Le street art n’est pas le seul art dans la rue : l’art public de commande, plus imposant, plus permanent, et surtout plus officiel, fait aussi partie du paysage de la ville. Christian Ruby retrace dans L’art public l’histoire des œuvres situées dans les lieux publics, destinées à entériner un pouvoir en le représentant, glorieux, colossal, au cœur de la ville. De l’effigie de Marc Aurèle aux statues équestres royales et guerrières, l’art public classique est au service des élites. L’ère républicaine impose d’autres idéaux à représenter : l’Etat se charge d’éduquer le peuple en lui montrant des vertus, que Ruby énumère : « thèmes moraux (le Courage, la Vaillance, l’Honneur), grands récits du Progrès (les sciences, les arts et la littérature, la médecine, l’industrie), Panthéon de héros nationaux (la Volonté) (10)». Les monuments aux morts, austères et morbides, sont érigés dans toute ville et village pour sceller le pacte civil par une commémoration des « morts pour la France ».
L’art public change de ton et de forme au milieu du XXème siècle, en France sous l’impulsion de Malraux, et partout ailleurs par nécessité esthétique et sans doute politique : l’art ne peut plus représenter, et le peuple n’est pas représentable. Avec la rupture du modernisme, nous dit Christian Ruby, l’art « peut se dispenser du Beau – ou tout au moins d’un certain Beau classique –, et du Musée ; il peut et même doit se déployer en plein air […], accompagner certains événements médiatisés […], voire la construction d’ouvrages utilitaires destinés au grand public […] (11)».
A l’ère de l’art contemporain, l’art public de commande se confronte à une autre problématique : « Les arts plastiques contemporains ayant désormais rompu avec l’allégorie, le corps social ne sachant plus guère s’il lui est encore loisible de figurer une quelconque unité en public, comment se rapporter à l’art public et quel art public envisager (12)? » Problématiques esthétiques et politiques, donc, auxquelles s’ajoute la contrainte de la commande : l’artiste doit généralement répondre à un cahier des charges. D’autres questions se posent alors : « Qui doit proposer une commande, quelle autorité peut s’en charger ? Quelles compétences sont requises (13)? » Quel budget doit être consacré à l’art, et, puisqu’il s’agit d’argent public, comment justifier sa dépense ?
Autant de questions que certains artistes préfèrent ignorer pour passer directement à l’acte, certes avec des moyens moins spectaculaires, mais c’est là ce qui fait la force de l’art public non programmé : rapide, droit au but, éphémère.
10 Christian Ruby, L’art public, p. 12
11 Ibid., p. 13
12 Ibid., p. 15
13 Ibid., p. 20
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