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Annexe 13 : Entretien avec Mme P.

Que penses-tu de l’éducation en général en Argentine ?

Eh bien, à moi il me semble que l’éducation est bonne, ce qui se passe c’est que les politiques parfois ne sont pas bonnes. L’enseignant fait tout ce qu’il peut pour que ça s’améliore mais parfois les politiques éducatives ne sont pas bonnes, alors nous ne réalisons pas ce que nous voulons parce que…c’est comme si chaque fois on permet plus de choses aux enfants, aux adultes et adolescents et…par exemple, qu’ils puissent passer avec trois cours de l’année précédente, passer à l’année suivante, non ! Pour quoi faire ? (Ici elle fait référence à une réforme prise par le Ministère de l’Education début 2010. L’idée était de laisser passer à l’année suivante, sous certaines limites, les élèves qui devaient repasser trois cours, et ce notamment afin de diminuer les abandons scolaires). Ca n’est pas suffisant, il faut leur donner des outils pour qu’ils étudient, pour qu’ils apprennent, pour qu’ils puissent être…ici il y a beaucoup d’abandon.

D’abandons scolaires ?

Non, non, d’abandon de la part du groupe familial, les enfants restent seuls et ils ne sont pas…ils ne voient pas l’école comme quelque chose de bon pour eux, l’éducation. Parce que eux non plus ils ne l’ont pas eu, c’est récemment qu’il y a des gens qui se rendent comptent de ce qu’est l’éducation. Alors, quand tu ne l’as pas, tu ne penses pas que c’est important… et comme malheureusement nous avons beaucoup de quartiers vulnérables, beaucoup de quartiers vulnérables surtout ici à Cordoba, qui sont mis en évidence parce qu’on est en train de leur accorder de l’importance, d’y mettre des écoles… ce n’est pas qu’il n’y ait pas d’écoles, ce n’est pas qu’il n’y ait pas de lieux où ils puissent apprendre, les adultes ne s’en soucient pas.

Mais à l’école où tu enseignes aux enfants, tu as des contacts avec les parents ou peu ?

Très peu. Très peu. A l’école où j’enseigne non…

Ils ne viennent pas beaucoup ?

Non, sauf si tu dois leur parler de quelque chose de grave…

Il n’y a pas de réunions ?

Si, il y a des réunions mais ils ne viennent pas, ils n’y assistent pas et on continue à donner les bulletins qui sont remis trois fois par an.

Qu’est-ce que c’est exactement ?

Les notes, où se trouvent les notes des enfants.

Trois fois par an ?

Oui, on les remet aux parents pour qu’ils connaissent le progrès de leur enfant et ils ne viennent pas les retirer.

Et les bulletins restent à l’école ?

A l’école. Et nous essayons de lutter et de faire avancer ces enfants, pour qu’ils apprennent parce que ce n’est pas leur faute.
Bon…mais je crois que ça va changer du moment que l’enseignant se bouge et commence à leur faire voir que réellement ils peuvent changer…ce qui se passe c’est qu’ils sont…ils sont très mal payés.

Les enseignants ?

Les enseignants. Ils n’ont pas un bon salaire et très souvent ils travaillent à distance.

Non seulement les heures pendant lesquelles ils sont à l’école mais aussi tout le travail qu’ils apportent à la maison. Parce que ce n’est pas seulement les quatre heures où tu es à l’école, parce qu’à la maison tu as beaucoup de temps en plus consacré à ton travail.

Et quel devrait être le rôle de l’Etat dans tout ça, tu penses ?

L’Etat devrait essayer d’améliorer tout ça. Ils parlent et disent, promettent mais le moment venu, ils ne donnent pas les budgets…alors…

Pourquoi ils ne donnent pas… ?

Parce que…ce qui se passe c’est que les budgets pour l’éducation sont inclus aussi dans les réformes des écoles, pour les arranger, et les enfants cassent beaucoup…tu vois ici il y a une bibliothèque plus bas et personne ne prend soin de rien, personne ne prend de responsabilités, ni même un adulte n’est responsable des choses et ils ne peuvent pas…les adultes doivent être responsables, les adultes qui sont avec des enfants doivent être responsables, enseigner qu’on ne casse pas, parce qu’à la maison on ne casse pas les choses, parce qu’il y a un parent qui met les limites, alors…mais très souvent les parents mettent les limites en donnant des coups et à l’école ce n’est pas le même traitement, on ne peut pas frapper.

Et tu vois des différences entre les écoles publiques et privées ?

Oui, beaucoup de différences. Ce qui se passe c’est que dans les écoles privées vont les gens qui ont un niveau économique un peu plus élevé que ceux qui vont dans les écoles publiques.

Parce qu’il faut les payer ?

Il faut les payer, tous les mois ils ont une contribution. Et donc ils demandent des livres, ils ont un autre accès aux livres que n’ont pas les enfants de l’école publique. Avant l’Etat fournissait des livres à toutes les écoles pour qu’elles en aient mais…il se passe toujours la même chose, comme ça ne leur coûte rien, ils n’en prennent pas soin, alors ils ne sont plus utilisables par d’autres élèves.

Et, entre les villes en Argentine, il y a des différences aussi…entre Cordoba et d’autres villes ?

Si, il y a des différences, les villes du nord sont plus pauvres. Moi je dis toujours que la différence se trouve dans l’enseignant, dans l’envie qu’a l’enseignant de donner des connaissances à ses élèves.

Et, d’après ton expérience comme institutrice, tu as été confrontée à certains problèmes, par exemple des enfants qui abandonnent, qui viennent au début de l’année et ensuite ne viennent plus ?

Maintenant on le voit moins, avant on le voyait beaucoup.

Maintenant plus tellement parce que c’est comme si on contrôle plus les enfants, les familles, on cherche des moyens pour qu’ils viennent, on appelle…c’est comme si tout ça évolue, il n’y a plus tellement d’abandons scolaires comme il y en avait avant et le problème le plus grave c’est le comportement qu’ils ont. Ce sont des enfants avec des problèmes de comportement et les écoles n’ont pas de cabinet psychopédagogique qui puisse aider ces enfants à se contrôler un peu. Ce sont des enfants qui viennent avec une agressivité très très forte. Alors en appelant les parents ou en exigeant que les parents s’en chargent, ou ils les sortent de l’école ou ils les font changer d’une école à une autre jusqu’à ce qu’ils arrivent à ne plus les y envoyer parce que…

Donc tu voyais beaucoup ça au début ?

Et maintenant non.

Maintenant il n’y a plus tellement de conflits ?

Si, des conflits il y en a, et que fait le parent : il le fait passer d’une école à une autre, quand l’enseignant demande, c’est stupide. Ce qui se passe c’est qu’ils vont aussi à des hôpitaux et ils ont leur tour ici…une année quand il n’y a déjà plus…c’est-à-dire que ces enfants ont beaucoup de problèmes à la maison et tout cette agressivité ils la transmettent à l’école.

Et tu as vu des différences parce que tu as travaillé dans différents quartiers ?

Oui. Mais toujours dans des quartiers marginaux, toujours du même niveau, il n’y a pas de différences. J’ai toujours travaillé dans ce type d’école, jamais dans des écoles privées ni d’un niveau économique élevé pour pouvoir…mes enfants je les ai envoyé dans des écoles privées et je vois ce qu’ils apprennent, ce que…

Quel âge ont tes enfants ?

24, 18, 17 et 15.

Et tu en sais un peu sur le secondaire alors, parce que tu as des enfants en secondaire ?

Oui oui, j’ai un fils comptable qui a été diplômé récemment, l’année passée. Le plus âgé est comptable, j’ai une autre qui étudie le journalisme et deux en secondaire.

Et par rapport au secondaire, tu vois un peu…des problèmes ou… ?

En secondaire beaucoup abandonnent mais à cause de leur conduite parce qu’à l’école les agressions euh…sont libres et parce qu’ils redoublent, ils n’étudient pas et il y a des écoles privées où parfois les parents arrêtent de payer parce qu’il n’y a pas… (cherche ses mots)

Pas de résultats ?

Il n’y a pas de résultats.

Alors d’après ton expérience, quelles pourraient être des solutions ?

Euh…pour moi, ce qui est en train de se passer en ce moment, c’est que le niveau culturel des professeurs récemment diplômés, est très bas, le niveau culturel qu’ils ont.

Et pourquoi tu penses ?

Parce que…je ne saurais pas te dire mais c’est comme si chaque fois les enseignants viennent avec moins de connaissances, alors…
On ne les prépare pas pour cette société, pour ces enfants qui ont des problèmes.

Tu penses par exemple qu’ils devraient avoir un cours qui traite de ce problème ?

Oui, et ils ne l’ont pas, ils ne l’ont jamais eu. Ca…je vois que l’épuisement de l’enseignant par rapport à l’enfant est chaque fois pire, il n’est pas seulement professeur, il est assistant social, compagnon, ami, il est tout pour l’enfant et on ne les prépare pas pour ça.

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