Conception phare de la littérature organisationnelle, la théorie de l’échange social
s’élève des travaux anthropologiques de Mauss (Mauss, Essai sur le don : forme et raison de
l’échange dans les sociétés archaïques, 1923-1924), qui, transposés aux sociétés
contemporaines, précisent aujourd’hui les bases motivationnelles des attitudes et
comportements des employés (Moorman & Byrne, 2005).
Popularisé par Blau (1964) sous la description d’ « actes volontaires d’individus
motivés par les retours que ces actes sont supposés apporter et qu’ils apportent effectivement
de la part des autres » (Blau, 1964, p.91-92), l’échange social implique une réciprocité
reposant subséquemment sur trois principes fondamentaux : l’investissement, la confiance et
l’engagement.
En effet, en observant les processus de réciprocité inhérents à l’échange et
engageant tout au moins deux personnes ou entités dans une relation, Blau (1964) en déduit
que ces actes volontaires, ces « dons », imposent une forme d’investissement dans la relation,
et ce, indifféremment de leurs caractères tangible, tels que le prêt, la formation ou
l’augmentation de salaire, ou abstrait, à l’instar du simple conseil au soutien.
De plus, et si l’échange social résulte de « faveurs qui créent des obligations futures diffuses, non
précisément spécifiées, et dont la nature de la contrepartie ne peut être négociée mais doit
être laissée à la discrétion de son auteur » (Blau, 1964 p.93), ce processus de réciprocité
nécessite une confiance et un engagement mutuel entre les partenaires, (r)assurant ainsi cette
« obligation implicite de rendre ».
Cette séquence de transactions, basée sur des interactions
interdépendantes et séquentielles entre deux parties et motivée par un processus d’autorenforcement,
construit alors une relation d’échange de haute qualité où les faveurs échangées
et les obligations des deux partenaires symbolisent la loyauté et le soutien mutuel de même
que la bonne volonté et l’investissement personnel (Cropanzano & Mitchell, 2005).
Par ailleurs, au regard de ces postulats et de divers auteurs à l’exemple de Gouldner
(1960), le caractère réciproque de l’échange social se situe au coeur de cette théorie qui, sous
la notion de « norme de réciprocité », suggère que « les gens doivent aider ceux qui les ont
aidé et […] les gens ne doivent pas faire tort à ceux qui les ont aidés » (Gouldner, 1960,
p.161-178).
Consécutivement à cette recommandation ingénue, Goldner (1960) distingue
deux types de réciprocités ; « la réciprocité hétéromorphique » où la valeur du contenu de
l’échange est perçue comme équivalente et ce, même si la forme du contenu diffère, et « la
réciprocité homéomorphique » qui présuppose un contenu de l’échange parfaitement égal
(Coyle-Shapiro & Parzefall 2005).
De même, si Sahlins (1972) reconnaît trois dimensions à la
réciprocité dont « l’immédiateté des retours » soulignant le cadre temporel de cette notion
ainsi que « l’intérêt » personnel de ce processus d’échange, la troisième dimension, qualifiée
d’« équivalence des retours » met en évidence « la réciprocité équilibrée », exprimant un
échange simultané de ressources équivalentes et pouvant « être plus largement appliquée aux
transactions qui stipulent le retour de biens ou de services proportionnés dans une période de
temps limitée » (Sahlins, 1972, p.194-195).
Contextualisant cette théorie au monde du travail, l’échange social appréhende alors la
relation d’emploi comme un échange entre l’employeur et l’employé et identifie différents
types « d’échange social », fonction du partenaire et coexistant au sein de l’organisation.
En effet, pouvant être abordé sous l’angle de la relation entre deux groupes d’individus comme
les représentants du personnel et les dirigeants, l’échange social considère également les
rapports entre deux individus, à l’exemple de l’employé et son manager, ou entre un individu
et un groupe tels que l’employé et l’organisation. Corrélativement à cette distinction, et bien
que les salariés exercent inéluctablement leur devoir de réciprocité, la forme de l’échange
varie conformément au partenaire, générant divers comportements et attitudes des salariés
suivant que leurs obligations s’effectuent envers l’organisation, leurs collègues ou leurs
supérieurs.
Parallèlement, et dérivant de l’approche de Blau (1964), Shore et Barksdale (1998) vont
davantage insister sur la notion d’équilibre de la relation d’échange entre l’employé et
l’employeur, témoignant ainsi des conséquences négatives de la relation engendrées par un
accomplissement déséquilibré des obligations entre les parties. D’une part, Shore et Barksdale
(1998) ont démontré que nombre de relations d’emploi sont équilibrées et livrent des effets
positifs pour l’organisation, comme des attitudes ou un comportement des salariés en accord
avec les objectifs de l’organisation. D’autre part, et inversement à ce premier postulat, des
relations déséquilibrées et à la faveur de l’employeur conduisent à une démobilisation du
salarié, concrétisée par un faible niveau de « soutien organisationnel perçu » et
d’ « engagement affectif », et un niveau élevé d’ « intention de quitter l’entreprise » (Shore &
Barksdale, 1998).
Ainsi, les actions équitables de l’organisation et/ou du supérieur inspirent chez
l’employé un sentiment d’obligation qui favorise des comportements fonctionnels de sa part
(Cropanzano, Prehar, & Chen, 2002), s’observant notamment à travers le concept de soutien
organisationnel perçu.