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A. Les droits de transit et la question de la réciprocité dans le régime d´accès par pipeline à la mer

L´on sait que le régime exonératoire auquel est soumis le transit est relatif à la situation
particulière des Etats dépourvus de littoral. Ce caractère spécial du droit d´accès (1) amène à
s’interroger sur la place réservée aux droits de transit perçus sur l´itinéraire Doba – Kribi (2).

1 – La réciprocité, une exigence en contradiction avec le caractère spécial du droit d´accès

L´une des questions les plus âprement débattues lors des différentes Conférences qui se
sont succédées sur la question d´accès(241) était axée sur le problème de la réciprocité. En
consacrant cette terminologie dans les relations entre Etats enclavés et Etats côtiers, les
Conventions de Genève de 1958(242) sur la haute mer et de New York de 1965(243) sur le commerce
des Etats sans littoral mettaient en doute le fondement sur lequel était assis le droit d´accès, droit
particulièrement attaché « aux problèmes spéciaux du commerce et de développement des Etats
sans littoral ».(244) Car en fait de réciprocité, de quoi s´agit-il concrètement?
Le professeur Lucius Caflisch définissait la réciprocité en ces termes :

The natural and ordinary meaning of the term « reciprocity » in
matters of transit would seem to be that if a coastal transit state
gives a land-locked country access to and from the sea by granting
its rights of transit, that country has to concede the same right to
the coastal transit state. This is absurd, for by definition a landlocked
state lacks a sea-coast and hence is incapable of giving
anyone access to the sea.(245)

A défaut d´un passage similaire dans l´Etat enclavé, il a été prétendu que la réciprocité
pouvait se traduire sous forme de tarification ou plus exactement de « monnayage »(246) sur les
produits en transit.

L´évolution qui s´est opérée au lendemain de la 3 ème Conférence des Nations Unies sur le
droit de la mer avec l´adoption de la Convention du 10 décembre 1982 qui en a été le
couronnement consacre l´abandon de cette exigence qui se situe aux antipodes du caractère libre
et spécial du passage en transit.

Reconnaissant les dispositions pertinentes de cette Convention applicables dans le cas du
passage du pétrole tchadien (du moins en ce qui concerne particulièrement la partie X sur le droit
d’accès des Etats sans littoral à la mer et depuis la mer), autrement dit en abandonnant toute
exigence de réciprocité, les textes mis en place laissent cependant subsister quelque ambiguïté:
quelle interprétation donnée aux droits de transit perçus par l´Etat camerounais sur le pipeline
Tchad-Cameroun?

2 – La perception des droits de transit sur l´exportation des hydrocarbures tchadiens :
légitimité ou contrepartie au passage ?

Si elles n´autorisent pas la perception de droits ou autres taxes spéciales sur l´itinéraire de
transit, les Conventions du 8 juillet 1965 et du 10 décembre 1982 susmentionnées admettent en
revanche que des prélèvements ayant un caractère essentiellement rémunératoire puissent y être
effectués. Ces derniers ont pour seul but de couvrir les dépenses de surveillance et
d’administration qu’impose le transit.(247) Dans le cas Tchad – Cameroun, ce pourrait être le cas
pour la couverture des charges d’exploitation ou d´entretien du Système de Transport.

Les droits de transit perçus par la République du Cameroun doivent-ils être conçus dans
cette logique ?

La réponse semble négative, car de la lecture de l´Article 3 (3) ( A) de l´Accord-Cadre du
31 janvier 1995 susmentionné, il ressort que la couverture des charges d´exploitation du système
de transport camerounais relève de la COTCO qui assure simultanément le service de la dette sur
les prêts provenant des prêteurs et les prêts des actionnaires.(248)

L’existence de droits de transit sur ce passage semble ainsi, au regard des considérations
qui précèdent, manquer de fondement. L’observation concède plutôt l’hypothèse d’une
contrepartie si l’on met en avant l´esprit de « bénéfice mutuel »(249) et de partage qui se dessine de
certaines dispositions de l´Accord bilatéral conclu en 1996.(250) Une telle hypothèse eût été
concevable si l´Accord ne s´imposait pas les dispositions de la CNUDM (les deux Etats n´étant
pas liés par cette dernière, puisque le Tchad n´en est pas partie).(251) La relative accommodation
des deux instruments qui s’en suit traduit par conséquent leur faible degré de cohérence.

Pour autant, la remise en cause des droits de transit perçus sur l´axe Doba – Kribi ne
saurait être une option à envisager, car au regard des énormes sacrifices et concessions faites(252)
par la République du Cameroun dans le cadre de la réalisation de ce moyen de transport et des
atteintes importantes portées à ses zones forestières,(253) il est du bon sens que, par mesures de
compensations(254) au moins, elle puisse prélever des droits sur cette canalisation. Sur la base
d´une telle considération, la légitimité de tels droits ne souffrirait d´aucune contestation. Il se
pose donc, à notre sens, plus un problème de formulation que de raison d´être de ces droits.

Tels qu’énoncés dans le corpus normatif régissant cette canalisation, ils s’analysent plus en effet
comme une contrepartie au passage, exigence que bat en brèche la CNUDM.

Il eût peut-être été judicieux, pour une formulation, d´envisager ces droits comme suit:

En vue de permettre à la République du Cameroun de reconstituer
son couvert végétal, y compris d’autres ressources du sol affectés
par les travaux de construction, d´exploitation et d’entretien sur
son territoire de l’oléoduc destiné à l’évacuation des hydrocarbures
tchadiens, l’Etat camerounais percevra sur les revenus générés par
les activités d’exploitation de cette canalisation une rémunération
équitable dont le montant est lié à la quantité des hydrocarbures
transportés.(255)

La répartition de ces revenus devrait dans cette perspective intégrer, entre autres, les
Départements ministériels en charge des questions d’environnement, de protection de la nature,
des forêts et des affaires foncières.

Si elle ne présente pas une certaine originalité, cette suggestion comporte au moins
l’avantage de donner une base légitime plus tangible aux droits de transit perçus par le Cameroun
sur cette tranchée et constitue par ailleurs un élément d’appréciation de la cohérence des textes
qui parfois prêtent à équivoque.

241 Sur ces Conférences, voir Almeen ALI, Land-locked States and International Law, New Dehli, South Asian
Publishers, 1989. L´auteur consacre essentiellement les Chapitres 4, 5, 6 à ces Conférences (pp. 100 et ss).
242 A titre de rappel, l’Article 3 de cette Convention dispose que « Pour jouir des libertés de la mer à l´égal des Etats
riverains de la mer, les Etats dépourvus de littoral devraient accéder librement à la mer. A cet effet, les Etats situés
entre la mer et un Etat dépourvu de littoral accorderont d´une commune entente […] à l´Etat dépourvu de littoral, sur
une base de réciprocité, le libre transit à travers leur territoire ».
243 Cette Convention en son Article 15 énonce que ses dispositions seront appliquées sur la base de la réciprocité
244 Convention du 8 juillet 1965 susmentionnée, principe 6 énoncé au préambule.
245 L. CAFLISCH, “Land-locked states and their access to and from the sea”, in B.Y.I.L., 1978, p. 89.
246 Le terme est emprunté à N.Q. DINH, A. PELLET et P. DAILLIER, op. cit., p. 1158.
247 Voir dans ce sens les Articles 3 et 127 de ces deux Conventions respectivement.
248 Voir l’Article 3 (3) (B) de l´Accord-Cadre du 31 janvier 1995 mentionné supra.
249 Première considération de l´Accord bilatéral du 8 Février 1996 susmentionné.
250 En référant explicitement au « montant des revenus à obtenir par les deux Etats de l´exploitation du système de
transport », l´Accord du 8 Février 1996 (Article 12) établit ainsi un esprit de partage.
251 Cf. Effet du principe res inter alios acta.
252 Voir, pour un exemple le régime largement exonératoire auquel a été soumis l´important matériel provenant de
l’étranger en vue de la réalisation et de l´exploitation de cet oléoduc.
253 Voir l´Annexe 2 sur les zones de forêt et de savane affectées par les travaux de l´oléoduc. L´Annexe n°3 montre
le couloir laissé par le pipeline dans les forêts camerounaises.
254 Cette compensation, sous forme de redevances, est à distinguer des indemnisations versées en contrepartie aux
individus lors de la mise en valeur des terrains constituant l´emprise foncière du pipeline.
255 Il ne s´agit que d´une suggestion. D´autres en sont les bienvenues.

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