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Charles (Surnom choisi au début de l’entretien)

Rachel : Bonjour. Déjà on voulait vous remercier pour votre participation, de répondre à nos questions

Charles : Si ça peut aider, y a pas de problème.

Rachel : C’est vraiment chouette, de nous aider dans ce processus d’apprentissage. Et puis, je voulais encore préciser que tout ce qui se dit, restera confidentiel et les enregistrements seront détruits quand nous aurons fini. Quel nom souhaiteriez-vous que nous utilisions ? Vous avez une préférence…

Charles : (Rire) C’est égal.

Roseline : Philippe, Yan, je ne sais pas…

Charles : Charles.

Roseline : Charles ?

Charles : Si vous voulez.

Roseline : On dit Charles

Rachel : Je vais juste vous dire les thèmes qu’on va aborder tout au long de ce questionnaire. Donc ce sera sur les expériences d’échanges affectifs. On va vous poser des questions au sujet de votre arrivée, pendant votre détention et enfin, une ou deux questions sur votre sortie. Je voulais également préciser que s’il y a des questions auxquelles vous ne souhaiteriez pas répondre, vous pouvez nous le dire, et si vous avez besoin d’un moment de pause, pas de problème on peut stopper.

Donc pour la première question, que pourriez-vous nous dire de ce que vous avez pensé au moment où vous êtes arrivé en prison ? Qu’est que vous avez ressenti ?

Charles : On se sent perdu, on a peur, il faut dire la vérité, parce que c’est l’inconnu total, on écoute beaucoup de choses jusqu’à ce qu’on est confronté à ça, on….. On sait pas exactement comment ça se passe, en même temps, c’était plus l’inconnu.

Rachel : L’inconnu qui fait peur ?

Charles : Hum, hum oui. Aussi pour les choses qui arrivent là-bas. On pense beaucoup à ça. C’est très spécial.

Rachel : D’accord….Vous avez un souvenir particulier qui vous reste quand vous êtes arrivé ? Quelque chose qui vous a particulièrement marqué ?

Charles : Oui toutes ces portes… toutes ces portes de sécurité, partout des gardiens, quatre à cinq gardiens. Ils sont tous pareils, et en même temps, je ne sais pas comment dire mais c’est…un peu choquant quand même.

Roseline : Est-ce que vous seriez d’accord de juste nous dire quelque chose par rapport à vous, de votre âge….euh.

Charles : Moi j’ai 39 ans, j’ai des enfants avec des mères différentes et j’ai fait 5 ans de prison mais j’étais condamné à 9.

Roseline : Donc vous avez fait de la préventive et après vous avez passé en prison ferme, c’est ça ?

Charles : J’ai fait 2 ans et quelques en préventive, c’est presque la moitié de ce que j’ai fait.

Roseline : D’accord.

Charles : Parce que l’idée de préventive ça dure des années. La préventive c’est pas pareil qu’en prison pénitencier, parce qu’on reste enfermé 23h sur 24, une heure de promenade, une fois par semaine du sport. Il faut voir ce que c’est le sport aussi, et c’est tout le temps enfermé.

Roseline : Et alors, vous étiez seul dans une cellule en préventive ?

Charles : J’étais au début dans une cellule de deux, puis je suis passé dans une cellule de cinq, j’ai passé deux, trois jours et à un certain moment parce que j’ai forcé, ils m’ont donné une cellule tout seul.

Roseline : Vous étiez carrément à cinq, une fois trois jours ?

Charles : Oui, oui. Ce qui était spécial, c’est que les cellules de deux étaient des cellules pour un et les cellules de cinq, c’était des cellules pour trois personnes.

Roseline : Ah oui d’accord et ça c’était en préventive ?

Charles : Et les cellules tout seul, c’était des anciens cachots.

Roseline : Oh… et puis après quand vous êtes allé en détention ferme, là vous étiez seul ?

Charles : Oui ça change, parce que là, j’étais dans une cellule tout seul. Surtout que, que là-bas c’est différent, totalement différent de la préventive.

Rachel : Puis en fait, quelles idées vous aviez des relations qu’il pouvait y avoir entre les détenus avant votre détention ? Est-ce que vous y aviez déjà réfléchi ?

Charles : Non, non, sur le coup. Mais si on regarde bien, il y a quand même beaucoup de gens qui respectent les autres, même si c’est des gens qui sont pas très fréquentables, je connais dans le même contexte, c’est des fois plus solidaire aussi. C’est vraiment spécial, parfois tu vois quelqu’un, tu dis dehors tu ne lui parlerais pas, il est pas bien. Mais dedans ça change tout parce qu’on est tous dans le même bateau et si on s’entraide pas ça ne marche pas. Il y a des gens qui font « le solitaire » et j’étais un peu plus connu qu’eux, voilà quoi.

Roseline : Ce que vous êtes en train de nous dire c’est que quand vous étiez dehors vous vous disiez qu’en prison c’était des gens pas fréquentables et je vais les trouver en prison.

Charles : Non, non, je dis simplement que quand on arrive là-bas, on voit le comportement des gens et on se dit que ce n’est pas des gens fréquentables. Ben quand même là-bas, on a une autre façon d’être, on est tous dans le même bateau donc on s’entraide.

Rachel : Est-ce que vous pourriez nous décrire des moments dans une journée où il y a la possibilité d’échange et un moment donc qui a été important pour vous, où vous avez pu rencontrer du monde, lieux communs autres?

Charles : Il faut savoir que Champ Delon est divisé en zone nord et zone sud. Le nord c’est plutôt pour les gens qui arrivent, on est vraiment 23h sur 24h enfermé comme j’expliquais avant, mais dans le sud, on a vraiment la chance de pouvoir manger dans le couloir. Et là, on se rencontre tous ceux qui sont dans le même couloir et on mange tous dehors car il y a des tables durant une heure, une heure et demie. On joue aux cartes, on parle, et on essaye de s’entraider, si quelqu’un n’a pas de cigarettes, des trucs comme ça.

Roseline : Vous avez donc apprécié ces moments de repas ?

Charles : Oui, il y a des fois que ça tourne chaud, mais…. Être trop enfermé, au moins on voit des gens, tout simplement.

Roseline : Quand vous étiez dans la zone où vous pouviez échanger dans le couloir, vous pouviez aussi recevoir des gens dans la cellule ?

Charles : Non, ça c’est interdit. La cellule s’ouvre, on sort dans le couloir et ils les ferment juste derrière. Le soir, ils ouvrent un petit moment pour les gens qui mangent dedans et qui veulent donner leur assiette directe. Je ne sais pas comment ça se passe maintenant, ça a changé, parce qu’avant ils faisaient des plateaux avec le menu et tout ça. Et maintenant apparemment, c’est chacun est avec son assiette et se sert à la louche.

Rachel : Est-ce que les week-ends se déroulaient de manière différente, est-ce que dans les week-ends vous aviez aussi des moments avec la possibilité d’échanger, d’avoir des contacts ?

Charles : C’était toujours pareil. Heureusement. Pas tout le monde avait une place de travail car il y en avait pas pour tous mais moi je travaillais du lundi au vendredi avec des horaires. On se mélangeait pas dans le travail, les gens de la menuiserie d’un côté, mais dans le week-end c’est encore pire car si tu ne travailles pas tu sors pas, tu restes dans la cellule.
Rachel : Donc peu de possibilité d’échange ?

Charles : Ouais. Les seuls moments c’est quand tu vas au sport, quand il y a le sport, il faut avoir l’envie des fois. La promenade c’est une heure et si tu as la chance d’être au sud, tu peux manger dans le couloir. Après tu n’as pas vraiment la possibilité d’échange, sauf si tu es dans une cellule à plusieurs.

Roseline : Pendant le temps de travail, c’était travail, travail, vous n’aviez pas de contact ?

Charles : Moi, j’étais dans une place où je devais aller avec le chef dans les étages, des fois parce qu’il fallait changer ou réparer, mais il y en a certain, c’est dans les ateliers et ils ne changent pas de place. Bonjour et au revoir.

Rachel : Quand vous êtes arrivé à créer des liens, c’était de votre initiative ou c’est les autres qui sont venus vers vous ?

Charles : C’est à peu près, cela dépend, les deux, parfois c’est certains qui viennent vers toi, certains c’est toi qui y va, je ne sais pas comment expliquer, ça ne se programme pas, ça vient comme ça.

Rachel : Mais disons… est-ce qu’il y a un effort à faire pour s’intégrer ? Pour…

Charles : C’est pas un effort. Vous arrivez dans un endroit, on va pas dire que c’est dangereux mais qu’il y a des gens qui peuvent être dangereux, on sait pas qui est qui, on sait rien. On doit savoir où on met les pieds. On peut pas débarquer comme dans la rue entrain de rigoler, c’est pas une rigolade. On fait attention aux autres, à soi-même et peu à peu, il y a des liens qui se créent. Aussi, il y en a certains qui ont besoin de parler parce qu’ils ne sont pas bien et voilà. C’est spécial comme ambiance.

Rachel : Ces liens vous les décririez comment ? C’est plutôt des liens superficiels ou peut-être amicaux ou peut-être affectifs ?

Charles : Ca dépend de la personne vraiment, on peut se faire un bon ami comme on peut simplement se faire une connaissance. C’est… je sais pas comment expliquer, s’il y a un feeling qui passe ? Bon il y a des gens qui restent toujours entre eux, c’est pas seulement parce qu’ils sont de même nationalité mais aussi c’est parce qu’il y a le feeling, le respect que chacun a envers l’autre et en même temps, il y en a certains qui même comme ça, si vous aimez pas, vous aimez pas. C’est spécial, c’est une ambiance spéciale, vraiment.

Rachel : Est-ce qu’il y aurait des liens plus forts et qui se créent plus rapidement ?

Charles : Il y en a certains qui se créent plus fort, il y en a certains qui se créent plus rapidement. Parce que si vous connaissiez la personne et au bout d’un moment si vous êtes avec dans la cellule, c’est forcément vous allez créer un lien et si ça marche pas au bout d’un moment ça pète, il faut changer la cellule. Ou si non comme je dis, c’est après la prison quand on est dehors ça change aussi. Chacun retourne vraiment à son ambiance, à ses amis et il y en a qui ne se perdent pas de vue non plus.

Roseline : Et vous vous avez pu créer des liens d’amitiés avec certaines personnes ?

Charles : Oui j’ai pu créer plusieurs liens d’amitié avec. Aujourd’hui, je ne vois pas beaucoup de gens, mais il y en a certains qui ne sont pas dans le même pays et par internet on parle un peu.

Roseline : Pendant que vous étiez en prison ?

Charles : Non après.

Roseline : Des liens qui perdurent.

Charles : Bien oui parce que nous étions dans la même galère. (Rires)

Rachel : A ramer ensemble ? (Rires)

Charles : Exactement ! (Rires)

Roseline : Quand vous dites que si vous êtes à plusieurs en prison. C’est ce qui vous est arrivé ? Vous aviez des soucis quand vous étiez à plusieurs dans une cellule, vous avez demandé à changer….

Charles : Non, non, moi je voulais être tout seul depuis un moment. Parce que la prison de toute façon, c’est rotatif. Quand une personne arrive aujourd’hui, on sait pas s’il part demain ou s’il part dans deux ans. Avec la personne ça peut se passer bien et la personne qui arrive après ça passe mal, je préférais éviter cela. Un moment j’étais avec une personne et ça se passait très bien et quand il est parti, la personne qui est arrivée ça a pété. Pis un ou l’autre doit changer de cellule et ça pose encore plus de problème alors j’ai préféré être seul pour éviter ce problème. Ce n’est pas évident de l’obtenir, mais j’ai forcé, forcé et je l’ai eu. (Rires)

Roseline : D’accord…

Charles : Parce que là il n’y a personne qui arrive sauf toi.

Roseline : Ouais, c’est votre initiative, d’après ce que vous dites, ce n’est pas très ouvert….

Charles : Non, il y a des gens qui ne supportent pas d’être seuls, c’est sûr, ils préféraient des cellules à deux ou à cinq, parce qu’ils sont comme ça, il faut parler, pour avoir quelqu’un à côté et pour pouvoir s’exprimer. Mais moi, je n’ai pas eu ce problème. Moi j’étudiais, je m’occupais différemment quoi.

Rachel : Tout à l’heure, vous parliez de solidarité, pour vous il y avait beaucoup de solidarité ?

Charles : Il y a des problèmes entre eux mais les problèmes entre eux c’est différent. Mais quand il y a un problème qui concerne vraiment tous les gens, là c’est différent. Les gens mettent un petit moment sa rancune de côté parce qu’il y a eu deux, trois fois soit disant, ça m’a fait rire aussi, comme on dit, les émeutes.
Pour moi le mot émeutes c’est trop exagéré. Parce que des gens qui refusent de rentrer dans sa cellule, ce n’est pas une émeute, c’est simplement demander des choses qui n’arrivaient jamais et ils décidaient de pas rentrer dans la cellule et deux ou trois heures après, ils rentraient sans problème.

Roseline : Et là vous étiez solidaires entre vous ?

Charles : Oui, c’est mieux des fois.

Roseline : Dans le sens de dire que s’ils ne souhaitent pas rentrer c’est qu’il a des demandes et puis vous appuyez …

Charles : Oui, des fois ce n’était pas pour une seule chose et pour une personne, c’était par exemple pour les frigos, maintenant dans chaque cellule il y a des frigos. En été, il fait tellement chaud et tu ne peux pas sortir de ta cellule pendant deux, trois heures, on fait comment ? On va se déshydrater, donc ils ont forcé pour avoir ça et maintenant, ils ont des frigos quand même.

Rachel : Est-ce que vous avez pu créer des liens de confiance ?

Charles : Ouais. J’ai pu créer des liens de confiance. Moi je sais pas si c’est ma façon d’être mais les gens prenaient beaucoup plus de confiance envers moi, à parler avec moi et m’expliquer les problèmes que moi vers les gens. Il faut vraiment que je sois vraiment confiant pour pouvoir parler. Pour pouvoir parler de mes problèmes et de mes soucis. Mais bon bref, à la fin tout se sait.
C’est le problème, parce qu’on parle à quelqu’un et celui-là fait confiance à l’autre et voilà c’est comme ça, cela en fait partie, c’est ça aussi. (Silence)
C’est spécial.
Mais moi, je n’ai rien à cacher, j’explique tout ce que j’avais, mais il y a des gens qui comprenaient pas très bien, qui ne parlaient pas très bien la langue ou qui ne comprenaient pas très bien la loi, même les avocats ne prennent pas vraiment le temps d’expliquer bien comme il le faut. Je les aidais et souvent cela les soulageait. On est forcé d’apprendre des textes de lois pour être là-bas aussi. Alors ils demandent « est-ce que tu connais un cas, comment ça s’est passé ? » Des fois j’expliquais tous les cas, mais même si c’est la même chose ce n’est pas jugé pareil.
C’est un truc à je sais pas combien de vitesse, pas à double vitesse, mais plusieurs. Si tu as de l’argent, c’est une vitesse spéciale, si t’es jeune c’est encore une autre vitesse, si t’es vieux encore une autre.
Je sais pas, je sais pas comment ça se passe.

Roseline : Ça vous prenait beaucoup de temps toutes ces démarches administratives ?

Charles : Parce que pour moi on est tous égaux devant la loi et quand on doit juger égaux, on juge pas égaux. Celui qui fait le même délit, il peut avoir 6 mois comme 2 ans comme un sursis et même être acquitté, c’est le même délit. Soit disant il y a des choses spéciales. Il y a des choses circonstancielles parce qu’il est jeune, il étudie, des choses comme ça.
Par contre j’ai vu des gens que le juge laissait là pour voir s’ils parlaient. C’est extraordinaire ça, je suis resté bouche ouverte. (Rires)
Cela change avec l’avocat et que tu le payes bien, ça change, mais bon c’est comme ça, c’est la vie.

Rachel : Puis dans les contacts qui ont compté pour vous, c’était principalement des rencontres sur le lieu de travail, dans le couloir ?

Charles : C’était des collègues de cellule, aussi des gens qui étaient dans le même couloir, des gens que je connaissais déjà avant. Tu connais quelqu’un, lui il connaît l’autre. Des fois c’était spécial, on dirait que les tables étaient réservées, personne changeait.

Rachel : Donc en fait, il y aurait besoin d’une certaine proximité pour pouvoir créer des liens ?

Roseline : Un réseau…

Rachel : Oui mais disons que ce n’est pas forcément facile de créer des liens avec quelqu’un d’un autre couloir, c’est ça en fait ce que je me posais comme question ?

Charles : Ça dépend de la personne, si la personne est sociable, c’est différent que si quelqu’un est antisociable, je ne pense pas qu’il y aurait beaucoup de personnes qui iraient vers lui. Il y avait quelqu’un qui avait des problèmes psychologiques et quand il allait bien, c’était une personne extraordinaire. Mais il avait reconnu qu’il avait son problème psychiatrique, moi je trouvais ça fabuleux qu’il ait reconnu qu’il n’était pas bien, il était schizophrène, et après, tout le couloir partageait avec lui et les jours où il n’était pas dans son assiette, alors tout le monde se mettait de côté. On le respectait.

Roseline : Ce que vous êtes en train de dire peut-être, c’est qu’il faut du temps pour apprendre à connaître les gens…

Charles : C’est le temps d’adaptation, comme on dit chez nous. On peut pas arriver là et voilà. Sauf si tu connais du monde et on te présente, c’est différent. Les gens sont méfiants.

Rachel : Quand vous avez rencontré des gens, ces liens vous ont permis de vous sentir mieux ou peut-être seul ?

Charles : Non, c’est une entraide, on se sent bien, pas seul. Pas tout à fait seul car certains moments on parle, on rigole, on joue aux cartes pour se changer un peu les idées. Sinon on sort tous fous.

Rachel : Comment pourriez-vous nous décrire la nature de ces contacts, était-ce plutôt des échanges de mots ou non verbal ou peut-être une tape sur le dos ?

Charles : Oui, un peu tout ça. C’est un peu comme dehors, il y a des gens qu’on salue, il y a des gens qu’on respecte plus que les autres, il y a des gens que tu peux plus rigoler et taquiner. Cela dépend de ce qui se passe entre les gens, simplement. Il y a des gens où tu peux te permettre de lui dire tu fais « chier ». C’est comme cela. (Silence)

Roseline : Mais peut-être aussi peut-être par rapport au non verbal….

Charles : Ouais, aussi quand on allait à la promenade, on prenait le soleil et on restait là, une heure sans se parler et on était bien. C’est aussi un système de se sentir protégé.
Si tu vois arriver quelqu’un, tu vas me le dire, alors je sais pas si tu vas me défendre, parce que tu ne peux pas compter sur tout le monde, mais au moins il va t’avertir. Voilà c’est des trucs comme cela. C’est aussi faire attention à ce que l’on fait, j’ai beaucoup constaté, je parlais aussi beaucoup avec le psy, parce que quand on est dedans, on crée des réflexes. Et quand on sort, c’est fatiguant. Quand tu es dedans tu regardes, tu écoutes, et quand tu es dehors avec tous les bruits c’est fatiguant.

Roseline : Ah oui, ça perdure ?

Charles : C’est un réflexe.

Rachel : C’est un réflexe qui dure ?

Charles : Non après ça va, mais les deux, premiers jours en tout cas, c’est…aussi, on sait jamais qui…, ça peut péter. Des tensions de tous les côtés…

Rachel : Vous étiez tout le temps sur vos gardes ?

Roseline : Vous avez eu des soucis de, de…

Charles : Non, pas moi. Il ne fallait pas.

Roseline : Vous vous êtes protégé…

Charles : Je ne me battais pas, car il ne fallait pas. Si je m’engueulais avec un gardien, je ne disais pas de gros mots, mais je faisais respecter mes droits d’humain.

Roseline : Je me souviens, quand nous nous sommes rencontrés, vous parliez d’humanité, vous êtes d’accord de nous en reparler ?

Charles : Oui c’est ça, on peut pas mettre tout dans le même panier, j’aime pas généraliser, mais il y a certains gardiens qui pensent que si vous êtes en prison, surtout on a le droit à rien, on doit que se taire. Et je disais non, ce n’est pas comme ça.

Roseline : Et vous, vous l’exprimiez ?

Charles : Je suis désolé, est-ce que je suis condamné ? Non ! Alors, je suis innocent encore, j’ai encore tous mes droits. Je lui montrais le code pénal, parce que j’en ai acheté un, et je lui disais « tu vois c’est écrit là ». Et il s’énervait parce que c’est le gardien. Je n’utilisais pas les gros mots, mais je haussais la voix. Mais c’est des trucs comme ça, mais voilà quoi. Quand il me voyait comme ça, je lui disais je n’ai dit que la vérité.

Roseline : C’était votre caractère….

Charles : J’ai dû faire un travail là-dessus, car je dis toujours les choses vraies mais pas toujours comme il le faut, pas vraiment diplomate.

Roseline : Vous avez appris la diplomatie en prison ? (Rires)

Charles : Je disais voilà, ce que je pensais.

Roseline : Alors vous avez fait un travail là-dessus en prison ou après ?

Charles : Non en prison, avec les psys.

Roseline : Ah oui, ils vous ont aidé à ce niveau là….

Charles : Oui parce que j’étais aussi condamné à un suivi thérapeutique. J’étais obligé, il fallait bien l’utiliser pour quelque chose……Et ça marche.

Rachel : Vous avec trouvé cela positif….

Charles : Ouais, c’est très positif. (Rires)
Il y a encore des traces.

Roseline : Là, ce que vous êtes en train de dire, c’est que vous avez créé des liens différents mais créé des liens avec le psychologue……

Charles : Exactement.

Roseline : Et il y a aussi peut-être l’assistante sociale ?

Charles : Oui j’ai créé des liens avec l’assistante sociale qui est partie après, avec un des psys et j’ai créé des liens… comment expliquer… pffou des liens…. Ils sont là pour faire leur travail, c’est un lien, on va pas dire de grande amitié mais quand même d’amitié. Une relation de respect.

Rachel : Quand nous sommes venues nous présenter lors du repas, le mot séduction est ressorti, est-ce que vous pourriez nous en dire quelques mots ….

Charles : La personne qui parlait d’affection, mais en parlant de séduction. Et moi, j’expliquais que la séduction c’est pas pareil que l’affection. C’est autre chose. Tu peux avoir de l’affection pour un chien mais la séduction pour un chien c’est… (rires) très spécial.
Là-bas, j’avais la visite de ma mère, de mes enfants et de mes amis, je me sentais bien et j’avais un peu d’affection.
C’est vrai que du côté séduction, il n’y avait rien. Il y en avait qui sont venues, mais j’ai dit, c’est une perte de temps on fait comment surtout en préventive, non, ce n’est pas possible.

Roseline : Vous parlez de montrer des signes d’affection ?

Charles : Non, de séduction, l’affection je l’ai avec mes enfants dans les parloirs, je les tiens dans mes bras, je leur donne des bisous, c’est de l’affection.

Roseline : Donc vous avez reçu de l’affection de l’extérieur en prison ? Mais dans la prison il n’y en a pas ?

Charles : C’est spécial parce que moi j’ai vécu de l’affection, mais de l’amitié, de respect, il y a tellement de façon de donner de l’affection. Mais c’est vraiment la séduction qui est dure. Il faut être chacun d’accord de faire ce qu’il veut c’est leur vie.

Rachel : Donc pour vous, l’affectif ne vous a pas manqué, mais la séduction, oui ?

Charles : Bien sûr, ça oui. Tenir quelqu’un dans les bras, pouvoir l’embrasser, tout ce qui va avec. Ce n’est pas pareil que de tenir mes gamins dans les bras et de leur donner des bisous, ce n’est pas la même chose, c’est la vérité.

Roseline : Donc ce qui vous a manqué, c’est une femme…

Charles : On peut dire. Ce n’est pas un objet non plus.

Rachel : Bien sûr, pas pensé comme un objet.

Charles : Non, parce que là-bas quand on dit je veux une femme, c’est comme un objet, une poupée gonflable, un truc comme ça.

Roseline : C’est instrumentalisé…

Charles : Oui

Roseline : Vous vouliez être à côté d’une femme, pas d’un homme !

Charles : Voilà.

Rachel : Il y avait aussi le sujet des gardiennes de prison qui était ressorti. Elles pouvaient être très jolies, séduisantes qui….

Charles : Moi de mon point de vue, ça évoquait plus de calme, bien sûr il y a des gens qui pensaient pas comme moi. Pour moi avoir une jolie femme, avec qui je sais très bien que je ne peux pas faire de la drague, sauf si c’est elle qui commence, bon on sait jamais, (rires), mais c’est agréable, C’est un moment agréable, ça change, c’est différent.

Roseline : Vous pensiez que ça apaisait d’autres personnes peut-être ?

Charles : Oui. C’est vrai que pour certains draguer c’est important, et surtout s’ils sont chauds. Certaines n’étaient pas très gentilles, mais c’est normal c’était pour se protéger.

Rachel : Donc on a parlé de séduction, d’affectivité et il y a une question qui est quelle différence vous faites entre l’affectivité et la sexualité ?

Charles : Ouf….

Rachel : Est-ce que la séduction vous la mettez avec la sexualité ?

Charles : Oui, c’est la séduction qui conduit à la sexualité, enfin de mon point de vue. Affectif, il y a plein de choses avec qui on peut être affectif, mais il faut bien définir avec qui on va être affectif et comment on va l’être et de quelle façon. Parce qu’il y a des gens qui, qui ne se font pas de caresses et de bisous. Il y a des couples qui sont comme ça, mais ça dure, ils sont comme ça.

Rachel : Donc vous, vous avez vraiment plus manqué de séduction, de sexualité que d’affectivité ?

Charles : D’amour (rires). Oui, passer un moment bien, comment expliquer… . C’est pas que sexuel aussi, c’est… voilà,…. l’envie de se sentir vraiment… je ne trouve pas le mot…se sentir dans les bras d’une femme…

Rachel : Désiré ?

Charles : Voilà, comme ça aussi.

Roseline : Ce que vous dites aussi par exemple en promenade vous prenez le soleil quand vous êtes assis à côté d’un homme ce n’est pas la même chose que d’être à côté d’une femme. A côté d’une femme, il y a le plus….. que l’on se sent encore mieux….

Charles : Voilà, il y a le plus. C’est pour ça qu’on crée des couples. (Rires)

Rachel : C’est un sujet que vous pouviez aborder entre détenus ?

Charles : Ça parlait tout le temps de ça.

Rachel : D’accord… mais un peu crûment ou plus profond et sincère?

Charles : Il y a des gars qui sont crus et d’autre plus sincères. Il y en a qui se sentaient mal, il y en a beaucoup qui ont perdu leur femme aussi.
Il y en a aussi qui ont dit à leur copine : viens plus, car ils ont pris je sais pas combien d’années et ils ne veulent pas que les femmes attendent. C’est des choses dures, oui c’est dur. C’est une façon d’aimer aussi. C’est un peu égoïste : non tu dois attendre… C’est des décisions à prendre… C’est pas facile. (Silence)

Rachel : Vous aviez également évoqué la distribution des préservatifs ?
Charles : Ça oui, mais les gens ils se trompent des fois, parce qu’il y a tellement de trucs qui se passent là-bas, je ne veux pas mentir, je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de gens qui l’utilisent vraiment, mais ce n’est pas tout le monde. Les préservatifs partent beaucoup pour d’autres trucs, simplement de faire un joujou ou mettre des choses dedans pour balancer un truc à un autre par la fenêtre. C’est de communiquer d’une façon ou d’une autre.

Roseline : Donc vous dites qu’ils les lançaient par la fenêtre ?

Charles : Oui, mais maintenant ils ne peuvent plus car ils ont mis du grillage depuis un moment et là c’est chaud car il n’y a même plus l’air qui rentre.

Roseline : Mais c’est suite à ça ?

Charles : Oui, oui bien sûr. Au quatrième, c’est le quartier des femmes donc parfois, ils s’envoyaient des petits mots, cela fait partie aussi de l’affection. Je connais des gens qui sont tombés fou amoureux alors qu’ils ne se sont jamais touchés.

Roseline : Et vous vous n’avez jamais eu…

Charles : Je ne comprends pas moi, il faut que je puisse tenir dans les bras.

Roseline : Un contact….
,
Charles : Avoir un contact physique. S’il y a une femme qui sort de l’ascenseur, on doit se mettre de côté, on ne peut pas avoir de contact.

Roseline : C’est très normé ?

Charles : Ouais, ouais. Vous avez le droit qu’à ça et c’est tout.

Roseline : A droit à quoi….

Charles : A rien. (Rires)

Roseline : A travailler, à manger….

Charles : Manger et travailler et encore. Et avec la nourriture, au départ, j’avais beaucoup de problèmes, j’avais des brûlures d’estomac avec la sauce et je leur demandais sans sauce, mais ils la mettaient toujours, même avec un mot du médecin.

Roseline : Donc droit qu’à ça, c’est lors des visites, c’est toucher les enfants, leur faire des bisous et embrasser sa maman.

Charles : et encore car Champ Dollon, c’est face à face et pas à côte à côte. Il y a même une table entre les gens au cas où ils veulent se passer des choses. Il y a que dix places, ça il faut savoir, alors les gens font des coudes pour pouvoir venir me voir et on va dire 300 prisonniers, à l’époque 500 et plus. La visite c’est samedi, dimanche et mercredi pour les gens qui ont des enfants qui ont la priorité.
Roseline : C’est des mois d’attente…

Charles : C’est des mois d’attente si on ne fait pas… parce qu’il faut s’inscrire, je ne sais pas quel jour, c’est les dix premiers. C’est comme ça. Ce n’est pas facile. Bon il y en a plein qui n’ont pas de visite. Le téléphone c’est pareil, tu dois faire une demande par écrit et tu attends.

Roseline : Par rapport au préservatif, désolée de revenir en arrière, vous les avez reçus dès votre arrivée ?

Charles : Non, moi on m’en n’a pas donné.

Roseline : Ah, vous en avez pas reçu ? Mais ils en distribuent ?

Charles : Il y en a au médical et la plupart ils en prennent pour faire le business.

Rachel : Lorsque nous nous sommes vus on a parlé des idées sur les expériences homosexuelles en prison….

Charles : Pour moi, si c’est des adultes consentants, c’est leur problème, leur vie. Chacun vit sa vie chez soi. Voilà, même là-bas, ils y en avaient qui étaient homo, je m’en rappelle, il y en avait un qu’on voyait très bien, il était sympa, mais il savait très bien avec qui il pouvait parler de ça et avec qui il ne pouvait pas.

Roseline : Il savait pertinemment qu’avec vous il ne pouvait rien…

Charles : Vous savez, les homos, je connais cela, ils savent très bien avec qui ils peuvent être.

Roseline : Ce que votre directeur disait sur l’homosexualité consentie, à un moment donné, ce besoin affectif ou besoin de sexualité, c’est un court moment mais que cela n’a aucune incidence à la sortie.

Charles : C’est les gens qui tentent leur expérience.

Roseline : Pour vous c’est cela, Vous n’étiez pas tenté…

Charles : C’est sûr que non, moi c’était clair, ah oui.

Roseline : Pour vous, vu que c’était clair, vous vous êtes retrouvé seul dans votre besoin affectif…

Charles : Il fallait le vivre de toute façon !

Roseline : Vous êtes obligé…. C’est votre caractère qui a décidé…

Charles : C’est comme ça ! Je savais que j’allais passer toutes ces années comme ça sans affection et moi je viens d’un pays latino ou peut-être cela peut se passer comme vous dites. Mais chez moi c’est comme ça. Même si c’est marqué dans le code pénal, ici c’est comme cela. On parle beaucoup, beaucoup, on commence à voir si on peut faire quelque chose. C’est pas qu’on va faire. C’est on va voir.

Roseline : D’accord. Là vous parlez des parloirs intimes ?

Charles : Oui les parloirs intimes. Simplement le fait d’agrandir un peu la salle de visite de champdollon Tout le monde en parle, il n’y a rien qui se fait.

Roseline : Et vous quand vous étiez en prison vous pensiez à ces parloirs intimes et si cela avait existé ça vous aurait aidé ?

Charles : Oui c’est long à la longue. Oui ça m’aurait beaucoup aidé. Oui c’est la réalité, les gens sont tendus, tout le temps.

Roseline : Vous aussi ?

Charles : Oui pourquoi dire non si c’est vrai. On est tous tendus, même les gardiens sont tendus. Même le directeur de la prison est tendu. Et s’il n’est pas tendu, c’est qu’il y a un problème, c’est qu’il s’en fout.

Roseline : Et vous en parliez entre vous des parloirs intimes, de ces moments…

Charles : Oui, mais à chaque fois, c’est que nous sommes en préventive, mais après on disait, le seul que je sais, qu’on m’a dit c’est en suisse italienne, qu’ils y avaient des parloirs intimes et tout ça. Mais qu’il fallait attendre car il y avait beaucoup de demandes.

Roseline : C’est aussi un projet à Pâquerette ou je ne sais plus où ?

Charles : Courabilis, je crois, mais c’est un projet.

Rachel : Vous pensez que s’il y avait des parloirs intimes un peu partout cela diminuerait la violence et les tensions ?

Charles : Ah mais écoutez, les hommes qui font l’amour, c’est les médecins qui disent, ils se sentent bien, il y a plein d’hormones et des vitamines qui se calment qui aident à calmer les gens… Ça sert à calmer plein de monde, ça c’est sûr.

Roseline : Quand il y avait des couples ensemble, homosexuels, ils pouvaient trouver des moments d’intimité ?

Charles : Je pense que s’ils sont dans la même cellule, ils trouvent vite fait.
Parce que si c’est dans la douche, il n’y a pas tout le monde qui peut supporter ça et ça peut vite tourner au vinaigre. C’est un moment qui crée….

Roseline : Est-ce que vous avec vécu une expérience où quelqu’un a eu une relation forcée ?

Charles : Non, il y a eu quelqu’un qui s’est promené avec son membre à l’air, en érection, et les gens lui ont dit : « tu te calmes, sinon tu vas passer un mauvais moment ».
La douche c’est le seul moment que nous avons et nous pouvons nous détendre. Quand on sent l’eau tomber, ça fait du bien, tout le monde prend une longue douche. C’est vraiment un moment de détente. Quand on est pas bien et que l’eau tombe et tombe, ça calme.

Roseline : C’est presque affectif….

Charles : C’est sûr, certains ne se douchent pas, mais la plupart, on attend que ça !
Il y a eu des problèmes à cause des douches avec les gardiens. Des gens qui sont allés au cachot parce que la douche était refusée car le temps était dépassé.

Roseline : Le droit à la douche ….

Charles : Ça, c’est pas défini. Normalement chaque deux jours, de telle à telle heure. Moi ce qui me fait rigoler, c’est le droit de l’homme ici, mais ici ils donnent le strict minimum, pas plus. Une heure de promenade, pas plus, c’est ce qu’ils donnent c’est le minimum.

Rachel : Mais là on parle de la préventive, car qu’on on sort de la préventive, il y a quand même plus de promenades ….

Charles : C’est différent, tu peux aller à la salle de gym quand tu veux, apparemment, après, avant le travail…

Roseline : Mais vous n’avez pas connu ça vous ?

Charles : Non, moi j’étais dans autre une prison. J’étais à la Pâquerette de Champ, c’est Camp Dellon au 4ème.

Roseline : Mais là, il n’y avait pas de moment…

Charles : Non, là-bas on t’ouvre la porte, tu passes ta journée dans le couloir, on avait des contraintes de préventive des fois. Dans l’immeuble de Champdollon, il y avait un problème, ils donnent des réponses incompréhensibles, simplement de ne pas vouloir bouger, voir les choses. C’est comme cela. Le pouvoir. (Rires)

Rachel : On avait également évoqué la masturbation, pendant ce repas, je ne sais plus qui disait que ça calmait, à un certain moment ?

Charles : L’acte ne suffit pas, mais ça aide, il faut le dire. Ça calme un peu quand même. En même temps, il n’y a que ça. Et pour les moments intimes, quand les autres partent à la promenade, il y a un moment intime possible, et la nuit. Chacun a son lit et les toilettes et voilà.

Roseline : Et en préventive, on entend tout….

Charles : Non, les gens sont discrets. Les gens n’acceptent pas tout, dans la galère qu’on est, il ne faut pas trop bousculer les choses. Chacun trouvait sa façon. Je travaillais à la buanderie et je trouvais des matelas avec des trous. (Rires)

(3min de non retranscription d’un aparté sur les pratiques solitaires hors détention qui ne sont pas l’objet de notre mémoire)
Charles : J’ai vu un reportage, au Canada, ils te donnent même une petite maison durant une semaine, avec ta famille.

Rachel : Même là, il faut remplir de sacrées conditions pour y avoir le droit ?

Charles : On m’a expliqué que parfois, il faut attendre quatre mois avant d’avoir le droit d’aller au parloir intime et même parfois, ils font du chantage.
Et ce qu’on m’a expliqué aussi, c’est que pour avoir le droit au parloir intime et où il y a un parloir intime, ça doit être ta copine ou compagne avec qui t’es avec depuis six mois, donc une prostituée, non c’est pas possible. Il y a des gens qui sont rien.

Roseline : Quand on vous raconte cela, vous vous sentez comment ?

Charles : Je n’arrive pas à comprendre ce système, c’est un système de fou. Simplement être là, la capitale des droits de l’homme, soit disant où on a créé les droits et on donne le strict minimum. Et il y a des pays, où on donne plus et il y a moins de problème.
J’expliquais au directeur là où je suis maintenant qu’avant je m’en foutais jusqu’au jour où nous sommes confrontés à ça. Ce n’est pas mon problème. Une fois qu’on est confronté et on voit les choses comme elles sont. Ce n’est pas facile.
Aujourd’hui vous êtes confrontés à ça parce qu’on en parle mais les gens sinon ils s’en foutent de ça.
Un jour on doit sortir. Les gens ne s’imaginent pas qu’on va sortir un jour et comment ? Avec plus de colère, avec la rage.
Même étudier ce n’est pas facile, c’est incroyable. J’ai dû casser du bras pour y arriver. Deux enseignants qu’à 50% et la salle est tellement petite, il n’y a pas beaucoup de place. Tout le monde aimerait faire quelque chose. Quatre ou cinq personnes seulement qui peuvent entrer. On étudie soit par courrier, par toi-même. C’est pas évident.
Si vous occupez cela aide à pas penser à l’affectivité.
J’ai même fait de l’origami pour pouvoir passer le temps. (Soupirs)
Plier, Plier, je fais quoi, Il est 17h, 18h j’ai pas sommeil, je lis, j’ai plus envie de lire, d’étudier, j’arrive plus, je fais quoi, je continue à plier. Essayer d’oublier.

Non retranscription, aparté sur la « préventive »

Rachel : On avait également abordé cette violence envers soi-même, qui était là parce que le manque d’affectivité pouvait être violent.

Charles : La violence, comment expliquer, c’est pas qu’on se fait du mal, ça fait mal, c’est violent par exemple la contrainte d’être séparé avec sa femme ou sa copine. Il y en a qui tienne.
Pour moi la violence, c’est que tu perds pleins de trucs et après tu perds tout et quand tu sors, on te donne rien. En plus, il faut sortir comme un ange ! Il faut réfléchir, ce n’est pas une solution.

Roseline : Vous avez utilisé les rencontres thérapeutiques pour aller mieux ?

Charles : Bien oui, pour aller mieux, j’ai deux gamins et je voulais leur donner un autre exemple, une autre façon de faire et voilà quoi, changer tout. Qu’ils ne restent pas avec cette image. (Silence)

Rachel : Quand on ne connait pas ce qui se passe, on a que les images de la télévision, des films, on parle beaucoup des relations forcées. Est-ce que vous en avez vu ?

Charles : Moi je n’ai pas vu, mais je me rappelle qu’à l’époque, il y en avait un qui avait violé son codétenu, la personne en a parlé avec un gardien et après il a porté plainte.

Roseline : Quand vous avez entendu ça, qu’est-ce que ça crée chez vous ?

Charles : Le gars a été transféré, sinon il avait passé des sales moments. Et quand je dis de sales moments, c’est n’importe où et n’importe quand.
Vous savez, il y a certains crimes qui ne sont pas supportables et malheureusement, pour la majorité, ça se passe mal pour la personne.
Il y a aussi des homosexuels et ça on le sait bien, il y avait un avec les cheveux longs et pour lui il était une femme, je ne sais pas comment ça se passait pour lui mais j’imagine aussi que l’affectif ne devait pas être facile.

4 min de Non retranscription, aparté sur un pédophile qui reste un humain.

Roseline : Il y a aussi beaucoup l’imagination qui joue un rôle ?

Charles : Oui, on s’évade beaucoup avec la tête. La journée est longue, le matin on te réveille à 7h30, tu prends le petit déjeuner, tu bois un café, puis la promenade vers 11h30 et après tu fais quoi ? Tourner en rond !

Rachel : Que pensez-vous de la possibilité de faire venir une prostituée ?

Charles : Ça serait bien. Sincèrement ça serait bien, car il y a des cas où ils ne parlent même pas la langue, il n’a personne ici, personne vient le voir et voilà il vient d’un autre pays et comment il fait pour trouver quelqu’un ?

Rachel : Je n’avais pas imaginé ça.

Charles : Oui, ils sont condamnés 3-4 ans et ils apprennent le français car ils sont obligés parce qu’ils doivent parler avec les gardiens. T’as pas de famille !
Une prostituée ça peut aider beaucoup et elle pourrait se faire plein d’argent. (Rires)

Roseline : Et vous, quand vous y étiez, vous avez pensé à ça ?

Charles : Non, j’avais mon système de ne pas penser à ça. Car plus on pense et plus ça fait du mal.

Rachel : On arrive à la dernière question, qu’est-ce que vos expériences affectives durant votre détention ont changé lors de votre sortie ? Est-ce qu’il y a eu un changement dans vos relations amicales ou amoureuses ?
Charles : Moi, ça a changé beaucoup car maintenant je suis fidèle (rires) car à l’époque je ne l’étais pas trop. Voilà. Et avant, j’étais plus exigeant, ce que je ne pouvais pas avoir à la maison, je vais le chercher dehors.

Roseline : Alors c’est un point positif, ça vous a permis de changer….

Charles : Ce que ça m’a permis, c’est de savoir que je peux tenir aussi longtemps sans femme. Par exemple aujourd’hui, on casse avec une femme qu’on aime, dans deux mois plus tard on drague et trois mois après on sort avec quelqu’un d’autre.

Roseline : Et là par contre une année, deux ans c’est rien….

Charles : Même les femmes des fois cherchent un mec pour une nuit, Ca m’est déjà arrivé. Et ça maintenant, je ne veux plus. Je suis bien. Il faut beaucoup méditer, penser. Moi ce que je fais beaucoup, c’est de me mettre en question. J’ai tout changé.

Roseline : Vous avez su saisir toutes ces opportunités forcées…

Charles : J’ai eu le déclic heureusement parce que j’ai eu aussi… je n’étais pas bien. Certains moments j’avais même la rage, voilà, mais j’avais un sentiment de culpabilité énorme tout ce qui m’est arrivé et c’était spécial. La seule chose qui me restait c’était mes gamins. Je pense à eux.

Roseline : Maintenant je vous sens apaisé, est-ce que je me trompe ?

Charles : Ouais. J’ai beaucoup changé, enfin je suis redevenu comme avant car c’était une période, il y a des périodes de frustration, de problèmes, simplement le fait de ne pas avoir un bon travail, c’est tout qui affecte.
Maintenant je dis beaucoup c’est la vie, c’est comme ça.

Roseline : C’est au jour le jour, priorités…

Charles : C’est plutôt accepter. Il y a pire. On se sent mal car on arrive pas à accepter. C’est pas grave enfin pas grave, accepter…

Rachel : Est-ce qu’il y a des choses que vous aimeriez ajouter ?

Charles : Non pas vraiment. J’espère juste que ça vous aide beaucoup et que ça puisse être lu par des personnes importantes. J’imagine que si. L’exemple, il faut le donner. La loi est la même pour tout le monde. Que cela aide ceux qui vont suivre. L’affection, tout le monde en a besoin, même les arbres ont besoin d’affection. Simplement. Mais un prisonnier n’a le droit à rien tout en sachant qu’il va sortir un jour.
Précision de Roseline à Charles que tous ses dires ne seront peut-être pas exploités pour le travail de mémoire.

Rachel : On vous remercie beaucoup, ça a été pour vous ? Ça n’a pas été trop….

Charles : Non, on est habitué à pire. Je redoutais un peu car certains ont des questions bof…

Roseline : Mais est-ce vous avez eu ce genre de questions de notre part?

Charles : Non, non je m’attendais à des questions plus directes, comme les médecins : « t’as eu quelle maladie, est-ce que tu fais l’amour avec des hommes….. ».

Roseline : Ce que nous souhaitions, c’était vraiment votre vécu….

Mot de la fin de
Charles : C’est surtout la frustration de ne pas pouvoir vivre l’amour comme un humain.

Roseline et Rachel : Merci beaucoup

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