L´analyse portera successivement sur l´équilibre indispensable à la sauvegarde des droits
des parties en présence (1) et l´intangibilité desdits droits (2) durant la période d´activités du
pipeline (2).
1 – L´équilibre entre les droits tchadiens et les intérêts camerounais
Tant que la souveraineté de l´Etat de transit conserve sa pleine mesure, le droit d´accès et
la liberté de transit demeurent des prérogatives théoriques. L´exercice de ces derniers suppose
en effet une limitation des droits de l´Etat côtier. Or, une telle restriction n´a pas toujours, d’une
manière générale, été acceptée par cette catégorie d´Etats. Aussi a-t-il fallu, au cours des
différentes Conférences qui se sont penchées sur cette question,155 trouver une solution médiane
prenant en considération les intérêts de chaque partie. Cette solution a abouti à un équilibre
consistant à l´affirmation des droits des uns (Etats sans littoral) d’une part, et à la préservation
des intérêts des autres (Etats de transit) d’autre part.
Cette solution qui a prévalu dans l´Accord de 1996 entre le Tchad et le Cameroun a
consisté à la fois à l´affirmation des droits tchadiens et à la reconnaissance à l´Etat camerounais
d’une « pleine souveraineté sur son territoire ».
Dans le cadre de l’exercice par le Tchad de son droit d’accès, et éventuellement en cas de
dérapage provenant de cet exercice, l’Article 5 du même Accord reconnaît à la République du
Cameroun, dans l’exercice de sa pleine souveraineté, le droit de « prendre toute mesure apte à
protéger ses intérêts légitimes ». Ces intérêts portent sur l’intégrité territoriale, la sécurité
publique ou civile, la protection de l’environnement et l’exécution des obligations
internationales du Cameroun.
Toutefois, la jouissance de ce droit souverain ne saurait être exercée de manière arbitraire.
Afin d’éviter tout débordement, l’Accord précise que cet exercice ne peut avoir pour effet
d’interrompre définitivement le transport en transit des hydrocarbures tchadiens. Seule, une
« limitation » ou une « suspension » est possible, ces cas exceptionnels étant aussitôt levées avec
« la disparition des causes » qui ont conduit à leur recours.(156)
En tout état de cause, cet équilibre, mieux ce compromis, reste, comme le note le
professeur Paul Tavernier, « délicat », car la balance peut pencher en faveur d’un camp ou de
l’autre.(157) Il est donc nécessaire de s’entourer d’autres garanties.
2 – L’intangibilité des droits des parties pendant la durée de vie du pipeline
Le caractère « acquis » et « intangible » des droits des parties constitue une marque de
garantie non négligeable dans le processus d’acheminement du pétrole tchadien vers la côte
camerounaise. Aucun événement – même dommageable – ne peut remettre en cause ces droits.
Tout au plus, leur exercice peut être suspendu du fait d´événements telle la force majeure, mais
ces derniers en eux-mêmes ne peuvent conduire à leur annulation. Aucun fait, pas même la
cessation des activités du système de transport ne peut y porter atteinte. En effet, selon les termes
de l’Article 29 de l’Accord bilatéral du 8 Février 1996 susmentionné, « en aucun cas, la cessation
des activités du système de transport ne peut porter atteinte aux droits des Etats contractants ».
Cet article semble ainsi, au-delà de toute cessation d’activités de l’oléoduc, conférer au droit
d’accès tchadien une existence perpétuelle comparable, à quelques nuances près, à celle reconnue
à la Bolivie par le Chili en 1904 lors du Traité de paix et d’amitié du 20 Octobre de la même
année.(158)
Toutefois, l’intangibilité des droits, fondée sur le principe de l’immutabilité des Accords,
ne signifie pas qu’ils ne puissent être amendés. Mais même dans ce cas, cela doit se faire par
consentement mutuel, à travers un accord conclu entre les deux Etats contractants.
Cette modification elle-même doit être approuvée suivant les procédures constitutionnelles
respectivement en vigueur au Tchad et au Cameroun, sans lesquelles la modification n’a aucune
valeur juridique.
Cette formule consensuelle garantit ainsi contre les risques d’arbitraire auxquels expose le
procédé unilatéral et permet à l’une et l’autre partie de respecter les engagements réciproques
contractés. En cas de dérapage, des mécanismes institutionnels sont prévus pour rétablir
l’équilibre rompu.
154 Préambule de l’Accord du 8 Février 1996.
155 Conférence du 10 mars 1921 sur les communications et le transit tenue sous les auspices de la Société des Nations
et qui débouchera sur une série de Conventions dont la Convention de Barcelone du 20 Avril 1921 sur la liberté de
transit; Conférence préliminaire d’Etats sans littoral tenue à Genève du 10 au 14 Février 1958 à laquelle succèdera la
Conférence sur le droit de la mer (24 février – 27 avril 1958) dont la 5ème Commission étudiera plus spécifiquement
la question d’accès; Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement réunie à Genève du 23
mars au 27 juin 1964 qui fut une étape préliminaire à la Conférence des Plénipotentiaires du 7 juin 1965 sur le
commerce de transit des Etats sans littoral dont les travaux aboutiront à la Convention du 8 juillet 1965
susmentionnée; La 3ème Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer dont les travaux ouverts à New York le
3 Déc. 1973 aboutiront à la Convention du 10 Déc. 1982.
156 Article 5 in fine de l’Accord bilatéral de 1996.
157 P. TAVERNIER, op. cit., p. 738
158 Le doit d’accès reconnu « à titre perpétuel » à la Bolivie par le Chili avait d’ailleurs amené certains auteurs
latino-américains à considérer que le régime d’accès à la mer entre la Bolivie et le Chili constituait « un exemple »
en la matière, car ils le trouvaient beaucoup plus libéral que celui qui était prévu lors des débats de la TCNUDM à
l’issue de laquelle naîtra la Convention de 1982. A cet égard, voir R. DIAZ, T. INFANTE et F. ORREGO, « Les
négociations entre le Chili et la Bolivie relatives à un accès souverain à la mer », in A.F.D.I., XXIII, 1977, pp. 348 et
350.