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§ 1. Le cadre légal et institutionnel de la réforme : Entre tâtonnements et mutations

Le processus de réforme de la Fonction publique en Haïti ne date pas seulement
d’aujourd’hui. Il est certes mené, entre autres, au rythme des crises sociopolitiques et
institutionnelles qui jalonnent l’histoire du pays, mais force est quand même de constater que
de différentes initiatives dans ce sens peuvent être observées sous presque tous les
gouvernements qui se sont succédé depuis au moins la décennie 80. Quand un gouvernement,
de jure ou de facto, ne prend pas directement des mesures concrètes en vue de la réforme, on
relève au moins dans le discours politique qu’il tient la nécessité de cette réforme.

La Commission administrative de 1981, qui avait déjà existé depuis plusieurs années,
selon le professeur Enex JEAN-CHARLES(47), a été réorganisée par le décret du 08 avril 1981.

Ce fut un organe consultatif du Pouvoir Exécutif en matière de réforme administrative et sa
fonction fondamentale a été, entre autres, de préparer des programmes de réforme portant sur
la réorganisation, l’adaptation de l’Administration publique et l’organisation de la Fonction
publique.

Les productions de cette commission chargée de préparer la réforme au début des
années 80’s ont surtout permis un avancement significatif, entre autres, au niveau de
l’adaptation et de la précision du cadre légal de l’organisation et du fonctionnement de
l’Administration publique et de la Fonction publique. Pour ainsi dire, c’est suite aux travaux
de ladite commission qu’ont été adoptées la loi du 06 septembre 1982 définissant
l’Administration publique nationale, la loi du 19 septembre 1982 établissant le statut général
des agents de la Fonction publique et le décret du 04 novembre 1983 portant organisation et
fonctionnement de la Cour supérieure des Comptes et du Contentieux administratif
(CSC/CA)(48).

Sauf leurs dispositions contraires à la Constitution du 29 mars 1987 qui leur est
postérieure et supérieure dans la hiérarchie des normes juridiques, ces instruments juridiques
demeuraient jusqu’à tout récemment encore en vigueur et servaient évidemment de guides à
l’Administration publique et à la Fonction publique.

Néanmoins, mise à part cette avancée significative au niveau du corpus juridique à
proprement parler, nous n’avons pas pu déceler des actions concrètes d’opérationnalisation en
vue du déclenchement d’une réforme effective de la Fonction publique.

Par ailleurs, le 07 février 1986, suite à une insurrection populaire, le Président à vie
Jean-Claude DUVALIER a dû laisser le pouvoir et prendre le chemin de l’exil. C’est le début
du processus de démocratisation de la société haïtienne et de la vie politique en Haïti.

C’est aussi l’âge d’or de l’apologie des réformes de toutes sortes au sein de la communauté
politique. L’image de l’Etat est complètement dégradée, les citoyens Haïtiens, par différents
modes d’expression populaires et différentes formes de l’action collective, montrent
clairement leur enthousiasme à vouloir participer dans la vie politique de leur pays.

Ils réclament, entre autres, transparence et efficacité dans la gestion de la chose publique.

D’où l’importance de légitimer ou peut-être relégitimer l’Etat en vue de la
gouvernabilité du pays. Or, dans ce sens, l’Administration publique c’est l’un des points de
rencontre privilégiés entre l’Etat et les citoyens. Par voie de conséquence, la Fonction
publique regorgeait de figures de personnalités qui, aux yeux de la population dans cette
période d’euphorie collective, symbolisaient le statu quo ante. Ainsi, le peuple, dans sa
majorité, réclamait aussi dans cette période, à qui veut l’entendre, la chasse aux « sorcières »
au niveau de la Fonction publique.

Les différentes revendications les plus sensées de la population haïtienne ont été prises
en compte déjà au niveau de la Constitution de 1987. Par contre, il a fallu attendre
l’avènement de la 45ème Législature et l’arrivée au pouvoir du Président Jean-Bertrand
ARISTIDE pour l’adoption d’une loi, celle du 07 mars 1991, autorisant le Pouvoir Exécutif à
prendre toutes les mesures nécessaires en vue de la réforme effective de l’Administration
publique en général, ce en application d’une disposition transitoire de la nouvelle Constitution
de 1987 retrouvée à l’article 295 et dont le libellé est le suivant : « Dans les six mois à partir
de l’entrée en fonction du premier Président élu sous l’empire de la Constitution de 1987, le
Pouvoir Exécutif est autorisé à procéder à toutes les réformes jugées nécessaires dans
l’Administration publique en général et dans la Magistrature. »

Six mois après l’adoption de ladite loi d’application, le pouvoir en place a été renversé
par un putsch militaire. Il a fallu encore attendre le retour au pouvoir du Président de la
République déchu, Jean-Bertrand ARISTIDE pour la relance de la réforme au niveau de
l’Administration publique en général et la Fonction publique en particulier. Ainsi, dans les
années 1994-1995 a-t-on pu assister à la mise en oeuvre de politiques de réduction du nombre
des Fonctionnaires de l’Etat. Le décret du 28 mars 1995 assouplissant les conditions
d’éligibilité à la pension civile de retraite vient, sinon accélérer, du moins mieux encadrer
juridiquement cette démarche.

En effet, selon le professeur Enex JEAN-CHARLES, pendant la décennie précédant
1995, « la plupart des réformes entreprises dans la Fonction publique ont visé essentiellement
à réduire le nombre de Fonctionnaires(49) ». Pour notre part, nous pouvons ajouter que cette
tendance se confirme même au-delà des années 95’s. Nous en voulons pour preuve au moins
la loi du 09 avril 1997 portant sur le départ volontaire et la mise en retraite anticipée, le décret
du 21 avril 1998 portant sur le même objet tous deux adoptés en vue de la réforme de la
Fonction publique. C’est que pendant toute cette période dite de « retour à l’ordre
constitutionnel » et celle qui l’a suivi, la vision de la réforme de la Fonction publique se
matérialisait fondamentalement en des programmes d’encouragement au départ volontaire et à
la retraite anticipée en vue de réduire la taille de Fonction publique.

Par ailleurs, en décembre 1996, sous le Gouvernement du Premier Ministre Rosny
SMARTH, le Président de la République d’Haïti, René PREVAL, a créé par arrêté
présidentiel la Commission nationale à la réforme administrative (CNRA) dont l’une des
missions essentielles « est la réalisation d’un diagnostic complet de l’Administration et de la
Fonction publique et d’en faire des propositions de réforme.(50) »

En 2001, le changement de gouvernement a provoqué une discontinuité des travaux de
ladite commission. Néanmoins une cellule de travail a été créée au sein de la Primature, le
Bureau du Premier Ministre en Haïti, en vue d’assurer la consolidation des acquis et
sauvegarder les études et propositions faites par la CNRA. Selon le Bureau du PNUD en
Haïti, « les tentatives de mise en oeuvre des propositions ont toutes échouées (51)». Ainsi, durant
l’année 2003, les études et propositions de la CNRA ont été revues et soumises à nouveau au
Pouvoir Exécutif via le projet « Modernisation de l’Etat et Décentralisation » avec l’aide du
PNUD.

Vu les évènements de turbulence politiques de l’époque, cette démarche n’a pas eu le
temps de produire ses effets. Donc, suite à la chute du Président de la République Jean-
Bertrand ARISTIDE, le Gouvernement de transition, ayant à sa tête le Premier Ministre
Gérard LATORTUE de concert avec le Président provisoire de la République, en l’occurrence
Me Boniface ALEXANDRE, tablant sur les travaux de la CNRA, a adopté un ensemble de
décrets donnant ainsi un nouveau cadre légal à la réforme administrative dont le décret du 17
mai 2005 portant organisation de l’Administration centrale de l’Etat et celui adopté à la même
date portant révision du Statut général de la Fonction publique. Ce dernier offre un nouveau
cadre statutaire à tous les Fonctionnaires de l’Etat et reflète, entre autres, la politique de l’Etat
en ce qui concerne la gestion des agents publics permanents de l’Etat en application de la
Constitution de 1987 qui institue une Fonction publique sur le modèle de la carrière.

Après le retour à la normalité constitutionnelle qui coïncidait avec l’élection d’un
Président de la République élu, René PREVAL, et l’avènement d’une nouvelle Législature au
Parlement, la 48ème, la question de la réforme de la Fonction publique revenait encore dans
l’agenda institutionnel. En fait, selon le gouvernement d’alors ayant à sa tête le Premier
Ministre Jacques Edouard ALEXIS, la réforme de l’Etat, donc nécessairement celle de la
Fonction publique, a été au centre des priorités gouvernementales depuis les engagements pris
devant la Communauté internationale lors de la Conférence internationale pour le
développement économique et social et d’Haïti (CIDESH I) tenue à Port-au-Prince le 25
juillet 2006 et la Conférence de suivi de Madrid (CIDESH II) tenue en novembre de la même
année.

En réalité, deux institutions clés ont été créées en février 2007 en vue de cette réforme
de l’Administration et de la Fonction publique. Il s’agit d’une part, du Conseil supérieur de
l’Administration et de la Fonction publique (CSAFP), responsable du pilotage stratégique de
la modernisation du service public et de la Fonction publique et d’autre part, l’Office de
Management et des Ressources humaines (OMRH), chargé du pilotage opérationnel des
activités de la réforme.

Selon le Bureau du PNUD en Haïti : « La création de l’OMRH marque la fin des
travaux directement effectués par le PNUD pour soumission à la Primature comme ce fut le
cas depuis 2003 ».(52) Par voie de conséquence, Le document intitulé : « Assistance
préparatoire à la Réforme administrative et à la Décentralisation », préparé par le Bureau du
PNUD en Haïti, contient le plan d’action du PNUD pour l’année 2007-2008. Il fait suite « aux
différentes actions du PNUD dans ce domaine depuis 1995 et vient, entre autres, en appui aux
activités de l’OMRH, créé pour la mise en oeuvre de la réforme ».(53) En grosso modo, son
objectif est de soutenir les différentes initiatives du Gouvernement en la matière, notamment
le renforcement des capacités de l’OMRH à conduire la réforme.

A l’heure actuelle, le document de référence de la réforme administrative en Haïti
demeure le « Programme-cadre de réforme de l’Etat 2007-2012 – Modernisation
administrative et décentralisation(54) » dont l’un des six (6) volets est réservé à la réforme de la
Fonction publique. L’Etat haïtien reconnait à la page 27 du document que « la modernisation
des structures administratives ne se conçoit pas sans celles de la Fonction publique,
puisque la ressource humaine se situe au coeur même des processus de changements
organisationnels. Autant dire qu’il n’y-aura pas d’Administration publique célère, efficace,
performante, sans une Fonction publique de qualité. »

Or, à la page 15 du document en question le Gouvernement haïtien d’alors a aussi fait
le constat d’une « Fonction publique extrêmement fragilisée et faiblement tournée vers la
modernité ». Le problème le plus criant identifié c’est la gestion des ressources humaines, ce
qui s’explique par des faiblesses au niveau du modèle de management en vigueur. D’où un
obstacle majeur à une possible Administration publique performante.

Tenant compte de tout ce qui précède, nous pouvons alors affirmer que le cadre légal
et institutionnel du processus de réforme de la Fonction publique en Haïti est tributaire non
pas nécessairement des aléas politiques liés à l’alternance politique, ce qui serait à la limite
d’une certaine normalité dans un système démocratique à pluralisme idéologique et
fonctionnant à plein régime ; mais plutôt des crises politiques et institutionnelles à répétition
provoquées et/ou expliquées par l’instabilité politique qui caractérise la vie politique en Haïti
depuis, pour la période contemporaine, le départ en exil du Président de la République à vie
Jean-Claude DUVALIER et l’entrée du pays dans la voie de la démocratisation.

Cette influence « négative » des aléas politiques sur le processus de réforme de la
Fonction publique engagé depuis fort longtemps déjà en Haïti fait que l’on soit aujourd’hui
encore au stade de tâtonnement en termes d’une vision ou d’une philosophie claire et
commune de cette réforme.

Ajouter à cela, nous pouvons aussi déceler un problème de lisibilité de l’action
publique dans le domaine de la réforme de la Fonction publique. Cette carence de lisibilité est
liée, entre autres, au fait que l’Etat haïtien ainsi que les partenaires internationaux intervenant
dans ce processus de réforme en Haïti procèdent toujours par package. D’où, en dépit de la
reconnaissance, par l’Etat haïtien comme il a été indiqué plus haut, de l’importance de la
réforme de la Fonction publique comme une condition sine qua non d’une Administration
publique performante, les travaux, actions concrètes et études y afférent s’apparentent à des
actes de saupoudrage tant le processus est noyé dans le processus de la réforme globale du
secteur public en Haïti.

47 JEAN-CHARLES, Enex. Manuel de droit administratif haïtien, page 290.
48 Aux termes, respectivement, des articles 200, 200-1 et 200-2 de la Constitution haïtienne de 1987, la
CSC/CA :
« …est une juridiction financière, administrative, indépendante et autonome. Elle est chargée du contrôle
administratif et juridictionnel des recettes et des dépenses de l’Etat, de la vérification de la comptabilité des
entreprises d’Etat ainsi que de celles des collectivités territoriales ».
« … connait des litiges mettant en cause l’Etat et les collectivités territoriales, l’Administration et les
fonctionnaires publics, les services publics et les administrés ».
« Ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours, sauf le pourvoi en cassation ».
Donc, il va sans dire que c’est une institution qui allait être consacrée par la Constitution de 1987.
49 Manuel de droit administratif haïtien, op. cit., page 292.
50 Assistance préparatoire à la réforme administrative et à la décentralisation 2007-2008, document préparé par
le Bureau du PNUD en Haïti, signé en date du 16 juillet 2007 par Anne-Marie CLUCKERS, Directeur du
Bureau.
51 Op. cit. page 5
52 Op. cit., page 8.
53 Ibidem, page 2.
54 Ce document a été élaboré et publié par le Gouvernement haïtien ayant à sa tête le Premier Ministre Jacques
Edouard ALEXIS avec l’appui technique et financier du PNUD à travers le projet d’assistance préparatoire à la
réforme administrative et à la décentralisation (APRAD). Toutefois, suite au séisme du 12 janvier 2010 en Haïti,
le Gouvernement haïtien opte pour la relance dudit programme, mais après adaptation. Cette position du
Gouvernement haïtien d’alors est tirée dans le document préparé par l’Etat haïtien, intitulé : « Plan d’action pour
le relèvement et le développement d’Haïti – Les grands chantiers pour l’avenir », à la page 43, présenté à la
Communauté internationale en mars 2010, soit deux mois après le séisme.

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