Institut numerique

III.1. Les risques spécifiques

Selon Michel DABADIE, Inspecteur Général de la Banque de France, « la finance islamique, c’est d’abord de la finance, qui n’est pas fondamentalement différente de la finance traditionnelle. Les risques qu’elle génère sont donc en grande partie connus. Néanmoins, aux risques habituels s’ajoutent un certain nombre de risques spécifiques à la finance islamique. »(44)

Pour les risques spécifiques, des spécialistes comme le Vice-President de Moody’s, Anouare Hassoune(45), identifient deux risques conformes à la Charia : le risque commercial translaté (ou déplacé) et le risque d’enchevêtrement.

III.1.1. Le risque commercial translaté

Il résulte de la concurrence entre banques islamiques et banques conventionnelles. Il intervient dans le cas ou il n’y a suffisamment pas de rendement pour les comptes PSIA (Profit Sharing Investment Account). Cela se passe lorsque les banques sont contraintes de délaisser d’une partie de leurs actifs pour rémunérer les déposants afin de prévenir des retraits massifs causés par des taux de rendements faibles (OCAIFI, 1999). Les clients auront tendance à retirer leurs fonds au profit des banques classiques. Ainsi les coûts et les pertes que les titulaires de ces comptes devaient supportés sont maintenant à la charge de la banque.

C’est pourquoi l’analyse des rendements sur les dépôts bancaires montre un lissage considérable sur les comptes PSIA.

Cette situation va engendrer deux risques : un risque de rentabilité et un risque de crédit important. Pour pallier à ce risque les IFI proposent des rendements concurrentiels en ajustant les comptes PSIA au taux LIBOR (Taux LIBOR 6 mois)(46). Les taux de LIBOR servent de calcul pour estimer le rendement de ces comptes. Mais aussi la VaR (Value at Risk) est une méthode proposée pour mesurer le risque commercial déplacé.

III.1.2. Le risque d’enchevêtrement

Pour le risque d’enchevêtrement, cela découle de la plupart des transactions tripartites (entre client, fournisseur et banque). Cette situation engendre l’alourdissement de la gestion des risques de la banque islamique car chaque partie du contrat contient des risques différents comme nous avons vus dans les contrats d’Ijara-Wa-Iqtina et de Salam.

Ces risques sont le risque de marge, le risque de taux de référence et le risque de fluctuations des prix. Ils ont tous une origine : la variation du taux de référence qui est le LIBOR. Comme les taux de LIBOR sont calculés à partir des taux d’intérêt. Donc une variation des taux d’intérêts entre le début et à la fin d’un contrat à paiement différé (Ijara-Leasing) peut donc comporter un risque pour les IFI (C. Karim, 2008, 45). La banque risque de distribuer des profits qu’elle ne gagne pas en ajustant les comptes PSIA. Ainsi pour palier à ce risque, les IFI utilisent des taux de marge flottant pour se protéger contre ce risque. A l’initiation du contrat, la marge est fixe puis réévaluée périodiquement. Cependant, cet outil de gestion des risques est interdit par la Charia.

III.1.3. Les autres risques spécifiques

Nous pouvons citer aussi comme risques spécifiques, la quasi-inexistante d’un marché monétaire permettant le refinancement du marché ainsi que le manque de produits de couverture qui obstruent considérablement la gestion des risques des IFI.

Les innovations apportées ces dernières années n’ont pas rendu le marché monétaire efficient. Selon l’IFSB (2008, p.1), deux raisons explique cet échec : les produits comme le Moudaraba (partenariat) et la Mourabaha (vente avec marge) qui sont les principaux instruments des banques centrales ne sont pas liquides ; l’utilisation de Sukuk (obligations islamiques) qui est entravée par une offre insatisfaisante, un marché secondaire absent et un risque élevé lié à l’utilisation d’instruments à long terme par la gestion de la liquidité à court terme.

Les Institutions Financières Islamiques (IFI) manquent de produits de couverture (hedging) comme les produits dérivés à cause de leurs caractères spéculatifs et incertains. Mais il y a des exceptions. D’après Islamic Financial Service Board (IFSB, 2008. P.48), bon nombre d’IFI utilisent les produits dérivés comme les swaps de profit, les Forex swaps, les Forwards de commodités…

Il y a aussi l’aléa de moralité c’est-à-dire le 3P a l’avantage de permettre à l’entrepreneur d’avoir une marge de manœuvre certaine mais cela peut conduire l’agent entrepreneur à des glissements frauduleux, inefficients ou exagérément risqués afin de maximiser son profit (Sundarajan, V., Errico L., 2002 p.12).

Pour finir, le manque de diversification quant à l’allocation d’actif peut-être un obstacle sérieux a l’analyse des risques et sa gestion (restrictions d’ordre religieux, c’est-à-dire l’investissement dans des activités illicites).

44 Première Conférence sur la Gestion des Risques en Finance Islamique. Paris le Jeudi 28 Janvier 2010 Université Paris-Dauphine.
45 HASSOUNE, A. « la solvabilité des banques islamique : forces et faiblesses ». Revue d’économie financière, Octobre 2003.
46 London Inter-Bank Offering Rate (LIBOR).

Page suivante : III.2. Le risque de crédit

Retour au menu : L’ANALYSE DES PRODUITS FINANCIERS ISLAMIQUES ET LA GESTION DES RISQUES : CAS DE LA MOUCHARAKA ET DE LA MOURABAHA