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§ 1. L’instabilité politique comme entrave au processus de modernisation de la Fonction publique

Depuis la chute de la dictature des DUVALIER le 07 février 1986, Haïti s’enlise dans
une instabilité politique dont il a du mal à s’en sortir. Le nouveau système politicoadministratif
institué par la Constitution de 1987 est fortement marqué par la discontinuité
institutionnelle.

A contrario, la continuité institutionnelle voudrait dire mettre effectivement en place
les institutions créées par la Constitution, leur donner les moyens de leur fonctionnement, les
renouveler à temps en vue de leur permettre de fonctionner sans être saccadées par les
soubresauts politiques.

L’actualité politique en Haïti ces derniers mois regorge bien d’exemples relatant ce
phénomène récurrent de la vie politique en Haïti. En effet, selon la Constitution en vigueur en
Haïti(78), des élections présidentielles devraient avoir lieu le dernier dimanche du mois de
novembre 2010 en vue du remplacement du Président de la République René Préval le 07
février 2011.

Lesdites élections ont été effectivement tenues à cette date, mais elles ont abouti
dans le chaos. Avant la mi-journée, les bulletins de vote des citoyens jonchaient le pavé et
pouvaient être ramassés à la pelle. Cela a introduit une nouvelle crise politique qui dure
jusqu’à aujourd’hui, car après quatre (4) mois de prestation de serment, le nouveau Président
de la République, Michel Joseph MARTELLY, n’arrive toujours pas à faire accepter un
Premier Ministre par le Parlement en vue de doter le pays d’un Gouvernement.

Ces genres de situations sont loin d’être des exceptions dans la pratique politique
haïtienne. L’instabilité politique manifestée par des cas de coup d’Etat, d’insurrection
populaire, l’incapacité ou le manque de volonté de renouveler les assemblées du Parlement ou
de réaliser toutes autres élections selon le cycle électoral fixé par la Constitution, l’incapacité
de doter le pays d’un Gouvernement débouchant sur des crises et vides institutionnels paraît
devenir la règle dans le cadre de la pratique du régime institué par la Constitution de 1987.(79)

Selon Marie Josée CLAVET, dans un article publié dans « Perspective Monde » de
l’université Sherbrooke : « Le 07 février 2006, les Haïtiens se présentaient massivement aux
urnes, tôt le matin, pour élire un nouveau président ainsi qu’un nouveau Parlement (1). Mais
la date du 7 février marquait aussi une autre journée importante dans l’histoire de l’île
d’Haïti; celle de l’exil de l’ex- Président Jean-Claude Duvalier, le 7 février 1986. Ce départ
mettait fin à 28 ans de dictature imposée par la famille Duvalier et laissait place à vingt
années d’instabilité politique. »(80)

A la chute du Président à vie de la République d’Haïti, Jean-Claude DUVALIER, le
07 février 1986 suite à une insurrection populaire, le Conseil National de Gouvernement
(CNG) a pris le relai du pouvoir et s’est vu attribué, entre autres, la mission essentielle de
mettre tout en oeuvre de manière à s’assurer qu’une nouvelle Constitution soit adoptée par
voie de référendum en vue d’une nouvelle réglementation de la vie politique et organiser
rapidement des élections en vue du renouvellement du personnel politique.

Finalement, la nouvelle Constitution n’a été soumise à référendum pour être adoptée
que le 29 mars 1987(81) et elle a été tardivement publiée le mardi 28 avril 1987 par le CNG,(82)
soit un peu plus d’un an après la chute du régime antérieur. Toutefois, l’instabilité politique
empêche au pays de fonctionner dans le normalité institutionnelle. Le nouveau système
politico-administratif qui devrait s’implanter par la mise en oeuvre de la nouvelle Constitution
n’a pas pu atteindre son stade de maturité et les réformes administratives préconisées à
l’article 295 des dispositions transitoires de la Constitution de 1987 n’ont pas pu aboutir :

« Dans les six mois à partir de l’entrée en fonction du Premier Président élu sous
l’empire de la Constitution de 1987, le pouvoir Exécutif est autorisé à procéder à toutes
réformes jugées nécessaires dans l’Administration publique en général et dans la
Magistrature ».

Sous l’égide de la Constitution de 1987, la première tentative d’organisation
d’élections générales a eu lieu le 29 novembre 1987. Ces élections n’ont pas abouti.(83) De
nouvelles élections ont été organisées le 17 janvier 1988 et ont permis l’accession au pouvoir
du professeur Leslie François Saint Roc MANIGAT. Ces élections ont accusé un faible taux
de participation de la population et ont été, pour le moins, largement contestées par une bonne
partie de la classe politique.(84)

En dépit des contestations enregistrées portant sur l’organisation et l’issue desdites
élections, ces dernières ont eu le mérite de donner au pays le Premier Président élu sous
l’empire de la nouvelle Constitution. Donc, c’est ce Pouvoir Exécutif ayant à sa tête le
Président de la République Leslie Manigat qui devrait procéder, selon les dispositions
constitutionnelles transitoires, aux premières réformes jugées nécessaires dans
l’Administration publique dont la modernisation de la Fonction publique. Néanmoins,
l’instabilité politique allait tout gâcher. Le Président de la République, Leslie F. MANIGAT,
et la 44ème Législature n’ont pas tenu six mois, car emportés par un coup d’Etat du Général
Henri NAMPHY en juin 1988.(85)

En septembre de la même année, le pays a connu un nouveau coup d’Etat. Il s’agit en
réalité d’un coup d’Etat dans le coup d’Etat, dirigé cette fois-ci par le Général Prosper
AVRIL.(86) Parallèlement, de juin 1988 à janvier 1991, le pays a fonctionné sans le Parlement.

Comment alors amorcer, voire réussir un processus de modernisation de la Fonction publique
dans le contexte de crises et vides institutionnels et de coups d’Etat en cascade ?
Dans le cadre du processus de réforme de l’Administration et de la Fonction publique,
un Ministère de l’Administration et de la Fonction publique (MAFP) a été créé en 1989.(87)

Un décret du 10 mai de la même année portait organisation dudit Ministère situé au coeur des
structures de gestion de la Fonction publique pour l’époque considérée.

Ledit ministère « formule la politique du Gouvernement en matière d’administration
générale et de développement des ressources humaines de la Fonction publique. Il veille à la
stricte observance des lois et à l’application de toutes les décisions du Gouvernement
relatives à l’Administration et à la Fonction publique. Il conçoit et exécute en accord avec les
services publics des programmes de perfectionnement des personnels. Il est également chargé
de veiller à l’application du Statut général de la Fonction publique ».(88)

Plus loin, le professeur Enex JEAN-CHARLES a aussi fait remarquer : « Cependant,
sans abrogation formelle du décret du 10 février 1989, la quasi-totalité des services du MAFP
ne fonctionne pas en réalité. Depuis plusieurs années, aucun ministre ou autre responsable
chargé de la gestion de l’ensemble de la Fonction publique n’a été nommé. »(89)

En réalité, il existe aujourd’hui une structure de gestion de l’ensemble de la Fonction
publique en Haïti, c’est l’OMRH. C’est que la toute dernière édition du livre du professeur E.
JEAN-CHARLES remonte à 2002, or il a fallu attendre l’année 2007 pour la création de
l’OMRH, une structure non gérée par un quelconque Ministère de l’Administration et de la
Fonction publique, mais plutôt casée à la Primature et placée sous l’autorité immédiate du
Premier Ministre.

Donc, il va sans dire que le Ministère de l’Administration et de la Fonction publique
est une structure, entre autres, de gestion de la Fonction publique créée en pleine crise
politique dans le cadre du processus de réforme de l’Administration et de la Fonction
publique. Aussi, cette structure n’a-t-elle pas eu le temps de produire ses effets en raison de
crises politiques postérieures. C’est le cas de dire que l’instabilité politique vient presque
toujours, par intermittence, entrecouper les tentatives de mise en oeuvre du processus de
modernisation de la Fonction publique.

En outre, le 16 décembre 1990, de nouvelles élections générales ont été organisées
dans le pays. Elles ont permis l’accession au pouvoir du Président de la République Jean-
Bertrand ARISTIDE et l’avènement de la 45ème Législature.(90) Le nouveau Président élu a
entré en fonction le 07 février 1991, soit la date de sa prestation de serment. En application de
l’article 295 sus-évoqué de la Constitution du 29 mars 1987, le Parlement, sous l’initiative du
Pouvoir Exécutif, a voté la loi du 07 mars 1991 autorisant le Pouvoir Exécutif à procéder à
toutes réformes jugées nécessaires dans l’Administration publique en général et dans la
Magistrature.

En revanche, les mesures adoptées sous l’empire de ladite loi n’ont pas eu le temps de
produire leurs effets et ne peuvent donc pas être évaluées, car le 30 septembre 1991, soit une
période de sept (7) mois après l’investiture du Président ARISTIDE, un coup d’Etat militaire
l’a contraint de prendre le chemin de l’exil. La 45ème Législature est restée en place, mais on
l’aura compris, cette dernière est restée pendant longtemps inopérante. Selon le professeur E.
JEAN-CHARLES : « Les nouveaux dirigeants issus du coup d’Etat ont remis en question
toutes les mesures prises dans le cadre de la loi du 07 mars 1991 ».(91)

En 1997, la question de la réforme administrative refait surface dans l’agenda politique
avec la création de la Commission nationale à Réforme administrative (CNRA). L’une de ses
attributions fut de réaliser un diagnostic complet de l’Administration et de la Fonction
publique et d’en faire des propositions de réforme. La loi du 09 avril 1997 portant sur le
départ volontaire et la mise en retraite anticipée a chargé la CNRA d’une mission de
coordination de la mise en oeuvre du processus de réforme de la Fonction publique.

En 2001, les travaux de la CNRA ont été discontinués. Son mandat a pris fin
définitivement le 31 mars 2002. En effet, le 07 février 2001, il y a eu passation de pouvoir
entre le Président de la République René PREVAL et le nouveau Président réélu Jean
Bertrand ARISITDE. Est-ce encore le déficit du sens de la continuité de l’Etat qui se pose ?

En dépit de la cessation du fonctionnement de la CNRA, les propositions de cette
dernière ont été à nouveau revues et soumises au Gouvernement en 2003, sous la pression du
PNUD dans le cadre du projet Modernisation de l’Etat et Décentralisation.

En revanche, le 29 février 2004, une crise politique née des élections contestées du 21
mai et du 26 novembre 2000 a finalement emporté la 47ème Législature et le Président Jean
Bertrand ARISITDE et ce dernier a pris le chemin de l’exil.

De mars 2004 à avril 2006, le pays a de nouveau fonctionné sans le Parlement.

Le Président de la Cour de Cassation, Me Boniface ALEXANDRE, a passé plus de 90 jours à
occuper provisoirement la fonction présidentielle.(92) De son côté, le Premier Ministre Gérard
LATORTUE a fonctionné sans le Parlement pour contrôler l’action de son Gouvernement.(93)

Toutefois, s’appuyant sur les travaux déjà réalisés par la CNRA, le gouvernement de
transition a adopté un ensemble de décrets dont celui du 17 mai 2005 portant révision du
Statut général de la Fonction publique donnant ainsi un nouveau cadre légal à la réforme.

Paradoxalement, les acteurs internationaux de la réforme de l’Administration et de la
Fonction publique en Haïti, se montraient aussi timides pour appuyer la mise en oeuvre
effective des multiples décrets adoptés par le gouvernement de transition, sachant que ce
dernier ne jouissait pas de la légitimité démocratique, car n’étant pas issu des élections.

Donc, il a fallu le retour au pouvoir, par la voie des urnes, du Président de la République René
PREVAL en 2006 pour une appréciation des mesures adoptées.

En 2007, dans le cadre de l’aménagement du nouveau cadre institutionnel de la
réforme le gouvernement PREVAL – ALEXIS a créé et mis en place d’un côté, le Conseil
Supérieur de l’Administration et de la Fonction publique (CSAFP), responsable du pilotage
stratégique de la modernisation du service public et de la Fonction publique ; d’un autre côté,
l’Office de Management et des Ressources Humaines (OMRH), chargé du pilotage
opérationnel des activités de la réforme.

En somme, c’est le cas dire que l’instabilité politique, phénomène récurrent de la vie
politique en Haïti, constitue une contrainte de taille de l’optimisation effective de la Fonction
publique à laquelle l’Etat haïtien fait face, car elle constitue une entrave au processus de
modernisation de la Fonction publique. Néanmoins, le phénomène de la corruption dans la
Fonction publique n’en est pas moins compromettant.

78 Cf : Constitution haïtienne du 29 mars 1986, articles 134-1 : « La durée du mandat présidentiel est de cinq (5)
ans. Cette période commence et se termine le 07 février suivant la date des élections » et 134-2 :
« Les élections présidentielles ont lieu le dernier dimanche de novembre de la cinquième année du mandat présidentiel ».
79 En témoignent le livre de Claude Moïse intitulé : « Une Constitution dans la tourmente » et celui de Pierre
Raymond Dumas intitulé : « La transition qui n’en finit pas ».
80 « Vingt ans d’instabilité politique : Haïti et la fin du régime DUVALIER », publié le 12 février 2006 sur le site
web de Perspective Monde de l’Université Sherbrooke. La page est consultée le 29 août 2011.
Cf : http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=127
81 Le Nouvelliste du lundi 30 mars 1987, no 32 965, page 1. Plus de 99% de OUI au référendum sur la
Constitution.
82. L’article 298 de la Constitution dispose que la nouvelle Constitution devrait être publiée dans la quinzaine de
sa ratification par voie référendaire.
83 Cf : Le Nouvelliste du lundi 30 novembre 1987, no 33 142 (29 novembre : dimanche d’horreur et de terreur).
Ce, en dépit du fait que le Général REGALA a promis que l’armée aura garanti l’ordre au cours des opérations
électorales (Le Nouvelliste du vendredi 27 novembre 1987, no 33 141). Le CNG dissoud le Conseil Electoral
Provisoire (CEP). Cf : Le Moniteur du dimanche 29 novembre 1987, no 97.
84 Cf : Le Nouvelliste du lundi 18 janvier 1988, no 33 175 (faible taux de participation aux élections du 17 janvier.
85 Cf : Le Nouvelliste du mardi 21 juin 1988, no 33 289 : « Dans la nuit de dimanche, l’Armée renverse le
Président Leslie Manigat et constitue un Gouvernement militaire ». Le Moniteur du lundi 20 juin 1988, no
54 : « Proclamation du Lieutenant-Général Henri NAMPHY, Président du Gouvernement militaire et décret
portant dissolution du Sénat et de la Chambre ».
86 Cf : Le Nouvelliste du mardi 20 septembre 1988, no 33 352 : « Proclamation du Gouvernement militaire,
Lieutenant-Général Prosper AVRIL, Président ».
87 Décret du 10 février 1989 portant création du Ministère de l’Administration et de la Fonction publique.
88 E. JEAN-CHARLES, Manuel de droit administratif haïtien, op. cit., page 288.
89 Idem, page 289.
90 Cf : Le Nouvelliste du vendredi 14 au dimanche 16 décembre 1990, no 33 959.
91 Ibidem, page 292.
92 Selon la Constitution de 1987, article 149 : « En cas de vacance de la Présidence de la République pour
quelque cause que ce soit, le Président de la Cour de Cassation de la République ou, à son défaut, le viceprésident
de cette Cour ou à défaut de celui-ci, le Juge le plus ancien et ainsi de suite par ordre d’ancienneté, est
investi provisoirement de la fonction de Président de la République par l’Assemblée Nationale dûment
convoquée par le Premier Ministre. Le scrutin pour l’élection du nouveau Président pour un mandat de cinq ans
a lieu 45 jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus après l’ouverture de la vacance, conformément à la
Constitution et à la loi électorale.
Me ALEXANDRE a passé un peu plus de deux ans au pouvoir, suite à un accord politique, celui du 04 avril
2004, entre les acteurs de la société civile, des partis politiques de la classe politique haïtienne et des partenaires
de la Communauté internationale, particulièrement la France, le Canada et les Etats-Unis.
93 Article 156 de la Constitution du 29 mars 1987 : «Le Gouvernement conduit la politique de la Nation. Il est
responsable devant le Parlement dans les conditions prévues par la Constitution. »

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