Institut numerique

Introduction

L’aléa est de la nature même du contrat d’assurance, il en façonne sa validité.
Le contrat aléatoire est en effet une convention réciproque dont les effets (…), dépendent
d’un évènement incertain (article 1964 du Code civil).

Si le principe de l’assurabilité des responsabilités civiles de l’assuré peut être posé en
postulat, il n’en demeure pas moins que le degré de gravité de la faute commise en fait
naître les limites.

Ainsi, l’article L 113-1 du Code des assurances exclut de l’assurance les pertes et dommages
provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré, commise dans le but de créer
le dommage tel qu’il est survenu.

La faute intentionnelle supprime le caractère aléatoire de l’évènement prévu au contrat
d’assurance.

L’assurabilité des autres fautes s’en trouverait alors déduite.

La question n’est toutefois pas aussi simple et rapide, notamment en matière d’accidents
du travail et maladies professionnelles où les évolutions législatives et jurisprudentielles
ont été importantes.

Pendant le XIXème siècle, l’indemnisation de ces accidents relevait de la responsabilité de
droit commun.

Puis, issu d’une loi du 9 avril 1898, votée à l’issue de 20 ans de débats parlementaires, le
nouveau régime de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles a
posé le principe d’une indemnisation automatique mais forfaitaire.

Le salarié est ainsi assuré de recevoir une indemnisation dès lors qu’il démontre que
l’accident est survenu « par le fait ou à l’occasion du travail », sans qu’il soit nécessaire de
démontrer la faute de l’employeur.

En contrepartie de cette réparation forfaitaire, le salarié ne saurait se retourner contre
l’employeur.

La forfaitisation est ainsi légitimée par l’absence de preuve de l’imputabilité de son
accident au travail, la non opposabilité de sa propre faute et l’absence de phase
contentieuse (hormis en cas de faute inexcusable) permettant une indemnisation rapide.
Si ce régime ne concernait dans un premier temps que les accidents, la loi du 25 octobre
1919 a étendu cette législation aux maladies professionnelles.

La loi de 1898 a été abrogée en 1945 et l’institution de la sécurité sociale, par les
ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 et la loi n°46-2426 du 30 octobre 1946(1), a substitué
à la responsabilité individuelle de l’employeur une responsabilité collective reposant sur le
principe d’exclusivité de la réparation sociale sur la base d’une assurance obligatoire pour
tous les employeurs.

Les caisses de sécurité sociale se chargeant ainsi du règlement des indemnités en lieu et
place des sociétés d’assurances privées.

Ce système de réparation du risque professionnel perdure aujourd’hui selon les mêmes
bases.

Le dispositif français de couverture repose sur une indemnisation automatique et
forfaitaire des préjudices patrimoniaux (prévue au livre IV du CSS), prise en charge par les
organismes sociaux (risque AT/MP).

En contrepartie des cotisations accident du travail versées par l’employeur, celui-ci
bénéficie d’une immunité.

Une indemnisation complémentaire peut cependant être attribuée en cas de faute
inexcusable de l’employeur, exception au principe d’exclusivité précité.

L’article L 452-1 du CSS dispose que « Lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de
l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit
ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles
suivants ».

Le principe est qu’il s’agit également d’une indemnisation forfaitaire, limitée aux seuls
préjudices prévus par les textes.

Le sort du salarié victime est cependant considérablement amélioré, puisqu’il peut alors
prétendre à une majoration de la rente (article L 452-2 du CSS), à la réparation de certains
chefs de préjudices limitativement énumérés (article L 452-3 du CSS).

Il résulte de cette exception (au même titre que la faute intentionnelle et l’accident
automobile du travail) que la réparation des préjudices est payée directement aux
bénéficiaires par les caisses de sécurité sociale, qui en récupèrent le montant auprès de
l’employeur, seulement si après instruction du dossier, le caractère inexcusable de la faute
est reconnu.

La faute inexcusable était considérée initialement comme d’une gravité telle, qu’elle avait le
caractère de la faute intentionnelle de l’article L 113-1 du Code des assurances.
Cette définition limitait très fortement la possibilité d’obtenir une indemnisation
complémentaire.

Elle était donc moralement et légalement inassurable alors même que se développaient en
parallèle des régimes de responsabilité sans faute.

Les critères cumulatifs constitutifs de la faute inexcusable seront rappelés par la Cour de la
cassation par son assemblée plénière du 19 juillet 1980 :

– Faute d’une exceptionnelle gravité,
– Dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire,
– De la conscience que devait avoir son auteur du danger qui pouvait en résulter,
– Et de l’absence de toute cause justificative.

Ce n’est que par une loi n°87-39 du 27 janvier 1987(2) que le principe même de
l’inassurabilité de la faute inexcusable de l’employeur a été supprimé.

Puis, dans une série de décisions publiées le 28 février 2002 («arrêts amiante»)(3), la Cour de
cassation a profondément modifié le cadre juridique tiré de la conception première de la
faute inexcusable.

Elle donne ainsi à cette occasion une nouvelle définition de la faute inexcusable
alourdissant considérablement la responsabilité de l’employeur.
Celui-ci est tenu dorénavant à une obligation de sécurité de résultat à l’égard de ses
salariés.

Le manquement par l’employeur à son obligation de sécurité de résultat constitue ainsi une
faute inexcusable dès lors qu’il avait, ou aurait dû avoir conscience du danger et n’a pas pris
les mesures nécessaires pour protéger son salarié.

Il suffit désormais au salarié de démontrer la conscience du danger qu’avait, ou aurait dû
avoir son employeur, et l’absence de mesures nécessaires pour l’en préserver, pour
pouvoir prétendre à une indemnisation complémentaire.

Enfin, récemment, le Conseil constitutionnel a étendu dans une décision du 18 juin 2010(4)
les postes indemnisables à tous les préjudices subis par la victime d’une faute inexcusable.

Estimant que les dispositions de l’article L 452-3 CSS contrevenaient « au droit des victimes
d’actes fautifs », le Conseil constitutionnel a admis l’indemnisation de l’ensemble des
dommages non couverts par le livre IV du CSS.

Ce nouveau régime d’indemnisation entraîne des conséquences économiques et financières
importantes.

La présente étude cherchera à analyser l’évolution du rôle de l’assureur depuis un temps où le
champ particulièrement restreint de la faute inexcusable relevait de l’inassurable jusqu’aux
nouveaux contours du régime indemnitaire défini par le Conseil constitutionnel cherchant à
rejoindre un régime de droit commun.

1 Codifiée par le décret n°85-1353 du 17 décembre 1985 relatif au code de la sécurité sociale
2 JORF, 28 janvier 1987 (Annexe 2)
3 Cass. Soc. 28 février 2002 n°00-10.051 Bull. civ. V n°81, p 74, Revue Lamy droit des affaires 2002 n°48, n°3090,
RCA 2002 commentaires n°135
4 Conseil Constitutionnel, Décision n°2010-8 QPC du 18 juin 2010 (Annexe 4)

Retour au menu : L’EVOLUTION DE LA GARANTIE DE LA FAUTE INEXCUSABLE