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1)b. La ryosai kembo : « la bonne épouse et la mère avisée »

La division des sphères, telle que nous avons pu l’étudier précédemment, fait l’objet d’une propagande d’Etat après la Seconde Guerre mondiale. Cette propagande voit apparaître le phénomène des kyoiku mama, héritières du principe politique d’application sociale qui, depuis l’ère Meiji, confère aux femmes le rôle de ryosai kembo. Le terme signifie : « la bonne épouse et la mère avisée ». Le terme de « ryosai kembo » associe les femmes uniquement à la maison et la famille.

Nous allons à présent analyser la place de la ryosai kembo, qui fit naître la kyoiku mama, rôles importants à comprendre car ces phénomènes existèrent jusque dans les années 1960. Leur héritage sur la société japonaise aujourd’hui est donc omniprésent.

L’expression ryosai kembo est encore présente aujourd’hui, influant sur la façon dont les jeunes femmes considèrent leur destinée, leur rôle, et l’importance conférée au mariage : l’idée selon laquelle la femme ne devient adulte que par le mariage, encore présente, découle des principes appliqués lors du principe de la ryosai kembo.(55) En effet, on comprend l’importance pour une femme d’être mariée lorsqu’on sait à quel point il est honteux pour une femme d’être « vieille fille », plus encore que d’être hôtesse de bar par exemple. Comme il est écrit par Dominique Buisson dans Regards sur la femme japonaise : « la vieille fille est toujours considérée comme inférieure par les femmes mariées et par les hommes. Seules les hôtesses de bar ne subissent pas cet anathème. On peut les mépriser pour leur profession mais en aucun cas pour leur célibat. On considère qu’elles ont choisi cet état volontairement ».(56)

La ryosai kembo a un rôle domestique uniquement. Sa vie est clairement séparée de celle de son mari. Lorsque celui-ci rentre du travail, sa femme doit l’accueillir ; mais celui-ci, s’il sort après le travail, ira boire un verre avec des collègues, jamais avec sa femme. A la différence de la femme au foyer occidentale des années 1950-1960, l’épouse japonaise n’est pas une hôtesse. Les évènements sociaux se font uniquement à l’extérieur, sans la femme.(57) Le rôle d’hôtesse appartient en effet à la geisha ou aux hôtesses dans les bars, ces dernières étant clairement séparées de la respectable épouse.(58) Lorsque la femme sort de chez elle, ses activités sont celles qui sont liées au foyer : réunions entre mères d’élèves, courses, associations de consommatrices, etc.

Le foyer est donc le royaume de la femme, elle dispose d’une grande autonomie budgétaire ; elle attribue régulièrement une somme d’argent hebdomadaire à son mari, elle gère les frais de l’éducation des enfants, etc. Mais celle-ci reste néanmoins dépendante du mari financièrement, car c’est lui qui rapporte un salaire pour la famille. Inversement, le mari est dépendant de sa femme, qui le materne. Au Japon, le mariage n’étant pas une affaire romantique, la relation entre les deux époux est très différente de celle qu’ont les époux occidentaux. En effet, les femmes japonaises plaignent les Occidentales, ces dernières étant dépendantes émotionnellement vis-à-vis de leur mari. Elles cherchent toujours à leur plaire, à en être aimée : tandis que la Japonaise accepte dès le début son rôle et ne s’attendra pas forcément à un mariage passionné, mais plutôt à un accord mutuel pour le bien de la famille. De même, les critères que la femme aura étudiés au préalable avant de choisir son époux sont les suivants : sécurité sociale, famille respectable, santé, position professionnelle d’avenir.(59)

La femme, malgré son apparence soumise, dirige en réalité la famille. Elle contrôle l’avenir, l’éducation de ses enfants. La relation de la mère avec les enfants développe souvent des complexes chez ces derniers, surtout les fils, lesquels auront de la gratitude et de la culpabilité –la mère s’étant sacrifiée pour ses enfants, et ne manquant jamais de le faire savoir. C’est pourquoi les fils attendront chez leur femme un comportement similaire à celui de leur mère : ce cercle vicieux explique pourquoi au Japon les révolutions féministes ont été aussi longues à se développer et s’implanter au quotidien, la tradition étant très profondément enracinée dans les mœurs.(60)

Le but de la vie de la ryosai kembo est de marier sa fille et que son fils ait un bon emploi. Cette course à la réussite explique pourquoi le phénomène de la kyoiku mama fait son apparition dans les années 1950. Les bons emplois dans les grandes entreprises étant difficiles à obtenir, et objectif ultime de la mère pour son fils, l’école devient vite un haut lieu de compétition. La mère prend alors un rôle éducatif à part entière, déjà présent dans son rôle de ryosai kembo, mais encore plus important et excessif lorsque celle-ci devient une kyoiku mama, signifiant « la mère éducative ». En effet, cette dernière cherche à tout prix la réussite de ses enfants, en particulier de ses fils.

Cette lourde responsabilité de la réussite de son fils pesant sur les épaules de la mère, on comprend bien pourquoi au Japon une femme qui travaille a longtemps été considérée comme une femme abandonnant son rôle de mère éducative, abandonnant ses enfants à leur sort, et donc une mauvaise mère. Cela explique ainsi que le marché du travail ait été pendant de longues années fermé aux femmes.

La « mère avisée » sait que les bonnes écoles sont la clé du succès de son enfant.(61) C’est dans cette course effrénée aux cours du soir, cours supplémentaires de haut niveau pour les enfants, en plus de leur scolarité régulière, que la mère devient une vraie kyoiku mama, qui s’épanouit par procuration, à travers la réussite professionnelle de ses enfants, surtout du fils : celle-ci est alors à l’affut des cours dans les meilleures juku, les écoles spécialisées qui permettent un apprentissage accéléré, et donc d’être le meilleur élève possible, promettant un avenir universitaire à l’enfant.(62)

Comme l’explique Nilsy Desaint dans Mort du père et place de la femme au Japon : « la kyoiku mama, c’est la mère qui, sans jamais rien demander à ses enfants, s’occupe de tout pour libérer ces derniers de ce qui pourrait entraver leurs études et donc leur réussite » .(63)

Aujourd’hui, le modèle de la ryosai kembo s’amenuise. Les femmes ne sont plus seulement au foyer, elles sortent, travaillent ; leur quotidien aujourd’hui ressemble plus au quotidien de l’homme ; la séparation des sphères féminines et masculines est moins prononcée.

Témoins de cette époque où le mariage est une affaire importante pour l’avenir de la femme, et à choisir avec raison, sans passion, de nos jours les mariages ne sont pas toujours une affaire sentimentale comme dans les pays occidentaux. Lorsque le couple rencontre des problèmes, il ne se sépare pas, pour le bien de la famille. Les femmes mariées s’éloignent de plus en plus du modèle idéal, de la « bonne épouse ». Comme le constate le psychiatre japonais Takahashi Tôru citée dans Homo Japonicus : « Vues de l’extérieur, elles ont effectivement un mari qui gagne pas mal d’argent qu’elles sont libres de dépenser comme bon leur semble (…) mais toutes ces femmes de salariés sont très seules » et « celles dont le mari fait carrière le trompent par dépit. Elles font tout ce qu’elles peuvent pour faire entrer leur fils à l’université de Tokyo, mais elles cherchent un palliatif dans les affaires extra conjugales. C’est la fin d’un siècle, d’une ère, la dégénérescence des mœurs » .(64)

En effet, celui-ci explique que lorsque le mariage n’est pas heureux, encore aujourd’hui, « le couple ne se sépare pas pour autant. Il reste ensemble par convenances, en ne nourrissant aucune illusion » .(65)

Mais la ryosai kembo est encore un idéal pour beaucoup d’hommes, difficile à effacer des mémoires.

55 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.44
56 Hochman Natacha et Buisson Dominique, Regards sur la femme japonaise, op.cit., p.62
57 Angeloni Vera, Le consensus au féminin, op.cit., p.304
58 Ibid, p.304
59 Ibid, p. 305
60 Ibid, p. 309
61 Desaint Nilsy, Mort du père.., op.cit., p.49
62 Ibid, p.48
63 Ibid, p.48
64 Jolivet Muriel, Homo Japonicus, éd. Picquier Poche, Paris, 2002, pp.139-140
65 Ibid, p.141

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