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1) L’USAGE PERSONNEL

Evoquons d’abord une situation vécue cette année et qui illustrent, à mon sens, le rapport des jeunes aux nouvelles technologies.

Avant les vacances de février, j’ai eu à traiter un problème lié aux nouvelles technologies. Une élève, que nous appellerons Marie(12), avait un contentieux avec un camarade, contentieux auquel elle a mis un point final en lui envoyant un SMS incendiaire. Le garçon, que nous nommerons Arnaud, après avoir reçu ce SMS l’a pris en photo et l’a publié sur Facebook afin que ces « amis »(13) : au mieux une connaissance, ou vague connaissance ; au pire une connaissance de connaissance) puissent le lire. Peu après la publication sur Facebook, la photographie du SMS a engendré 280 commentaires ! Inévitablement, au lendemain de cet épisode, Marie est venue me voir afin de me parler de ce problème et des commentaires insultants dont elle avait eu connaissance. Mon travail a donc consisté à faire dialoguer les deux élèves et de leur faire prendre conscience de la portée de leurs actions.

Que faut-il retenir de cet exemple ?

Pour nos adolescents, un profil Facebook est un espace privé dont ils contrôlent l’accès, en choisissant leurs « amis ». Partant de ce principe, ils considèrent pouvoir tout dire, tout écrire, tout publier, à l’image d’un journal intime : un journal cadenassé bien caché au fond d’un tiroir, une clef bien dissimulée. C’est dans cette optique qu’Arnaud avait posté cette photo sur Facebook : il disait d’ailleurs ne pas imaginer que les « amis » de ces « amis » aient pu visualiser cette photo. Dans les faits ils l’étaient réellement et, a priori, étaient destinés à le rester : l’enfant pouvait alors y laisser ses impressions, ses colères, ses angoisses sans que jamais personne ne vienne le lire. Or, Facebook, est la négation même de l’intimité dans la mesure où, sur Internet, il devient public, car ce n’est pas parce qu’on limite l’accès à nos publications à nos seuls « amis », que ces derniers font de même. Ce qui entraîne les 280 commentaires dont j’ai parlé plus haut. Selon le Baromètre 2011 Enfant et numérique(14), 92% des jeunes de 15 à 17 ans possède un compte Facebook. Ce qui, en soit n’est pas ni dangereux, ni répréhensible. Mais, toujours selon ce baromètre, 86% des 15-17 ans admettent publier des vidéos et des photos. Là, les choses deviennent plus problématiques dans la mesure où le contenu peut devenir nuisible à celui ou celle qui se trouve mis en cause sur la photo. Dans l’anecdote relatée plus haut, nous sommes précisément dans ce cas.

L’enquête réalisée auprès d’une classe de l’établissement dans lequel je travaille peut nous apporter quelques éléments de réponses. Dans un premier temps, remarquons que tous les élèves de cette classe possèdent un téléphone portable avec accès à Internet ; ils ont, de plus, tous ce même accès à leur domicile.

Concernant leur téléphone portable et l’utilisation qu’ils en font, ils admettent tous (assez facilement d’ailleurs) que, sans leur portable, ils ont l’impression d’être coupés du monde. C’est la raison pour laquelle, bien que le règlement interdise l’usage du portable en classe, ils gardent sur eux leur téléphone et le consulte régulièrement afin de savoir s’ils ont reçu un mail, ou un SMS. Ils ont conscience d’être abreuvés d’informations et de sollicitations de tout ordre : télévisions, Internet, journaux (au format papier ou au format numérique), notifications (SMS annonçant un fait marquant) sur leurs portables, réseaux sociaux…

Tout ceci est confirmé par un responsable de l’enseignement Catholique :

« Ils vivent dans un environnement bruyant. Et je dis bruyant avec des guillemets. Bruyant en son, bruyant en image, bruyant en… Aujourd’hui, ça c’est une caractéristique d’une nouvelle génération, c’est d’être dans un monde bruyant » (entretien)

Pour autant, ils semblent avoir la sensation que le monde leur échappe s’ils ne connaissent pas les nouvelles (qu’elles soient importantes ou futiles) dans l’instant où elles sont reçues. Le Docteur Xavier Pommereau, résume parfaitement ce fait en parlant de la « main digitale » des adolescents :

« Cette « digitalité », ils l’utilisent pour saisir, donner, recevoir et échanger, en d’autres termes, « (re)prendre la main » sur le monde. Le « petit » et le « grand » monde – c’est-à-dire le leur, celui de leur entourage immédiat, comme celui plus vaste de la planète à découvrir. […] » (15)

Alors, concrètement, que font-ils de ces technologies et de l’information ? Si l’on s’en réfère à l’enquête menée, la plupart des élèves disent utiliser l’ordinateur pour leur loisir en priorité : musique, téléchargement, discussions instantanées. Et scolairement ? C’est ce que nous allons voir.

12 Les prénoms ont été changés.
13 Ici, le mot « ami » est à prendre au sens « facebookien », c’est-à-dire de contact. Il sera donc mis entre guillemets jusqu’à ce qu’il reprenne son sens réel.
14 Agence Calysto, Un clic, déclic : le tour de France des établissements scolaires, avec le soutien de la Voix de l’Enfant, 2011
15 POMMEREAU X., Nos ados.com en images – Comment les soigner ?, page 25.

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