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INTRODUCTION GENERALE

L’enracinement des populations d’origine musulmane en France est désormais irréversible. En outre, depuis 1989, l’expression islamique, auparavant fort discrète, semble connaître une visibilité ascendante. L’irruption de l’islam dans l’espace public ne cesse depuis de susciter des interrogations.

Pour les uns, comme Jocelyne Césari (1), l’affirmation de plus en plus forte d’une identité islamique, est interprétée comme une dimension fondamentale de sédentarisation. Le signe de cette acceptation de la France passe par la manifestation, selon la sociologue, de revendications (Lieux de culte, carrés musulmans dans les cimetières, port du voile à l’école ….). D’autres font observer toutefois que le retour au religieux des jeunes d’origine maghrébine et leur affirmation identitaire coïncident avec l’effervescence de l’islamisme radical, notamment en Iran et en Algérie. Aussi estiment-ils, et là, nous retrouvons Gilles Kepel(2), que l’impact du prosélytisme intégriste sur une fraction de cette jeunesse peut conduire à mettre en péril les fondements mêmes de la République.

L’étude de l’islam au travers d’un quotidien à dominante chrétienne : La Croix et d’un quotidien communiste : L’Humanité, présente l’intérêt d’avoir une double vision du phénomène religieux. Dans le premier, la vision judéo-chrétienne d’un islam qui s’inscrit dans le champ social occidental, nous permettra d’apprécier le regard chrétien sur cette religion qui fut jadis l’ennemi.

Comprendre l’attitude de La Croix dans la tourmente déferlante des Mass-médias depuis 1989, suppose de connaître la longue histoire (3) du quotidien catholique. La position du journal est aussi indissociable des événements. Nous verrons que les prises de positions varieront en fonction des affaires soulevées.

L’Humanité dont le caractère est aussi bien informatif que politique, témoignera à l’égard de l’islam une attention particulière. Au travers de ce quotidien, nous analyserons l’attitude d’un quotidien politisé mais aussi la manière dont les communistes, le P.C.F perçoit l’islam.

L’islam en France de 1989 à 1996 va connaître divers bouleversements liés aussi bien à des événements extérieurs
(L’affaire Rushdie et l’appel de Khomeyni, la guerre du Golfe, le FIS en Algérie…) que des crises internes (l’affaire du voile, les attentats terroristes, la polémique autour de la charte des musulmans….).

L’année 1989 est une date charnière pour islam en France. C’est l’année du « réveil islamique », c’est à dire la création d’un parti polico-religieux en Algérie : le FIS ou encore l’appel au meurtre de l ’Ayatollah Khomeyni. Ceci coïncidant en France avec la manifestation à Paris contre le livre de Rushdie mais aussi quelques temps après avec l’affaire du voile de Creil.

Dans un contexte international, ou il n’y a plus de confrontation est-ouest avec la chute du mur de Berlin, ne verrons t-on pas naître une nouvelle opposition ? Mais cette fois ce serait l’islam l’ennemi !

Nous noterons dans le discours de l a presse, l’entretien d’une thématique alarmiste, étroitement liée à la conjoncture proche-orientale (révolution iranienne, montée de l’islamisme..) et qui touche l’ensemble de la presse. Une presse qui accrédite l’idée du déferlement dévastateur d’un islam réduit à l’intégrisme. Tout en sachant que par leur rapport immédiat au réel, les médias en général et la presse en particulier s’érigent aux yeux du public en principaux producteurs d’une vision du réel présentée comme celle du réel-vrai, mais qui fait une part considérable à la mobilisation des émotions.

Un autre discours, mais celui-ci aura du mal à se démarquer des autres discours et à s’affirmer dans la presse, c’est le discours savant. Il cherche à expliciter, relativiser et mettre à distance les faits mais malgré son antagonisme avec la démarche médiatique, il rejoindra le discours médiatique sur le terrain de la gestion des peurs.

Dans nos deux quotidiens, il y aura un imbroglio de ces deux discours et le développement d’une thématique plus rassurante revêtue du label scientifique n’impliquera pas, et nous le verrons, l’abandon du ressort alarmiste. Cela va se vérifier lors de l’intervention des chercheurs dans la polémique du foulard, nous constatons à cet égard que les chercheurs n’ont p as eu l’espace d’une réflexion distanciée. Cette même affaire a conduit pêle-mêle journalistes, chercheurs, scientifiques, philosophes dans un débat asymptotique et ou les discours finissaient par se confondre dans les mêmes fantasmes. On pourra s’apercevoir aussi que ce discours savant pourra être utilisé à des fins politiques et que c’est toujours la même catégorie de chercheurs qui est interviewée par tel ou tel organe de presse afin de légitimer la position du quotidien . Le cas se présente avec L ’Humanité que nous avons étudié sur ces sept années, nous avons constatés que le savant référence est l’orientaliste Maxime Rodinson.

Notre étude porte en effet sur la vision d’une religion et aussi de l’inscription de l’islam dans le champ social, culturel, religieux et politique de la France. C’est notamment, sur l’étude d’une distinction dans les discours entre nos deux quotidiens que nous nous attarderons. Les mêmes affaires, c’est à dire celle des Versets Sataniques (1989), des Foulards islamiques (1989 et 1994) , des présumés islamistes mis en surveillance(1993-1994) et des attentats terroristes (1995-1996), vont être vus d’une façon différente dans La Croix et dans L’Humanité.

Cependant sur toute la période survolée, on mettra en lumière une grande continuité dans la façon de penser l’islam.

La succession des différentes séquences historiques nous permettra d’ailleurs de mettre en évidence le chevauchement du discours médiatique et savant. Elle aboutira aussi à déceler une évolution dans le discours sur l’islam, de 1989 à 1996 o ù nous passerons d’un islam hypothétiquement dangereux à un islam extrêmement dangereux.

Cette altérité de l’islam, nous l’étudierons au travers de ce qu’il l’a altéré, c’est pourquoi nous avons choisi de travailler sur l’image négative de l’islam, non point pour contribuer à cette vision mais pour essayer de comprendre les raisons fondamentales de ce bouleversement dans la façon de voir l’autre.

Dans la première partie de notre devoir, nous tacherons, au travers de l’affaire Rushdie, de démontrer ce qui a conduit à cette « visibilité de l’islam ». La position de La Croix forte intéressante, nous offrira une vision chrétienne et sa prise de position pour le respect des convictions religieuses sera lié au film de M. Scorces e , La dernière tentation du Christ qui avait affecté les chrétiens quelques mois auparavant. Contrairement à L’Humanité qui dénonce un obscurantisme religieux. Mais nos deux quotidiens se rejoindront sur le fait de ne pas créer d’amalgame en faisant de l’appel au meurtre de l’ayatollah la conviction de tous les musulmans car cela ferait le jeu du Front-National. La Croix évoque donc des raisons théologiques et L’Humanité des motifs politico-
idéologiques.

Dans un deuxième temps , nous aborderons l ’affaire du foulard ou les affaires des foulards . Cet événement cyclique a fortement marqué l’actualité. Nous étudierons essentiellement deux affaires : celle de 1989 et celle de 1994. La Croix fut le quotidien le plus riche en commentaires et réflexions pour un e laïcité ouverte . L’Humanité , lui reste attaché à une laïcité plus ferme . Les raisons de leurs engagements respectifs sont extrêmement liés à leur histoire et à leurs prises de position dans leur passé, à cela faut-il y ajouter de nouveaux facteurs, comme par exemple une politique d ’intégration pour La Croix ou la défense de la liberté de la femme pour L’Humanité. Ainsi nous retrouverons dans ces journaux leur conception de la laïcité .

Nous terminerons sur l’intégrisme islamique, qui a conduit à la suspicion et la vague d ’attentats . Nous verrons que nous sommes passés de l’islam, menace pour la république à l ’islam, intégrisme politique meurtrier. Nous essayerons de voir comment la presse et plus particulièrement nos deux quotidiens ont pu contribuer à la véhiculation d’un islam négatif ? Certes, il est vrai que ce n ’est pas la presse qui est à l ’origine des vagues d ’attentats, mais elle a contribué à faire du maghrébin , un terroriste islamiste potentiel. Nos quotidiens dénoncent eux même la manipulation médiatique et le rôle joué par la presse mais au delà de cette dénonciation, sont-ils pour autant au dessus de tout soupçon ? N’ont-ils pas eux -mêmes contribuer à cette véhiculation ?

L’important discours savant sur l ’islam et la politique conduisant à l’intégrisme mêlé à l ’information spontanée et émotionnelle, fait de la presse un transporteur d ’idée fantasmatique, même si certains s ’en défendent.

1 Etre musulman en France aujourd’hui, J.Cesari. Ed. Hachette 1997
2 Les politiques de Dieu, G. Kepel ; Seuil 1993
3 Pour nous aider à comprendre l’attitude de La Croix à l’égard de l’islam , nous nous sommes aidés du compte rendue du colloque de Mars 1987, colloque mémorant les 100 ans de La Croix. L’ouvrage : Cent ans d’histoire de La Croix (1883-1983), dirigé par René Rémond et Emile Poulat , est publié dans Collection Chrétiens dans L’histoire. Il est disponible aux archives de la bibliothèque municipale de Lille.

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