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§ 2. La défectuosité future : le risque de développement

ADIAL

Par risque de développement, il faut entendre le défaut d’un produit qui n’a pu être
découvert ni évité car l’état des connaissances scientifiques et techniques objectivement
accessibles lors de la mise en circulation du produit ne le permettait pas(138). En d’autres
termes, ce n’est pas la défectuosité qui est future mais sa découverte. C’est le développement
de techniques nouvelles qui permettra de déceler ce qui, avant elles, était indécelable(139). Mais
ce n’est pas simplement un vice « indécelable », que des investigations exceptionnelles
auraient permis de découvrir, c’est un vice qu’il est matériellement impossible pour le
fabricant de connaitre car les techniques existantes sont insuffisantes(140). Pèse donc sur le
producteur le risque d’un développement de l’état des connaissances pouvant révéler un
défaut jusqu’alors ignoré. Le domaine le plus touché est celui de la santé. Le Distilbène, par
exemple, qui a provoqué chez les filles des mères à qui il avait été administré, vingt ans après
leur naissance, des cancers génitaux. Afin d’étudier ce risque il est important de comprendre
quelle vision le droit civil en a (A) et comment il est possible de l’assurer (B).

A – L’appréhension du risque de développement par le droit de la responsabilité
civile

Le droit de la responsabilité civile n’a pas une vision uniforme quant à la portée à
donner à ce risque de développement (2). De plus, étant une notion assez récente, les auteurs
tentent parfois de la rapprocher du principe de précaution. Or, ces deux notions du droit de la
responsabilité civile sont totalement différentes(141)(1).

1°. Une notion distincte du principe de précaution

Le principe de précaution n’est définit qu’à travers le droit de l’environnement, et plus
précisément l’article L.200-1 du Code rural, qui y fait référence en ces termes : « le principe
de précaution, selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances
scientifiques et techniques, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et
proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à
l’environnement à un coût économiquement acceptable »(142). Si la prévention tend à éviter des
risques avérés, la précaution tend à ne pas créer des risques potentiels(143).

En cas d’incertitude scientifique quant aux risques encourus, cette incertitude doit imposer la
mise en oeuvre de mesures provisoire, dans l’attente de la poursuite des recherches
scientifiques, et proportionnées, matériellement et économiquement, au risque que l’on
souhaite éviter.

En ce sens, le principe de précaution peut facilement être confondu avec le risque de
développement mais il est indispensable de distinguer le doute de l’ignorance. Le risque de
développement est une certitude, certes erronée, mais partagée par tous, de l’innocuité d’un
produit(144), alors que la précaution invite à prendre en considération l’état des connaissances
même incertaines, afin de prévoir et de maitriser un risque(145). Ainsi, alors que le défaut de
précaution peut donner lieu à une responsabilité dans le domaine du principe de précaution, le
risque de développement ne suit pas exactement le même schéma.

2°. La vision du droit positif

Concept communautaire d’origine allemande, le risque de développement a été
découvert par le droit français avec la Directive sur la responsabilité du fait des produits
défectueux(146). Cette dernière prévoit dans son article 7 une exonération à la responsabilité
objective du fabricant, basée sur le risque de développement. Le choix était laissé aux Etats
membres d’intégrer ou non cette exclusion. Cette liberté a donné lieu à un débat lors de la
transposition de la directive en droit français(147). Ce dernier s’est clôt par l’intégration de
l’article 1386-13 du Code civil(148) posant le principe de l’exonération pour risque de
développement. Ainsi, dès lors que l’assurance de responsabilité civile du fait des produits est
engagée sur le fondement de la loi de transposition de 1998, l’exclusion contractuelle du
risque de développement n’est pas nécessaire encore faut-il que le risque de l’assuré remplisse
les conditions posées par le texte(149), et qu’il ne s’agisse pas d’un produit du corps humain(150).

De plus, la victime peut fonder son action sur un autre fondement de responsabilité civile. Or,
le droit commun de la responsabilité civile(151) ne prévoit pas d’exonération pour risque de
développement. L’assuré peut donc voir sa responsabilité mise en jeu même si l’engagement
de cette dernière est fondée sur un risque de développement. Ce sera donc à l’assureur de
décider de garantir ou non ce risque, source de responsabilité.

B – L’assurabilité du risque de développement

Compte tenu du fait que « par sa nature même, le risque de développement ne remplit
pas les conditions normales d’assurabilité des risques de responsabilité civile »(152) échappant
à la prévisibilité quantitative et à l’analyse statistique, les assureurs ont décidé de l’exclure des
contrats d’assurance de responsabilité civile. En effet, l’assureur ne peut prendre en charge
que des risques, certes aléatoires, mais se prêtant tout de même à des prévisions. Or, le risque
de développement est par définition imprévisible puisque le développement inattendu du vice
n’est fondé ni sur les qualifications du producteur, ni sur les caractéristiques du produit mais
sur le seul progrès de la science que personne ne peut connaitre à l’avance(153). Jérôme
Kullmann affirme que l’assureur ne peut prendre en charge « que les conséquences d’une
obligation inexécutée ou mal exécutée. » Or, en l’occurrence, l’assuré ne pouvait se
conformer à aucune procédure ni respecter une quelconque obligation puisqu’aucun outil
matériel ne lui permettait de prévoir le développement du vice. L’impact du risque de
développement peut donc être réellement néfaste pour les assureurs puisqu’il remet en cause
toute l’organisation de leur mutualisation(154).

Cependant, ces effets sont limités par l’utilisation de diverses techniques
assurantielles. La réassurance ou la coréassurance par exemple, permettent à l’assureur de
transférer une partie du risque et, avec lui, une portion du coût d’un éventuel sinistre. De
même, les assureurs peuvent partager ce risque grâce à la coassurance(155).

L’assureur peut également prévoir des limitations contractuelles afin d’encadrer ce
risque et pouvoir le couvrir de manière raisonnable. La durée de la garantie dans le temps peut
ainsi être réduite par une simple clause « base réclamation »(156). Des plafonds de garantie
suffisamment bas, ainsi que des franchises, peuvent venir en complément afin de délimiter
matériellement la couverture du risque de développement(157).

Le risque de développement est donc parfaitement assurable et, grâce à ces divers
stratagèmes, le risque réellement supporté par l’assureur ne sera pas si important que cela.

Gras Savoye par exemple négocie pour une large part de ses clients la prise en charge du
risque de développement et même si certains assureurs restent réfractaires à cette garantie, la
majorité d’entre eux l’acceptent. Mais il est vrai que la garantie du risque de développement
doit être très encadrée car sans l’utilisation de ces techniques, « l’assureur de responsabilité
civile du fait des produits livrés sera conduit à ne plus garantir les activités relatives à des
produits de grande diffusion présentant un potentiel de risque de développement sérieux »,
telle que l’industrie pharmaceutique, chimique ou alimentaire(158).

138 BERG O., La notion de risque de développement en matière de responsabilité du fait des produits défectueux,
JCP éd. G, I, 3945 ; LARROUMET C., La notion de risque de développement, risque du XXIème siècle, Clés
pour le siècle, Dalloz 2000, p. 1589
139 LAMERE J.-M., Vers une réforme de l’assurance de responsabilité civile en France, Risques n°52, déc. 2002
140 Pour l’appréciation de l’état scientifique des connaissances, voir CHAUMET F., les assurances de
responsabilité de l’entreprise, 4ème édition, 2008, p. 241
141 ROUSSEL-ZIZINE C., Le risque de développement et l’assurance, Institut des assurances de Lyon, mémoire
dirigé par Alain AUBRY, promotion 2009/2010
142 GIRERD B., Les exclusions dans l’assurance « RC produits livrés », Institut des Assurances de Lyon,
mémoire dirigé par Axelle ASTEGIANO-LA-RIZZA, promotion 2004/2005
143 LAMBERT-FAIVRE Y., L’affaire du sang contaminé : le risque de développement, le principe indemnitaire
face à la pluralité d’actions et les limitations de garantis d’assurance responsabilité civile, D. 1996, p. 610 ;
Pour une étude approfondie du principe de précaution, voir TRAINAR P., SAINTENY G., DELPHA J.,
PRADIER P.-C., VAN DER SLUIJS J. P., KAISER M., MAXIM L., DOUGUET J.-M., VERGER P., de
SADELEER N., Risque n°72, principe de précaution, principe d’inaction ?, décembre 2007, analyses p.56 ; voir
également, CAZENEUVE B., la responsabilité du fait des produits, Edition Dunod, 2005 ; ALBOUY F.-X.,
CANIVET G., DRAGO G., EDWALD F., FLORIN P., FOURCANS A., GOLLIER C., KOZCIUSKOMORIZET
N., TRAINAR P., Risque n°57, le principe de précaution, janvier-mars 2004, analyse p. 64
144 FAGNART J.-L., La conception des produits pharmaceutiques. Précaution et responsabilité, Mélanges
offerts à Marcel FONTAINE, Editions Larcier (Bruxelles), 2003
145 OUDOT P., le piège communautaire de la responsabilité du fait des produits défectueux, Dr. & Patr. N°111,
janv. 2003
146 Directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives,
réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux
147 KULLMANN J., Lamy Assurances, n°2147, Editions Lamy, 2010 ; GHESTIN J., Les conditions de la
responsabilité, traité de droit civil, 3ème édition, LGDJ, 2006 p. 897 ; DEBEAUNE C., Les sinistres sériels,
Institut des assurances de Lyon, promotion 2001
148 Article 1386-13 du Code civil : « Le producteur est responsable du plein droit à moins qu’il ne prouve : […]
que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas
permis de déceler l’existence du défaut ».
149 Pour les diverses conditions d’exonération du risque de développement, voir ROUSSEL-ZIZINNE C., Le
risque de développement et l’assurance, Institut des assurances de Lyon, mémoire dirigé par Alain AUBRY,
promotion 2009/2010, BORGHETTI J.-S., La responsabilité du fait des produits, Bibliothèque de droit privé,
LGDJ ; Tome 428, 2004, p. 397 et suivantes
150 GHESTIN J., Les conditions de la responsabilité, traité de droit civil, 3ème édition, LGDJ, 2006 p. 899
151 Domaine restreint. Voir Cass. Com. 28 mai 2010, n°08-18.545 ; JurisData n°2010-007167, Contrats
Concurrence Consommation n°8, Août 2010, comm. 198, note L. Leveneur.
152 FFSA, Livre Blanc de l’assurance responsabilité civile, 12 septembre 2000
153 KULMMANN J., Lamy Assurances, n°2275, Editions Lamy, 2010
154 ROUSSEL-ZIZINE C., Le risque de développement et l’assurance, Institut des assurances de Lyon, mémoire
dirigé par Alain AUBRY, promotion 2009/2010
155 ROUSSEL-ZIZINNE C., op. cit. note 154
156 DELPOUX C., Le risque de développement, Risques n°14, avril 1993
157 ROUSSEL-ZIZINNE C., Le risque de développement et l’assurance, Institut des assurances de Lyon,
mémoire dirigé par Alain AUBRY, promotion 2009/2010
158 KULLMANN J., Lamy Assurances, Editions Lamy, n°2274, 2010

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