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1. Genèse d’une problématique

Comme le soulignent Stéphane Beaud et Florence Weber, « les « données » d’enquête ne
sont pas analysables en dehors de leur contexte de production »(1). C’est pourquoi nous tenterons dans
un premier temps de saisir, de façon chronologique, la démarche intellectuelle qui a sous-tendu les
orientations successives de notre sujet de mémoire. Ce choix est d’autant plus justifié que nous
avons suivi un cheminement d’enquête inductif qui ne peut être mis à jour dans ses grandes étapes
qu’a posteriori. Bien qu’un certain cadre réflexif ait joué le rôle de fil conducteur, le recueil des
matériaux de terrain s’est fait selon les opportunités qui se sont présentées à nous. Enquêter c’est
« saisir des occasions », « saisir des chances »(2), sans pour autant que cela s’opère de façon
anarchique. Ce mode opératoire se justifie surtout par le fait que nous avons eu la « chance » de
trouver un terrain d’enquête ouvert, chaleureux et sensible à l’approche sociologique, sur lequel nous
n’avons rencontré aucun obstacle et avons pu facilement échanger avec les enquêtés en vis-à-vis.

1.A. Naissance d’un intérêt pour la problématique des déchets ménagers

Notre intérêt pour la question des représentations et pratiques liées à la gestion des déchets
ménagers a été suscité par une offre de recherche sur ce thème, émise par une collectivité territoriale
au département de sociologie de la faculté de Dijon. Nous avons accueilli cette démarche avec
grand enthousiasme car nous estimions que ce rapprochement entre sociologues et acteurs
institutionnels autour de cette problématique était très judicieux. L’offre de la collectivité territoriale
consistait à dresser un état des lieux des pratiques en matière de prévention des déchets ménagers
via la passation et le traitement d’un questionnaire répertoriant les différentes pratiques qui
contribuent à aller dans ce sens.

Or, cette approche quantitativiste nous semblait, certes nécessaire, mais incomplète si elle ne
se doublait pas d’un volet qualitatif qui puisse mettre en relief les motivations de la population
étudiée dans l’adoption de comportements plus vertueux en matière de tri des déchets ménagers.
« En tant que démarches interlocutoires différentes, questionnaire et entretien produisent des
données différentes : l’opinion (ou l’attitude) produite par questionnaire est issue de la réaction à
« un objet qui est donné du dehors, achevé » (la question), alors que l’entretien fait produire un
discours. »(3).

Les collectivités en charge de la gestion des déchets ménagers s’inscrivent logiquement dans
une démarche opératoire visant à légitimer les actions menées(4). Ainsi, les discours et les pratiques
des ménages ne sont que trop rarement étudiés de façon approfondie, alors qu’une telle perspective
d’enquête pourrait permettre de révéler les leviers – ou les barrières – qui amènent certains individus
à s’investir – ou à se démobiliser – dans la gestion quotidienne de leurs déchets.

Du fait de l’inadéquation entre les attentes de la collectivité territoriale qui avait émis l’appel
d’offre et notre démarche d’enquête, ce projet de recherche a fini par avorter. Cet « échec », loin de
nous décourager, nous a plutôt incité à creuser cette problématique de façon plus autodidacte et à
nous documenter sur la question.

1.B. Apports bibliographiques

Nos premières lectures ont été guidées par une première question de départ : Comment la
gestion des déchets ménagers s’ancre dans des gestes et des représentations socialement
incorporées ?

D’une part, ces apports bibliographiques nous ont permis de conforter certaines de nos
intuitions et nous ont apporté une culture générale sur ce sujet. En effet, tant au niveau collectif
qu’au niveau individuel, le déchet est un marqueur identitaire qui s’ancre profondément dans une
dimension culturelle : « Dis-moi ce que tu jettes, je te dirai qui tu es ! »(5). Ainsi, les comportements
en matière de gestion domestique des déchets, s’apparentent à des réflexes, des habitudes, des actes
pré-réfléchis qui s’ancrent dans une certaine hexis corporelle(6). Les problèmes rencontrés aujourd’hui
au niveau de la problématique des déchets ménagers sont autant, voire davantage, d’ordre culturel
que d’ordre technique : alors qu’au niveau technique nous sommes capables de valoriser 80 % du
gisement de nos ordures ménagères(7), nous n’en recyclions que 31 %(8) en France en 2007. Ceci
signifie donc que les enjeux récents autour de cette problématique se posent d’abord en termes
d’adoption de nouveaux comportements sociaux et concernent ensuite le domaine des innovations
techniques.

D’autre part, l’historique de la gestion des déchets ménagers nous a prouvé qu’il s’agit d’un
problème qui s’est développé en concomitance avec les avancées technologiques et industrielles
avant d’être définitivement mis en exergue par l’avènement de la société de consommation. Depuis
l’abandon de l’objet déchet par nos sociétés occidentales, la technique s’est faite à la fois mal et
remède : alors que son développement crée davantage de résidus toujours plus difficiles à traiter
(comme les déchets électroniques), elle est aussi censée pouvoir prendre en charge ces résidus. Or,
comme nous l’avons vu, elle s’est contentée de contenir l’invasion des déchets depuis le milieu du
XXe siècle sans jamais trouver des solutions qui puissent être la panacée en permettant une
réutilisation quasi-constante des matières déchues. A ce titre, la redevance incitative, qui constitue
une piste de solution sollicitée par de nombreux techniciens et qui a déjà fait ses preuves en milieu
rural, mérite de faire l’objet d’une analyse sociologique afin de comprendre quels effets ce nouveau
système de tarification de la gestion des déchets peut avoir sur le comportement des ménages.

1.C. Choix du terrain d’étude

Ces grandes orientations fixées pour mon mémoire, il ne nous restait plus qu’à trouver un
terrain d’enquête sur lequel nous pouvions éprouver nos questionnements. Apprenant, que la
Communauté d’Agglomération du Grand Besançon (CAGB) allait mettre en place la redevance
incitative avec pesée embarquée sur son territoire à partir du 1er janvier 2012 (opération pilote au
niveau national), nous avons bondi sur l’occasion d’étudier cette expérience novatrice en milieu
urbain, d’autant que nous disposions de nombreuses entrées sur ce terrain : un proche était en
service civique au sein l’association TRI qui gère une ressourcerie à Quingey (20 km au Sud-Ouest
de Besançon), nous disposions des contacts de l’association Trivial Compost (Besançon) et nous
connaissions personnellement le directeur de la communication de la CAGB.

1 BEAUD Stéphane, WEBER Florence, Guide de l’enquête de terrain, Paris : La Découverte, avril 2010, p. 17.
2 Ibid., p. 107.
3 BLANCHET Alain, GOTMAN Anne, L’enquête et ses méthodes : l’entretien, Paris : Armand Colin, 2012, p. 36.
4 Pour s’en convaincre, notons que la quasi-totalité des investigations en sciences sociales que l’ADEME a financé
portent sur l’acceptabilité sociale des installations de traitement des déchets. Panorama de 10 années de recherches
sur la concertation en France, ADEME, Angers, 2011, 45 p.
5 BAUDRILLARD Jean, op. cit., p. 48.
6 BOURDIEU Pierre, Le sens pratique, Paris : Les Éditions de Minuit, 1980, p. 117.
7 L’exemple de la communauté de communes de la Porte d’Alsace le prouve. DIETMANN Dany, Déchets ménagers.
Le jardin des impostures, Paris : L’Harmattan, juin 2005, 160 p.
8 Si nous excluons l’incinération avec récupération d’énergie qui, même si elle produit de la chaleur ou de l’électricité,
entraîne une destruction de matière première et s’oppose, de ce fait, au recyclage et au compostage. CHALMIN
Philippe, GAILLOCHET Catherine, op. cit., p. 127.

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