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2.3. Les conflits armés en Afrique, expression de l’héritage colonial et de la lutte pour la libération

En parcourant les analyses des observateurs qui s’intéressent aux questions de conflits en Afrique, on s’aperçoit que les informations fournies à ce sujet sont loin d’être exhaustives. De l’argument avancé par John Mueller qui a repris les travaux de Fortmann(44), considère désuètes les guerres majeures, mais relève toutefois que la guerre est encore présente en Afrique, plus précisément là où apparaissent les nouveaux Etats. Cette assertion conforte la thèse de Kouassi Yao selon laquelle, entre 1955 et 2002 près d’une trentaine de conflits armés ont lieu sur le continent. Kouassi a mis en évidence l’existence du déchirement profond au sein de la société africaine dont le mode de gouvernance reste fragile et la lutte d’intérêts occupe le centre du pouvoir.

La fin de la deuxième guerre mondiale se traduit par l’avènement d’une configuration géopolitique, qui place l’Afrique au centre d’un nouvel enjeu. L’entente entre les territoires africains et leurs pays colonisateurs commence à s’effriter voire se détériorer. Des désaccords surgissent, chaque camp cherche à faire entendre raison. Ebranlée par la guerre, la force de la métropole est remise en cause, le pouvoir de domination française dans ses colonies s’enlise(45).

N’ayant pas d’expérience en matière de décolonisation, la France opte plutôt pour des aménagements ou des recadrages dans ses relations avec ses colonies pour continuer d’y maintenir son emprise. La conférence de Brazzaville de 1944, convoquée par le Général De Gaulle, amorce une prise de conscience des problèmes coloniaux et ouvre des perspectives de réformes. En 1946, un nouveau cadre juridique est mis en place pour se substituer à l’empire français sous le nom d’Union française. En pratique on note peu de changements dans les colonies qui restent sous tutelle de la métropole : « Départements et Territoire d’Outre –mer » (DOM-TOM). La France refuse de s’engager dans aucune des deux alternatives possibles ; l’assimilation qui implique l’égalité des droits et l’intégration, ou l’acceptation d’un processus évolutif d’émancipation progressive, débouchant sur l’autonomie et à terme, sur l’indépendance(46).

Malgré l’adoption en 1956 de la Loi Cadre Defferre(47), par laquelle les territoires africains disposent d’une large autonomie, et peuvent élire chacun une assemblée locale avec un conseil de gouvernement, dans certains territoires, la montée nationaliste a conçu et, la douleur de l’enfantement sera trop pénible.

Arrivé en septembre 1896 au Madagascar, le général Gallieni « décrète » des activités dans tous les domaines, économiques, culturels et sociaux. Il met en place une administration territoriale qui s’appuie sur des fonctionnaires autochtones, formés par la colonie pour servir de courroie de transmission, il développe le réseau des communications, l’instruction publique et la santé, et instaure aussi l’impôt de capitation, censé « stimuler l’énergie » des indigènes et leur imposer un travail assidu(48).

Par contre les bandes d’insurgés continuent d’attaquer les missions et les établissements étrangers. Les gouverneurs qui succèdent à Gallieni poursuivent la mise en valeur de l’île, avec notamment un développement des cultures de rentes ou l’exploitation de minerais. Cependant, les pressions qui s’exercent sur les populations, les terres fertiles cédées aux colons et à de grandes compagnies coloniales ont un impact négatif sur les relations entre la population et l’administration coloniale.

Les hautes terres, caractérisées par un climat doux sont occupées par des colons et le Nord devient la plus importante base navale française de la région pour protéger la route de l’Indochine. Parallèlement à cela, est créée en 1913, le Mouvement Patriotique Malgache anticolonialiste composé d’intellectuels, et conduit par une société secrète, V.V.S., Vy, Vato, Sakelika (fer, pierre, ramification)(49). Il poursuit ses actions jusqu’en 1915 où les membres sont arrêtés et condamnés aux travaux forcés en 1921. A l’instar des colonies françaises, comme effort de guerre, les malgaches ont pris part au côté des troupes françaises durant les deux guerres mondiales(50).

Entre 1920 et 1940, la colonisation économique atteint son apogée : l’administration coloniale fonde la Société de main d’œuvre et de travaux d’intérêts généraux (SMOTIG), société chargée d’organiser le service du travail forcé non rétribué ; environ 12 000 Malgaches y sont « affiliés » et construisent routes, ponts, voies ferrées et hôpitaux jusqu’en 1937 où SMOTIG est supprimé(51). Paradoxalement, la colonisation contribue en partie à l’éveil des idées de liberté. La métropole apporte à Madagascar ses principes fondateurs. Les élites malgaches récupèrent même la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » dans leur combat pour l’indépendance.

En 1946, deux élus malgaches, membres du Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache (MDRM), siégeant à l’Assemblée constituante française, et par une saisine du bureau de l’Assemblée, demandent l’indépendance de Madagascar.

Au refus que le bureau de l’assemblée nationale oppose à cette demande, la qualifiant d’« …accusation contre la France, et, en somme un appel à la révolte », l’île se soulève. Des centaines d’hommes armés de sagaies et de coupecoupes, attaquent les petites villes côtières et des plantations. Leurs cibles, les occidentaux et leurs employés locaux.

Pris au dépourvu, les européens et l’administration centrale malgache pointent du doigt les partisans de l’indépendance sur qui, ils rejettent les conséquences de la violence. Dans toute l’île, les manifestations sont écrasées par des corps expéditionnaires venus de l’hexagone ; exécutions sommaires, tortures, destructions des villages… La révolte contre le colonisateur, qualifiée par des observateurs d’« insurrection de vingt et un mois » est noyée dans le sang ; ce mouvement est l’un des plus tristes évènements que le pays ait connu.

En Algérie, comme le dit Dr Salacrou, « La grande aventure de l’Algérie »(52) démarre lors d’une déclaration à Alger en novembre 1954, lorsque Ferhat Abbas dans le « Manifeste du peuple algérien » du 10 novembre 1943, prépare l’éclatement du pays.

Les Algériens, vieux cadres traditionnels, considèrent que « le bloc européen et le bloc musulman sont distincts l’un de l’autre sans âme commune et que, …..la colonisation s’est révélée incapable d’améliorer et de résoudre les grands problèmes qu’elle a elle-même posés….. » (53). Même le discours du Président Roosevelt qui cherche au nom des alliés à rassurer les algériens, que dans le « monde nouveau, les droits de tous les peuples, petits ou grands seront respectés », les membres du mouvement nationaliste se revendiquant révolutionnaires, déclenchent les hostilités militaires.

Environ mille deux cent moudjahidines, munis de quelques pièces d’armes et de bombes artisanales, attaquent les cibles militaires et sites stratégiques .Ils pratiquent le mode terroriste en s’attaquant aux français isolés dans les campagnes, les obligeant à abandonner leurs résidences ou à quitter le pays, les musulmans n’étant pas épargnés, l’objectif est de les dissuader de coopérer avec les occidentaux. Après sept ans, la lutte va aboutir à l’indépendance de l’Algérie suite à l’accord d’Evian(54).

44- Michel FORTMANN et Jérémie GOMAND, obsolescence des guerres interétatiques ? Une relecture de John Mueller ? Presse de sciences po/Raisons Politiques n°13, 2004 -1, p.79-96
45- La France face à la décolonisation de 1945 à 1962, http://www.cndp.fr/cndp-reims
46- La France et le monde (1946 -1969) : la décolonisation, http://www.charles-de-gaulle.org
47- La loi-cadre Defferre n°56-619 du 23 juin 1956, modifie le statut des colonies d’Afrique Noire dans le sens d’une autonomie accrue et d’une décentralisation administrative ; elle instaure le suffrage universel dans les colonies. www.cartage.org.Ib
48- Officier X, Voyage du général Gallieni (Cinq mois autour de Madagascar). Le tour du monde 1899-1900. http://www.scribd.com/doc/2319813/-voyage du général Gallieni
49- Madagascar pendant la période coloniale /Histoire. http://www.madagascar-island.com- L’Histoire de Madagascar, http://www.madascope.com/hitooire.html – Histoire de Madagascar : XIXème siècle à la fin de la colonisation « Voyage en Malgachie », http://www.Malgachie.wordpress.com
50- Bernard SIMON, tirailleurs malgaches, DVD 54’, Arc en ciel Productions/Citizen TV, 2003, www.arcenciel-pro.fr
51- La guerre d’Algérie 1954 – 1962, angoisse et détermination des « pieds noirs », déclaration de novembre 1954 ; www.icp.ge.ch
52- Ibid.
53- Histoire d’Algérie 1830- 1962, le manifeste algérien. www.1novembre54.com
54- Histoire pour tous, des accords d’Evian (18 mars 1962) entre représentants de la France et de l’Algérie et comprend deux volets : Cessez-le-feu et déclaration sur l’Algérie. www.histoire-pour-tous.fr

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