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A. Le volet technique

Il concerne aussi bien la coopération en matière de construction et d´exploitation du
pipeline (1), les mesures sécuritaires et environnementales y relatives (2) ainsi que les
dispositions et autres facilités administratives indispensables au bon déroulement des opérations
(3).

1 – La coopération en matière de construction et d’exploitation du pipeline

L´Accord du 8 février 1996 suggère une coopération et une concertation étroites pour la
construction et l’exploitation du Système de Transport destiné à l’évacuation des hydrocarbures
tchadiens. Il prescrit dans cette perspective entre les parties un échange d’informations.

C’est ce qui ressort de l’Article 8 de l’Accord : « Les Etats contractants s’échangeront mutuellement les
informations relatives à la construction et à l’exploitation du Système de Transport ».

On note ici une influence de l’Article 129 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer qui,
comme nous l’avons relevé plus haut, suggère, entre Etats sans littoral et Etats de transit,
une coopération dans la construction et l’amélioration des moyens de transport. Selon les termes
de cet article en effet : « lorsqu’il n’existe pas dans l’Etat de transit de moyens de transport
permettant l’exercice effectif de la liberté de transit, ou lorsque les moyens existants […] sont
inadéquats […], l’Etat de transit et l’Etat sans littoral concernés peuvent coopérer pour en
construire ou améliorer ceux qui existent ».

Sur un plan concret, cette coopération s´est traduite par le financement partiel (sous forme
de prêts accordés par la Banque Mondiale) apporté par les deux Etats à la construction de
l’oléoduc dont le coût total a été estimé à environ 3,72 milliards de dollars US. Les contributions
cumulées des deux Etats se sont élevées à 115 millions de dollars, soit respectivement 45 millions
pour le Tchad et 70 millions pour le Cameroun.(165)

La coopération dans ce domaine s´est également traduite par des facilités octroyées aux
Transporteurs dans la réalisation de cette canalisation, notamment par la délivrance à ces derniers
et à leurs sous-traitants de tous les permis et autorisations requis pour la conception, la
construction et l´exploitation du Système de transport. De fait, il faut souligner que c´est à la
COTCO et à la TOTCO, et non aux deux Etats, qu´incombait cette tâche matérielle.

Dans l’objectif d´assurer une meilleure coordination technique des activités qu´elles entreprennent, ces
deux Sociétés sont elles-mêmes tenues à une coopération dont les termes sont approuvés par les
deux Etats.

En somme, la collaboration apparaît indispensable pour réaliser l’unité technique du
pipeline, c’est-à-dire faire des Systèmes de Transport Camerounais et Tchadien un Système
intégré dont la survie dépendra de l´efficacité des mesures de sécurité prises pour son
exploitation.

2 – Les questions relatives à la sécurité du pipeline et à la protection de l’environnement

La construction d’un pipeline et son exploitation ont de manière constante soulevé deux
questions d’importance majeure : d’une part, celle de la sécurité de cette installation et d’autre
part, celle de la protection de l’environnement. Ces deux questions étroitement liées constituent
une préoccupation dans la mesure où l’impact provoqué par l’exploitation des pipelines produit
bien souvent sur l’écosystème des ondes de choc qui dépassent toute la mesure réparatrice qui
peut en être apporté.(166)

L’expérience malheureuse de certains pipelines dans la région(167) en est
une illustration. Le Tchad et le Cameroun ne sont pas de ce fait à l’abri. Aussi, en tant que parties
prenantes et hôtes de l’ouvrage, la responsabilité de la sécurisation du pipeline leur incombe au
premier chef.

Dans ce sens, ils se sont engagés à « prendre toutes les mesures nécessaires sur
leurs territoires respectifs pour assurer la protection du Système de Transport ».(168) Ils ont à cet
égard requis des propriétaires, pour des mesures de sécurité précisément, l´utilisation d´un
matériel adéquat,169 conforme aux standards acceptés dans l´industrie pétrolière.

L´option prise en faveur d’un système de protection cathodique du pipeline, par exemple,
parait indiquée dans la lutte contre différentes formes de corrosion (chimique, électrochimique ou
biologique). En effet, la corrosion reste à côté des fuites souvent enregistrées au niveau des
soupapes des stations de pompage l’une des principales causes de la pollution par les pipelines.(170)

L’insuffisante prise en compte de ce système de protection(171) ou l’utilisation de systèmes
inadéquats peut entraîner à terme un déversement de pétrole échappant à tout contrôle humain.

C´est pour prévenir de telles fuites qu´un test de détection a été effectué au mois d´août
2005 par COTCO au niveau de la vanne 36 située dans la zone de Mbankomo (périphérie de
Yaoundé).

Les résultats de cette simulation qui consistaient à vérifier la capacité du système à
détecter toute fuite, à la localiser ainsi qu´à indiquer la quantité de brut déversée, ont été, rapporte
La Lettre du CPSP,(172) « constatés en temps réel ». Une telle détection en un temps record amène
néanmoins à rester dubitatif au regard du récent déversement d´hydrocarbures tchadiens le 15
janvier 2007 dans le littoral camerounais.

Ce déversement ouvre tout le débat sur la problématique environnementale du pipeline
Tchad-Cameroun. Le manque ou l´absence de responsabilité des multinationales, l’ampleur des
responsabilités dévolues aux Etats tchadien et camerounais ou encore le caractère évasif des
obligations incombant à COTCO dans ce domaine sont ainsi devenues des allégations récurrentes
dès lors qu´on aborde ce volet du pipeline.(173)

Nonobstant ces griefs, il n´en reste pas moins que, dans le cadre de la Convention
d’établissement signée avec la République du Cameroun le 20 mars 1998, la COTCO est
assujettie et tenue de respecter certaines obligations.

Selon l´Article 13 de cette Convention, la COTCO a l´obligation de respecter des normes
techniques et de sécurité relatives à la gestion et à la protection de l´environnement et de la
population. A cet égard, elle est tenue de s´assurer que les activités auxquelles elle se livre ne sont
pas dangereuses pour les populations et ne polluent ni l´environnement, ni le milieu marin.

Dans ce sens, elle a l´obligation de prendre des mesures de prévention, d´atténuation, voire de
correction comme le prescrit le Plan National de Gestion de l´Environnement. Par ailleurs, elle a
l’obligation de se soumettre à la surveillance administrative et aux contrôles techniques de l´Etat
camerounais dans ce domaine.(174)

En terme de responsabilité, la Convention susvisée impose à COTCO l´obligation de
réparer les préjudices subis par les tiers du fait de la construction, de l´exploitation ou de
l’entretien de l´oléoduc, exception faite des indemnisations résultant de la mise à disposition des
terres.(175)

Au regard de ces obligations,(176) les responsabilités n´en sont pas mois partagées entre les
parties.

La protection du littoral camerounais devrait toutefois, au regard de l´actualité, faire
l’objet d´un suivi particulier à travers des mesures de renforcement. La Convention des Nations
Unies sur le droit de la mer dans sa Partie XII sur la « Protection et [la] préservation du milieu
marin » reconnaît en effet aux Etats parties le droit de prendre des mesures en vue de prévenir,
réduire et maîtriser la pollution de l´environnement marin quelle qu’en soit la source,(177) c’est-àdire
que la pollution provienne aussi bien des fleuves, rivières, estuaires, que des pipe-lines et
installations de décharge.(178)

Au-delà de la question environnementale, le fonctionnement régulier des opérations de
transport d´hydrocarbures tchadiens dépend aussi des facilités qui sont prises au plan
administratif.

3 – La coopération et les facilités nécessaires en matière administrative

La coopération visée ici entre le Tchad et le Cameroun s’analyse en des opérations de
facilitation le long du couloir de transit. Ces facilités sont relatives d´une part aux méthodes et à la
documentation à utiliser pour le transport du brut (a) et d´autre part aux mesures à prendre en cas
de retards ou de difficultés survenues dans le transport en transit (b).

a ) Méthodes et documentation indiquées pour le trafic en transit

Animés par l’esprit et la lettre des dispositions de la Convention du 8 Juillet 1965 sur le
commerce en transit des Etats sans littoral et la Convention des Nations Unies sur le droit de la
mer, l’Etat tchadien et l’Etat camerounais ont reconnu dans l’Accord bilatéral la nécessité d’une
application de mesures administratives permettant un acheminement libre, non interrompu et
continu du transport en transit par pipeline. Ces mesures, aux termes des Conventions
précédemment visées, consistent en l’utilisation d’une documentation simplifiée et dans
l’adoption des méthodes expéditives en vue de faciliter le transit.

La documentation dont il s´agit ici vise pour l´essentiel « tous les permis et autorisations
requis » pour le transport des hydrocarbures,(179) mais également des certificats de jaugeage tels
ceux délivrés à COTCO le 23 février 2005 après la vérification par les inspecteurs camerounais
chargés de la métrologie des barèmes des citernes de stockage de brut installés au Terminal
Komé-Kribi 1 (KK1).(180) Il reste entendu qu’en cas de difficultés survenant au cours du trajet et de
nature à le retarder, les deux Etats coopèrent pour en trouver une solution.

b) Retards ou difficultés dans le transport en transit des hydrocarbures tchadiens

Partant de l’expérience que certaines difficultés et retards souvent rencontrés en matière de
transit sont le fait des Etats de transit, le droit international positif sur la question oblige ces
derniers à prendre des mesures relevant de leur compétence pour en remédier. C’est dans ce sens
que la République du Cameroun, pour faciliter l’accès du Tchad à la mer, s’est engagée aux
termes de l’Article 4 de l’Accord bilatéral « à prendre les mesures relevant de sa compétence afin
d’éviter les retards et les difficultés à caractère technique ou administratif dans […]
l’acheminement du trafic en transit ». De la même manière, elle s’est engagée à coopérer, le cas
échéant, avec l’Etat tchadien pour éliminer dans les meilleurs délais toutes causes de retard ou de
difficultés.(181)

On note ici une reprise ad litteram des termes mêmes de l’Article 130 de la Convention de
1982 sur les « mesures destinées à éviter les retards ou les difficultés de caractère technique dans
l’acheminement du trafic en transit, ou à en éliminer les causes ».

A ce jour, de tels retards et difficultés n´ont pas, de manière officielle, été déplorés comme
cela a été le cas pour le non acquittement ou les retards fiscaux soulevés par le président tchadien
à l´encontre de certaines compagnies pétrolières constituant le consortium, notamment Petronas et
Chevron Petroleum.(182)

165 JAE du 1er au 14 Juin 1998. Voir aussi Cameroon Tribune, n° 7210/3499, p. 26. L’exigence d’une participation
financière du Tchad et du Cameroun – imposée par le consortium (Article 1.2.2B de l´Accord-Cadre de 1995) – pour
la construction de ce pipeline à travers la Banque Mondiale (BM) ne se justifie point par des raisons de défaillance
ou d’insuffisance quelconque des sociétés pétrolières engagées ici. Cette participation est d’ailleurs minime, voire
insignifiante, soit seulement 3% pour un projet de plus de 2 500 milliards de FCFA. Le chiffre d’affaires d’une
Société telle Exxon-Mobil Corporation est en lui-même déjà assez éloquent : 117 milliards de dollars, soit onze fois
le PNB du Tchad et du Cameroun réunis. Il ne s’agit donc point ici d’une entreprise impossible pour le consortium.
Mais le concours de l’institution multilatérale dont la présence est jugée indispensable ici par les multinationales se
justifie par des mobiles autres que financiers. Les différentes raisons avancées pour expliquer cette sollicitation de la
BM consistent essentiellement à la voir jouer un rôle pivot qui est celui de garantie politique dans un « pays à
risque ». En effet, malgré l’accalmie que l’on peut par moment observer au Tchad, l’instabilité demeure, selon le
maître-mot de Derlemari NEBARDOUM, « un phénomène systématique et permanent » dans ce pays longtemps
déchiré par une série de guerres civiles (in Le labyrinthe de l’instabilité politique au Tchad, Paris, l’Harmattan, 1998,
p. 7). Aussi, pour se couvrir de ce risque, le consortium pétrolier a exigé la participation de la BM. La logique est
simple, explique le rapport de la FIDH: « Si le Cameroun et le Tchad peuvent emprunter à l’institution de quoi
financer leur participation, ils seront, remboursements obligent, davantage incités à garantir sa bonne exécution »,
encore que les moyens de pression de la BM sur deux pays sous ajustement structurel sont loin d’être négligeables.
Rapport de la Mission internationale d´enquêtes de la Fédération Internationale des ligues des Droits de l´Homme
(FIDH), in Antoine de RAVIGNAN, Tchad-Cameroun : pour qui le pétrole coulera-t-il?, hors-série, n° 295, juillet
2000. Voir aussi J.A l’Intelligent, n° 2076/2077, p. 31 ; JAE citée p. 27.
166 Voir R. ETOUNDI, « Dommages causés à l’environnement : la réparation vaut-elle le préjudice ? » in ECOVOX ,
Oct. – Déc. 1998.
167 Pour un exemple, voir le cas du Delta du Niger sur le triste sort qui se dégage de 40 années d’exploitation
pétrolière dans le village de l’Ogoniland (Nigéria). En 1971, une explosion de pipeline faisait six morts et les
flammes entretenues pendant trois semaines dévastèrent près de 250 ha de forêt et ravagèrent tout sur leur passage.
Voir Luidor NONO, « Les malheurs de l’exploitation pétrolière au Nigeria » in BUBINGA, n° 24, juillet 1999, p.
10.
168 Voir le chapitre 7 de l’Accord bilatéral tchado-camerounais du 08 février 1996 intitulé : « De la sécurité ». Lire à
cet effet l’Article 15.
169 Sur les dispositions techniques requises pour l´implantation de l´oléoduc sur le territoire camerounais, voir le
Chapitre 2 du Décret n° 2000/305 du 17 Octobre 2000 portant Autorisation de Transport par Pipeline d’hydrocarbures
à la Société Cameroon Oil Transportation Company S.A (COTCO).
170 Voir dans ce sens D. KASH et I. WHITE, Energy under the oceans. A technology assessment of outer continental
shelf and gas operations, Norman, Oklahoma University Press, 1974, p. 287.
171 Sur la protection cathodique, voir P. BRACHAY, L’industrie du gaz, Paris, P.U.F., 1970, p. 40. L’auteur explique
que le métal qui constitue le pipeline est composé d’ions positifs et d’électrons négatifs qui s’équilibrent en situation
normale. Lorsque cet équilibre est rompu, on assiste à une dispersion des ions métalliques avec pour conséquence
une installation de la corrosion. La protection cathodique dans ces conditions vient rétablir l’équilibre en apportant
au pipeline un excès de charges négatives afin de neutraliser les ions métalliques positifs. Voir également M.
ROELANDT, op.cit.,p. 214.
172 La Lettre du CPSP est un organe de liaison des structures intervenant dans l´exploitation de l´oléoduc. Voir cette
Lettre dans sa livraison n°11, janvier 2006, p. 4.
173 Pour un exemple, voir Korinna HORTA, “The Chad-Cameroon oil and pipeline project plans for environmental
monitoring: multilayered conflicts of interest? ; Susan LEUBUSCHER, “Obligations and possible liabilities resulting
from the COTCO Convention of establishment” ; Saman ZIA-ZARIFI, “The (lack of) responsibility of multinational
oil companies in the proposed Chad-Cameroon pipeline project” dans un ouvrage collectif publié sous la direction
de Serge BRONKHORST intitulé: Liability for environmental damage and the World bank`s Chad-Cameroon oil and
pipeline project, Amsterdam, Leauwenberg, 2000.
174 Article 14 de la Convention d’Etablissement signée le 20 mars 1998 entre la République du Cameroun et COTCO.
175 Article 17, ibid.
176 Pour une critique sur ces obligations et sur le Plan de Gestion de l´Environnement, voir S. LEUBUSCHER, op.
cit., pp. 38-39; K. HORTA, op. cit., pp. 17, 18 et 19 ; S. NGUIFFO, “Regulations governing liability for
environmental damage in Cameroon: an analysis in the light of the Chad-Cameroon oil project”, p. 32 in S.
BRONKHORST, op. cit.
177 Article 194 (1) de la Convention des Nations Unies du 10 décembre 1982 sur le droit de la mer.
178 Article 207 (1) de la Convention des Nations Unies susmentionnée.
179 Article 7 de l’Accord bilatéral Tchad-Cameroun du 08 Février 1996.
180 L´opération de certification des barèmes de citernes donne plus de crédibilité dans la détermination des quantités
de brut lors de l´utilisation des mesures manuelles. Elle vise à se prémunir contre les perturbations ou le non
fonctionnement du système de comptage automatique des quantités exportées. Voir La Lettre du CPSP n°10, 10 juin
2005, p. 3. Pour un cliché sur ce Terminal, voir Annexe 4.
181 Article 4 in fine de l’Accord bilatéral de 1996 susmentionné.
182 Sur la menace du président Déby d´expulser Chevron et Petronas pour défaut de paiement de leurs taxes et des
royalties de 60% sur le pipeline, voir F. William ENGDAHL, « Le Darfour ? C´est une affaire de pétrole,
idiot…Chine et USA engagés dans une nouvelle guerre froide pour l´or noir africain » in
http://www.michelcollon.info/articles.php?dateaccess=2007-06-08%2017:54:38&log=invites

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