Institut numerique

3.3 Les limites de l’homme invisible

Alors que ces limites-là semblent Cloues, leurs disparitions ont des répercussions nous aidant aujourd’hui à préciser de nouvelles limites ailleurs.

L’aide à la décision

Si l’enjeu actuel du design est d’opérer une simplification d’utilisation, cette notion apparaît bien plus complexe qu’elle n’en a l’air : elle apparaît subjective.

Nous pourrons développer cette théorie sur deux exemples : la diversité des utilisateurs et des expériences (notamment l’expertise).

L’interface tend, de manière épurée, à rendre la prise de décision et l’action de plus en plus simple pour le plus grand nombre d’utilisateur. Cette aide est par définition une aide générale, non personnalisée qui ne conviendra pas à tout utilisateur, différent selon son âge, son expérience de vie, ses connaissances : ce rapport est complètement subjectif, assujetti à la personnalité de l’utilisateur. Il apparaît alors ici une première nuance. Tout ne peut être simplifié pour le plus grand nombre de manière standardisé : il existe autant de standards que d’utilisateurs. Tout l’intérêt est peut être alors de pouvoir créer une interface capable de s’adapter à l’utilisateur : personnalisable selon son souhait mais aussi selon son niveau de maîtrise.

L’expert illustre parfaitement cette limite : à la fois utilisateur lambda (comme tout utilisateur, il a ses propres attentes et sa propre expérience et différent de par son niveau de connaissance supérieur dans un domaine défini. Cette tendance à la simplification ultime renvoie l’expert à la place d’un utilisateur quelconque, pour une utilisation « grand publique » qui bafoue son expertise : peu à peu, l’expert en vient à perdre son expertise. L’expert est lui, justement, dans l’attente d’une certaine complexité, d’une fonctionnalité différente. Le design doit s’attacher à faire perdurer l’ensemble des fonctions complexes que l’expert s’attend à retrouver lors de son utilisation, tout en simplifiant son accessibilité.

Pour poursuivre le raisonnement, nous avons vu qu’une simplification à outrance peut faire oublier la frontière réel-virtuel comme cela peut être le cas face à une machine tellement intégrée que l’Homme ne la distingue plus. Dans ce contexte, l’aide décisionnelle toujours plus présente peut avoir de graves conséquences.

Ainsi, il apparaît que le designer est aussi là pour placer des barrières, rappel à tout utilisateur des conséquences réelles de son action virtuelle. Prenons l’exemple des drones militaires : des pilotes décident de bombardement assis dans des fauteuils en cuir avec repose gobelet à portée de main. L’action d’un simple bouton déclenche, tel un jeu vidéo, une bien réelle explosion. Un environnement complètement inadapté au contexte d’utilisation, modifiant la perception de la réalité.

Le design ne peut se résoudre à une simplification extrême : il doit savoir nuancer et ainsi s’adapter, dès qu’il le peut, à son utilisateur cible.

La boite noire

« Trying’to’optimise’Tit’on’basis’of’knowledge’about’use’and’users,’we’risk’trapping’people’in’ a’ situation’where’ the’ use’of’our’designs’has’been’ overLdetermined’and’where’ there’ is’not’enough’space’left’to’act’and’improvise. »(1) Johan Redström

Cette citation illustre parfaitement le principe de la boîte noire où l’homme devient captif de ses propres créations, tellement aboutit qu’elle ne lui laisse prendre aucune décision. Nous en venons à appauvrir le dialogue jusqu’à faire totalement soumettre l’Homme à l’utilisation de la machine pour ne plus laisser place qu’à la machine. Nous pourrons prendre deux exemples progressifs :

– Le « Simple’Intelligent’Park’Assist » ou SIPA de la Toyota Prius ® où l’utilisateur se contente de gérer l’accélérateur

– La future « google’car » qui ne nécessitera plus d’homme pilote : la voiture se conduira elle-même d’un point A à un point B.

L’utilisateur se retrouve exclu de son propre rôle : il n’est plus acteur mais subit le temps. Il ne peut s’approprier l’objet et finit donc logiquement par s’en lasser. A outrance, l’homme subit dans l’interface Homme-machine.

L’exclusion de l’Homme au sein de l’interaction homme-machine est annonciatrice de changement au sein même de notre société : des lois devront être applicables non plus à des hommes mais à des machines. La loi ne se centrera plus sur l’homme. L’homme deviendra invisible. De manière apocalyptique, nous pourrions faire le parallèle avec Matrix ® où les machines en viennent à cultiver les hommes pour l’énergie qu’ils produisent.

Les systèmes s’adaptant aux diverses utilisations possibles représentent, à notre sens, l’avenir. Les objets sont modulés selon les compétences des utilisateurs afin de créer des objets cognitifs : nous voyons alors émerger un « méta-design ».

1 « En essayant d’optimiser l’artefact en se basant sur ce que l’on sait de l’utilisation et des utilisateurs, on risque d’enfermer les gens dans une situation au sein de laquelle l’utilisation des objets conçus a été surdéterminée et où il n’y a plus de place laissée à la mise en scène libre et à l’improvisation. »

Page suivante : Conclusion

Retour au menu : Invisible Design : la part belle à l’invisible