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Chapitre II

Un désir :

Yasmina Khadra, Dib, Assia Djebar et d’autres écrivains ont dénoncé «le terrorisme », ce mot d’actualité, qui fait partie désormais de notre langage quotidien. Un phénomène qui a connu son paroxysme en Algérie où plusieurs de noms ont été emportés par la folie meurtrière des intégristes. Il ne suffirait pas d’y habiter pour pouvoir en parler et juger.

Au début de la décennie 1990, Maïssa Bey a assisté aussi au développement et à la propagation rapide de l’idéologie islamiste. C’est un autre moment tragique de l’Histoire d’Algérie. L’Algérie retombe dans d’autres formes de violence qui conduisent à des confrontations sanglantes quarante ans presque après son indépendance. Ces événements ont bouleversé la vie de tous les algériens et bousculent leur perception du monde. Ce peuple fait sa mue : ce ne sont plus les Français, désormais partis, qui sont les étrangers pour ceux qui ont connu la guerre d’indépendance, mais leur descendance.

Ces événements tragiques, qui ont secoué le pays depuis le début de la décennie écoulée, ont suscité une nouvelle littérature algérienne qualifiée de « littérature de l’urgence ». Cette littérature est un témoignage sur un moment brûlant de la conjoncture historique en Algérie : Pour Maïssa Bey, écrire dans une situation d’urgence est un acte d’engagement et de dévoilement d’une réalité explosive avec des « mots » disant le refus de toute complicité confortable ou subornation : «(…) La force des mots montre l’urgence de dire l’indicible, de chercher le pourquoi de cette folie qui ravage l’Algérie. De refuser le silence et la peur trop longtemps imposés. »(18)

Dans cette nouvelle « Nuit et silence », comme dans nouvelles d’Algérie, Maïssa Bey décrit et dévoile à nouveau le viol, les actes terroristes, et ce qu’il en résulte comme dégâts matériels et humains. Ce thème était déjà abordé dans ses écrits: « Bleu, blanc, vert ».(19) et dans corps indicible parue dans les nouvelles Nouvelles d’Algérie

Il est à noter que Maïssa Bey a consacré toute son écriture à toutes les femmes de son pays que l’on veut réduire au silence, Elle évoque, d’une voix personnelle puissante, le caractère double du langage en tant que discours de pouvoir et arme dans une société qui veut confisquer la parole féminine :

Ils dansent autour de moi une ronde infernale, tous ces noms que mon dictionnaire qualifie de communs: carnage, massacre, tuerie, boucherie, auxquels, comme pour creuser encore plus profond dans nos plaies, viennent s’accoler les adjectifs: effroyable, terrible, horrible, insoutenable, inhumain, et bien d’autres…Il ne suffit pas d’effacer les mots pour faire disparaitre ce qui est.

Je les recueille [ces mots-sangues], je les fais miens, je les égrène, le matin, avant de sortir de chez moi, comme d’autres égrènent un chapelet avant de s’abîmer dans la prières….Je tresse avec ces mots des colliers de fleurs que je passe à mon cou les jours où j’ai trop mal, les jours où déborde la souffrance. (20)

L’urgence qu’il y a à « porter la parole » dans la société algérienne postcoloniale, tient, dans les textes de Maïssa Bey, une place primordiale. Il s’agit, d’exprimer, par le langage, une réalité qui est indicible, ou de trouver « les mots pour le dire ». Ainsi, dans la Préface des Nouvelles d’Algérie, l’auteur écrit:

Pour pouvoir écrire ce livre, il m’a fallu un jour regarder en face ce que jusqu’alors je n’avais pu imaginer, non, pas même imaginer, sans peur et sans souffrance. J’ai dû alors lutter contre la tentation du silence… essayer de la [la peur] faire plier sous le poids des mots. Expérience difficile s’il en est, que celle de trouver les mots pour dire l’indicible…(21)

Il est intéressant de remarquer ici que «l’urgence de dire» une réalité trop terrible pour pouvoir être exprimée par le langage, semble remplacer, chez un nombre d’auteurs de la génération des années 90, les questionnements identitaires des auteurs bilingues de la première génération qui sont le résultat du conflit de l’univers symbolique de la langue maternelle et de la langue française qu’ils utilisent comme langue d’écriture.

La nouvelle « Nuit et silence », est l’histoire d’une jeune fille de quinze ans qui a subi l’expérience du viol, et qui a été témoin du meurtre de ses parents et ses frères. Les circonstances de l’évènement raconté par la jeune fille donnent au texte un caractère universel. Le style est, comme c’est toujours le cas chez Bey, concis, la phrase est courte, le message est factuel, transparent.

Ce style classique qui caractérise le langage poétique de Bey, dominé par ce qu’on peut appeler, le principe de la constance, alterne avec un style elliptique de la phrase éclatée et de la rupture de l’ordre de la syntaxe, où l’omission du sujet grammatical ou de l’article défini sont fréquents. Une pareille écriture génère la décomposition, la fracture du moi, accompagnée par un effondrement de l’univers symbolique du sujet semblable à celui qui domine dans le langage psychotique. On assiste à un vacillement au niveau du langage et au niveau de l’univers intérieur du sujet qui se retrouve au bord de la folie. On peut dire que la tentative de la narratrice de «s’affranchir du verbe» et de retrouver le monde de la constance, n’est autre que le désir de la réappropriation de la parole perdue. Le désir de dire de la jeune fille est accompagné du désir de nommer, parler, pour guérir, suite à l’expérience de la perte dans un monde injure.

Pourtant, le réel exerce un pouvoir tellement fort sur la narratrice que les seuls mots qu’elle peut encore prononcer et penser sont les mots «inoffensifs» de son enfance:

Je lui ai raconté l’histoire de mon arbre, celui que ma grande mère avait planté le jour de ma naissance. C’est un figuier qui a grandi en même temps que moi. Cela faisait seulement trois étés qu’il donnait des fruits». P. 114

Ainsi, dans cette nouvelle « Nuit et silence », la narratrice ne fait qu’évoquer, au cours de la narration, un attentat dans un style simple, et sans user d’effets stylistique ou esthétiques particuliers. Elle s’intéresse plus à ce qu’il y a après l’attentat, aux gens et femmes qui en souffrent. Comme les événements sont bien connus de tout le monde, les décrire d’une façon minutieuse n’avancerait à rien.

Derrière ces événements non historicisés, mais beaucoup d’indices les spatialisent concrètement, l’auteur veut dépasser la question algérienne pour s’interroger sur cette envie de l’homme à chercher sa liberté physique et morale après un malheur vécu. Il y a tout un jeu avec le temps et avec l’espace rendant ces instances hybrides, c’est-à-dire trop flasques, l’actualité transporte le lecteur vers le mythe. Ainsi, l’auteur fait connaître les conditions dans lesquelles vivent les Algériens, victimes ou « spectateurs » de cette violence. Mais cette réalité dépasse le lieu géographique et va creuser des sillons dans l’Histoire, la mémoire, le sacré et les écritures.

« Nuit et silence » est une triste histoire, celle d’une jeune fille qui ne perd pas l’espoir de retrouver un jour sa liberté même si celle-ci ne se rencontre parfois que par la mort : « On attend seulement la vraie mort. La fin de tout. La délivrance » P.110.

L’auteur cherche, à travers ce récit à dévoiler l’inhumanité de l’homme trop prisonnier de vérités désuètes et de mythes cruels. La nouvelle « Nuit et silence » traite le problème du terrorisme. Des passages de ce récit présentent une violence exercée contre des gens de tout âge ; surtout des femmes. La description faite par la narratrice est plus réaliste car il ne s’agit pas d’un rêve. Maïssa Bey rapporte par le biais de cette nouvelle des faits réels, vécus par tous les algériens.

D’une nouvelle à une autre, on assiste à un changement de perspectives. L’auteur nous fait voyager dans une Algérie où rêve et quotidien se mêle. Elle nous promène dans un pays qui débat sans fin dans les contradictions, celles qui entravent les femmes.

L’écrivaine dénonce l’acte terroriste qui a ravagé tant de vies innocentes et qui a fait plonger l’Algérie dans l’ombre de la déraison et la désillusion. Elle se retrouve bien impliqué dans la narration : l’emploi du «Je » narrateur. Pour elle, dire « je » est une façon de se couler dans le plus intime de l’être et par-là même d’aller au plus profond . Certes, il est parfois difficile de se dissocier des personnages que l’on crée. Elle leur donne une vie esthétique propre et intangible. Son existence se perd dans ces personnages :

« La personnalité de l’artiste, traduite d’abord par un cri, une cadence, une impression, puis par un récit fluide et superficiel, se subtilise enfin jusqu’à perdre son existence et, pour ainsi dire, s’impersonnalise » (23).

Beaucoup de femmes comme Assia Djebar, Aïcha Lemsine, Beyda Bachir ou Safia Ketou écrivent sous un pseudonyme, ce choix d’un pseudonyme peut se traduire par une sorte de “voile”. Elles se dissimulent selon une stratégie: ne pas gêner la famille ou le mari. Mais pour Maïssa Bey, c’est plutôt une question de vie. Elle était menacée. A l’époque où elle a commencé à se faire publier (les années 1990), c’était comme elle le dit, écrire sous son nom et partir ou choisir l’anonymat et rester (24). Il n’y avait pas d’alternative, c’était une question de vie ou de mort. Donc le choix n’y était pas et c’était cela qui lui avait motivé en premier pour l’option du pseudonyme:

« Je n’ai pas eu vraiment le choix. J’ai commencé à être publiée au moment où l’on voulait faire taire toutes les voix qui s’élevaient pour dire non à la régression, pour dénoncer les dérives dramatiques auxquelles nous assistions quotidiennement et que nous étions censés subir en silence… dans le meilleur des cas » (25).

Par le biais de la voix de ses personnages, Maïssa Bey ne veut à aucun moment dissimuler sa position idéologique.

La nouvelle « Nuit et silence » décrit une jeune adolescente enceinte « quinze ans» p.110, gisant sur un lit dans un hôpital à Alger : « On va t’emmener dans un centre à Alger» P.105

Au fur et à mesure que le récit progresse, on saura que cette jeune fille fut enlevée lors d’un massacre dans un douar par des terroristes qui voulaient se venger de la trahison de son frère : « La nuit où il sont venus au douar pour se venger de la trahison de mon frère, il faisait très chaud » P 109

Sachant qu’elle porte le fruit d’une faute qu’elle n’a pas commise, la narratrice voulait se suicider pour retrouver sa pureté puisqu’elle était déshonorée:

« Je voudrais mourir. Qui voudra de moi maintenant ? J’ai déshonorée la famille» p.108

« Je ne vais plus manger. Comme ça cette chose dans mon ventre ne pourra pas se nourrir (…) m’aidera à mourir pour retrouver ma pureté» P.111

Le dialogue entretenu entre une femme terroriste et la narratrice qui voulait connaitre les motifs de ces tueries révèle les motivations des groupes terroristes qui justifient leurs crimes par le recours au sacré. Cette femme se met à parler à la place des autres pour donner raison à leurs actes en donnant des exemples : « Quand il ya des cafards dans une maison, si on veut s’en débarrasser, il faut les tuer tous! Les exterminer ! Si non ils prolifèrent à nouveau » P.106

Pour eux, tuer des innocents, des enfants, c’était pour les sauver et les empêcher de devenir des mécréants comme leurs parents. Tuer des femmes adultes c’est les purifier. Ces criminels veulent mettre le pays en coupe réglée au nom d’un islam dénaturé par le vol, le viol et la violence Dans l’incipit de «Nuit et silence », L’écrivaine utilise ce qu’on appelle « le topos de la lumière» (26) ce qui assure une « rhétorique du dévoilement » qui fait passer de l’inconnu au connu. Les Personnages de ce récit progressent dans l’action. La narratrice n’est ni omnisciente, ni omnipotente. Son ignorance s’assimile à celle de tous ces Algériens/spectateurs. Elle ne sait pas plus que les autres personnages.

D’un autre côté, l’auteur ne nous fait part que des sentiments de la jeune fille par le biais de monologues : des souvenirs de morts (sa famille, les femmes torturées), des remords et des regrets. Le fait qu’elle fut obligée d’accomplir ce qu’elle a accomplie pour rester en vie, ne la laisse pas insensible. Le discours réaliste devient porteur d’un témoignage et de l’affirmation de la parole de l’auteur. Ainsi, Maïssa Bey, à travers le discours de cette femme enlevée, violée et condamnée à vivre d’horribles expériences et dans le déshonneur, prend position contre ces « détenteurs » de « vérités uniques ». Elle réclame la liberté, la paix et réprouve si durement ceux qui exercent cette violence.

Les passages relatifs aux massacres ne sont qu’une vue fragmentaire, que quelques souvenirs qui ont ressurgis de la mémoire de cette jeune fille et qui lui ont donné la force vaincre cette peur. Elle parle pour dire. Sa parole est porteuse, elle va au delà de l’événement immédiat: dénoncer le terrorisme.

Effectivement, les images que la jeune femme revoyait, les scènes d’horreur qu’elle se rappelait, comme celles où, elle et d’autres filles enlevées, avaient été torturées, violées ; étaient des images choquantes qui ne faisaient à chaque fois que de lui procurer plus de haine et de courage :

« Je ne veux pas de cet être qui bouge en moi. Je ne pourrai pas donner le jour à un être qui pourrait leur ressembler… à le laisser grandir pour haïr, tuer ou se faire tuer» Pp.108/109

« … je lui tenais la jambe pour l’empêcher de s’approcher de Ali. Je me traînais par terre» P.106

Des images qui témoignent d’une violence atroce au point où l’auteur ne peut plus en rajouter avec son style, elle n’utilise même pas le mot « terrorisme » ou « terroriste » dans ce récit. Elle apporte des témoignages d’une précision cynique pour provoquer l’indignation du lecteur, sur la barbarie insoutenable des terroristes. Les mots sont simples et les phrases plus qu’expressives.

Face à cette violence qui ne cesse de croître, l’auteur revendique le droit à la liberté, la nécessité de préserver la dignité qui sont les pôles moraux indispensables à tout homme. Ces femmes se battent pour la procurer : « Je n’ai plus pensé à elle depuis le jour où je me suis enfuie» P.101

« Elle a fini par leur échapper, cette nuit. En silence. Dieu ! Leur fureur quand ils ont découvert au petit matin son corps qui se balançait à quelque centimètres à peine au-dessus du sol…elle leur à échapper» Pp.101/102

Le droit à l’éducation est souligné ici, Maïssa voulait mettre l’accent sur ce point qui a souvent Bouleversé la vie des jeunes filles vivant dans une société dont laquelle elles sont perçues comme un déshonneur, des êtres impurs. Ces filles sont victimes des valeurs sociales et des traditions archaïques. Elles sont obligées de quitter les rangs des classes pour aider leurs mères : « d’ailleurs, beaucoup parlaient en français. Et moi, à l’école, je n’ai pas eu le temps d’apprendre le français. Mon père m’a fait quitter l’école à neuf ans pour aider ma mère » P.104

Aussi parce qu’elles représentent pour leurs familles un lourd fardeau qui ne se dissipe que le jour de leurs mariages. Cette idée est installée même chez ces filles-là : « Je porte encore un fardeau » P.100

« Si mon père et mes frères étaient encore en vie, ils m’auraient tuée. Pour ne pas avoir affronté le déshonneur. Et je les aurais laissés faire …J’ai déshonoré la famille» P.108

Quand le silence fait la loi, il serait difficile de le briser, difficile de rompre une tradition Longtemps séculaire qui s’est imposée dans la vie d’une femme. Celle-ci malgré les violences qu’elle subit, les oppressions et les humiliations, ne peut dire son malheur; sa révolte qui bout en elle, bref sa souffrance incandescente qui brûle au plus profond d’elle-même. Elever la voix est un acte proscrit. Aussi qui mieux qu’une femme peut ressentir cette déchirure.

Conclusion

Il est intéressant de remarquer ici que «l’urgence de dire» une réalité trop terrible pour pouvoir être exprimée par le langage, semble remplacer, chez un nombre d’auteurs de la génération des années 90, les questionnements identitaires des auteurs bilingues de la première génération qui sont le résultat du conflit de l’univers symbolique de la langue maternelle et de la langue française qu’ils utilisent comme langue d’écriture.

L’urgence qu’il y a à restaurer la parole perdue individuelle et collective des femmes algériennes, constitue l’autre versant de la poétique de Maïssa Bey qui, fille d’un instituteur qu’elle a perdue très jeune pendant la guerre d’Algérie, a fait l’expérience de tous les dangers auxquels la femme algérienne est exposée dans la société arabo-musulmane lorsqu’elle s’associe au pouvoir de l’écriture, de la lecture et du savoir. Elle explique: « Et puis, il a fallu qu’un jour, je ressente l’urgence de dire, de porter la parole, comme on pourrait porter un flambeau ».(27) Elle ne nie pas le caractère sociologique de ces textes que de nombreux critiques soulignent, mais elle précise:

Et plus la pression de la société est forte, plus l’oppression des personnages par cette société est grande, plus elle envahit l’oeuvre, au risque même de paraitre délibérée. C’est cela la réalité algérienne aujourd’hui.(28)

L’altérité

Il est évident que le regard qu’on porte sur «l’autre», et vice versa, mène à des carrefours problématiques. En regardant « l’autre», en parlant de « l’autre« et en écrivant sur « l’autre», une image est véhiculée qui renseigne sur le « je » qui regarde ou qui écrit. Cette image qu’on se fait de l’autre peut être en fait, d’une part, une négation de « l’autre» et d’autre part, un prolongement du «je » et de son espace référentiel :

« Tiens, chez nous on dit : être frappé par le vent. C’est pas mal comme expression non? […] je ne suis pas d’ici. Enfin, je ne suis pas née ici. .. J’espère que cela n’aura aucune incidence sur la suite des événements […] Je ne suis pas née de ce côté de la Méditerranée. Et ma mère non plus. Pas plus que mon père » P.49

La narratrice expose le désir de s’intégrer, de ne faire qu’un avec «l’autre» et la nécessité de tenir à ses racines. Elle veut, aussi démontrer qu’on a tous un point commun, une histoire commune pour ainsi dire nous ne sommes pas différents de « l’autre» :

« Parce que tout le monde me le dit, vraiment, on ne dirait pas une arabe…ton teint, tes cheveux […] Le hasard des combinaisons génétiques, sous savez bien … les mélanges… Berbères, Vandales, Phéniciens, Arabes, Turcs, Espagnols, Français, … pour s’y retrouver dans cette généalogie, ces métissages…je pourrai passer pour une méditerranéenne et puis je parle français sans accent » P.49

Le drame de l’identité est présent dans cette nouvelle « Improvisation » qui est un monologue. Aussi, des traits de caractères, des tranches de vie sont révélés dans ce discours. La jeune dame « Leila » monte sur le théâtre, sans aucune préparation, avec l’espoir d’être acceptée et engagée comme comédienne suite à une annonce publiée par la direction du théâtre. Sur scène, elle interpelle le jury : « Qu’est-ce que je suis venue faire ici ? En France ?… Postuler pour le rôle bien sûr, tenter ma chance ! » P.50

Elle quitte son pays pour se libérer de l’autorité patriarcale. Elle essaye de démontrer à son public comment les choses peuvent évoluer de manière insatisfaisante et désagréable, comment la femme sur l’autre rive de la Méditerranée, souffre et assume l’autorité de l’époux en silence : «Et c’est ma mère qui essuyait tout en silence. Les tempêtes, les bourrasques, entre de trop rares accalmies. Vous comprenez maintenant pourquoi je suis partie, pourquoi j’ai largué les amarres… j’ai quitté mon pays, j’ai quitté mon soleil» P.55

Et pour déjouer cette autorité, elle use de son génie et du mensonge : « J’ai toujours joué de la comédie. Sans arrêt, comme toutes les femmes. Depuis toute petite…. bien obligée.» P.50

L’écrivaine évoque aussi un autre sujet: la fragilité, la soumission, la faiblesse de la femme qui a connu une vie difficile, sa souffrance d’enfance, d’adolescence et d’adulte était en grande partie causée par le fait qu’elle donne inconsciemment aux autres le pouvoir de lui enlever la liberté d’être elle-même et aussi l’acte de faire un choix «signe de liberté ».

Sommes-nous libres de faire nos propres choix ? Choisir notre sexe ? L’écrivaine dénonce une idée tant marquée cette société : celle d’avoir beaucoup d’enfants et des mâles d’abord. Un autre aspect de la liberté est abordé ici: celui de la possibilité d’agir, de penser et de s’exprimer selon ses propres choix. Tel est le cas de cette comédienne qui eut une certaine hésitation pour le choix du rôle qu’elle va jouer; un choix entre Phèdre ou Antigone (29): « J’ai tellement hésité entre Phèdre et Antigone….des méditerranéennes elles aussi… »P.51.

Ce choix fait par Maïssa bey n’est pas fortuit, elle veut montrer qu’à travers toute l’histoire, les femmes ont souffert et ont subi l’injustice de l’autorité masculine.

L’écriture de Maïssa Bey retrace l’évolution de la voix féminine à partir de la constatation d’un silence, silence de la femme dans la société patriarcale. Une société qui veut le silence. Un thème déjà évoqué par une autre romancière algérienne Assia Djebar en disait en 1987 :

« Une femme algérienne qui se met à écrire risque d’abord l’expulsion de sa société (…) Aujourd’hui, on peut dire qu’il y a une dizaine d’Algériennes qui écrivent. Par la langue française, elles se libèrent, libèrent leur corps, se dévoilent, essaient de se maintenir en tant que femmes travailleuses et, quand elles veulent s’exprimer par l’écriture, c’est comme si elles expérimentaient ce risque d’expulsion. En fait la société veut le silence. A un moment donné toute écriture devient provocation. Tant qu’il y avait la justification de la guerre d’Algérie, on pouvait écrire. » (Le Monde, 29 mai 1987)(30)

Par son écriture, l’écrivaine crée un lieu d’expression à la parole féminine et dans cet espace, sa propre voix peut s’exprimer de manière individuelle, tout en s’inscrivant dans une polyphonie féminine.

Une affirmation

A partir des années 85, les témoignages et les récits de vie deviennent plus intensifs. Ceci se remarque sur l’ensemble de la littérature algérienne d’expression française. On veut alors parler en toute liberté, plaider sa propre cause, sortir du silence. Aussi, l’une des caractéristiques de l’écriture féminine d’expression française au Maghreb est de raconter et se raconter tout en recourant à la mémoire qui remonte jusqu’à l’enfance, il s’agit de récits autobiographiques. Un thème précis et particulièrement douloureux, mais glorieux aussi, pour les romancières algériennes est celui de l’histoire immédiate : c’est-à-dire les souvenirs de la guerre l’indépendance à laquelle les femmes ont pris part. Ce thème de la guerre tient une part importante dans les romans algériens Maïssa Bey, comme d’autres, poursuit inlassablement sa quête identitaire et nous emmène, une fois de plus, à la découverte d’une Algérie omniprésente. Dès sa tendre enfance, elle était en quête de ses origines ; cette recherche de l’identité la plus profonde.

Dans un récit autobiographique « C’est quoi un arabe ? », Maïssa décrit tout ce qui peut constituer son être, son rapport au monde, ses relations avec les autres, sa singularité. C’est un récit autobiographique du moment qu’il parle d’un flash back durant la colonisation française. Une période qui a tant marquée son enfance : Elle évoque ses souvenirs et parle de son père ; un instituteur, qui a été torturé et tué par l’armée française :

« Des militaires français accompagnés d’un homme … Ils sont pénétrés chez eux au milieu de la nuit » P. 145

« … puis ils sont partis, emmenant son père». P 145

Avec un mélange de fiction et de souvenirs personnels, Maïssa bey écrit ce récit avec le désir de revenir sur les chemins de son enfance et plus loin encore. Revisiter le passé pour éclairer ou tenter d’éclairer le présent : « Enfance. Je plonge mes mains dans l’informe.je cherche. Sable mouvants, tièdes. Je m’enfonce». P.135

Le personnage central est une jeune fille qui tente de reconstituer les fragments épars de sa personnalité. Elle perçoit dans l’ordonnance de son monde des incohérences : Que veut dire « arabe » ? Et pourquoi l’autre perçoit cet être comme différent même si ce dernier parle et/ou peut parler la même langue ?

« Mais alors, les arabes peuvent aussi parler français ? Parler une langue. La faire sienne sans toutefois perdre de vue qu’elle ne nous appartient pas». P.138

Des questions et d’autres que la narratrice n’a guère trouver de réponses même chez les adultes qu’elle suppose connaitre tout : « … seuls les adultes peuvent répondre aux questions. Néanmoins, je n’ai pas la réponse». P.135

Elle cherche la réponse dans les yeux de son grand père, et dans tout ce qui l’entoure mais vainement. A l’école, cette petite fille a appris beaucoup de choses, a découvert des mondes si vastes.

Inconsciemment, l’écrivaine ne veut évoquer ce souvenir, celui où des militaires ont conduit avec eux son père. Elle tente de se rappeler seulement des bons moments qui ont précédés ce drame. Elle songe à la liberté donnée par cet immense espace (son village).

« D’où vient, si intense, cette impression de liberté? Sans doute des espaces nus et déserts, au-delà des champs de blé à perte vue. L’écho des cris d’enfants répercutés loin, très loin. Epis arrachés, encore verts, gout des grains de blé encore tendres ». P.139

Mais vint le moment où toute protection, toute liberté disparaissent à jamais. L’écrivaine revient sur les traces de l’histoire. Il lui a fallu, certainement, faire des recherches pour ne pas trahir le réel, du moins sur le plan de la chronologie des faits historiques évoqués : « Janvier 1957, Enfin un point d’ancrage. Un repère sûr. Quoi de plus solide qu’une date pour étayer des souvenirs ? Certifiées conforme par les livres d’histoire» P.141

Suite à une grève générale décrétée par le FLN (Front de Libération National), son père fut arrêté et condamné parce qu’il combattait pour sa liberté, sa dignité. Il refuse d’être humilié : « Sous le même soleil des hommes se font la guerre. Lui et les siens se battent pour ne plus être humiliés. Pour avoir le droit d’être libre sur une terre qui leur appartient» P.143

Dans ce récit, Maïssa Bey ne donne pas seulement des précisions sur le temps de l’action, mais dénote aussi un autre aspect: celui du respect qui règne entre les membres de la famille. Cette cellule familiale, qui est souvent considérée comme l’espace fondamental et la pierre angulaire de toute société.

« Cela ne correspond pas à ce que je sais aujourd’hui des traditions en vigueur dans notre famille. Impossible. Les pères en ce temps-là ne pouvaient voir leur femme ou leurs enfants en présence de leur propre père. Par pudeur. Par respect » P.137

Cette nouvelle ne s’apparente pas immédiatement à une écriture autobiographique puisqu’elle est écrite à la troisième personne mais les glissements fréquents de la troisième « elle » témoin, à la première personne « je » acteur peuvent nourrir une réflexion sur la définition du genre. La focalisation interne est un choix d’écriture qui a du sens et construit du sens. La proximité du personnage de la femme et de l’auteur est renforcée par ce choix. Ce passage de l’un à l’autre est constitutif de l’écriture investie par la présence d’un discours réaliste où l’actualité n’est pas absente.

Quoique ce soit un récit autobiographique, Maïssa bey emploie la troisième personne « elle » qui, selon R Barthes :

De même, l’emploi du « il »romanesque engage deux éthiques opposées : puisque la troisième personne du roman représente une convention indiscutée, elle séduit les plus académiques et les moins tourmentés […] De toute manière, elle est le signe d’un pacte intelligible entre la société et l’auteur, mais elle est aussi pour ce dernier le premier moyen de faire tenir le monde de la façon qu’il veut. Elle est donc plus qu’une expérience littéraire : un acte humain qui lie la création à l’Histoire ou à l’existence.(31)

Donc une manière de fasciner les lecteurs et les attirer. Aussi elle permet de se distancier et aller jusqu’au bout du récit. Des distances qui sont parfois, comme les a jugé Maïssa bey, nécessaires.

« J’ai fait appel au “elle”, une distanciation était nécessaire. Ce qui est certain, c’est que le “elle” permet d’aller jusqu’au bout du récit, de prendre des distances parfois nécessaires. Peut-être que le “Je” narratif peut amener à un amalgame entre l’auteur et l’héroïne… »(32)

Dans la nouvelle « La petite fille de la cité sans nom » la légende s’articule dans la fiction. L’écrivaine, dans l’incipit de ce récit, annonce sont projet d’écriture:

« Elle aurait pu s’appeler Ariane(33). Pourquoi Ariane ? A cause de son nom, et aussi des labyrinthes. De ceux qu’on doit parcourir dès l’enfance, pendant longtemps, jusqu’à ce qu’on trouve la lumière » P.149

C’est ainsi que le personnage principal se voit subir le même sort que « Ariane » : éclairer les jours de ceux qu’elle aime afin de leur permettre de retrouver le chemin, tout comme Ariane qui, séduite par Thésée, l’aide à s’échapper du labyrinthe en lui fournissant un fil qu’il dévide derrière lui afin de retrouver son chemin. Cette fille aux yeux aigue-marine cherche le bonheur et la liberté dans l’autre rive: « Tout ce qu’elle veut, c’est pouvoir un jour s’en aller à son tour» P.151

Rania, la petite fille muette, s’en rend compte et assume le poids de la misère commune à toute la famille, et à tous les habitants de cette cité oubliée.

« Elle a parfois plusieurs kilomètres à faire et doit frapper à plusieurs portes […] elle sait qu’elle doit à tout prix rapporter de l’eau à la maison, sinon ils n’auront pas de quoi préparer à manger et laver leur linge ». p.152

Ces rêves se transforment en cauchemars d’un labyrinthe sans fin. Prisonnière dans ce dédale, elle s’efforce de trouver le fil d’Ariane qui le guiderait certainement vers la sortie et par conséquent vers sa liberté enchantée dans un ailleurs.

« Elle non plus ne sait pas pourquoi elle rêve souvent de labyrinthes. D’immenses galeries sombres et humides, inlassablement parcourues en allers et en retours inutiles. Toutes les nuits, elle court, s’égare dans inextricables dédales, parce que personne n’a tendu de fil pour elle pour l’aider à déboucher sur la lumière » pp. 151/152

Cette fillette, muette et invisible, qui après avoir tenté de s’exprimer un temps par la danse et l’écriture sur le sable, finit par disparaître dans la mer:

« Les mots dans les livres sont noirs et silencieux, ils sinuent comme des serpents et ne résonnent pas dans sa tête même quand elle en trace les contours sur la terre, […] mais c’est peut-être à force de tracer des signes dans la poussière qu’elle a trouvé le chemin. Ou alors à force de regarder les étoiles disparues depuis longtemps. Personne dans la cité ne sait pourquoi, un matin, elle n’était plus là». P.153

Le récit reste ouvert, personne ne sait ce qui est arrivé à la petite fille. Le lecteur assiste à un brouillage du drame ce qui rend ce récit « énigmatique » , il se constitue comme dérangement de la communication de l’information. Le lecteur est placé devant un événement, un comportement dont le sens lui échappe et dont les conséquences lui demeurent cachées. Selon Charles Grivel, cet acte d’écriture produit le désir de lire et retient le lecteur à la lecture :

« Le démenti suppose l’énigme, n’est opérant qu’en tant qu’énigme. L’innovation en effet, n’est intéressante que dans la mesure où elle est rendue mystérieuse: une information non probable n’est en soi ni intéressante, ni étonnante […] Autrement dit, la rupture de l’ordre archétypal n’est efficace qu’à partir du moment où elle ouvre obscurément sur cet ordre même »(35)

L’énigme suscite un questionnement chez le lecteur et contient la promesse d’une réponse aux hypothèses supposées par ce lecteur et qui pourront être vérifiées ou infirmées.

L’interrogation : Les réactions de la société

1. Les réactions du groupe social:

L’opposition entre violence physique et morale, violence corporelle et psychique n’est décisive qu’en apparence. C’est ainsi que Maïssa bey ne s’attache pas seulement à peindre une violence physique, apparente et flagrante. Elle nous montre à travers ces récits une multiplicité de violences de tout aspect, diffuses ou spectaculaires. Elles se rejoignent et mènent toutes à la perte de l’homme. La violence se définit ici comme un attribut fonctionnel, marqué par des oppositions physiques et symboliques articulant les récits et déterminant le fonctionnement des réseaux discursifs.

Le discours de la liberté et sur la liberté notamment structurent les textes tout en se muant en un élément médiateur entre la fiction et le réel. C’est ce jeu d’oppositions, donc de conflits qui apportent une certaine caution « thématique » aux récits et devient un espace pluriel, caractérisant plusieurs espaces différents. Temps et espace sont parfois diffus, fonctionnant comme des « chronotopes » pour reprendre le mot de Mikhaïl Bakhtine. Le discours de la liberté est paradoxalement attenant à celui de l’indifférence et de la violence qui traverse tous les personnages des récits.

Les personnages des différents récits, victimes du joug social, se retrouvent toujours dans la même société, avec les mêmes individus qui la constituent, mais ils ne sont pas perçus comme des victimes, au contraire, ils sont rejetés et mis à l’écart. Le changement d’espace ne suggère nullement un changement d’attitudes ou de comportements. La souffrance traverse tous les récits. Le champ lexical de la nuit, de l’obscurité et de la mort, du silence investit tous les récits et modélisent la syntaxe narrative des nouvelles. D’ailleurs, les personnages réifiés perdent, en quelque sorte, leur âme, leur existence et leur être. Le mythe traverse leur territoire et neutralise toute dimension humaine.

A.J.Greimas a donné forme aux rapports de base que peuvent avoir les personnages d’un roman : Rapports de désir, de communication et de participation (36). A l’aide de « la règle d’opposition » (37) on peut déduire les relations qui régissent les rapports de nos personnages, ce qui nous amène à mieux voir cette indifférence sociale.

Ainsi, l’« amour » qui désigne le rapport de désir, se transforme en «haine », ce qui caractérise indéniablement le sentiment qu’éprouve Maya à l’égard de son mari. En revanche ce rapport est dénué de réciprocité. Cette relation ne peut qu’entraîner angoisse et colère.

Il faut remarquer aussi qu’a travers les récits : « Sous le jasmin la nuit », « En ce dernier matin » et « Nonpourquoiparceque », une impossibilité de communication se fait jour. L’auteur cherche à donner la nausée au lecteur. Autrement dit, la vraisemblance du texte est indispensable pour que la charge émotionnelle et la violence qu’il contient, soient opérantes.

Ainsi, on peut aisément remarquer l’absence de communication à travers les nombreux monologues qui travaillent certains récits. Les personnages ne semblent parler qu’à eux mêmes. Quelques phrases échappent au monologue pour constituer de courts dialogues. Finalement, la parole naît et meurt à l’intérieur du personnage, elle est muette, les personnages sont passifs.

2. La résistance des individus face à la violence

Nous avons vu dans les parties précédentes comment la violence physique, morale ou psychique traverse profondément tous les récits. L’écrivaine ne s’arrête pas uniquement à la description de sociétés perdues et déchirées par la violence, mais convoque également les familles et tout être pour faire face à cette violence, malgré les difficultés quotidiennes et la conjoncture extérieure terriblement pessimiste.

L’élément spatio-temporel et le contexte socio-historique prennent une autre direction. Ce qui permet de mettre en jeu une sorte de métamorphose thématique et esthétique. La famille et la société gardent leurs repères et ses espaces conventionnels. Nous sommes en présence d’un discours présentant une tranche de la société qui résiste face à la violence, avec ses moyens physiques et spirituels, à son ébranlement et à sa désagrégation.

Cette femme a une voix douce, très douce elle m’a parlé. Elle disait la même chose que les autres : « Tu es là, avec nous. Tu n’as rien à avoir peur. C’est fini. Tu peux ouvrir les yeux, personne ne te fera plus mal ».[…] Au bout d’un moment, elle s’est levée et m’a dit encore : « N’aie pas peur. Je ne veux pas te faire du mal. Je reviendrais te voir ». P.104

Dans ce récit « Nuit et silence », l’auteure, qui ne peut rester sourd aux appels de son pays, décrit l’horreur et l’inqualifiable violence qui a frappé l’Algérie. Elle use souvent d’un ton réaliste comme si la langue ne pouvait se jouer de l’horreur en parlant de manière opaque, contrairement aux autres récits. A travers les signes explicites et implicites de cette écriture qui se revendique transparente, l’auteure n’hésite pas à se dévoiler et à s’impliquer fortement dans ce récit. Chaque fois que la patrie est menacée, Maïssa Bey intervient en faisant acte de témoin et d’écrivaine qui n’hésite pas à se dévoiler et à produire un récit transparent.

Tous les romanciers algériens qui ont abordé ce thème ont mis en exergue cette violence marquée par une opposition de deux camps et de deux champs lexcico-sémantiques. Il y a une sorte d’incommunicabilité. Les auteurs s’impliquent dans le récit et usent d’un style de facture réaliste. Assia Djebar, Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni, Malika Mokkedem, Yasmina Khadra, Dib refusent de prendre une distance avec les antagonistes de ce pays et usent d’une langue simple, souvent dépouillée d’images complexes et difficiles pour peindre la société terrorisée par les attentats et les génocides collectifs.

Dans « Nuit et silence », Maïssa Bey décrit une jeune fille, bien que vivant dans une société terrorisée, a pu résister. Elle peint l’image de la femme courageuse pareille à celles qui ont vécu la guerre de libération.

L’espace est circonscrit par la description des événements dans le récit « Sur une virgule ». Le lecteur découvre aisément le lieu dont il est question. Le « je » de la première personne est le lieu de la subjectivité du narrateur et l’espace de divulgation de la parole et de la position de l’écrivaine. Espace et événements sont intimement liés. C’est l’événement qui détermine l’espace.

Nous pouvons remarquer aussi qu’aucun détail sur la vie privée du couple cité dans « Sous le jasmin la nuit » n’est avancé, et très peu d’informations sont données sur les deux aspects physique et moral. L’auteure ne donne que des informations au compte-gouttes sur ses personnages appelés à devenir les lieux privilégiés d’un élargissement du discours romanesque. C’est l’événement lui-même qui prend de l’importance aux dépens des personnages se retrouvant comme des illustrateurs attitrés du discours littéraire. Les jeux de l’énonciation révèlent le fonctionnement de la diégèse et inscrivent le discours dans des conditions historiques et sociologiques précises. Le lieu et les conditions d’énonciation précisés engendrent une manière de raconter et délimitent également le protocole de lecture.

Le choix, sans doute volontaire, de l’auteure de clarifier certains lieux dans les différents récits permet de mettre en exergue un effet voulu, celui de la solidité de la femme algérienne que les événements n’ont pas réussi à affecter. Effectivement, la femme et épouse recèle toujours en elle cet amour et cette affection qui lui sont propres, et que l’atrocité de la vie n’a pas pu atteindre ni éteindre. Il s’agit d’un événement qu’un lecteur non attentif ou absorbé par l’intrigue principale de l’action pourra négliger, alors qu’il est d’une importance majeure.

Le narrateur retrace le destin d’une famille, vivant en cohésion et entretenant d’excellents rapports avec son entourage. La petite communauté dans laquelle elle vivait était paisible, calme. Toutefois ce calme est perturbé lors de l’arrestation du père par l’armée française. La narratrice évoque quelques détails qui permettent de distinguer sa petite famille par rapport à la grande famille, ses mœurs et ses traditions :

« Les robes longues, amples et unies des ses tantes. Sur leur tête, des foulards de soie bariolée. Les signes mystérieux tatoués sur leur visage, sur le dos de leurs mains. Le burnous blanc et la barbe de son grand père » P.136

« Chez elle, on parle aussi en français. Souvent. Sa mère qui s’appelle Fleur, Zahra, n’est pas tout à fait comme ses tantes. Elle porte des robes courtes et fleuries, serrées à la taille qu’elle a si fine. Elle ne se couvre pas la tête et n’a pas de tatouages sur le visage… » P.137

La famille reste unie jusqu’à ce que le père choisisse d’affronter le destin. C’est ainsi que l’auteure en pleines violences tumultueuses et conflits accentue la charge émotionnelle du lecteur et développe d’autres modes de violences. Les individus tentent d’échapper à la violence, mais elle les poursuit pour dominer le monde dans un combat éternel : « … parce que nous sommes arabes » P.143

L’auteur qui épargne au lecteur des émotions fortes et violentes préfère rompre ce fil en utilisant différents procédés : les contrastes entre deux aspects d’une condition ; les espaces oppositionnels et oxymoriques. C’est le cas des deux récits « En tout bien tout honneur » et « Nuit et silence », que nous venons d’évoquer mettant en œuvre un procédé qui sert à amortir le choc : en plein milieu de la violence humaine et de l’horreur, existe toujours un peu d’humanité et de sensibilité : « Cette femme a une voix douce, très douce. Elle m’a parlé. Elle disait la même chose que les autres : « tu es là, avec nous. Tu n’as pas à avoir peur. C’est fini. Tu peux ouvrir tes yeux, personne ne te fera plus mal » P.104

18 – Maïssa Bey cité par BENDJELID Fouzia, L’écriture de la rupture dans l’œuvre romanesque de Rachid Mimouni, Thèse de doctorat, (sous la direction de Fewzia SARI) Université D’Oran, 2006. P. 544
19 – Maïssa bey. Bleu, blanc, vert. Edition de Barzakh, Alger, Septembre 2006.
20 – http://pedagogie.ac-aix-marseille.fr/etablis/lycees/A_Briand/CDI/, 20/04/2004.
21 – Maïssa Bey, Nouvelles d’Algérie, Paris: Grasset, 1998, p. 11-12.
22 – http://www.lesfrancophonies.com/maison-des-auteurs/bey-maissa
23 – G. Genette, Hans R. Jaus. Théorie des genres. Edit. Seuil. Paris 1986. p125
24 – http://zaweche.unblog.fr/2008/05/21/maissa-bey-un-auteur-a-lire-absolument-et-le-plus-vite-possible/
25 – http://zaweche.unblog.fr/2008/05/21/maissa-bey-un-auteur-a-lire-absolument-et-le-plus-vite-possible
26 – Duchet Claude cité par Jean-Pierre Goldenstein. Lire le roman. Page 85, In http://books.google.fr/books?
27 – Dans la rubrique L’auteur répond aux questions d’Algérie Littérature / Action, Nov. 1996, Paris: Editions Marsa, p.75
28 – Idem, p.77.
29 – Dans la mythologie grecque, Phèdre est la fille de Minos, roi de Crète, et de Pasiphaé. C’est aussi la sœur d’Ariane qui aide Thésée à sortir du labyrinthe. Elle épouse Thésée, roi d’Athènes. Tombée amoureuse de son beau-fils, Hippolyte (que Thésée a eu avec Antiope, la reine des Amazones), elle est repoussée par celui-ci. Par vengeance, elle accuse le jeune homme d’avoir cherché à la violenter. Furieux, Thésée implore aussitôt sur son fils la malédiction de Poséidon, qui lui doit trois vœux. Poséidon emballe les chevaux du jeune homme qui périt écrasé par son char. Accablée de remords, Phèdre se suicide et Thésée apprend trop tard la vérité
Quant à « Antigone », elle est la sœur de Polynice qui est venu avec les armées d’Argos pour reprendre le trône de Thèbes à son frère Étéocle. Les deux hommes s’entretuent lors d’un combat singulier. Le nouveau roi, leur oncle Créon déclare Polynice « traître à la patrie » et interdit toute sépulture sous peine de mort, condamnant ainsi son âme à l’errance. Mais Antigone s’oppose, seule, à cette décision. Elle s’en va jeter quelques poignées de terre sur le corps de Polynice. Prise en flagrant délit, elle affronte Créon qui lui dénie, en tant que femme, le droit de faire la loi et fait appliquer la sentence de mort. Il la fait emmurer dans une grotte.
30 – Assia Djebar cité par
31 – Roland Barthes, Le degré zéro de l’écriture, suivi de nouveaux essais critiques, Le Seuil, 1953, Rééditions 1972, page 29.
32 – http://zaweche.unblog.fr/2008/05/21/maissa-bey-un-auteur-a-lire-absolument-et-le-plus-vite-possible/
33 – Ariane est, dans la mythologie grecque, la fille du roi de Crète Minos (fils de Zeus et d’Europe) et de Pasiphaé. Sœur de Glaucos, Phèdre, c’est aussi la demi-sœur du Minotaure. Séduite par Thésée, elle aide celui-ci à s’échapper du Labyrinthe. Contre la promesse de l’épouser, elle lui fournit un fil qu’il dévide derrière lui afin de retrouver son chemin, seul moyen de triompher du labyrinthe qui n’a qu’une seule entrée.
34 – Tomachevski cité par Raphaël Baroni In VOX POETICA, Tension narrative, curiosité et suspense : les deux niveaux de la séquence narrative Le 6 janvier 2004. P.12
35 – Grivel, Charles (1973 :261-262). cité par Raphaël Baroni In VOX POETICA, Tension narrative, curiosité et suspense : les deux niveaux de la séquence narrative Le 6 janvier 2004. P.12
36 – Tzvetan Todorov, Littérature et signification, Paris, Librairie Larousse, 1967. p. 58.
37 – Tzvetan Todorov, Littérature et signification, Paris, Librairie Larousse, 1967. p. 59.

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