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CONCLUSION

265. Le principe d’équivalence entre demande en justice et déclaration de créance est vidé de sa substance par le trop grand nombre d’exceptions que la Cour de Cassation admet elle-même à sa propre jurisprudence. Une requalification de la déclaration de créance s’avère donc nécessaire.

266. Comme le propose Pierre-Michel LE CORRE ou Jean-Luc VALLENS, il serait peut-être judicieux de qualifier la déclaration de créance non pas en demande en justice mais en acte conservatoire.

267. Un acte conservatoire a pour effet de maintenir le patrimoine dans son état actuel. Il tend à consolider des droits et à faire en sorte que ces droits ne meurent pas. On sait que l’acte conservatoire se définit par sa finalité qui est par essence la sauvegarde des biens et notamment de leur valeur.

268. La conservation de l’existence, de l’intégrité ou de l’utilité des droits exige parfois l’accomplissement de formalités par lesquelles la personne témoigne de son droit ou de son intention de s’en prévaloir, et tel semble bien être le cas de la déclaration de créance(136).

269. « La déclaration de créance aurait dès lors parfaitement pu être considérée comme un acte préparatoire à une demande en justice, conservatoire des droits. Cette analyse permettrait d’ailleurs seule d’expliquer pourquoi une première déclaration au passif conditionne dans certains cas une seconde déclaration »(137).

270. Dans cet esprit, et en raison des hésitations sur la qualité du créancier demandeur à l’action, il sera plus raisonnable de transférer la demande en justice au moment où le mandataire judiciaire, représentant la collectivité des créanciers, transmet l’état des créances au juge-commissaire. Dès lors le créancier déclarant réaliserait un acte conservatoire, préparatoire à la demande en justice, et le mandataire judiciaire procéderait à la demande en justice.

271. Le mandataire judiciaire aurait la qualité de demandeur à l’instance. De ce fait, les risques de confusions disparaîtraient quant à la qualité de demandeur ou de défendeur qu’il convient d’attribuer au créancier.

De plus, même si la question du droit d’accès à un juge n’est pas tranchée, ce n’est plus un mandataire qui est saisi, mais bien un juge.

272. Ce mémoire a montré les limites de l’équivalence posée par la Cour de Cassation entre la déclaration de créance et la demande en justice. Les auteurs cités précédemment évoquaient la possibilité d’assimiler la déclaration de créance à un acte conservatoire, mais d’autres soucis pourraient surgir du fait de l’assimilation de la déclaration de créance à un outil préexistant.

273. Il est reconnu que le droit des procédures collectives est un droit spécifique et à ce titre, il serait peut-être plus judicieux de créer un instrument dédié à la déclaration de créance : un acte sui generis qui aurait ses propres modalités, conditions et effets.

274. Quelles devraient être les caractéristiques de cet outil ?

275. Le sujet de l’interruption de la prescription peut être écarté puisqu’il ne s’avérere plus nécessaire depuis que la loi de sauvegarde prévoit que le jugement d’ouverture entraîne cet effet.

276. Concernant l’autorité de la chose jugée attachée à la décision d’admission des créances, elle n’a d’intérêt que pour les créances contestées, puisque pour les créances non contestées, l’autorité de la chose jugée conduit le débiteur ou sa caution à ne plus pouvoir opposer les exceptions dont il disposait envers son créancier. A moins bien sûr d’accorder des exceptions jurisprudentielles comme l’a fait la Cour de Cassation avec notamment l’exception d’inexécution. Mais cette conception s’accorde mal avec le principe fondamental qui consiste à ne plus pouvoir remettre en cause une décision qui a autorité de la chose jugée.

277. Il serait donc plus logique d’envisager qu’il n’y a contentieux qu’en cas de contestation de la créance, et donc que le juge-commissaire n’a de fonction juridictionnelle que dans ce cadre, et ainsi n’accorder l’autorité de la chose jugée qu’à ces créances contestées(138). Ce qui revient à considérer que les créances non contestées relèvent de la matière gracieuse et n’ont donc pas autorité de la chose jugée.

278. C’est d’ailleurs le cas dans d’autres pays de droit européen. Le droit allemand, par exemple, confie à l’administrateur de l’insolvabilité le soin de présenter aux créanciers un rapport sur les créances déclarées et soumet au tribunal les seules créances contestées.

De même, en droit britannique, le juge n’est saisi qu’en cas de difficultés particulières, sinon c’est le trustee qui est habilité à décider du sort des créances et à transiger.

Et les droits belge et espagnol qui sont pourtant marqués par un rôle prépondérant des tribunaux empruntent la même voie, en ne saisissant le juge qu’en cas de difficultés(139).

279. En ce qui concerne la représentation du créancier à la déclaration de créance, il suffirait d’envisager d’appliquer la théorie du mandat et d’en fixer le cadre. A savoir, jusqu’à quand peut-on prouver qu’on a reçu mandat de déclarer au nom et pour le compte du créancier. Si les juges veulent être bienveillants envers le créancier, alors il suffit de déterminer immédiatement que c’est jusqu’au jour où le juge statue.

280. Concernant la forme de la déclaration de créance, il est évident que ce qui compte le plus actuellement c’est que ressorte de la déclaration, la volonté non équivoque de déclarer sa créance. Mais une volonté non équivoque ne peut être implicite. Il faudrait dès lors imposer un courrier du créancier au cours duquel il demande à être admis au passif en prouvant par des documents fournis en annexe la réalité de sa créance et son titre privilégié le cas échant. Bref, il faudrait appliquer purement ce que prévoit déjà le code de commerce, sans accorder de dérogation aucune.

281. Enfin, dès lors que la procédure collective fait l’objet d’une conversion, l’admission de plein droit des créances déjà déclarées, y compris des créances contestées – qui auront autorité de la chose jugée – peut être légalement prévu sans contredire aucune norme. Cette admission de plein droit participerait ainsi de la célérité et de la simplification des procédures collectives.

282. Les pouvoirs du juge-commissaire, puisqu’il ne serait saisi qu’en cas de contestation des créances, devraient être plus large et inclure notamment les exceptions inhérentes à la créance que peuvent soulever le débiteur et sa caution.

283. Dans un souci de justice, la subrogation devrait continuer à s’appliquer à la déclaration de créance dès lors que la caution, l’assureur ou un tiers indemnise le créancier déclarant afin qu’il puisse également être à terme, désintéressé par le débiteur.

284. Cependant, on ne peut qu’observer que la Cour de Cassation est pour l’instant réfractaire à toute modification de sa jurisprudence, elle la rappelle constamment et ce, malgré les nombreux appels de la doctrine qui l’invitent à opérer un revirement de jurisprudence.

285. Aussi, si la Cour est tellement attachée à cette équivalence, il faut mettre en place des solutions qui adapte le droit à cette vision. En ce sens, la loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et de certaines professions réglementées a un intérêt non négligeable.

286. En effet, dans un souci de simplification, cette loi prévoit la création d’un portail électronique dont la gestion serait confiée au Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires.

287. Ce portail devrait être mis en place au plus tard le 1er janvier 2014, et permettrait, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, l’envoi et la réception d’acte de procédure par les administrateurs judiciaire et les mandataires judiciaires. La création de ce portail permettra la centralisation des déclarations de créances effectuées par voie électroniques et facilitera ainsi les démarches des tiers et des professionnels.

288. La mise en place de ce portail est une réelle avancée en ce sens qu’elle permettra de donner date certaine à la déclaration et qu’elle obligera au respect d’un certain formalisme de la déclaration de créance.

289. En effet, ce portail pourrait obliger les créanciers déclarant à ne pouvoir envoyer la déclaration qu’après avoir correctement rempli tous les champs nécessaire à la qualification ultérieure de cet envoi en déclaration de créance, et ceci après avoir téléchargé en annexe tous les documents prouvant la créance.

290. On pourrait aussi imaginer que ce portail puisse permettre de résoudre les difficultés concernant la présentation dans le temps du mandat ad litem. En effet, le tiers déclarant devrait dès le début de la déclaration pour le compte du créancier, indiquer qu’il est un mandataire du créancier, ce qui conditionnerait le logiciel à lui demander de fournir en annexe par téléchargement le pouvoir que lui a donné le créancier. Ainsi, le pouvoir serait fourni dans le délai de la déclaration de créance sans qu’aucune exception ne puisse y être apportée.

291. Bien entendu, d’autres moyens techniques restent envisageables et à inventer afin de respecter la volonté de la Cour de Cassation. A moins bien sûr qu’elle ne soit sensible aux appels de la doctrine et accepte de procéder à un revirement de jurisprudence.

136 Avis de Mme PETIT, Premier Avocat Général pré à la Cour de Cassation, Cass, Ass. Plén. 26 mars 2010
137 Pierre-Michel LE CORRE, « Déclaration, vérification, admission des créances et procédure civile », P.A., 28 novembre 2008, n°239, p 72
138 Julien THERON, « Réflexions sur la nature et l’autorité des décisions rendues en matière d’admission de créances au sein d’une procédure collective », RTD Com., 2011, p 635
139 Jean-Luc VALLENS, « La déclaration de créance n’est pas une demande en justice », RTD Com., 2009, p 214

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