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§ 3. Les difficultés liées à la multiplicité des dommages causés par un sinistre sériel

ADIAL

« La caractéristique du risque de responsabilité civile du fait des produits tient à la
grande diffusion des produits sur des marchés de plus en plus vastes »(191). La garantie
d’assurance doit donc faire face à des dommages en série (A) qui sont de plus en plus
nombreux.

Ces sinistres sériels se rencontrent notamment dans l’industrie des produits de grande
consommation, dans le domaine médical ou encore dans la construction. L’amiante, produit
provoquant l’asbestose, maladie ayant déjà causé plus de 35 000 décès entre 1965 et 1995, n’a
pas fini de faire des victimes puisqu’il était prévu en 2006 entre 60 000 et 100 000 décès dans
les 20 à 25 ans à venir. De même, toute une série de prothèses mammaires en silicone se sont
révélées non étanches environ 1 à 5 ans après leur implantation provoquant ainsi de graves
douleurs voire des cancers(192). Les exemples de dommages en série ne manquent pas et leur
coût peut être très élevé tant pour l’assuré que son assureur. Des solutions ont donc était mises
en place pour déterminer la manière la plus équitable de garantir ce type de sinistres (B).

A – La définition des sinistres sériels

Les sinistres sériels font appel à la notion de série, c’est-à-dire à des dommages
multiples. Dans le domaine de l’assurance de responsabilité civile, cela signifie que l’assureur
ne fait pas face à la réclamation d’une seule victime, mais le fait dommageable ayant touché
cette victime, aura également affecté d’autres personnes. Mais les sinistres sériels ne sont pas
que de simples sinistres successifs. « Lorsqu’il y a une multitude de fautes, d’erreurs ou
d’omissions de nature différente et à différentes époques, entraînant des conséquences
distinctes au niveau matériel et dans le temps, par exemple au cours de l’exécution d’un
contrat d’entreprise […], il s’agit de sinistres successifs. […] Si, par contre, les désordres
procèdent d’une cause unique, engendrant un effet multiplicateur, il s’agit de sinistres
sériels »(193). Les sinistres sériels peuvent relever de deux catégories, il peut s’agir soit de
produits identiques présentant un défaut commun, tels que des produits pharmaceutiques
élaborés à partir d’une même formule erronée, soit de produits différents présentant une
défectuosité due à une cause commune, tels que des éléments mécaniques utilisés dans des
matériels différents.

Le principe en droit des assurances veut que « lorsque des sinistres se produisent
successivement dans la même année d’assurance, chacun doit être considéré et évalué
individuellement »(194). L’impact est conséquent pour l’assureur puisque pour une seule et
même cause, l’assureur sera tenu à garantir une multitude de sinistres ce qu’il n’avait
certainement pas prévu lors du calcul de ses provisions. Les assureurs sont donc très réticents
face à la charge de la répétition de sinistres liés au même fait générateur, au cours d’une
même période(195).

L’assuré peut se considérer comme protégé par son contrat d’assurance et ne pas faire
cesser le fait générateur des sinistres sériels puisqu’il est couvert contre les éventuelles
réclamations. « Pourquoi arrêter la production d’amiante si l’assureur est là pour prendre
finalement en charge les dommages »(196) ? Or, le code des assurances permet aux assureurs de
prévoir une clause leur laissant la liberté de résilier le contrat après tout sinistre(197). Mais il a
alors été reproché aux assureurs de pouvoir échapper aux conséquences des sinistres sériels
apparus au cours du contrat, en résiliant celui-ci immédiatement après avoir eu connaissance
d’une première réclamation. Afin de concilier les intérêts des deux parties au contrat
d’assurance, les sinistres sériels ont été globalisés pour ne former qu’un seul et même sinistre.

B – La clause de globalisation

Dans le but de maitriser leurs engagements financiers, les assureurs intègrent
généralement dans leurs polices une clause appelée « clause de globalisation » qui permet de
globaliser les sinistres en série afin de n’en former qu’un seul. Ce sinistre unique, fictivement
créé par le contrat, prend date au jour du premier d’entre eux. Suivant la base prévue dans la
police d’assurance, il s’agira de la première réclamation ou du premier fait dommageable. A
titre d’exemple, CHUBB prévoit dans ses conditions conventions spéciales la définition
suivante du sinistre : « L’ensemble des réclamations se rapportant à des dommages causés à
des tiers imputables au même fait dommageable et/ou provenant d’une même cause technique
initiale. La date retenue comme celle du sinistre sera celle de la première réclamation »(198).

La complexité de cette technique provient de la difficulté de déterminer à partir de
quand les sinistres relèvent d’une même cause technique(199). Les assureurs doivent ainsi être
très précis dans les termes employés pour définir le sinistre. « Il n’en reste pas moins que la
clause de globalisation, quand elle est claire, doit être appliquée dès que l’on constate que les
sinistres successifs consistent en des dommages équivalents et que ceux-ci procèdent de la
même cause. […] A défaut, de l’une de ces conditions, la garantie joue pour chaque sinistre,
ou série de sinistres, distinct de l’autre »(200).

L’objectif de cette technique est ainsi d’éviter d’appliquer le plafond de garantie à
chacun des sinistres de la série. Avec la globalisation, chacun d’eux amputer la garantie
prévue pour l’année au cours de laquelle le premier est survenu. Ainsi, dès lors qu’une
limitation par année d’assurance et par sinistre est prévue, les sinistres globalisés tombent
sous le coup de celle-ci. « La clause est donc susceptible d’influer, d’une part, sur le montant
de l’indemnisation et, d’autre part, sur l’application de la garantie dans le temps, celle-ci
dépendant de la technique choisie pour fixer la périodicité de la globalisation »(201).

Cette globalisation a été consacrée par la loi du 1er août 2003(202), à l’article L.124-1-1
du Code des assurances(203). L’avantage est non négligeable pour les assureurs qui n’ont pas à
prévoir cette clause, évitant ainsi le risque d’une interprétation désavantageuse pour eux. La
majorité des polices présentes sur le marché prévoient tout de même cette clause définissant le
sinistre ainsi que leur globalisation, sans doute par précaution. Il semblerait qu’il faille leur
donner raison puisque d’après le professeur Jérôme Kullmann, la loi comporte une lacune car
elle n’indique pas « à quelle période du contrat d’assurance il convient d’affecter le sinistre
unique : est-ce à date du premier fait dommageable, ou du premier des dommages, ou encore
de la première réclamation ? On ne sait si cette affection relève de la liberté contractuelle ou
si elle dépend de l’interprétation de ce texte par le juge et, dans ce cas, si elle sera liée au
système choisi par les parties (clause fait dommageable ou clause réclamation) »(204).

L’assuré sera également protégé par cette globalisation puisque, même si l’assureur
pourra toujours résilier après sinistre, la garantie subséquente, combinée à la globalisation des
dommages ayant une même cause technique, rend inopérante ce genre de pratiques. La série
ne représentant qu’un seul et même sinistre, l’assureur ne pourra se désengager par une simple
résiliation. Cette clause présente tout de même certaines failles car elle ne permet pas à
l’assuré de couvrir intégralement les conséquences pécuniaires qu’il pourra supporter du fait
de ces sinistres. « La clause de globalisation ayant pour objet de soumettre les sinistres
sériels à un unique plafond de garantie, l’épuisement de celle-ci se traduit par le défaut
d’indemnisation plus ou moins important de victimes »(205). La FFSA a choisi un système de
paiements successifs qui épuisent progressivement la garantie puisqu’elle estimait qu’il était
impossible d’attendre de connaitre toutes les réclamations des victimes avant de procéder à
l’indemnisation(206). Ainsi, si des victimes effectuent des réclamations tardives, c’est-à-dire
postérieures à l’épuisement de la garantie, elles ne seront pas indemnisées par l’assurance,
mais directement par l’assuré. Elles risquent ainsi de se retrouver face à un assuré insolvable
ne pouvant pas les dédommager.

Des solutions existent telle que la reconstitution de la garantie, permettant à l’assuré
de prévoir un nouveau plafond de garantie, la souscription de garanties annexes telle que la
garantie frais de retraits(207) ou encore la gestion de son risque par une coassurance. Mais tout
cela a un coût qui peut être conséquent pour un assuré lambda(208).

Défectuosité et dommages sont donc deux notions essentielles à l’assurance
responsabilité civile du fait des produits. Afin de déterminer au mieux les contours de sa
garantie, l’assureur est ainsi obligé de définir le plus précisément possible chacune d’entre
elles. A cet effet il dispose d’un large panel de possibilités qu’il doit appliquer au cas par cas à
chaque assuré en fonction de leurs besoins et surtout de leurs caractéristiques propres. Il doit
également s’interroger sur l’éventualité de couvrir des risques pouvant lui paraitre inassurable
mais qui sont indispensables pour l’assuré. C’est le cas notamment du risque de
développement pour lequel il semble injuste de refuser une garantie à l’assuré qui était luimême
dans l’impossibilité de le prévenir.

Issue de la pratique, les contrats d’assurance de responsabilité civile du fait des
produits ne sont jamais identiques. Toutes les notions qui la caractérise, livraison, dommages
et défectuosité, ne sont pas définies de la même manière d’une police à l’autre. Malgré tout,
même si l’étendue de la garantie peut varier suivant la formulation adoptée par l’assureur, la
couverture de base est identique. L’assurance de responsabilité civile du fait des produits a
pour objet de couvrir les dommages causés par le produit. Cela ressort de la nature même de
cette assurance qui est de garantir une responsabilité civile. A contrario, cette affirmation
permet de déterminer l’exclusion principale de cette assurance, les dommages subis par le
produit.

191 KULLMANN J., Lamy Assurances, n°2250, Editions Lamy, 2010
192 ELIASHBERG C., Risques et assurances de responsabilité civile, 5ème édition, l’Argus de l’assurance, 2006,
p.235
193 SCHUERMANS L., Une tour ou deux tours ? Quelques réflexions sur la globalisation des sinistres,
Mélanges offerts à Marcel FONTAINE, Edition Larcier, p. 831
194 KULLMANN J., Lamy Assurance, Editions Lamy, n°749, 2010
195 KULLMANN J., Lamy Assurances, Editions Lamy, n°749, 2010
196 KULLMANN J., Remarques juridiques sur les sinistres sériels, Risques n°62, juin 2005, p. 107 et suivantes
197 Article R.113-10 du Code des assurances : « Dans le cas où une police prévoit pour l’assureur la faculté de
résilier le contrat après sinistre, la résiliation ne peut prendre effet qu’à l’expiration d’un délai d’un mois à dater de
la notification à l’assuré. »
198 Conventions Spéciales Avantech de Chubb, Novembre 2006, p.20 (Annexe n°3)
199 KULLMANN J., Lamy Assurances, Editions Lamy, n°1368, 2010 ; SCHUERMANS L., Une tour ou deux
tours ? Quelques réflexions sur la globalisation des sinistres, Mélanges offerts à Marcel FONTAINE, Edition
Larcier, p. 831 et suivantes
200 KULLMANN J., Lamy Assurances, Editions Lamy, n°749, 2010
201 KULLMANN J., Lamy Assurances, Editions Lamy, n°1369, 2010 ; DEBEAUNE C., Les sinistres sériels,
Institut des Assurances de Lyon, promotion 2001
202 Loi n°2003-706 du 1er août 2003, JO 2 août.
203 Article L.124-1-1 du Code des assurances : « au sens du présent chapitre, constitue un sinistre tout dommage
ou ensemble de dommages causés à des tiers, engageant la responsabilité de l’assuré, résultant d’un fait
dommageable et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations. Le fait dommageable est celui qui constitue la
cause génératrice du dommage. Un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique est assimilé
à un fait dommageable unique ».
204 KULLMANN J., Lamy Assurances, Editions Lamy, n°1369, 2010
205 KULLMANN J., Remarques juridiques sur les sinistres sériels, Risques n°62, juin 2005, p. 107 et suivantes
206 FFSA, Livre blanc de l’assurance responsabilité civile, 12 septembre 2000, n°3.1.1.1. ; KULLMANN J.,
Remarques juridiques sur les sinistres sériels, Risques n°62, juin 2005, p. 107 et suivantes
207 Les frais de retrait permettent de limiter les sinistres sériels voir infra Section 1 p.65
208 Pour l’analyse des solutions offertes à l’assuré, voir DEBEAUNE C., Les sinistres sériels, Institut des
assurances de Lyon, promotion 2001

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