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I) Tapachula, ville focus de la thématique migratoire

Tout au long de notre narration, nous utiliserons le terme de « migrant » pour parler des migrants internationaux régulièrement dénommés immigrés. Cela concerne essentiellement les personnes migrantes en provenance du Guatemala, du Honduras et du Salvador. Ainsi nous restons fidèles au vocabulaire utilisé par les institutions privées comme publiques de la ville étudiée.

Le CDH Fray Matias qualifie les personnes « immigrées » de « migrants » telle une personne qui s’établit dans un autre territoire pour des raisons économiques, familiales, politiques ou pour sa propre sécurité. Ajoutons qu’au Mexique est qualifiée d’« immigrant » une personne d’origine étrangère installée dans ce pays ce qui peut porter à confusion avec le terme d’« immigré ». Ainsi, l’utilisation de celui de « migrant » s’avère plus appropriée. Les personnes réfugiées ou demandant le titre de réfugié sont désignées comme fuyant toutes formes de persécutions dont les plus redondantes ici sont, la violence familiale et la fuite de l’oppression de la part de narcotrafiquants et/ou gangs criminels tels les « maras » ou encore les « zetas » associés au trafic de drogue, crime organisé, extorsion et séquestration. Pour ces personnes, retourner dans leur pays serait se mettre en danger, c’est pourquoi il est important pour eux et elles d’obtenir le titre de réfugié.

A/ D’un espace de transit à une ville d’installation de personnes migrantes

La frontière du Mexique avec le Guatemala est délimitée par le fleuve Suchiate et Usumascinta, entre les deux, « il y a environ 385 kilomètres de frontière terrestre, principalement des zones de montagnes et jungle » (ARMIJO CANTO, 2011, p.36). La situation de Tapachula, à proximité de l’océan Pacifique à une hauteur proche du niveau de la mer, lui donne une place stratégique dans l’état du Chiapas. C’est une ville importante pour aborder la thématique migratoire.

Figure 3 : Tapachula, une ville frontalière au sud de l’état du Chiapas :

Source : BLANCO ABELLAN, 2012 p.40. Modifié sous Paint.

L’évolution à laquelle nous pouvons assister à Tapachula dans le fait de passer de ville de transit à, doucement une ville d’installation ne peut s’expliquer que dans la combinaison de différents facteurs. Tout d’abord, le chemin migratoire menant aux États-Unis se révèle être de plus en plus difficile pour les migrants particulièrement concernant les familles. Rester à Tapachula et limiter les risques à entreprendre se justifie également par une combinaison de facteurs. La mise à disposition de services dans la ville, la diversité des réseaux sociaux et la situation géographique de la ville apparaissent comme des éléments de réponses pertinents. Nous allons tenter de préciser cela dans cette partie.

1/ Un point d’arrêt sur la route migratoire de la côte Pacifique

Avant les années 90, les populations immigrées qui arrivaient au Mexique venaient essentiellement des pays en guerre d’Amérique Centrale comme le Guatemala, le San Salvador et le Nicaragua. Ensuite, cela s’est diversifié, sont arrivés des Équatoriens, Cubains, Brésiliens et surtout, de nombreux Honduriens qui tentent de migrer chaque année (SIN FRONTERAS, 2009, p.25). Les migrants Honduriens sont les deuxièmes en nombre après les Guatémaltèques, à traverser la frontière sud chaque année (CASTILLO, 2006). Nous assistons également à de plus en plus d’arrivées de migrants d’Afrique de l’Est et d’Asie du Sud (MADUEÑO HAON, 2009). À Tapachula, il y a au moins un restaurant chinois dans la majorité des rues commerçantes du centre-ville. Ces modifications dans le paysage urbain sont des symboles d’évolution des migrations sur ce territoire. Nous allons voir en quoi Tapachula joue un rôle important à ce sujet.

a/ Tapachula, la grande ville frontalière du Mexique

Lorsque nous parlons de la frontière Sud, « sont inclus les états de Quintana Roo, Campeche, Tabasco et du Chiapas, qui marquent la limite géographique avec le Belize et le Guatemala. Cela représente une extension de 1.149 kilomètres, desquels 956 sont frontaliers avec le Guatemala et 193 avec le Belize » (ARMIJO CANTO, 2011, p.36). Ajoutons qu’environ la moitié de la frontière entre le Guatemala et le Mexique est limitée par les fleuves Suchiate et Usumascinta, le reste étant des zones majoritairement montagneuses. Un rapport de l’ONG Sin Fronteras nous révèle que « 50 % des entrées formelles du territoire mexicain s’effectuent à la frontière Sud. D’après l’ex sous procureur juridique des affaires internationales du bureau du procureur général, Alejandro Ramos Flores, à la frontière Sud, il y a plus de deux cents routes de transit pour les personnes en situation irrégulière » (2005, p.5). Une étude de l’INM, chiffre les entrées à « 1,9 million d’entrées d’étrangers par an, en moyenne par rapport aux années 2007-2010, cela n’inclut pas les mouvements locaux entre les rives du fleuve Suchiate » (RODRIGUEZ, BERUMEN, RAMOS, 2011, p.1). Ils estiment que les 17 % de ce chiffre énoncé correspondent aux personnes entrées de façon irrégulière. Des associations mexicaines comme Sin Fronteras ou encore le CDH Fray Matias trouvent ce chiffre sousévalué et non représentatif de la réalité.

L’importance de cette frontière au niveau des entrées sur le territoire mexicain, en fait une zone emblématique de la thématique migratoire. Chercher à protéger les individus traversant cette ligne est devenu un enjeu national.

Tapachula est une ville de l’état du Chiapas, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière, qui connait le passage de nombreux migrants durant l’année. D’ailleurs, à la suite de nos observations sur le terrain, il y aurait davantage de passages irréguliers durant les mois de juillet et août. Cela s’expliquerait par le phénomène naturel de la mousson et des vacances scolaires qui entraîneraient une baisse des contrôles justifiés par les congés et les intempéries.

Bien que les risques de contrôles soient plus faibles, ceux liés à la nature sont décuplés du fait de la mousson. La côte est la zone la plus adéquate pour limiter les risques liés à la mousson, moins dangereuse que les montagnes où se produisent de nombreux glissements de terrain à cette période.

Capitale administrative et économique de la région du Soconusco, Tapachula est influencée par sa situation géographique. Étant proche de l’océan Pacifique sa topographie la rend facile d’accès. C’est une des raisons qui ont incité l’état mexicain à la choisir comme zone de regroupement des migrants illégaux avant le rapatriement, en plus de vouloir « diminuer les coûts d’expulsion » (Sin Fronteras,2009, p.17). Nous reviendrons sur ce point quand nous parlerons du centre de rétention siglo XXI. C’est également la plus grande ville en termes d’habitants si proche de la frontière (271 674 habitants(5)).

De nombreux Guatémaltèques des départements frontaliers « comprennent la migration comme un déplacement qui a pour but les États-Unis et non pas la région du Soconusco, qui est si proche » (BLANCO ABELLÁN 2012, p.37). La frontière n’est pas perçue comme une limite (KAUFFER, 2005), notamment pour les migrants venant travailler de façon ponctuelle au Chiapas, comme employés domestiques ou encore en tant que travailleurs agricoles (FERNANDEZ, ROJAS, ANGELES, 2008, p.142). Elle n’aura pas la même signification pour un réfugié que pour un migrant économique ou une personne de l’état en question. « Les frontières ne sont pas seulement des divisions entre pays, mais aussi des régions, des zones d’intégration et d’échanges sociaux, culturels, économiques et familiaux d’une grande richesse. Cet aspect est rarement pris en compte et les frontières sont souvent perçues par nos gouvernements seulement comme domaines de la sécurité et de la défense de la souveraineté nationale » (SIN FRONTERAS, 2005, p.5). La frontière Sud est principalement considérée par les autorités gouvernementales comme un espace à protéger des divers trafics et violences existantes. Or, elle pourrait faire l’objet de politiques privilégiant les similitudes culturelles qui existent entre les individus vivants de part et d’autre de cette ligne de démarcation. Il existe des « similitudes économiques et socioculturelles entre les deux régions, ce qui peut contribuer à ne pas voir la limite au sens géopolitique. Le Chiapas fut annexé au Mexique en 1824, alors que la région du Soconusco seulement en 1842 » (BLANCO ABELLÁN, 2012, p.38).Concernant les deux régions, il s’agit de San Marcos au Guatemala et du Soconusco au Mexique. Les perceptions de cette frontière sont distinctes en fonction principalement entre des personnes qui vivent à proximité et celles qui viennent la traverser. Aussi, les échanges économiques entre les régions frontalières sont peu considérés ce qui donne lieu à l’utilisation de plus en plus régulière de passages informels permettant d’échapper aux contraintes des contrôles frontaliers.

« Dans les cartes, les frontières apparaissent comme des lignes unidimensionnelles, mais sur le terrain elles sont pluridimensionnelles. […] Il n’est pas possible de comprendre les frontières et les relations entre sociétés et États, sans comprendre ce que signifie vivre à la frontière et reconnaitre les dynamiques spécifiques présentes dans les espaces frontaliers » (ARMIJO CANTO, 2011, p.36). Tout ceci se répercute dans les différentes formes migratoires disponibles permettant d’être régularisé. Nous verrons dans le prochain chapitre que les Guatémaltèques vivant proches de la frontière ont plus de facilité à se rendre au Mexique que ceux vivant au sud du pays.

b/ Le train de marchandises appelé “la bestia” : figure d’un moyen de locomotion de nombreux migrants

Suite à l’ouragan Stan de 2005, la ligne ferroviaire de la côte Pacifique du Chiapas fût lourdement endommagée. Depuis cet événement, le train de marchandises que de nombreux migrants utilisent comme moyen de transport (surnommé la bête) ne part plus de Ciudad Hidalgo proche de Tapachula, mais d’Arriaga plus au nord du Chiapas. Actuellement, un projet en cours devrait permettre de relier à nouveau Tapachula à Arriaga par rails. Si cela se produit, de nouvelles dynamiques migratoires verront le jour. D’après un entretien avec le coordinateur de l’OIM de Tapachula, José Luis, des négociations sont toujours en cours entre la compagnie de train et PEMEX (la compagnie pétrolière mexicaine) et la compagnie de chemin de fer Tehuantepec, à savoir si le train partira depuis Puerto Chiapas où arrivent des cargos de passagers et de marchandises, ce qui permettrait de développer le trafic commercial de la compagnie ferroviaire (GONZALES, 2011).

La ville de départ n’est toujours pas connue, cela pourrait être Ciudad Hidalgo comme auparavant ou Puerto Chiapas, situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Tapachula. « Il y a de nouveau une nouvelle compétition, si le train sort du port du Chiapas, l’accès sera restreint, ce qui rendra difficile la montée des migrants. Mais les arrêts seront des opportunités, probablement ce ne sera pas Tapachula mais peut être Huixtla » (José Luis, OIM). En partant de Puerto Chiapas l’accès au train pour les personnes migrantes sera plus difficile, car davantage sécurisé. Quoi qu’il arrive, il est fort probable de voir apparaitre de nouvelles villes comme point de transit de personnes migrantes. Le train devrait connaitre des arrêts dans les villes de Mapastepec, Tonalá ou encore Arriaga (point de départ actuel) ce qui donnera certainement lieu à de nouvelles nécessités dans ces communes. Cela pourrait entrainer le développement et la création de nouveaux organismes de la société civile et certainement de postes de contrôle. Il faut savoir qu’actuellement, sur la route principale entre Tapachula et Tonala (ville à une vingtaine de kilomètres au sud d’Arriaga) il y a sept contrôles des forces de l’ordre, dont cinq de l’INM et deux de l’armée.

Figure 4 : Les différentes routes migratoires les plus empruntées par les migrants :

Source : CNDH, disponible en PDF : http://www.eluniversal.com.mx/graficos/pdf11/mapariesgosmigrantes.pdf

Bien que la route du Pacifique reste toujours empruntée par de nombreux migrants, l’ouragan Stan aura tout de même modifié son affluence. Comme nous pouvons le voir sur la carte ci-dessus, il existe plusieurs routes migratoires où se trouve généralement le départ de ligne de train de marchandises. Le départ du train de la côte Pacifique ne partant plus de Tapachula, mais d’Arriaga au nord du Chiapas, de nombreux migrants choisissent depuis lors de passer par d’autres zones frontalières souvent plus difficiles d’accès du fait de la géomorphologie à l’intérieur du territoire Mexicain comme Guatémaltèque. Cela rend le chemin toujours plus dangereux, car les migrants sont plus exposés à des agressions en passant par des voies isolées. Le retour de la ligne de train depuis le sud du Chiapas devrait rendre cette route migratoire plus attrayante; « Cela va rendre cette route plus attractive que les autres existantes qui sont plus dans les terres. On s’habituera de nouveau comme avant » (José Luis, OIM). Le retour du train ne semble pas affoler les organismes locaux, au niveau de l’éventuelle affluence de personnes migrantes que cela pourrait engendrer de nouveau.

2/ Évolution des migrations à Tapachula

Depuis trente ans, la migration à Tapachula a évolué passant de l’accueil de réfugiés guatémaltèques pendant la guerre civile de 1981 à un espace de transit pour des migrants économiques. Cet espace redevient un espace d’accueil de réfugiés et également chose plus récente, une ville d’installation de population migrante.

a/ D’une ville de transit à un espace d’installation

Tapachula est un lieu de passage pour de nombreux migrants. L’auberge Belén héberge et offre petit déjeuner et dîner durant trois jours à tous ceux et celles souhaitant se reposer, reprendre des forces et récolter un peu d’argent leur permettant de continuer. Il est courant, que des employés généralement du domaine de la construction, viennent devant cette auberge chercher des personnes disponibles, pour travailler le jour même, et cela pour une durée courte. Le travail est physique et difficile. Irma, la coordinatrice de l’auberge Belén (photographie ci-dessous), nous a confié que « ceux qui cherchent du travail travaillent principalement comme maçon ou jardinier, ce sont des travaux durs, mais faciles à trouver ».

Ce lieu accueillant est un élément emblématique pour qualifier Tapachula de ville de transit. Ajoutons qu’elle sert également d’aide à l’installation de personnes réfugiées, en attente de leur titre de séjour permanent. Ces derniers peuvent rester une semaine dans cette auberge.

Certains resteront à Tapachula seulement le temps d’obtenir suffisamment de ressources financières pour migrer plus au Nord. D’autres resteront vivre dans cette ville.

Figure 5 : L’auberge Belén, un lieu de repos pour les migrants en transit :

Source : photographie personnelle, juillet 2012. © B-W Matthieu

En conséquence, dire que Tapachula n’est qu’une ville de transit serait désavouer la réalité. De plus en plus de migrants s’installent pour vivre dans cette ville. Suite au conflit armé au Guatemala en 1981, d’anciens réfugiés guatémaltèques se sont installés. Aussi, nous assistons de plus en plus à l’installation de migrants ayant abandonné l’idée de se rendre aux États-Unis pour divers motifs. Que ce soit pour des questions de ressources insuffisantes ou de l’augmentation des dangers sur la route migratoire. En outre, certains fondent une famille durant leur parcours migratoire ce qui les incite à s’installer (MADUEÑO HAON, 2009).

Beaucoup de migrants frontaliers viennent travailler dans le domaine agricole, « la vision du Chiapas a changé en devenant un lieu de destination, surtout pour le travail agricole » (José Luis, OIM).

Nous retrouvons ce constat au niveau national. Divers auteurs parlent d’un changement, cet « ancien pays d’émigration devenu pays de transit et de destination » (DIAZ et KUHNER, 2008) ; « Il existe un consensus dans la nécessité d’adapter le cadre juridique aux nouvelles conditions du Mexique comme pays d’origine, de transit, de destination et de retour de migrants » (ARMIJO CANTO, 2011, p.50). Nous pourrons faire un lien entre ce constat et l’évolution des instruments juridiques dans le second chapitre.

b/ Déficience au niveau de la sécurité à la frontière Sud

La frontière sud n’est pas un espace dit sûr pour les migrants, à l’inverse c’est un lieu dangereux pour des raisons diverses. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de traverser la frontière par des chemins informels. Traverser peut signifier être sujets à des agressions, des séquestrations, des viols, l’expatriation, des glissements de terrain, la noyade, etc. Fuyant la possibilité d’être arrêté par des agents du gouvernement mexicains pour cause d’irrégularité, les personnes migrantes empruntent de plus en plus de routes informelles. Ceci augmente les éventuels risques dus à l’environnement et aux attaques de délinquants (MADUEÑO HAON, 2009). De plus, au Chiapas il existe « sept postes frontière formels, un pour l’état de Tabasco et deux pour celui de Quintana Roo […] le nombre de lieux de passages formels est insuffisant pour la taille de la frontière » (ARMIJO CANTO, 2011, p.37). La frontière est en soi que peu surveillée laissant la possibilité à de nombreux migrants d’échapper aux contrôles migratoires. Ceci les oblige à transiter par des routes plus dangereuses et désertes, les mettant en proie à de nombreux risques. Nous verrons que des accords liés au commerce et d’autres concernant la lutte contre le trafic de stupéfiants et du terrorisme, ont fait accroître les contrôles à la frontière sud. Pareillement, le nombre d’intermédiaires n’a fait qu’augmenter, ils sont appelés « polleros » et « coyotes » (passeurs). « L’industrie de la migration s’est renforcée, ce qui est pour certains une stratégie de survie et pour d’autres, la possibilité d’un commerce illicite » (ARMIJO CANTO, 2011, p.46). Cela a donné lieu à l’arrivée de nombreux Maras (gang lié au trafic de stupéfiants) pouvant bénéficier de ces lieux de passages illégaux pour séquestrer, voler et abuser des personnes migrantes.

En 2010 un rapport sur la séquestration de personnes migrantes réalisé par la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) et un autre sur les dangers liés à la migration, de l’association Amnesty International (Víctimas invisibles. Migrantes en movimiento en México) ont révélé à l’opinion publique une réalité peu connue. Le second rapport dénonce aussi bien les abus commis par des gangs que ceux accomplis par les autorités mexicaines (ARMIJO CANTO, 2011).

Tous ces changements coïncident avec l’arrivée récente, en 2006 du plus grand centre de rétention d’Amérique latine dans la ville de Tapachula. Cet édifice témoigne d’une évolution dans la prise en considération du phénomène migratoire au sud du Mexique, de la part des autorités publiques.

B/ Les centres de rétention de Tapachula : reflet de l’envergure de la ville pour le thème migratoire

Actuellement, il existe au Mexique 47 centres de rétentions, dont 10 dans l’état du Chiapas (SIN FRONTERAS, 2009, p.17). Le plus important est celui de Tapachula (940 personnes). Il est suivi de Tuxtla Gutiérrez (60), Comitán (60), San Cristóbal de las Casas (50) et Palenque (60), (SIN FRONTERAS, 2005, p.18).

Selon l’INM, les personnes migrantes proviennent du Guatemala, du Honduras, de San Salvador et du Nicaragua et représentent entre 92 et 95 % du total des personnes détenues en centre de rétention (RODRIGUEZ et al., 2011, p.2). Cela correspond avec l’origine des personnes venant solliciter l’appui du CDH Fray Matias pour obtenir un document de régularisation. Entre janvier et juin 2012, sur les 114 personnes reçues par l’association : 52 étaient Salvadoriens, 50 Guatémaltèques, 6 Honduriens, 5 Nicaraguayens et un d’origine Colombienne.

Nous tenterons ici, en nous appuyant sur des lectures, visites et témoignages de montrer notre perception des centres de rétentions de Tapachula tout en essayant de rester le plus objectif possible.

1/ Le plus grand centre de rétention d’Amérique latine : La Estación Migratoria siglo XXI

Comme nous venons de le voir, le centre de rétention Siglo XXI joue un rôle important pour le contexte migratoire de la ville et sa région. Nous pouvons voir une partie de sa façade grâce à la photographie ci-dessous.

Sa situation géographique n’est pas un hasard, comme nous l’avons dit précédemment, c’est en effet un des rares espaces frontaliers dont le manque de relief facilite l’accessibilité. Ainsi, la ville de Tapachula est connectée via la route « CA-2 » avec la capitale du Guatemala et depuis cette dernière avec le Salvador, le Honduras ou encore le Nicaragua. Ce sont les pays d’où proviennent la majorité des migrants internationaux selon les chiffres de l’Institut National des Migrations (INM). Il est donc plus aisé en matière de rapatriement que ce centre soit situé à la frontière Sud du Mexique sur la côte Pacifique où les routes sont plus stables.

Figure 6 : Mur extérieur du centre de rétention Siglo XXI :

Source : photographie personnelle, juin 2012. © B-W Matthieu

a/ Point d’arrêt et de regroupement avant un retour forcé

La estación migratoria siglo XXI de Tapachula sous contrôle de l’INM est ouvert depuis 2006. Il peut accueillir 960 personnes pour une courte durée et 490 pour 24 heures(6). En principe, la détention administrative pour séjour irrégulier ne peut pas dépasser 90 jours sauf en cas de recours judiciaires. En moyenne, sont logés et rapatriés plus de 350 personnes par jour, principalement originaires de pays d’Amérique centrale. Ce sont des personnes qui dans la plupart des cas, ont été contrôlées et déplacées durant leur voyage vers les États-Unis jusqu’à ce centre de rétention, les empêchant ainsi d’atteindre leur objectif.

De janvier à juillet 2012, 28 474 personnes migrantes se sont retrouvées enfermées dans les différents centres de rétentions du Chiapas et 55 623 à l’échelle du pays d’après les chiffres de l’INM(7). Entre 2005 et 2010 environ 90 % des migrants incarcérés ont été renvoyés dans leur pays d’origine par les agents de l’INM (RODRIGUEZ, BERUMEN, RAMOS, 2011). Il faut savoir que les retours organisés sont souvent imposés, le personnel de l’INM obligeant les migrants à signer des documents justifiant leur accord pour être rapatriés, alors « que certaines personnes n’ont pas de notion de la langue espagnole et n’ont pas accès à un interprète » (SIN FRONTERAS, 2009, p.41). De surcroît, il est courant que les migrants rencontrés soient analphabètes. Cela est représentatif de la non-adaptation des méthodes utilisées envers la population concernée.

Concernant les détentions, elles ont nettement diminué entre 2005 et 2010 passant de 226 539 à 64 469 soit une baisse d’environ 72 % (RODRIGUEZ, BERUMEN, RAMOS, 2011, p.4). Cela est dû à divers facteurs dont l’un d’eux et le renforcement des contrôles à la frontière tout comme l’augmentation des violences dans cette zone d’après l’association Sin Fronteras (2009).

b/ Un espace de solidarité

Dans le centre de rétention Siglo XXI, les migrants sont séparés en fonction de l’âge et du sexe. Vivant dans les mêmes contraintes et étant dans des espaces d’attentes, des liens amicaux et de solidarité se créent entre les individus.

Passant plusieurs jours ensemble, des affinités se nouent. Aussi, il est courant que les migrants partagent leur expérience migratoire, particulièrement les difficultés rencontrées pour faciliter les prochaines tentatives de migration. Des liens forts peuvent se créer à l’intérieur de cet espace. Ces liens amènent des individus à se retrouver par la suite pour retenter la traversée vers les États-Unis ensemble. « Les nationaux du Guatemala, du Honduras, d’El Salvador et du Nicaragua, constituent entre 92 et 95 % du total des personnes séjournant dans les centres de rétention de l’INM entre 2006 et 2010 » (RODRIGUEZ, BERUMEN, RAMOS, 2011, p.2). Cet élément peut également permettre de justifier les solidarités qui se nouent entre personnes de même origine.

Ce centre est souvent qualifié par le monde associatif de « zone de non-droit », car la retention met les individus dans des situations inconfortables. Entre l’attente passive de certains avant le rapatriement et la recherche de ses droits pour d’autres, les situations divergent. Malgré tout, nombre d’entre eux souhaitent retenter l’expérience migratoire suite au retour dans leurs pays d’origine. Certaines personnes rencontrées en ce lieu par les employés du CDH Fray Matias déclarent en être à leur quatrième tentative et ont toujours la volonté de tenter à nouveau ce périple que nous pouvons qualifier de réel « parcours du combattant ».

2/ Viva Mexico : un centre de rétention en complément de Siglo XXI ?

Pour les mineurs et familles(8), il existe un organe juridique appelé Développement Intégral de la Famille (DIF) (9).

C’est un organisme public décentralisé, créé suite au décret du 13 janvier de 1977. Il doit instrumenter et appliquer les politiques publiques en accord avec l’article 13 de la loi du « système national d’assistance sociale » de 1986.

Le DIF est en charge de la protection de l’enfance et joue le rôle de prestataire de service, en assistant socialement les familles. Le DIF doit porter attention aux mineurs en situation d’abandon, de malnutrition, en situation de faiblesse ou encore victimes de maltraitance. Ici, les deux centres d’accueil gouvernementaux de mineurs migrants de Tapachula nous intéressent particulièrement.

a/ Viva Mexico, un centre de rétention pour enfants et familles migrantes

Le centre du DIF nommé Viva Mexico est qualifié de centre de rétention. Créé en 2005, il accueille principalement des enfants. Les garçons peuvent y accéder jusqu’à 12 ans et 17 ans pour les filles. Par ailleurs, les mères dont les enfants n’ont pas encore 12 ans peuvent également y accéder et ainsi rester ensemble. Par conséquent, le public reçu est différent de celui du centre de rétention Siglo XXI qui reçoit essentiellement des adultes. Bien qu’il arrive que des jeunes répondants aux critères d’admission du centre Viva Mexico se retrouvent dans celui nommé Siglo XXI. Après deux visites dans ce centre DIF et une discussion avec la coordinatrice des lieux, nous soumettons l’hypothèse que le centre de rétention Siglo XXI fait appel à Viva Mexico en cas de surplus dans son enceinte.

La durée maximale de séjour est de 10 jours, mais elle est très fréquemment renouvelée et peut durer parfois jusqu’à une année. Ce centre n’accueille pas certains jeunes atteints de maladies contagieuses ou de schizophrénie. Y travaillent deux psychologues, deux travailleuses sociales, une animatrice d’atelier, un chauffeur, une secrétaire, un médecin et une gardienne. Sur place, les migrants ont accès à des soins médicaux et psychologiques ainsi qu’à des activités ludiques et instructives.

Le centre peut accueillir jusqu’à 78 personnes. Les dortoirs sont séparés en fonction de critères tels que l’âge, le sexe ou encore, les liens familiaux. Cet espace est encerclé de grilles et de hauts murs et une gardienne maintient la porte d’entrée sous vigilance. L’entrée y est restreinte ainsi que les sorties. Étant dans l’attente de régularisation où de rapatriement, les familles, jeunes et enfants sont contraints à une attente indéterminée.

Figure 7 : Viva Mexico, centre de rétention pour enfants :

Figure 8 : L’intérieur du DIF Viva Mexico :

Source : photographies personnelles, juin 2012. © B-W Matthieu

D’après la coordinatrice des lieux « l’idéal est d’y séjourner moins de deux mois, passer ce délai ils deviennent fous ». Suite à cela, elle dit « appeler les autorités compétentes pour régler les cas au plus vite », elle ajoute que pour une demande de titre de réfugié cela « peut prendre plusieurs mois ». Ces propos permettent d’imaginer la situation dans laquelle se retrouvent de nombreux enfants et adolescents une fois qu’ils ont intégré ce centre.

b/ Une alternatif à l’enfermement, le centre de jour

Il existe un « centre de jour » d’accueil et d’encadrement dans la périphérie proche du centre de Tapachula qui est coordonné par le DIF national. Il est ouvert de 9 h à 17 h et reçoit des enfants et adolescents principalement migrants sans restriction précise d’âge. Ce centre offre le petit déjeuner et déjeuner pour permettre de manger « sainement » d’après le coordinateur des lieux que nous avons également rencontré. Ces enfants et adolescents peuvent également s’y laver, laver leurs vêtements, jouer ainsi que participer à différents ateliers (enseignement des bases informatiques, sensibilisation aux effets du tabac, à la santé). Par ailleurs, ils peuvent suivre une thérapie psychologique.

Ce centre accueille principalement des enfants et adolescents travailleurs ambulants. Certains travaillent comme cireurs de chaussures, d’autres comme vendeurs de chewing-gum et cigarettes. Pour le coordinateur, ce centre permet aux jeunes « de ne pas arrêter d’être des enfants », il décrit ce lieu comme « un espace récréatif de l’enfance, de l’innocence » ou environ « 40 enfants viennent chaque jour ». Un des objectifs est que ces enfants et jeunes repartent avec le désir d’étudier. Toujours d’après le coordinateur, peu de filles viennent dans ces lieux alors que de nombreuses mineures se prostituent ou travaillent comme femme de ménage dans des foyers.

Nombre de ces jeunes travaillent sur la place centrale de la ville : le Zócalo. Certains payent une « taxe » à des personnes leur servant de « veilleur » et leur permettant d’être privilégiés dans une zone clef pour la vente en centre-ville.

Par ailleurs, les DIF sont présidés au niveau des États mexicains par les femmes du gouverneur ou une personne féminine proche telles une soeur ou tante, il en est de même si cela est une gouverneure. Au niveau national, c’est la femme du président qui obtient les fonctions de présidente des DIF. D’après l’actuel coordinateur de ce centre, c’est un lieu unique en son genre. Ce centre recevrait une majorité de Guatémaltèques originaires de la zone appelée « San Marcos » (située en face de la région du Soconusco au Mexique). Il explique que ces jeunes restent le temps de se faire une réserve d’argent pour repartir étudier dans leur pays pour parfois revenir et recommencer à obtenir des économies.

La coordinatrice de Viva Mexico nous a informés qu’un nouveau centre devrait ouvrir prochainement sur Tapachula pour permettre aux familles d’être réunies. Cela serait innovant, car actuellement, ce n’est pas le cas ni à Viva Mexico du fait que les pères et adolescents de sexe masculin ne sont pas acceptés, ni au centre de rétention Siglo XXI où les familles sont séparées en fonction du genre. Ce nouvel espace fonctionnerait sous forme d’auberge gérée par la mairie.

C/ Entre diversité et multiplicité des organismes travaillant avec des personnes migrantes

Tapachula est considérée par diverses associations du District Fédéral comme une « villeterrain »(10) du fait de sa proximité avec la frontière et des conséquences migratoires que cela implique. C’est un point stratégique concernant les personnes s’intéressant à la thématique migratoire. C’est pourquoi, une grande diversité d’organismes agit au niveau local. Tous ont leur particularité, mais se retrouvent sur des objectifs communs concernant la défense des droits des personnes migrantes. C’est ce que nous allons voir dès à présent.

1/ Une multitude d’acteurs

D’après le chercheur Germán Martinez, les organisations que nous allons voir maintenant travaillent principalement dans une perspective de respect, de défense et de revendication des droits des populations les plus vulnérables comme le sont les migrants. Elles ont été créées entre 1991 et 2005 (2009, p.83). « Durant les dernières décennies s’est constituée une grande diversité d’organisations de la société civile qui travaillent les thèmes de migration, droits de l’Homme et santé, principalement concernant le VIH-sida […] Ce sont des thèmes facteurs de tension sociale qui influencent la dynamique de la ville » (MARTINEZ VELASCO, 2009, p.80).

Ainsi, c’est pour répondre à ces tensions sociales que la ville de Tapachula a vu son tissu associatif s’étoffer, tandis que de nouvelles structures publique ont été crées. Cet afflux d’organisation est censé permettre une meilleure maîtrise du phénomène migratoire pour ainsi éviter les troubles sociaux et trouver des réponses aux phénomènes émergents telle que l’augmentation du nombre de personnes demandant le titre de réfugié. Tapachula est une ville riche du point de vue de la société civile. Toujours d’après Germán Martinez, les personnes qui travaillent au sein de ces organisations ont « joué un rôle de premier plan en s’engageant dans les problématiques les plus profondes non seulement de la ville de Tapachula, mais aussi du Soconusco » (2009, p.82).

Sur les nombreuses associations présentes, une dizaine s’implique à différentes échelles dans la défense des personnes migrantes. Les différents projets et approches de ces organismes illustrent les problématiques de la ville de Tapachula et de sa région, le Soconusco. Les prendre en considération tout en mentionnant les organismes gouvernementaux et internationaux permet de mieux cerner la teneur de la thématique migratoire sur ce territoire. Nous allons ici en décrire un certain nombre pour rendre compte de leur diversité et du contexte de Tapachula illustré par leurs lignes d’action.

a/ Des acteurs de la société civile . . .

À Tapachula, se trouvent différentes auberges et organismes qui travaillent auprès d’un public d’enfants et d’adolescents sans différence de nationalité comme c’est le cas de l’association Todo por Ellos A.C.(11) qui offre un refuge pour dormir et manger à des jeunes dits “dépendants de la rue” en situation de vulnérabilité (vendeurs à la sauvette, prostitués, parfois addicts à des produits illicites, etc.), l’association Misón Mexico Dando Amor Vida y Esperanza, A.C.(12) agit quant à elle auprès d’enfants orphelins ou abandonnés. Enfin, l’association Save The Children, A.C.(13) agit avec et pour ce public lorsque les individus sont dits en situation de vulnérabilité, comme peuvent l’être les enfants travaillant dans la rue ou encore les mineurs migrants non accompagnés. Elle s’occupe des questions de protection et prévention de leurs droits et des risques auxquels ils peuvent être confrontés.

Pour en revenir aux auberges, l’une d’elles s’est spécialisée dans l’aide aux personnes nécessitant toutes formes d’assistance médicale (photographie ci-dessous). Elle se nomme l’auberge Jesús el Buen Pastor del Pobre y del Migrante A.C.(14). De nombreux migrants y viennent à la suite d’un accident à bord du train de marchandises qui leur permet de remonter vers les États-Unis.

Ayant perdu un ou plusieurs membres de leur corps et n’ayant pas les moyens d’obtenir les soins adéquats, ces personnes viennent recevoir un traitement médical dans cette auberge. Ils sont parfois envoyés en clinique, à l’hôpital principal voir à la capitale du Mexique pour des cas spécifiques. Suite à cela certains décident de rester, d’autres de retenter l’expérience. Cela n’est qu’un exemple des différents types d’usagers de cet espace.

Figure 9 :Auberge Jésus el Buen Pastor, Tapachula, Chiapas :

Source : photographie personnelle, juillet 2012. © B-W Matthieu

Une autre auberge est spécialisée dans l’accueil de personnes migrantes et réfugiées : l’auberge Belén(15) qui fait partie du réseau d’auberges catholiques du père Jean-Baptiste Scalabrini appelé aussi « père des migrants ». Lesdits migrants peuvent rester trois nuits et les personnes réfugiées ou en demande du titre, une semaine. Ces laps de temps sont modifiables en fonction de chaque cas. C’est un lieu de transit pour de nombreux migrants qui empruntent la route migratoire de la côte Pacifique.

Deux autres associations travaillent sur des thématiques spécifiques à l’égard de personnes migrantes, mais pas seulement. Una Mano amiga en la Lucha contra el Sida A.C. a pour objectif principal de contribuer à générer des pratiques sexuelles protégées et sûres de la part de la communauté homosexuelle, migrants et jeunes de la région. Pour cela, elle a mis en place des stratégies éducatives dans le but de diminuer l’impact du VIH SIDA au sud du Chiapas.

Quant à l’association Por la Superación de la Mujer A.C.(16), elle travaille avec des adolescentes, des femmes et leurs enfants migrantes et mexicaines en situation de vulnérabilité comme le sont les enfants prostitués ou les femmes ayant subi des violences domestiques. Une des lignes directrices est de les orienter vers le monde du travail en les orientant grâce à différentes formations. Cet organisme loge de façon temporaire certaines personnes du public avec lequel il travaille.

Le CDH Fray Matías de Córdova, A.C. (CDH Fray Matias) travaille également avec « la population sans-papiers d’immigrant, en mettant l’accent sur ceux qui ont subi des violations des droits de l’Homme. Il fournit des conseils juridiques et dénonce les faits de violence et la corruption des organismes gouvernementaux » (MARTINEZ VELASCO, 2009, p.81).

En ce moment, le CDH Fray Matias travaille avec Médecins du Monde France Mission Chiapas (MdM) sur un projet à destination des femmes migrantes travailleuses domestiques.

Nous reviendrons sur cette association dans une autre partie. L’association française MdM affirme : « À Tapachula notre objectif est le renforcement les soins de santé sexuels et reproductifs pour les femmes migrantes travailleuses sexuelles et travailleuses domestiques […] depuis janvier 2011 on a élaboré ce nouveau projet à Tapachula […] ici on travaille sur deux axes majeurs, auprès des bénéficiaires, avec les travailleuses du sexe la semaine et avec les travailleuses domestiques le week-end […] Notre autre axe concerne les centres de santé, pour qu’ils aient des connaissances sur les problématiques que rencontrent les femmes migrantes. Qu’ils aient des éléments sur les services qu’ils peuvent améliorer » (Romain, Médecins du Monde). Ils font également du plaidoyer auprès de la juridiction sanitaire pour garantir un accès aux soins.

Ce panel d’associations illustre la diversité d’acteurs de la société civile présents à Tapachula. Les associations reconnues comme Association Civile (A.C.) telle le CDH Fray Matias sont soumises au règlement de la loi fédérale de « promotion des activités réalisées par les organismes de la société civile »(17) et ici, au Code civil de l’état du Chiapas, de l’article 2643 au numéro 2662(18). Les restrictions émisses dans ces différents documents juridiques sont semblables à la loi du 1er juillet 1901(19) relative au contrat d’association utilisé en France.

b/ … aux acteurs étatiques et internationaux

Concernant les acteurs étatiques ayant une influence sur la thématique migratoire, il serait pesant de tous les citer ici. Nous nous attacherons donc à exposer ceux qui sont le plus souvent évoqués, conformément au travail des associations rencontrées. Nous allons commencer par présenter les secrétariats fédéraux.

Il existe quatre instances importantes bénéficiant aux migrants :

– Le secrétariat du travail qui donne la carte permettant de travailler et de superviser les employeurs.
– Le secrétariat du développement de la frontière Sud qui apporte protection aux migrants.
– Le secrétariat de la santé qui a un programme d’assistance aux personnes migrantes. Il permet entre autres, l’obtention de la carte de santé judiciaire
– le secrétariat de l’éducation qui permet d’accéder aux droits d’inscription dans les écoles publiques.

Un autre secrétariat du Chiapas servant d’expérimentation, se nomme « secrétariat spécialisé dans les délits commis contre les immigrés ». Il permet de porter plainte pour tout type de violations des droits de l’Homme affligé à une personne migrante. Cette instance mène l’enquête pour connaître l’origine des abus que les personnes migrantes ont connus, mais le climat d’impunité rend la tâche souvent difficile (GRILHOT, 2011).

L’Institut Nationale des Migrations(20)(INM), grande figure de la migration, est l’organe du gouvernement permettant la régularisation. C’est aussi cet organisme qui gère les points de contrôles de documentation à la frontière et sur les routes migratoires ainsi que les centres de rétentions et les rapatriements. En 2005, le Système de Sécurité Nationale du Mexique s’est incorporé au sein de l’INM, le rendant plus vigilant quant aux migrants sans papier.

La Commission Mexicaine d’Aide aux Réfugiés (COMAR), cet organisme permet l’obtention du titre de réfugié ou de la protection complémentaire que nous expliciterons à un autre moment dans le développement. Un migrant qui entre au Mexique « a 30 jours ouverts pour solliciter l’asile à la COMAR, puis la COMAR a 45 jours pour examiner chaque cas et donner une réponse […] Elle organise des entretiens et récupère les documents, et vérifie les informations des migrants […]. À Tapachula elle reçoit environ 300 demandes de titre de réfugié par an, dont 80 aboutissent à des réponses positives, pour environ 600 par an au
Mexique » (Hans, ACNUR).

Au niveau international se trouvent deux organismes de l’ONU à Tapachula : le Haut Commissariat de l’agence des Nations Unies pour les Réfugiés (ACNUR ou UNHCR) et l’Organisation Internationale des Migrations (OIM).

Le bureau de la ACNUR n’est pas très grand, leur rôle est « d’assurer la protection des personnes réfugiées ou en demande du titre de réfugié et d’assurer un processus juste » (Hans, ACNUR). Ils agissent sur tout le sud du Chiapas. Ils organisent des formations aussi bien pour les employés de l’INM que pour les personnes d’églises ou encore des employés d’ONG. Ces formations sont orientées sur les thématiques suivantes : comment reconnaître un réfugié, quels sont ses droits et savoir l’orienter. En effet, « savoir qui est réfugié n’est pas facile, il faut former les gens » (Hans, ACNUR). Pour Gema également de la ACNUR ; « une partie de ma mission et d’identifier les personnes réfugiées et de les informer sur leurs droits […] notre rôle est qu’ils connaissent leur droit ». Elle ajoute « Nous surveillons le travail de la COMAR pour qu’ils appliquent la loi ». Ils envoient des informations sur les réalités dans les pays d’origine des migrants pour justifier un éventuel danger. Ils sont les garants de la bonne application de la loi de la COMAR.

Concernant l’Organisation International des Migrations (OIM, instaurée à Tapachula en 2005), elle a trois projets. « L’appui volontaire au retour pour les cas en situation de vulnérabilité ou double vulnérabilité comme les mineurs non accompagnés ou les femmes victimes de TRATA » (Jose Luis, OIM). Un autre projet s’appelle « meso americano », ils veulent « promouvoir une attention psychologique et médicale immédiate […] Nous faisons différents ateliers pour la société civile, le monde médical, les représentants du gouvernement du Honduras et du Guatemala » (Jose Luis, OIM). Le dernier porte sur les séquestrations.

Leur but est de « détecter, identifier, et porter assistance aux victimes de traite humaine » (Jose Luis, OIM).

Les deux photos ci-dessous illustrent les lieux où sont situés les offices de différents organismes précédemment cités dans la ville de Tapachula.

Figure 10 : Bâtiment abritant les bureaux de la COMAR et de l’ACNUR :

Figure 11 : Édifice regroupant le secrétariat de la frontière sud et l’OIM :

Source : photographies personnelles, juillet 2012. © B-W Matthieu

À Tapachula cinq pays sont représentés par le biais de leurs consulats. Ainsi, les consuls du Salvador, du Honduras, d‘Équateur, du Nicaragua et du Guatemala travaillent dans le même bâtiment surnommé le « bâtiment des consulats ». Leur rôle est important dans la défense de leurs compatriotes. Par ailleurs, il faut savoir que l’INM considère essentiel que les consuls soient les représentants légaux des mineurs non accompagnés originaires des pays concernés.

2/ Convergences et antagonismes dans les projets menés

Comme nous venons de le voir, ces organismes ont chacun leurs spécialités tout en se retrouvant en consonance sur la thématique de défense des droits de l’Homme envers des personnes migrantes. Nous allons parler ici de leurs similitudes d’actions et d’opinions mais également de leurs divergences.

a/ Synergies et divergences dans les lignes stratégiques des uns et des autres

La mutualisation entre organismes est faible. Suite à différents entretiens, les relations entre les associations ne sont pas très développées. À titre d’exemple, le CDH Fray Matias travaille de façon régulière seulement avec Médecins du Monde France, Mission Chiapas (avec lequel a été présenté un projet commun à l’Union Européenne) et Save the Children A.C. avec qui il a mis en place des ateliers à destination des enfants. Pour MdM, leur « priorité est de se focaliser sur les travailleuses du sexe en 2014 et passer le relais au Fray Matias pour les travailleuses domestiques » (Romain, Médecins du Monde). Cette confidence montre l’importance de la qualité du partenariat pour cet organisme.

Le CDH Fray Matias tente de garder des liens avec d’autres organismes comme Por la Superación de la Mujer A.C. ou encore Todos por ellos A.C.. En cas d’événement public, le CDH Fray Matias convie les différents organismes de la société civile de Tapachula, mais très peu de personnes font le déplacement. L’auberge Jesús el Buen Pastor del Pobre y del Migrante A.C. est quant à elle en relation régulière avec la Croix Rouge qui lui donne des prothèses et finance certaines consultations médicales, ainsi qu’avec l’auberge Belén permettant ainsi aux migrants d’accéder à un dentiste de façon gracieuse. Ces organismes sont en relation avec les moyens de communication locaux avec lesquels ils travaillent, mais il est très rare qu’ils agissent ensemble pour avoir une plus grande portée dans les médias.

Les liens étant faibles, il convient d’indiquer le manque de mutualisation des organismes entre eux. Il y a très peu de mise en commun, aussi bien des recherches réalisées que des outils maitrisés.

Dans les descriptions des organismes si dessus nous pouvons remarquer que tous ces organismes ont comme fonction de défendre les droits de l’Homme dans la région. Dans tous les cas, les personnes migrantes sont concernées, étant parfois le public cible ou se mélangeant avec des nationaux sujets aux mêmes situations de vulnérabilité.

b/ Stigmatisation et besoin de connaissance du thème migratoire

Le respect de la différence et l’apport d’éléments de réponse aux problématiques locales influencent le contexte migratoire. Revendiquer l’égalité de droit pour tous est une ligne directrice des différents organismes de la société civile cités auparavant. Les discriminations sont fortes et accentuées par les stéréotypes que nous retrouvons dans toutes les sociétés dites multiculturelles, ou vivent dans le même espace, des personnes de diverses nationalités. Comme le dit Patrick Doutreligne de la fondation Abbé Pierre dans un article du journal le Monde au sujet des Roms et qui est applicable pour les migrants à Tapachula ; « Le gêne de voleur, d’assisté, du délinquant ou de l’illégalité systématique n’existe pas plus dans cette population que chez aucun être humain » (2012). Un autre témoignage est similaire ; « il faut arrêter avec la vision que le migrant est un délinquant » (Gema, ACNUR). Dans son mémoire, Blanca Blanco Abellan parle de « labellisation des migrants » ou le fait « d’être migrant d’Amérique Centrale est associé à être un délinquant et être une employée domestique indigène guatémaltèque équivaut à être une voleuse, analphabète et ingrate » (BLANCO ABELLÁN, 2012, p.38). Ces stéréotypes systématiques qui n’ont pas lieu d’être se retrouvent très souvent dans les discours populaires. Actuellement c’est associé au contexte de la crise économique mondiale bien que cela ne soit qu’un des facteurs pouvant engendrer cette stigmatisation. Nous retrouvons cela dans les faits, la rétention systématique des migrants de la part des agents de l’INM est due à cette stigmatisation. Cela est notamment dénoncé par le CDH Fray Matias.

Aussi le manque de connaissance de la population comme des employés du gouvernement, rendent plus difficile la lutte pour le respect des droits des personnes migrantes. La lenteur et la faiblesse des changements seraient justifiées ainsi, « un des facteurs est le manque de connaissance sur ce thème de la part des autorités publiques » (Veronica, CDH Fray Matias)

c/ Un combat vers l’accès au droit dans le centre de rétention

Signalons tout d’abord que, « les centres de rétentions ont un fondement légal incompatible avec l’esprit garanti par la Constitution qui, dans son premier article établi que toute discrimination motivée par l’origine ethnique ou nationale est interdite » (Sin Fronteras, 2009, p.27). Sachant que pour détecter les migrants circulant sur le territoire mexicain de façon irrégulière, les agents se basent sur des critères comme « la couleur de la peau, les traits physiques, la façon de parler » (Sin Fronteras, 2009, p.26). Cela nous permet d’illustrer toute la difficulté qu’ont les personnes séjournant dans ces lieux de faire respecter leur droit.

À l’intérieur du centre de rétention Siglo XXI existe un bureau où les migrants peuvent se rendre pour connaitre leur droit et savoir s’ils correspondent aux critères leur permettant de sortir de ce lieu et obtenir des documents de régularisation. D’après la loi, chaque migrant devrait passer une entrevue dans ce bureau, ce qui n’est pas fait par le manque de personnel.

Ajoutons ici que ce lieu est soumis au contrôle de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), de la Commission Mexicaine d’Aide aux Réfugiés (COMAR), de l’Organisation Internationale pour les Migrations et de différents organismes de la société civile tel le CDH Fray Matias. Ces derniers permettent de divulguer un autre regard sur cet espace puisque les trois organismes précédemment cités sont rattachés au gouvernement mexicain. Cela signifie que leur liberté de parole est soumise à condition pour des questions qui vont entre autres, de la permanence sur ce territoire aux financements octroyés.

Les centres de rétention sont régulièrement définis comme zone de non-droit par la société civile. Pour répondre à cela, dans celui de Tapachula, des organismes comme l’ACNUR ou encore le CDH Fray Matias diffusent auprès de petits groupes les droits auxquels peuvent prétendre les migrants reclus. En fonction des cas, il est possible pour eux d’accélérer les démarches de régularisation qui permettent la libération. Leurs accès sont restreints à quelques heures chaque semaine et à des jours spécifiques de plus que leur droit d’entrée en ce lieu est géré depuis le siège de l’INM dans la capitale mexicaine.

À titre d’exemple, le CDH Fray Matias peut se rendre dans le centre Siglo XXI de Tapachula le mardi et jeudi matin de 10 heures à 13 heures. Cette contrainte à laquelle les organismes doivent s’adapter permet à l’INM de limiter le champ de manoeuvre de ces personnes venant essentiellement diffuser les droits auxquels peuvent prétendre les personnes migrantes. Un des reproches que nous pouvons faire est, qu’aucun organisme de la société civile compétent sur le plan médical n’a accès à centre. Ce qui ne permet pas d’identifier certaines carences et maladies éventuellement présentes en ce lieu.

Nonobstant que, en se rendant dans le centre de rétention « sigle XXI » une à deux fois par semaine, les deux avocates permettent à certaines personnes migrantes de remplir ou obtenir certains documents propres à la régularisation ou à l’obtention du statut de réfugié. Elles diffusent également les droits auxquels peuvent prétendre les personnes détenues et vérifient s’ils sont ou non respecté. Cela peut amener à des rapports dénonçant certains abus durant le parcours migratoire ou à l’intérieur même du centre de rétention.

Ajoutons qu’en 2009, après avoir publié un rapport(21) dénonçant les anomalies et mauvaises pratiques du centre de rétention Siglo XXI, les employés du CDH Fray Matias furent interdits d’entrée en ce lieu durant un an. Ceci remet en question la stratégie qu’une association doit adopter. À savoir s’il est préférable de continuer à travailler auprès des bénéficiaires directs ou bien se permettre de dénoncer dans le but d’arriver à des changements de condition de séjour des migrants à l’intérieur des centres de rétention ? Cette question est à lier avec le contexte local et national. Les avis sont divergents, des individus interrogés souhaitant garder l’anonymat à ce sujet nous ont confié que pour eux, la stratégie adoptée par le CDH Fray Matias ne fût pas la bonne. Ce que nous pouvons en tirer est l’importance que chaque organisme définisse correctement ses stratégies au préalable de l’action.

5 Site de l’état du Chiapas : http://www.chiapas.gob.mx/municipio/tapachula-de-cordova-y-ordonez
6 Site internet : http://fox.presidencia.gob.mx/buenasnoticias/?contenido=23626&pagina=120
7 INM: Boletín Mensual de Estadísticas Migratorias 2012. Extranjeros Alojados y Devueltos, tableau 3.1 Disponible sur internet : http://www.inm.gob.mx/index.php/page/Extranjeros_Alojados_y_Devueltos_2012
8 Cela concerne également les personnes marginalisées, certains handicaps, les personnes victimes de certains délits, où encore les personnes isolées.
9 Site internet : http://www.colotlan.gob.mx/DIF/DIF.html
10 Exemple : les organismes Sin Fronteras et Inside.
11 Site internet : http://todoporellos.org.mx/sitio/
12 Site internet : http://lovelifehope.com/index.htm
13 Site internet : http://www.savethechildren.org/
14 Site internet : http://alberguebuenpastor.org.mx/
15 Site internet : http://www.migrante.com.mx/Tapachula.htm
16 Page internet : http://superaciondelamujer.org/welcome.aspx
17 Disponible sur internet en PDF : http://www.ordenjuridico.gob.mx/Federal/PE/APF/APC/SEDESOL/Reglamentos/07062005(1).pdf
18 Disponible sur internet : http://info4.juridicas.unam.mx/adprojus/leg/8/257/2705.htm?s=
19 Référence : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006069570&dateTexte=20090506
20 Site internet : http://www.inm.gob.mx/
21 Rapport : Derechos Humanos y Condiciones de Detención en la Estación Migratoria Siglo XXI . Il donne lieu à des recommandations sur des thèmes tels l’hygiène, la sécurité ou encore l’accès à la justice

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