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§1. La justification imparfaite du cantonnement de la fratrie

124. Fratries germaines, consanguines et utérines sont parfaitement assimilées par le droit. En revanche, en l’absence de filiation commune, les rapports entre quasi-frères sont ignorés. Si l’assimilation des demi-frères aux frères germains semble justifiée (A), la mise à l’écart des fratries de fait n’est pas toujours pertinente (B).

A/ La convergence des fratries germaine, consanguines et utérine

125. Assimilation des fratries – Il n’a jamais été contesté que les enfants issus d’un seul auteur commun reçoivent la qualité de frères. Toutefois, les droits des demi-frères ont longtemps été moindres que ceux des frères germains. Notamment, le privilège du double lien affectait la vocation successorale des frères utérins et consanguins (cf. supra n° 50) et le principe de non séparation avait d’abord été jugé inapplicable au groupe des demi-frères pour des considérations d’ordre pratique (190).

126. Cette différence de traitement entre frères germains et demi-frères semble aujourd’hui dépassée.

Il est généralement admis que les empêchements à mariage s’appliquent indifféremment selon que les collatéraux sont issus d’un ou deux auteurs communs (191). En outre, la jurisprudence a rapidement étendu l’application de l’article 371-5 du Code civil aux demi-frères (192), sous réserve de la possibilité matérielle de réunir la fratrie sous un même toit – ce qui vaut également pour les frères germains (193). De même, la dévolution d’un même nom aux frères et sœurs se heurte aux mêmes obstacles de fait, qu’ils aient un ou deux parents communs. Enfin, la réforme du 3 décembre 2001 accorde des droits successoraux égaux aux frères, quel que soit le nombre de leurs auteurs communs (cf. supra n° 51).

Ces quelques exemples démontrent l’assimilation parfaite des frères germains aux frères utérins et consanguins. L’existence d’un parent commun suffit à unir les enfants et oriente naturellement leur union vers leur origine commune, passée. Elle satisfait alors aux critères d’identification de la fratrie ; dès lors, peu importe que la fratrie s’articule autour d’un ou deux auteurs.

127. Limites de l’assimilation – Cependant, si l’assimilation des fratries germaines, utérines ou consanguines se conçoit aisément lorsque les enfants sont élevés sous un même toit, il est moins certain que l’existence d’un unique auteur commun suffise à expliquer l’application du régime de la fratrie (194). Il est en effet douteux que l’éclatement de la fratrie doive être encouragé et organisé par le droit ou qu’une solidarité spontanée puisse naître entre des demi-frères qui n’ont jamais vécu ensemble (195). La fratrie est alors réduite au partage d’une filiation biologique, à laquelle le droit ne fait pas toujours produire d’effet (cf. supra, n° 111).

Or, les frères qui n’ont, du fait de la séparation de leurs parents, jamais vécu ensemble, ne partagent pas de passé commun intrinsèque à la fratrie. Leur union ne pourrait résulter que de la volonté de se regrouper, d’organiser un avenir commun ; il ne s’agirait alors pas seulement de déterminer la qualité des liens fraternels, mais de les nouer. Les rapports ainsi envisagés seraient donc voulus et tournés vers l’avenir, ce qui caractérise bien plus un couple qu’une fratrie.

128. Aménagements des fratries de droit – Il semble donc discutable d’assimiler totalement les demi-frères aux frères germains, lorsqu’ils n’ont jamais cohabité. Toutefois, le principe d’égalité – universelle – ferait obstacle à un traitement différencié à l’égard des demi-frères en raison du défaut de cohabitation : il serait inconcevable de limiter la vocation des demi-frères à la succession de l’unique auteur commun, droit attaché à la filiation et non à la fraternité.

129. En revanche, les fonctions spécifiquement attachées à la fratrie peuvent être aménagées de telle sorte qu’elles ne concernent que certains frères. Le droit offre là aux demi-frères les moyens suffisants d’avantager ceux avec lesquels ils entretiennent des liens de faits corroborant leur lien de filiation commun, notamment grâce à l’absence de réserve en ligne collatérale. Si la qualification de frère pourrait être discutable, elle n’entraîne aucune difficulté sérieuse s’agissant de ses effets. Face à la diversité des fratries de sang, une fois l’égalité instituée par la loi, la volonté semble le meilleur moyen de faire correspondre les droits des frères à la réalité des liens vécus, comme le postule la Loi du 3 décembre 2001 (cf. supra n° 51).

130. A l’inverse, de réelles complications surviennent lorsque ces facultés demeurent fermées à des personnes juridiquement tierces vivant comme frères.

B/ L’indifférence du droit à l’égard des quasi-fratries

131. Diversité des quasi-fratries – Le droit n’appréhende qu’imparfaitement les quasi-fratries, ce que justifient la pluralité et l’hétérogénéité des hypothèses envisageables et l’impossibilité de procéder à une complète « typologie des fraternités » (196). Etrangement, les quasi-fratries les moins litigieuses sont les mieux organisées. Ainsi, l’article 356 du Code civil régit la fratrie biologique séparée par une adoption plénière tandis que la Loi du 11 juillet 1975 a mis fin à tout empêchement à mariage entre alliés en ligne collatérale, repoussant hors de la sphère juridique la fratrie « par alliance ».

En revanche, le droit ignore totalement la situation des enfants unis par le couple de leurs parents ou par le placement dans une famille d’accueil. Il n’existe entre eux aucun empêchement à mariage (C.civ., art. 161) ni, corrélativement, aucune vocation successorale (C.civ., art. 734). En outre, le principe d’interprétation stricte de la loi pénale (C.civ., art. 111-4) interdirait de leur étendre les immunités pénales qui profitent aux frères.

132. Indifférence critiquable à l’égard des quasi-fratries – Deux lectures peuvent alors être faites de cette différence de traitement (197).

Une première approche conduit à considérer qu’il n’y a pas de discrimination à traiter de manière différente des situations différentes. Objectivement, les quasi-frères ne peuvent être assimilés aux frères par le sang, et n’ont pas à recevoir la qualité de frères. L’ensemble serait, certes, un « groupe fraternel », mais pas une fratrie (198).

133. Une seconde lecture tient compte des finalités de la règle en cause. Dès lors que la norme considérée s’attache à la seule qualité de frères, rien ne justifie d’en refuser l’application aux quasi-frères sur le fondement d’une absence de lien de sang indifférente. Or, les enfants « élevés comme frères alors qu’ils ne le sont pas » (199) se trouvent, de fait, dans une situation similaire à celles des frères : leur union est subie et orientée vers un passé constitué du couple parental (200). Les liens affectifs nés de la vie commune impliquent également la mise en place de règles tendant à l’éclatement et la mise en concurrence des quasi-frères, et justifieraient la reconnaissance d’une solidarité fraternelle.

Les caractères et les fonctions de la fratrie se retrouvent donc manifestement dans ces rapports, à condition cependant que l’union des enfants soit intervenue à un âge suffisamment peu avancé, de telle sorte que leur construction individuelle ait intégré la place du quasi-frère (201).

134. Dans ce cas, la distinction entre quasi-frères et frères de sang apparaît discriminatoire, la parenté biologique n’étant pas déterminante. Si les quasi-frères concentrent l’ensemble des critères de définitions de la fratrie, par le caractère subi et tourné vers le passé de leur union, il semblerait donc pertinent de réfléchir à l’extension, à leur égard, du statut de frères.

190 Jacques MASSIP, « La loi du 30 décembre 1996 », art. cit.
191 CA Rouen, 23 févr. 1982, D. 1982, IR. p. 211, rappr. Req. 28 nov. 1877, DP. 1878, I. 1209
192 CA Paris, 7 mai 2003, Dr. Fam., 2003, comm. 144, A. GOUTTENOIRE, RTD Civ., 2003, p. 494, obs. J. HAUSER ; Civ. 1re, 19 nov. 2009, D. 2010, p. 1904, chron. A. GOUTTENOIRE, P. BONFILS
193 Dorothée BOURGAULT-COUDEVYLLE, « Les relations de l’enfant avec d’autres personnes que ses père et mère », Droit et Patr., 2000, p. 85
194 En 1999, si 39,2 % des enfants séparés d’un parent avaient des demi-frères, seuls 21,9 % vivaient effectivement avec eux. De plus, 20 % des adolescents (13-17 ans) ignoraient la situation de leur second parent, et donc ne pouvaient connaître leurs éventuels demi-frères. La proportion diminue avec l’augmentation de l’âge des enfants lors de la séparation des parents ; Catherine VILLENEUVE-GOKALP, « La double famille des enfants de parents séparés », Populations, 1999, n° 1, p. 9
195 Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, « Famille éclatées, familles reconstituées », D. 1992, p. 133 ; rappr. CA Rouen, ch. fam., 14 mai 2009, RG n° 08/01878, JurisData : 2009-003198
196 Véronique TARDY, « Les fraternités intrafamiliales et le droit », art. cit.
197 Marie-Thérèse MEULDERS-KLEIN, Irène THERY, Quels repère pour les familles recomposées ? (dir.), Droit et société (LGDJ), n° 10, 1995, p. 26
198 Nathalie CHAPON-CROUZET, « L’expression des liens fraternels au sein des familles d’accueil », art. cit.
199 Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, « Famille éclatées, familles reconstituées », art. cit.
200 Aude POITTEVIN, « Les liens dans les fratries recomposées. Regard sociologique sur les relations entre enfants au sein de familles recomposées », Dossiers d’études. Allocations Familiales, n° 47, 2003, spéc. p. 18
201 Marcel RUFO, Christine SCHILTE, Frères et sœurs, une maladie d’amour, op. cit.,, p. 27

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