de la bobine qui, en passant par la
séparation maitrisée de l’objet suivie de retrouvailles, permet de symboliser et maîtriser l’incréé
(MIMMERSHEIM, 2009). Ce passage par l’espace transitionnel concret qu’est la feuille de papier
permet à Mr DT de délimiter son espace psychique propre en terme de dedans/dehors et de
moi/non-moi constitutifs du développement d’une image du corps contenante et unifiée à la base du
sentiment d’identité et de l’accès au ”Je”.

3°/ L’adresse et la communication :

”L’écriture prend sa source dans un acte de volonté, un désir de communiquer” nous dit
Céline Masson (MASSON, 2005). Nous avons tendance à considérer l’écriture comme un acte
intime et solitaire. En effet, le temps d’écriture est souvent silencieux, chacun concentré sur sa
feuille et son monde interne. En revanche, les écrivants savent que leurs écrits seront entendus par
le groupe ou par les animatrices après la séance. Le regard social a toujours une influence sur ce que
le sujet va choisir de laisser en trace visible ou non.

Pour se rendre compte de cela, il n’y a qu’à considérer le peu de personnes (seulement Mme
O-R et Mme Zen) qui ont lu leur texte à la séance 10 quand il s’agissait d’écrire sur soi. Mr DT
aborde son désir de ne pas parler de soi-même à un autre. Pour Mme MV, c’est la peur d’être mal
comprise, de ne pas trouver les bons mots. Habituellement, Mme MV lit ses textes, même s’ils sont
peu liés ou mal construits syntaxiquement. En revanche, quand il s’agit de sa vie, Mme MV est dans
”l’insécurité scripturale” (DABENE, 1987)(5). L’écriture, de par la distance entre le temps de
l’expression et le temps de la réception du message, absente l’autre ; mais la présence réelle du
groupe peut permettre à l’écrivant de mieux clarifier ou justifier certains de ses mots. En revanche,
quand il s’agit de laisser une trace durable de son existence, une forte inhibition peut apparaître.

Cette inhibition est prégnante dans le premier texte autobiographique de Mme O-R :

7 ans
Alger encore nouvelle maison pas encore de lits superposés le début de la fin
25 ans
Grenoble vers Franconville fiesta rouge _ Cuisery village du livre festin de SF et
Fantasy
18 ans
De Alger vers sainty sur seine premiere biére c’est pas bon la Heineken Maison de
Belgique à la cité universitaire internationale festin de biere (de pays et de moines)
Gouté le Ratafia de Mans.
80 ans
Erreur systeme … a 80 ans on est vieux et ridés et parfois heureux.
4 ans
Cotonou il fait chaud les fruits sont bons Benoit est mon ami. je joue dans le jardin

Elle nous expliquera durant l’entretien final que cette séance a été compliquée pour elle parce qu’elle
ne parvenait pas à choisir des souvenirs à la fois marquants et peu chargés affectivement à partager.

Pour Mme Y, c’est son propre regard sur son texte autobiographique qui est dérangeant.
L’écriture porterait donc l’altérité de l’autre social et de l’autre en soi. C’est d’ailleurs ce que
les écrivants ont immédiatement repéré dès la séance 2. Mme MV, Mme Zen et Mr DT insistent sur
le fait qu’écrire permet d’exprimer ce qui ne peut pas se dire à l’oral, Mr X que cela ”ouvre les
yeux” ; je leur propose l’idée que l’écriture peut permettre de s’ouvrir aux autres et à soi-même, ce
qu’ils acceptent. Mr X ajoute que l’écriture en solitaire n’est pas bénéfique mais que l’écriture en
groupe permet de communiquer. En effet, la présence réelle de l’autre vient pallier à la défaillance
de l’introjection de l’objet car la folie peut advenir quand l’on ne trouve pas d’interlocuteur (DURAS,
citée par BERTHAUD, 2010). Dans tous les cas, l’écriture doit toujours s’inscrire dans une adresse :
”je crois que l’épanchement solitaire, écrit ou non, est à peu près stérile et sert avant tout à se
soulager ou, pire, à entretenir de vieilles douleurs, voire à les envenimer. On tourne en rond, on se
ment, on s’arrange si bien avec soi-même” ; c’est la présence de lecteurs et/ou d’auditeurs qui
poussent à ”la dignité” (DUPEREY, citée par TREKKER, 2008).

– L’adresse à l’autre réel

Quand les écrivants lisent leurs textes au groupe, ils regardent souvent les animatrices,
comme en attente d’une légitimation ou d’une acceptation de notre part. Contrairement à ce que l’on
pourrait croire, l’écrivain littéraire a toujours un auditeur privilégié qui va entendre l’oeuvre et en
garantir la validité. Sans ce regard de l’autre, l’oeuvre est vouée à la destruction et à la dépréciation
ou bien à une jouissance autoérotique mégalomaniaque (ANZIEU, 1981). Par ses réactions
spontanées, l’auditeur va reconnaître les contenus psychiques de l’auteur comme partagés, ce qui
leur confère une validité objective. Cela se rapproche de l’apaisement de beaucoup de patients
quand ils rencontrent d’autres personnes souffrant des mêmes difficultés ; ils sont alors rassurés de
ne pas être fous, de ne pas être seuls et donc, d’être malgré tout inclus dans la société humaine.

Dans l’atelier, l’auditeur privilégié peut être le groupe dans sa totalité ou bien seulement les
animatrices. Faire partager son texte est un acte de communication en ce sens qu’il est une
projection de son monde interne et que sa lecture permet de le donner à voir. Mme MV écrit dès la
séance 2 :

Je trouve l’exercice de dialoguer avec l’autre personne, d’échanger des idées, de sa façon
de voir les choses, d’apprendre à connaître l’autre_ (…) de vivre des instants privilegiés
avec l’autre, de partager des sentiments _d’avoir de l’espoir _

A l’entretien final, elle insistera sur le fait qu’elle a appris à connaître les autres membres du groupe
à travers leurs textes au fil des séances. Elle regrette que certains patients intéressants et
enrichissants ne soient pas venus plus souvent car elle aurait aimé en apprendre davantage sur eux
et elle regrette que le groupe n’ait pas été plus stable car elle n’a pas osé aborder sa plus grande
difficulté qu’est sa relation avec ses enfants ; d’où l’intérêt d’un objet suffisamment stable et
contenant en réception de l’écriture. De plus, Mme MV nous dira qu’elle tenait à ce que ”les autres
entendent” ses textes même s’ils n’étaient pas parfaits. Nous entendons ici un désir d’être respectée
et reconnue à la fois dans sa subjectivité et son objectivité (représentations et affects partagés).

Nicole Berry nous montre que la pensée, bien qu’elle suppléé à la fonction protectrice de la mère, ne
suffit pas à assurer un sentiment d’être (BERRY, 1987). La liaison affect-représentation que permet
la pensée ne devient opérante que si elle est verbalisée, donc entendue et soutenue par un autre.
L’accès au ”Je” passe bien par le stade du miroir ; autrement dit, par la reconnaissance dans le miroir
ou dans le regard de la mère de ce qui est identique et de ce qui est différent par rapport à un autre
(à savoir l’identité propre qui est spécifiée par le nom donné par les parents).

Mme O-R pratiquait l’écriture par ailleurs, de manière personnelle. Elle ressent le désir de
partager avec le groupe certains de ces écrits : ”L’atelier m’a permis de retrouver le plaisir de
l’écriture. Petits exemple de cela.” (Séance 4), soulignant ainsi la nécessité d’un ”retour” et d’un
”public” (Entretien final). En sachant qu’un autre peut lire, Mme O-R pense se limiter quant au
vocabulaire, au thème et à la quantité de ses textes en vue de pouvoir toucher l’auditeur dans ce qui
est objectivement partageable ; mais pour pouvoir ”prendre du plaisir”, elle est aussi resté ellemême,
au plus près de sa subjectivité.

Les textes peuvent également être adressés aux animatrices, en dehors du groupe en
quelques sortes. C’est le cas des textes qui ne sont pas lus à haute voix mais qui trouvent malgré tout
une écoute de notre part ou bien ceux que les écrivants corrigent en vue d’une lecture plus agréable
ou plus compréhensible. Certains écrits nous sont aussi adressés directement. C’est le cas des
indications suivantes dans le texte de Mme O-R à la séance 1 : ”Ce que j’accepte de lire ou laisser
lire : (…) Mais j’ai fais un effort !”. C’est aussi le cas de certains textes de Mme Y et en particulier
celui de la séance 7 :

Je voudrais me réveiller chaque matin
et me dire c’est une belle journée
ne plus penser à ce qui m’est arrivé
être de bonne humeur et être sûr de moi
retrouver mes occupations d’avant
ne plus rester sans rien faire
prendre un livre et me laisser emmener
par l’histoire
regarder la télévision et m’intéresser
au film ou au reportage que je regarde

Écrit que nous entendons comme une demande suppliante envers nous, soignants, qui ne parvenons
pas à la guérir. Durant l’entretien final téléphonique (Mme Y n’est pas venue aux deux dernières
séances, ni aux deux rendez-vous finaux que nous lui avons fixés), Mme Y nous explique que
l’atelier n’a pas répondu à ses attentes parce qu’elle n’a pas retrouvé confiance en elle-même. Le fait
qu’elle puisse exprimer son agressivité envers nous n’est pas négatif. En effet, l’atelier n’ayant duré
que trois mois, il est important d’accepter la réalité de ses limites thérapeutiques. Mme Y, si souvent
dans la complaisance avec une grande difficulté à exprimer sa colère, peut enfin affirmer son
identité de sujet individué.

– L’adresse à l’autre en soi

Comme nous l’avons indiqué, le Moi n’a de représentations de lui-même que par
l’intermédiaire du regard de l’autre que le sujet intègre. Le Moi est aussi enrichi des différents objets
introjectés et objets d’identification. Dans son ensemble, l’appareil psychique est constitué de
diverses instances qui peuvent se personnifier comme lectrices de ce qui est écrit. Quand il n’y a pas
d’adresse directe vers un autre externe et réel, l’écriture a toujours un destinataire.

A la séance 4, Mme O-R nous fait partager ce texte qu’elle a produit par ailleurs à propos de
l’écriture :

Des Quatrains et des Tercets j’aimerai faire
En alexandrins je voudrai ecrire mes vers
Pour faire des rimes riches, avoir le vocabulaire
Car mes pauvres rimes me désespèrent
Mais l’ecriture est un vrai plaisir
Et les règles imposées, je refuse de subir
J’accepte donc, avec joie, l’imperfection
De ma naturelle capacité d’expression
Au diable donc les modèles classique
Quand ma pauvre ecriture me rend malgré tout extatique

Mme O-R met en scène ici un destinataire sumoïque avec des règles rigides. Plus exactement, elle
semble s’adresser à un idéal qu’elle tente d’atteindre sans y parvenir et dont elle finit par s’affranchir.

Michel de M’Uzan théorise ce qu’il appelle le ”public intérieur”, une instance idéale interne que l’on
tenterait, en écrivant, de convaincre de notre propre valeur ; instance qui conserverait un aspect
dépréciatif susceptible d’entraver le processus créateur (M’UZAN, 1965)(6). Mme O-R écrirait donc à
cet idéal dépréciateur qu’elle aimerait pouvoir satisfaire mais finit par s’en détacher dans une
affirmation subjective. On pourrait envisager ce mouvement, dans une perspective kleinienne,
comme celui d’un deuil de soi ; autrement dit, une unification des parties bonnes et mauvaises de soi
dans une acceptation de ces deux versants comme constitutifs de notre personnalité.

Mme MV a tendance, dans ses textes libres, à produire une sorte de compte-rendu ou de
résumé de ce qui a été fait en début de séance. Nous donnerons comme illustration représentative,
ce texte de la séance 11 :

on a écrit des mots sur plusieurs objets différents, de différentes matières _
chaque objets a une fonction différentes dans le quotidien et d’autres dans les loisirs _
Avec des livre pour choisirs des mots à écrire dessus après de detailler les sensations que
l’on a ressentie _

Nous pouvons imaginer que Mme MV écrirait pour se constituer à elle-même une mémoire. Nous
avons déjà repéré qu’elle pouvait, en cas de désorganisation psychique, être dans une confusion
spatio-temporelle importante. Écrire ce qu’elle a fait et ce qu’elle a ressentit lui permettrait alors d’en
laisser une trace durable qu’elle peut intérioriser. Elle écrirait alors à elle-même, sur les lignes
blanches de sa mémoire, se tissant une existence subjective et personnelle dont elle peut disposer
selon sa propre volonté.

Il est intéressant de repérer que le style d’écriture de chaque écrivant peut être radicalement
différent selon le destinataire plus ou moins conscientisé du message. Par exemple, les deux lettres
de Mr DT à la séance 14 :

Lettre 1 (Mr DT à ses parents) : Cher papa, Maman, durant ces 18 ans vous vous êtes bien
occupés de moi, il est temps pour moi de me séparer de vous pour aller à l’université, je
tiens à vous remercier de l’éducation que vous m’avez donné. Je dois partir en France
pour étudier mais chaque vacance j’y passerai pour vous voir, je profite de cette occasion
pour dire aurevoir à toute la famille et je vous remercie de toute l’aide que vous m’avez
apportée
Lettre 2 (père à sa fille) : Merci ma chère je suis très content de te voir ainsi, j’espère que
mon éducation te servira de leçon dans ta nouvelle vie, en tout cas la maison est tout le
temps ouverte pour toi, je te souhaite tout le bonheur du monde, un bon boulot, un mari qui
t’aime.

L’impression générale qui ressort de ces deux lettres (à propos du même thème de séparation
parents-enfants) est bien sûr très proche avec un don de la part du parent qui aide à grandir et à
vivre sa propre vie. Cependant, nous pouvons noter le style plus autoritaire de la seconde lettre avec
cette expression ”mon éducation te servira de leçon”. Mr DT fait ici appel à l’objet parental
introjecté afin de le faire parler, peut-être à l’enfant qu’il est lui-même. Selon la personne à qui l’on
s’adresse, le style de l’écriture va donc changer. Cela est particulièrement visible dans l’écriture de
Mme Zen qui prend différentes formes en fonction des séances. Dans la plupart de ses textes, Mme
Zen semble s’adresser à un être supérieur qui aurait toutes les réponses à ses questions, personnifié
par Dieu.

Séance 3 : Variété ? enigme? Les objets il faut que ils servent à quelquechose
absolument ?
Les hommes ? c’est le cas aussi ? Est-ce toujours Possible ?!
Séance 6 : Comment faire Dieu aide moi. Montre moi le bon chemin
Séance 7 : Enfin comment vivre ?! et encore comment vivre en paix ?
comment accepter et comment assumer ?
et surtout _
comment avancer ?!

Mme Zen s’adresse à une imago paternelle rassurante dans un désir de communication
particulièrement prégnant (voir la ponctuation). Mais cette imago peut aussi être punitive, nous
l’avons vu, car Mme Zen s’empresse de toujours la remercier dans un mouvement de formation
réactionnelle. Dans d’autres textes, davantages sublimés et symbolisés comme ceux des séances 9 et
12 (à lire dans leur intégralité dans l’Annexe 9), ne comportent aucune question. Nous supposons
que dans les cas où Mme Zen parvient à sublimer ses textes, elle n’a plus besoin d’un autre réel ou
d’un autre interne personnifié à qui s’adresser. En revanche, dans sa manière plus compréhensible et
esthétique d’écrire, Mme Zen s’inscrit et s’adresse à la communauté sociale dans sa globalité. C’est
en renouant avec soi-même et ses mouvements internes que le sujet peut renouer avec l’humanité
toute entière, dans ce qu’il est de plus universel et de plus subjectif (SIGNOL, 1996).

L’écriture absente l’autre bien sûr, mais en ce qu’elle est portée par un désir de
communication avec un objet spécifique réel, un objet interne, ou encore avec une part ou la totalité
de son être, elle peut retisser le lien perdu ou inexistant entre l’universel et l’intime de soi et de
l’autre. ”L’écriture n’enclencherait de véritable procès de subjectivation qu’à partir du moment où
elle rencontre quelqu’un” (CADOUX, 1999).

4°/ Le mouvement objectivation-subjectivation :

L’entreprise créatrice, et en particulier l’entreprise littéraire, entraîne une grande solitude. En
effet, c’est un acte que l’on ne peut faire que soi-même. Malgré tout, pour supporter cette solitude,
l’individu a besoin de rencontrer un environnement humain suffisamment étayant et sécurisant dans
lequel il peut se permettre de faire ses propres expériences réelles, imaginaires mais aussi
symboliques avec la part importante du code dans l’écriture. Mme MV nous dit qu’elle est venue à
l’atelier en toute ”sérénité” et ”confiance” car elle a toujours été acceptée à la fois dans ce qu’elle
avait de commun avec le groupe et dans ses idées différentes. Même quand ses textes étaient mal
construits, elle pouvait les lire et les partager, dans le respect, avec un autre et même plus d’un autre.

L’expérimentation lui a permis d’évoluer dans son écriture et au fil du temps, nous avons pu
entendre des textes de sa part de plus en plus élaborés. L’écriture solitaire et individuelle nécessite
d’avoir acquis la ”capacité d’être seul” en présence de l’autre (WINNICOTT, 1958/1969)(7). Pouvoir
être seul en présence d’un autre ne correspond pas à la solitude régressive du repli sur soi autistique,
mais au contraire à un état mature du développement de l’individu. Être effectivement seul, sans
angoisse, nécessite d’avoir fait l’expérience positive de l’autre sur lequel l’on peut s’étayer et que l’on
peut se représenter (autrement dit, l’objet à été introjecté). Être seul en présence de l’autre fait aussi
référence, à l’âge adulte, à la capacité d’être centré sur son monde interne et ses propres sensations
en présence d’autres personnes. Dans l’atelier, le temps d’écriture individuelle s’appuie sur cette
capacité du sujet à se recentrer sur son monde interne pour créer son propre texte, malgré la
présence des autres membres du groupe. De plus, l’atelier, de par la présence réelle de l’autre étayant
et l’expérience positive du groupe dans la phase initiale, peut permettre au sujet de développer ou
d’enrichir cette capacité à être seul ; d’où l’importance d’avoir ces deux phases, commune et
individuelle.

La phase initiale commune est primordiale dans un atelier thérapeutique avec des patients
psychiatriques dont le fonctionnement psychique rencontre de plus grandes butées. L’écriture
collective, ou à partir d’un élément commun, créé un récit groupal sur lequel le sujet peut s’appuyer.
Nous l’avons vu, chacun peut décharger ses propres mouvements informes dans le groupe mais
aussi donner ses signifiants qui peuvent enrichir la réalité d’un autre écrivant. Pour ces patients qui
ne peuvent pas rencontrer l’autre sans se confondre dans la relation ou sans s’y opposer, la phase
collective permet de restaurer l’espace transitionnel créatif entre soi et l’autre. L’individu peut
utiliser un objet déjà-là, construit par le groupe dans cette première phase (ou bien présent dans
l’histoire du groupe, incarnée par les listes à disposition), pour créer son propre objet. C’est ce que
nous observons dans le texte de Mr DT à la séance 6.

Éléments de la première phase d’écriture musicale en groupe utilisés dans le texte
individuel de Mr DT :

C’est un jour de chance (Mr DT, Feuille 6)
c’est le matin le soleil se lève (Mme Y, Feuille 7)
J’aime bien la musique (Mr DT, Feuille 3)
un enfant qui joue au ballon dans la cour de sa maison (Mme Y, Feuille 5)
J’aime bien danser cette musique pour me libérer de mon stress (Mr DT, Feuille 4)
Tout ira bien, croire, avoir la foi. Tiens bon le coup. Pourquoi la violence? L’agressivité ?
que la paix vienne ! (Mme Zen, Feuille 5)
Texte individuel : Aujourd’hui est le jour de chance tant attendu, il y a le soleil et de la
bonne musique, je suis heureux Comme un enfant qui joue au ballon dans la cour de sa
maison. J’essaye tout pour éviter le stress, tout ira bien, croire, à voir la foi, seul la foi et
le courage sauve dans ce monde de brutes. Pourquoi la violence ? L’agressivité ? que la
paix revienne, comme quand on était des gosses et qu’on jouait au ballon dans la cour

Mr DT a rapiécé, comme recousu entre eux, des éléments épars et sans lien de la première phase. Il
a construit à partir de fils déjà-là, un objet total remâché et subjectivé.

De manière plus générale, l’écriture repose sur un mouvement d’objectivation-subjectivation
circulaire et répétitif. Le fait même de transformer un représentant psychique en signes graphiques
spécifiques issus d’une langue commune induit que l’on puise d’abord en soi ce que l’on souhaite
rendre communicable puis que l’on utilise le code commun pour symboliser ce qui nous est le plus
intime. Didier Anzieu, en s’appuyant sur les concepts de Freud et de l’ego-psychology, montre que
le Surmoi, de par son origine acoustique, est structuré selon les règles du code linguistique. Quand
le sujet intériorise cet aspect, non pas menaçant, mais structurant du Surmoi, il peut alors, en
s’emparant du code commun et sans culpabilité, personnifier son langage et satisfaire le Moi idéal
qui veut que l’individu soit ”à la fois un et tout”, à la fois singulier et identique (ANZIEU, 1981).

C’est bien que ce que nous observons dans le style personnel de chacun face à un même inducteur.
Nous avons tenté, dans l’atelier, de fournir aux patients un inconscient commun dans lequel
ils puissent à la fois projeter leurs contenus informes et s’étayer sur les contenus élaborés ou non des
autres membres. Cela afin de créer, dans un espace transitionnel sécurisant, un objet à la fois
subjectif-subjectivant et objectif-commun-communicable car la subjectivation implique que nous
sommes sujets à la fois singuliers et identiques, tous des êtres humains mais avec une personnalité
propre. C’est bien la civilisation qui a fait de nous des êtres humains, des sujets non plus animés de
la jouissance des pulsions et des instincts primitifs, mais des sujets désirants.

1 DOR, J. (1992). Introduction à la lecture de Lacan. France : Editions Denoël.
2 ABADIER-ROSIER, S. (2009). La construction psychique du sujet. Paris : Les neurones moteurs.
3 WINNICOTT, D.W. (1971). Jeu et réalité. L’espace potentiel. Paris : Gallimard.
4 BERRY, N. (1987). Le sentiment d’identité. Belgique : Editions universitaires
5 DABENE, M. (1987). Adulte et l’écriture. Contribution à une didactique de l’écrit en langue maternelle. Bruxelles :
De Boeck.
6 M’UZAN, M. (1965). Aperçus sur le processus de la création littéraire. Revue française de psychanalyse, 29, 43-64.
7 WINNICOTT, D.W. (1958, éd. 1969). La capacité d’être seul. In WINNICOTT, D.W., De la pédiatrie à la
psychanalyse. Paris : Payot.

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