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CHAPITRE VI : ENRACINEMENTS « DES ANCIENS POLYNESIENS » DANS L’ARCHIPEL CALEDONIEN

Dans l’affirmative la civilisation mélanésienne, rivée à ses lieux serait une société de racine et de stabilité, peu portée aux grand voyages ou la mobilité. Elle subirait par nécessité les migrations de longue durée et les intégrerait difficilement dans sa vision du monde. Or, il n’en est rien et s’il peut y avoir une contradiction dans nos esprits entre les valeurs de migration et les valeurs d’enracinement, cette contradiction n’est pas ressentie comme telle par la société mélanésienne.

Joël Bonnemaison

« L’enracinement » est un terme que nous empruntons du géographe Joël Bonnemaison (203), qu’il emploi dans son ouvrage (204): Les valeurs de l’enracinement et du voyage en Mélanésie, c’est l’idée selon laquelle la société océanienne fonde son identité sur un paradoxe apparent entre l’attachement à un lieu d’origine sacré, et le besoin de voyage et de migration. Cela rejoint sans doute au concept de « Ta’vaka (205) », titre du premier ouvrage d’histoire de la communauté wallisienne et futunienne (2009) dont le terme est employé par les auteurs comme un concept identitaire propre aux « Polynésiens ». Tavaka est une tradition qui traduit le besoin de migrer puis de « s’enraciner » à un lieu d’encrage. J. Bonnemaison rattache ce concept à la société non seulement « polynésienne » mais aussi à la société « mélanésienne ».Quels sont les lieux de l’archipel Calédonien où les Polynésiens ont pu « s’enraciner » dans la période dit précoloniale ou coloniale? Nous avons déjà répondu en partie à cette question, le chapitre qui va suivre permet d’approfondir les réponses en donnant des arguments supplémentaires. Les lieux proposés sont des repérages géographiques pour le lecteur mais qui ne correspondent pas forcément aux repérages culturels d’antan.

1. Au sud et aux Iles Loyautés

K.R.HOWE nous résume très bien la migration polynésienne sur l’archipel calédonien dans la période dite précoloniale :

« Les îles Loyautés le lieu d’abordage pour d’innombrables Polynésiens, poussés vers l’Ouest, loin de leurs îles par les vents dominants. Comme Maré, Lifou, Ouvéa s’étendent au large des côtes de la Nouvelle Calédonie, elles reçurent plus d’étrangers que la Grande Terre. Les polynésiens furent en général pacifiquement intégrés dans les communautés et furent habituellement dotés de statuts spéciaux par les chefs locaux, qui les considèrent comme des « enhému » c’est-à-dire « favoris en raison des aptitudes intellectuelles ou technologiques que les immigrés possédaient. Les Tongans par exemple étaient renommés comme constructeurs de pirogues. Les premiers Européens notèrent tous la prévalence des caractéristiques raciales des Polynésiens parmi la population en rencontrèrent des groupes arrivés récemment de Tonga et de Samoa. Tout particulièrement les régions nord et sud d’Ouvéa furent peuplées par des descendants des insulaires de l’île Wallis qui étaient venus s’établir là dans la deuxième partie du XVIIIème siècle. On notera aussi de nombreux exemples de migrations locales entre les îles loyautés, la Nouvelle Calédonie et l’Ile des Pins ». Les ouvéens et les Lifou envoyaient des petits bijoux de coquillages, aussi bien que des filles de chef, au nord et au centre de la côte est de la Grande Terre car les femmes des Iles Loyautés, particulièrement les ouvéennes de descendance polynésienne, étaient prisées au dessus de toutes par les chefs néo calédoniens. En échange les néo calédoniens exportaient des pierres et des grosses billes de bois, car les îles loyautés, quoique largement boisées manquaient des arbres susceptibles de permettre la construction des pirogues doubles utilisées pour les voyages inter îles ».(206)

A. A l’Ile Des Pins

Dans un endroit appelé Ngando chez les kuniés, à la pointe orientale de l’île, l’ethnologue M.J DUBOIS, nous apprend que ce lieu avant l’arrivée des Blancs, était un espace d’échange avec des Tongiens. Effectivement, il avait découvert dans ce site en 1974 des amas de pierres étrangères à l’endroit qui vraisemblablement ont été importées de la grande terre ou d’ailleurs. L’ethnologue raconte aussi, que dans l’île de Koutomo au sud de l’île des Pins, habitaient les Kapumè et les Nukwâ originaires de Tonga, qui étaient les maîtres de Vaca (207) (vaka), actuellement habité par les Duepere qui détienne une hache de pierre d’un vert terne et foncé trouvé dans la sépulture d’Ita, situé au sud ouest de l’île de Koutomo. Il fait allusion ensuite à ces mystérieux amas de terre qu’on appelle les tumulus, des poteries de Lapita retrouvées, et des pierres que l’on se nourrissait à Kokwè vûvû (208). Selon Dorothy SHINEBERG à Kunié, les Polynésiens sont venus de Tonga vers le début du 17ème siècle soit six génération avant l’arrivée des Européens. (209)”

Le capitaine Samuel HENRY a été le premier marin connu à avoir accosté l’île des Pins après les grands navigateurs. Cet officier aurait, vers les années 1828 ou 1830, rencontré un groupe originaires des Tonga et un de Samoa dont la pirogue avait fait naufrage au large d’île des Pins. Ce témoignage confirme encore une fois la présence de Polynésiens, non seulement aux îles Loyautés, mais aussi à l’île des Pins situé à l’extrême sud de la Grande Terre. Les Tongiens repérés ont-ils un lien avec ceux de Maré ? Ou ceux de Lifou ? Sans doute, le père BERNARD raconte l’accueil désastreux qu’il a eu à Mouli en 1857 par le chef DOUMAÏ et POUMALI dû selon lui à l’influence négative des gens venus d’île des Pins à leur encontre (210). Encore une fois la présence de personnes d’île des Pins à Ouvéa confirme encore l’existence de réseaux traditionnels entre les îles Loyautés et la grande Terre en générale.

On ne peut s’empêcher d’évoquer la présence des XETIWAN arrivés de Lifou, originaires selon Guiart d’une île de l’archipel du Vanuatu actuel : Anatom. Ce clan qui détient la chefferie actuelle, a été marqué dans son histoire par la Reine Hortense au XIXème siècle. Dans toute l’histoire de la Mélanésie, elle a été sans doute la première reine, la première chef kanak féminin, alors que cette fonction est réservée normalement aux hommes bien que cette physionomie n’est pas absolue dans la partie Est du Pacifique. Or, tout le sud de la grande Terre a des contacts permanents avec Ile Des Pins. Notons par ailleurs que TOUAOUROU en faka uvéa veut dire “derrière la tête” tua ulu”, ce nom correspondrait vu de l’extérieur (de Kunié) à un angle spatial très précis. (Côte du sud- ouest de la Grande Terre) Ce nom peut être aussi comparé avec celui d’une famille SUAULU de Saint Joseph ouvéa (211). Le père Lambert fait allusion par exemple à ces Tongiens qui ont apporté aux Kuniés la pirogue à une seule voile avec au milieu des deux coques un abri. Ces derniers ont préféré ce type de navigation au détriment de la pirogue à double voile :

B. A Maré

La tradition orale de Maré y fait allusion à partir de laquelle Pierre GOPE, dramaturge Kanak, s’est inspiré pour écrire une de ses pièces de Théâtre. L’histoire raconte le contact de l’île de Maré avec des gens fuyant leur île dévastée par un volcan. Il me semble que ces gens sont venus des îles du Vanuatu actuel. L’île de Ambrym et celle de Tanna sont marquées par des volcans en activité.(212) Ces îles ont été peuplées en partie par des Polynésiens. L’introduction de l’igname selon Pierre GOPE a été faite par ces migrants venus de l’Est de l’île. Mais l’île de Maré est connue pour avoir été évangélisée par des Polynésiens protestants. En 1840, le « Camden » commandé par le capitaine KENT introduit pour la première fois le Révérend T. HEATH, et des missionnaires protestants de la London Missionary Society (LMS) qui avaient la particularité d’être des « Polynésiens », au sud de la Grande Terre.

Le 8 avril 1841, le même bateau passa aux Loyauté, dont l’intention de laisser à Maré deux catéchistes originaires des Samoa TATAIO et TANIELA, ils débarquèrent à Rô près de Nécé au nord et trouvèrent les indigènes défiants et avaient de la peine à prendre contact avec eux. Cependant à leur grande surprise, ils virent deux pirogues venant vers eux, à force de rames, sans la moindre appréhension. Ils en découvrirent bientôt la raison : les pirogues étaient dirigées par un originaire des îles Tonga TAUFA originaire des îles HERVEY, qui leur dit que lui-même et six autres de ses compatriotes vivaient à Maré depuis qu’ils y avaient été poussé par le vent, « il y avait longtemps (213)».

Les missionnaires auxquels les dialectes étaient familiers, purent se faire comprendre de lui. Les originaires de Tonga les présentèrent « au chef » qui était en réalité le chef du district occidental de GUAMA : YEIW père de NAISSELINE ; Les missionnaires, tout heureux confièrent les deux catéchistes de Samoa au soin du chef. (214) Pour SHINEBERG :

« Ces moniteurs polynésiens furent autorisés à survivre, il est évident que, tout au mieux, ils étaient simplement tolérés et n’avaient aucune influence appréciable. » (215)

Ce que l’on peut dire, c’est que les catéchistes polynésiens ont pu s’intégrer au sein des populations kanakes, grâce à la présence de groupes polynésiens déjà en place : exemple Maré, Lifou, Ouvéa, île des Pins puis Balade et la côte Est puis le sud. Joël Dauphiné rajoute que les présents de ces catéchistes étaient appréciés par les autochtones . (216)

C. A Lifou

Jean GUIART fait allusion à l’influence polynésienne dans la chefferie de Lossi et en particulier dans la tribu de Joj et écrit ceci :

« L’emprise de ce village contient le seul point de Lifou où il y ait une apparence de marécage côtier, et en tout temps une pléthore de moustique. C’est la que mythe décrivant la migration partie des îles Wallis fait accoster d’abord la pirogue des exilés. Ils n’y trouvent de pas les mulets sautant au dessus des feuilles de palétuviers. Il y a bien des palétuviers, mais ils poussent sur des barres rocheuses hors d’eau. Ils repartent donc pour Hnyimak, à Téouta, au nord d’Ouvéa, où ils trouvent ce que la prophétie leur a annoncé.

L’auteur fait bien sûr allusion au voyage de Kaukelo dont nous avions développé les différentes versions. Jacques IZOULET dans son étude sur la mission de Lifou, nous dit ceci :

« Les îles Loyauté ont été peuplées par des populations austronésiennes à la même époque que la grande Terre, c’est-à-dire vers 1400 avant Jésus christ. A ces premiers occupants sont venus se joindre des groupes plus ou moins importants venus de Polynésie : Wallisiens dans le nord et le sud d’Ouvéa, Samoa et Tongien dans l’ouest de Maré et le sud de Lifou (217) ».

L’auteur évoque aussi certains emprunts du Dréhu (218) à la langue polynésienne. Selon Jean GUIART, certaines familles de Lifou revendique leur origine polynésienne : samoane ou tongienne. La tradition y fait allusion concernant la migration wallisienne :

« Les pirogues seraient passées à Joj, où se trouve le seul peuplement de palétuviers à l’île, mais situés sur la terre ferme et dont les feuilles tombe sur le sec. Certains sont cependant restés sur place, et on les trouve à Hmélek et Qiqatrul(Hunöj). On sait pas ailleurs que les NYIPATRE de Jokin les a reçus à leur passage, après cet arrêt attesté à Joj, où la prédiction ne pouvait se vérifier, et que deux membres de cette lignée leur auraient servi de guides pour Ouvéa où, dans le marais de Hanawa Hnyimak, les mulets sautaient effectivement par-dessus les feuilles de palétuviers. Enfin, entre Xepenehe et Easo, une lignée, dite aujourd’hui Xozamè, s’affirme originaire des îles Wallis, et laissée au passage par l’expédition (219) ».

Il semblerait que la tradition orale simplifie les origines polynésiennes en une unique migration. La réalité est plus complexe. Le trajet wallisien pour s’infiltrer dans l’archipel calédonien n’est autre que le chemin traditionnel employé par les pirogues. La migration au sud de Lifou, avant le contact européen, approuve ce que nous avons avancé plus haut, concernant l’accueil des premiers catéchistes protestant en 1841. Raymond H LEENHARDT le réaffirme quand il écrit :

« Comme à Maré, à Lifou ce sont les tongiens de Lossi qui se convertissent ». (220)

Grâce à la langue et à leur similitude culturelle les catéchistes ont convaincu leurs compères à se convertir. Ces derniers ont propagé cette conversion. La présence de « Polynésiens » au sein de la population « mélanésienne » a facilité les réseaux d’encrages et d’accueils du religieux étranger. Jean GUIART confirme :

« Les styles de poterie de ces jardiniers – en parlant des mélanésiens calédoniens – se diversifièrent tandis que, petit à petit, on verra apparaître deux types d’économies différents mais complémentaires : la culture des terres dans l’intérieur et la pêche au bord de la mer. Ceci atteste très certainement la présence de peuples à vocations différentes dont certains sont tournés vers la mer, comme les wallisiens venus s’installer dans le nord du territoire et les Iles Loyautés vers le XVIIIème siècle. Cette dernière vague de population polynésienne est encore présente dans les récits des vieux. Il faut penser que ce phénomène de contacts réguliers n’est pas unique. Depuis que l’homme vit dans ces parages, la partie Océanie située entre les Nouvelles Hébrides, la Nouvelles Calédonie et les Fidji a été une véritable mer intérieure. (221)»

D. A OUVEA

Après la deuxième expédition de Dumont D’URVILLE en 1840, deux ans plus tard, au mois d’août 1842, le capitaine BANKS arrive à Ouvéa et troque avec les gens de Fayaoué et leur chef HWENEGEI. Ce dernier avoue que c’est la première fois qu’il voit un Blanc. Les indigènes lui coupent du santal en échange de pacotilles. Le 6 septembre 1842 dans le Brick Bull, le capitaine CHEYNE arrive à son tour dans l’île et a de bonnes relations avec la population d’Iai. Il est impressionné par l’intelligence et le caractère doux des indigènes bien qu’ils soient anthropophages. Pendant tout le mois de septembre il charge son navire jusqu’ au jour, un évènement arriva :

« …La sécurité des santaliers fut mit en danger par les jalousies traditionnelles entre les petits chefs rivaux. Le chef NEKELO du nord d’Ouvéa, exprima en termes fort clairs son furieux mécontentement parce que CHEYNE avait fait du trafic avec le district de HWENEGEI au lieu d’en faire avec son propre district. « Il dit à BANK, avant de s’en aller, que si jamais il pouvait m’attraper dans son district, il me mangerait ». Hwenegei n’était pas dans des dispositions plus charitables à l’égard de NEKELO. Il se trouvait à bord du « Bull » quand deux pirogues de NEKELO approchèrent du « Juno » avec du santal, dans l’intention de le vendre, et a noté CHEYNE, « il s’évertua à essayer de me faire ouvrir le feu contre les pirogues lorsqu’elles contournèrent la poupe de notre bateau (222).

On retrouvera ce même NEKELO du côté de Balade quelques mois plus tard quand les missionnaires s’y installent. Lui-même demande à un des prêtres de créer une mission sur Ouvéa. Après une vaine tentative en 1848, sa quête lui sera octroyée 14 ans plus tard. Sa présence sur la grande Terre n’est pas un hasard dans la mesure où il a des liens familiaux et « coutumiers » avec ceux de la côte est. Aussi, l’arrivée des missionnaires à Balade n’est pas passé inaperçue au sein des gens d’Ouvéa, et de NEKELO entre autre. La concurrence déjà perçue entre lui et le chef Wénégei à propos du trafic avec les santaliers dans leur propre île, nous pousse à penser que NEKELO a joué un rôle prépondérant dans l’affaire des missions de Balade et de Pouébo à partir de 1843.

Nous sommes en 1857, et à cette époque, la présence des gens d’Ouvéenne sur la côte Nord-est est effective. Ce détail doit être mis en lien avec les conflits du nord-est de cette époque, sans doute entre les Hoot et les Whaap. Monseigneur DOUARRE dans son journal raconte ses premiers contacts avec Ouvéa. Ils parlent ainsi de présence de gens venant de Britania (ainsi de Maré), en rapport avec la chefferie de Héo actuelle. Il souligne notamment que les hommes s’absentent pour combattre sur la grande Terre ou font des aller et venus dans l’île du Britania. Les gens sont tatoués sur le visage, les tatouages proviennent de la tradition polynésienne similaire aux Maoris de AOTEAROA en Nouvelle Zélande.

2. Sur la Grande Terre

Nous l’avons déjà abordé plus haut lors des premiers contacts, ainsi, les faga ouvéens étaient omniprésents au Nord avant l’arrivée des premiers Européens. Il semble aussi qu’ils ont joué un rôle important dans les conflits entre les Hoot et les Whaap, de même lors des premiers contacts avec les Blancs dès 1774. Ici nous survolerons les lieux, en attendant une étude approfondie dans les régions autres que la région Hoot Ma Whaap. Les lieux sont choisis de manière arbitraire dans la mesure où ils correspondent à des communes mais ne correspondant pas forcément aux frontières traditionnelles de l’époque dite précoloniale.

A. A Pouébo

Jean Marc PIDJO a récemment fait une étude ethnologique sur la région de Pouébo dont il est originaire et il dit en ces termes, concernant répartition clanique de sa région :

« La commune de Pouébo est l’addition de trois districts, dans ce qui est désigné aujourd’hui du nom de « zone coutumière ». Le district sud de Pouébo dépend de la chefferie de BWAXAT de Hienghène et de l’ancienne chefferie Teê Janu dont les rescapés sont dispersés dans la commune voisine. Cette chefferie Janu était établie à Wévia(OHOT), sur les pentes du Mont Panié. Le district établi au centre relève de la chefferie Mwalebeng. Ce district va jusqu’à Ouabatche. Le clan Pijoac reprend depuis cinq ans son tertre d’origine »

…Il continue plus loin :

« Le district nord dépend de la chefferie de POUMA, qui s’est déplacée depuis les alluvions de la basse vallée du Diahot à Ouégoa pour s’enclaver à Balade sur les terres arides et calcaires d’une partie extrême de son espace foncier. Les 80% restants constituent encore des domaines privés européens » (223).

Fig. 22- Village de Pouébo en 1852

L’auteur aborde les conflits sociaux sur la base « du premier occupant » des terres. Ce qui est intéressant pour notre part, c’est que l’auteur confirme l’origine de certains clans venus d’Ouvéa et il poursuit :

« Un des ancêtres du clan Mwéaura serait venu d’Ouvéa adopté par GOA ».

Nous verrons plus loin que le grand père de Hyppolite BOUANOU (224) se nommait Goa, c’est en fait un personnage longuement évoqué par les premiers maristes catholiques. Selon la tradition orale de Pouébo, les Futuniens sont arrivés avant les wallisiens à Balade, le clan Dowi (225) serait leurs descendants (226). Ce détail va sûrement motiver les 63 indigènes de Pouébo de partir vers le pays le leurs ancêtres en 1850 et 1851 (227). POUMA serait à l’origine un chef d’origine futunienne, ce mot « Pouma » est le nom d’un village sur la côte est de Futuna. Certains de la délégation de Pouébo, selon F. ANGLEVIEL, s’y sont installés et se sont mariés à Futuna et on peu retrouver actuellement leur descendants.

B. Hienghène

Plusieurs auteurs (228) ont affilié la chefferie BOUARAT avec les Polynésiens venus de Wallis. Notons qu’à Koumac à l’ouest, de l’autre côté de la chaîne la chefferie porte le même nom de celui de BOUARAT. On se rappelle que selon des témoins oculaires, NEKELO avait un tatouage sur sa poitrine en lettres romaines, on pouvait lire : NEKELO ROI DE OUARE. Ainsi, entre la chefferie de Takedji à Ouvéa et la chefferie de Bouarat à Hienghène des liens historiques ou de sang ont perduré. Jules Garnier témoigne et évoque même qu’une langue polynésienne est parlée à Hienghène (229).

La monnaie Kanak aurait été, selon la tradition de Hienghène, inventée ou importée par un clan de la mer appelé « les fils du soleil » de par leur teint clair (230). Les fils ou filles du soleil terme souvent employé dans les mythes ou légendes Kanak faisant allusion à des personnes venues par la mer. On pourrait se demander que sont-ils devenus ces isolats ? Sans doute qu’à la longue, ils se sont intégrés complètement dans la culture du pays. A cette époque les épidémies faisaient des ravages et cette population a sûrement était frappée – plus que tout autre – à ce fléau, dans la mesure où elle était en mouvement constant. La tribu de Ouaré où se trouve actuellement la mission catholique de la commune Hienghène, semble être le lieu de ce regroupement, et cette langue serait-ce le « Faga Ouvéa (231) » ?

C. A Arama

« Les Arama (232) également Wahap occupent la côte orientale de la péninsule terminant la Nouvelle Calédonie. Là se trouve la résidence de leurs chefs au village d’Arama. Ils s’étendent au sud-est jusqu’à l’embouchure du Diahot et les îles de Pam et de Balabio, leur appartiennent. Ces personnes étaient au nombre de 3000. Ils étaient extrêmement exposés aux coups des NENEMAS. En 1850, BERARD fut fort bien accueilli par leur chef BONEONE, l’homme le « plus laid » de la Nouvelle Calédonie. On notera qu’il avait un conseillé originaire d’Ouvéa. »

Person décrit les différentes tribus existantes sur la Grande-Terre, ainsi que les chefferies et les conflits à l’époque des premiers contacts avec les européens. Sa description des relations des HOOT et des WAAHP est intéressante pour notre sujet d’étude, d’autant plus que cette bipolarisation traditionnelle est complexe.

D. A Belep

Le témoignage de père Lambert est aussi intéressant car dès 1856, il vécut parmi les autochtones à Belep entre autre puisqu’il y établit la première mission. Il réside à Belep jusqu’en 1859, puis il est appelé à travailler à l’Ile Des Pins. Donc homme de terrain qui a été un témoin visuel de première heure, il confirme la présence de « colonies » polynésiens sur la côte est à son époque. Le père LAMBERT écrit ainsi :

« Il est hors de doute – la tradition en est bien conservée et l’identité de type, de langue, d’usage le confirme, qu’un groupe considérable d’indigène de Wallis, île du centre de l’Océanie, montés sur des pirogues, vînt il y a cent ans environs, atterrir dans notre archipel. Après les dangers d’une longue navigation, ils furent jetés dans une île des Loyalty, à laquelle s’est attaché le nom de leur pays. L’île Halgan, en effet, n’est connue aujourd’hui que sous le nom d’Ouvéa .Cette colonie de race jaune polynésienne ne tarda pas à se mélanger à la race aborigène et, dans l’espace de quatre ou trois générations, elle s’est considérablement accrue, gardant toujours son goût de voyage et d’aventures. Hardis sur mer, ils ont fondé sur la côte orientale de la grande île de nouvelles et de nombreuses colonies qui existent encore. Nous les avons déjà vus pousser leurs explorations jusque dans les îles Belep, les plus septentrionales de l’archipel. Là au lieu du bon accueil qu’ils espéraient, ces aventuriers tombent dans un guet-apens et trouvent la mort sous le casse tête du sauvage. Quelques enfants échappent au carnage et sont adoptés par les meurtriers de leurs parents. Ces enfants devenus hommes, ayant oubliés leur premier malheur, se sont établis à l’île Pott, où j’ai eu l’occasion de les voir et de causer souvent avec eux. On sait que Tipokia est aussi peuplé par une émigration de wallisiens. De même au sud de Lifou se trouve un village appelé Tonga qui a été formé par des naufragés venus de cet archipel, vers le commencement du 19ème siècle. Le type particulier de ces indigènes et les traditions du pays en font foi ». (233)

Ce témoignage est intéressant car cela démontre la grande mobilité de ces ouvéens. On les trouve ainsi, à cette époque à Belep et ont même laissé des descendants.

E. Dans la région Ajie

Le témoignage d’une personne de Téouta (Nord Ouvéa) en 1996 me disait que : « quand il était petit, il entendait ses grands parents parler le ajie ». Cet homme au moment de son témoignage, avait une trentaine d’année et il disait qu’il a des liens avec les gens de Houaïlou du bord de mer (Ouraï, Nékoué, Oua, etc.). Effectivement, les gens de Téouta se disent originaires de Samoa. Près de Téouta se trouve un petit atoll : ” la pléiade du sud dont un îlot ayant pour nom : ” BAGAAT ». Il n’est pas étonnant non plus que le cap entre KOUAOUA et CANALA se nomme aussi : le cap BEGAT. A Kouaoua des liens traditionnels existent avec les fagauvéa de Mouli. Jean GUIART fait allusion à ces clans dont les origines sont polynésiennes.

F. Dans la région Xarâcùù

Jean MARIOTTI dans son livre « la conquête du séjour paisible », Stock, 1952. Nous raconte par une légende comment les gens de Canala contribuèrent au peuplement d’Ouvéa. S’agit-il des clans du centre de l’île dont WENEGEI est le chef ? La Lettre de Pannetrat Ministre de la marine et des colonies. Mars 1856 cité par l’auteur, dans laquelle il dit qu’à Canala les chefs sont appelés « Aliki » et que le grand chef est surnommé ALIKI KAI en 1854, (correspondance à KAI de Hienghène ?) Remarquons que « Aliki est un mot polynésien qui veut dire « chef » et le terme « kai » veut dire « manger » en polynésien occidental. Il était selon les dires réputé pour être un « anthropophage ».

La tribu Ouassé du bord de mer est étroitement liée avec l’île de Lifou, nous avons vu plus haut, que les Canaléens fournissaient du bois pour la construction de Pirogue. C’est par là aussi, que la religion protestante s’est introduite à Canala. Une autre liaison traditionnelle est matérialisée par la présence de la racine de banian sur la route d’Ouassé qui, selon la légende, &certain nombre de légendes d’Ouvéa dont celle qui racontait « l’arrivée du Khong Hulup (234).

Ce lien, toute somme symbolique, ne prouve t-il pas des antécédents entre la côte Est et l’île d’Ouvéa (135) ?

D’autres régions ont sans doute étaient contractées par ces Polynésiens , mais le temps ne nous a pas permis de trouver des éléments de preuves historiques supplémentaires. Un travail d’enquête sur le terrain nous semble plus approprié. Des clans bien spécifiques dans la grande Terre dont fait allusion Jean GUIART sont d’origines polynésiennes, ces informations purement ethnologiques doivent être prises au sérieux dans notre enquête (236). D’après nos recherches, l’implantation de personnes originaires de Polynésie identifiées comme tel sont essentiellement aux deux extrémités d’Ouvéa, au sud de Lifou, au nord Ouest de Maré, à l’île des Pins, sur toute la côte Est de la Grande Terre, un peu plus marquée à l’extrême nord. D’autres réseaux terrestres cette fois ci sont relayés sur la Grande-Terre d’est en ouest.

Dominique Jouve nous interpelle notamment en tant que littéraire, quand elle écrit (237) :

« La question de la transformation opérée dans la ou les cultures kanakes au contact de leur extérieur se pose d’abord en termes historiques. S’il y a eu des ouvertures et des syncrétismes avant l’arrivée des blancs, à la suite des migrations polynésiennes aux îles Loyauté, il est difficile de les mesurer pour la littérature, en dehors de l’évidence : l’existence de la langue faga uvea à Ouvéa, enclave polynésienne en Mélanésie. D’autres apports ont été pointés par Léonard Drillë Sam, qui a trouvé dans un tâgâdé (238) en paicï, « La Femme Tibo et son enfant », une chansonnette intraduisible et sans doute incompréhensible par l’auditoire de langue paicî par ce qu’elle est constituée d’un mélange d’autres langues kanak et même polynésiennes. Il relève ce même trait dans d’autres comptines pour les enfants, ce qui révèle le sentiment de l’unité de la poésie par delà la diversité des langues, des cultures, des peuples et l’aptitude à jouir de cette diversité ».

4. L’interprétation « pétroglyphique » de Georges Coquilhat

Né le 1er novembre 1940 à Marseille, ce professeur retraité qui a fait plusieurs séjours en Nouvelle Calédonie en tant qu’enseignant dans les années soixante dix, quatre vingt. Il a rédigé une thèse sur « la presse de Nouvelle-Calédonie au XIXème siècle »et écrit un certain nombre d’articles sur le Pays. Un de ses articles qui nous intéresse de près c’est son interprétation des pétroglyphes de Tchambouène au nord et il dit ceci :

« Si je penche pour attribuer les pétroglyphes de Tchambouène à des Polynésiens, c’est parce que bien des indices concordants entre les traditions polynésiennes et ma théorie semblent l’attester ; mais je ne pense pas qu’ils représentent un débarquement wallisien vieux seulement de deux à trois siècles, – l’érosion de la pierre serait dans ce cas moins avancée,- j’incline plutôt pour un autre débarquement qui aurait pu se produire lors d’une grande époque d’expansion polynésienne, entre les Xème et XIIIème siècles vraisemblablement. Peut-être originaires des Tonga, peut-être d’Hawaii, à cause du nom “Ohao” qui est resté à la Grande Terre et peut faire référence à des origines hawaïennes ou plus probablement tongiennes ; mais c’est là un maigre indice, bien évidemment insuffisant pour être considéré comme une preuve permettant de conclure. Ces colons polynésiens auraient ensuite abandonné l’archipel néo-calédonien. Pourquoi ce nouveau départ ? Les Polynésiens auraient tout aussi bien pu se trouver contraints de se retirer devant un afflux puissant de Mélanésiens par exemple que de retourner sur leurs îles d’origine pour toute autre raison inconnue. Ils auraient pu également choisir d’émigrer vers des terres nouvellement découvertes, plus riches de promesses et moins difficiles à occuper puisque vides d’habitants ; je pense bien entendu à la Nouvelle-Zélande, visitée par les Polynésiens à partir du Xème siècle et véritablement colonisée par plusieurs migrations successives qui se sont échelonnées du XIIème au XIVème siècle. Mais je n’irai pas plus loin dans la voie des suppositions car il me semble vain de prétendre établir la cause réelle de l’abandon d’un riche archipel alors qu’un tel abandon reste tout à fait spéculatif tant qu’on n’a pas d’indice probant qui l’atteste et alors que l’on n’a pas connaissance qu’une quelconque tradition en ait de manière compréhensible conservé le souvenir. » (239)

Certains pourraient lui reprocher à l’instar de Bernard Brou d’avoir publié des articles, durant « les évènements », idéologiquement engagés afin de dénoncer l’idée indépendantiste selon laquelle les kanak étaient les premiers occupants des terres en Nouvelle Calédonie.

Le site de Tchambouène.
D’après G, Buchalski et R, Pierron : Les Pétroglyphes Néo-Calédoniens (S.E.H.N.C. – Publication N° 41 – Juillet 1988)
Groupe de motifs principal faisant face à la montagne.

203 Géographe (1940-1997), spécialiste de l’Océanie né en 1940, docteur d’État, Joël Bonnemaison était directeur de recherche à l’Orstom (délégué pour le Pacifique Ouest, puis chef du département « Société, urbanisme, développement »), il enseignait la géographie culturelle à l’université de Paris IV. Il a séjourné dans plusieurs pays d’Océanie et publié une thèse sur Vanuatu (L’Arbre et la pirogue, Les Hommes lieux et les hommes flottants) et La dernière île. Il est décédé le 6 juillet 1997 à Nouméa.
204 Joël Bonnemaison, Les valeurs de l’enracinement et du voyage en Mélanésie, ORSTOM, 1989.
205 Collectif, Ta’vaka, Mémoires de Voyages, CCT, p 6-7.
206 K.R HOWE, Les îles Loyautés- Histoires des contacts culturels (1840-1900) SEHNC, 1978.p 19 et 22.
207 Selon M.J DUBOIS in journal de la Société des Océanistes ” Paroles et traditions wallisiennes- tome 23 sept 1976, pp 237-239.
208 Notons que l’équipage d’Entrecasteaux en 1793, remarque une terre mangée par les gens de Balade. Parle-t-on de la même chose ?
209 D. SHINEBERG, Ils étaient venus chercher du santal, page 64. On ignore la source de cette datation, sans doute du journal du père Rougeyron.
210 Jacques IZOULET, Ouvéa, Histoire d’une mission catholique dans le pacifique sud au XIXème siècle, l’Harmattan, 2005, p 103.
211 Remarque faite par Jean GUIART, La chefferie en Mélanésie, op.cit.,
212 – Pierre GOPE, Pouvoirs et politiques en Océanie in théâtre et politique, p 242, à propos de la pièce intitulée : « Wamirat ».
213 Raymond H. LEENHARDT, Au vent de la Grande Terre- les îles Loyautés de 1840 à 1895, op.cit., p 20 ; Cet auteur précise la date de leur arrivée c’est-à-dire 1836.On peut ainsi faire un lien avec une version de l’histoire de l’arrivée des tongiens à Lifou p 75 Chapitre III.
214 D. SHINEBERG, Ils étaient venus chercher du santal, p 91. Cf. notamment le témoignage du Révérend A.W MUURRAY
215 Ibid. p.92.
216 Joël DAUPHINE, christianisation et politique en Nouvelle Calédonie au XIXème siècle, CDPNC, 1999, p7.
217 Jacques IZOULET, Méketepoun- Histoire de la mission catholique dans l’île de Lifou au XIXème siècle, Editions l’Harmattan, 1996, pp 23, 24.
218 Langue de Lifou.
219 Jean GUIART, La chefferie en Mélanésie, op.cit., p 342.
220 Raymond H LEENHARDT, Au vent de la Grande Terre- les îles Loyautés de 1840 à 1895, p 28.
221 Daniel FRIMIGACCI, peuplement de l’Océanie et de l’Australie, Collection Eveil- DEC, 1976, p 37.
222 D. SHINEBERG, Ils étaient venus chercher du santal, 1973. p103.
223 Jean Marc PIDJO, le Mwa Tea Mwalebeng et le fils du Soleil, Edition Le Rocher-à-la-Voile, 2002, pp31, 33.
224 Joël DAUPHINE – Pouébo- Histoire d’une tribu canaque sous le second Empire. Edition L’Harmattan 1992. P 19 : Hippolyte Bonou, village catholique de Panio, qui entoure les bâtiments de la mission. Il serait cousin germain du chef OUAREBAT (chef de POUEBO) L’auteur ici fait allusion aux conflits traditionnels entre les tribus du nord mais surtout la présence française va accentuer les rancœurs.
226 CLARK R., Fagauvea and the Southern Outliers in «Le coq et le cagou, Linguistic Society of New Zealand, Auckland, NOUVELLE-ZELANDE 1986, vol. 29, pp. 113-118: L’auteur montre des liens entre le Fagauvea (langue du nord et du sud de l’île d’Ouvéa) et les langues futuna
227 Des kanaks à Futuna d’avril 1850 à décembre 1851, Georges DELBOS y fait allusion aussi dans son ouvrage : l’église catholique en NC-Un siècle et demi d’histoire, édition Desclée Mémoire chrétienne, 1993.
228 Bernard Brou par exemple.
229 KJ. Hollyman(1999) y ajoute : « En remontant la Hienghène, on tombait sur un grand village où dominaient les Polynésiens : Il n’y est plus ».p43.
230 GONY pp 56-57.
231 Selon Hollyman (1999) à cause des relevés de vocabulaire faits par les premières personnes en contacts avec eux, il semblerait que les regroupements de Polynésiens ne sont pas tous originaires d’Ouvéa.
232 Bernard BROU Cite Y. Person op.cit. p73.
233 Père Lambert, Mœurs et superstitions des néo calédoniens, Nouvelle Imprimerie Nouméa, 1900, p 54-55.
234 WAHEO Jacob, Moju bongon kau adreem, contes et légendes de Ouvéa, CTRDP, recueil 2, 1989, 168 p. pp 127-128.
235 Selon le linguiste Hollyman, il y aurait eu des Polynésiens à Canala, nous sommes persuadés qu’il s’agit de la tribu d’Ouassé très liée avec le sud de Lifou par où s’est infiltrée la religion protestante.
236 Jean GUIART, la chefferie en Mélanésie du Sud, Institut d’Ethnologie, 1992, pp 444-445
237 Dominique Jouve, Université de la Nouvelle-Calédonie, EA 3327 Transcultures : Le mythe à l’épreuve du livre : Téa Kanaké, l’homme aux cinq vies.
238 Conte qui abolit toute frontière entre le réel et l’imaginaire, genre profondément original, d’après François Bogliolo, Paroles et Écritures, les éditions du cagou, Nouméa, 1994, note 11 page 9.
239 Les Pétroglyphes Néo-Calédoniens (S.E.H.N.C. – Publication N° 41 – Juillet 1988

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