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V Discussion

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Identification des individus

Ne disposant pas du matériel nécessaire à une identification grâce aux tissus et n’étant pas un expert herpétologiste, il subsistera toujours un doute quant à l’identification des espèces recensées lors de cet inventaire. Cependant l’analyse selon la répartition géographique proposée dans le guide de terrain de référence (Glaw & Vence, 2007), les différents indices visuels présentés dans la partie identification de la méthodologie (cf. II) et l’association du chant à ces indices permettent de penser que les erreurs d’identification, bien que possibles, ont été marginales.

Comparaison des résultats avec la littérature : quelles espèces de grenouille à Vohibola?

L’étude réalisée ici a permis de mettre en évidence la présence de 15 espèces de grenouilles. Un inventaire réalisé en 2005 (Randrianirina & al., 2005) fait quant à lui état de la présence de 19 espèces d’amphibiens à Vohibola. Deux autres études, menées en 2007 (Deschamps, 2007) et en 2010 (Gehring & al, 2010), recensent quant à elle respectivement 10 et 11 espèces dans la réserve.

Le Tableau 6 illustre la diversité spécifique rapportée par chacune de ces études. Il apparaît clairement de nombreuses dissimilarités dans les résultats de ces différents inventaires, par exemple l’espèce Platypelis tetra (en danger d’extinction selon l’IUCN) n’a été rapportée que lors de l’inventaire de 2005.

Si l’on prend en compte toutes les espèces recencées lors de chaque inventaire, la diversité totale des amphibiens de Vohibola s’élèverait à 27 espèces.

Cependant, comme le soulignent Gehring et son équipe (Gehring & al, 2010), il existe sans doute quelques erreurs d’identification lors des inventaires précédents, notamment pour les espèces : Boophis idae, Boophis mandraka, Guibemantis tornieri, Platypelis grandis et Platypelis tetra. En effet, en s’intéressant à la répartition théorique de ces espèces (Glaw & Vence, 2007 et site internet AmphibiaWeb), il semble peu probable de pouvoir les retrouver dans la réserve de Vohibola.

Une des erreurs d’identification possibles concerne l’espèce Guibemantis tornieri. Lors du présent inventaire, cette grenouille n’a pas été recensée mais une espèce qui lui ressemble beaucoup du point de vue morphologique a en revanche été observée. Il s’agit de Guibemantis timidus dont la répartition géographique semble beaucoup plus en adéquation avec une localisation à Vohibola (Glaw & Vence, 2007 et site internet AmphibiaWeb). Il est donc probable qu’il y ait eu confusion entre les 2 espèces au cours des inventaires de 2005 et 2007.

Tableau 6 : Ensemble des espèces recensées à Vohibola entre 2005 et 2011

Ensemble des espèces recensées à Vohibola entre 2005 et 2011

* En plus des 10 espèces du tableau Gehring identifie une sous-espèce de Gephyromantis boulengeri qui n’est pas notée ici car, faute de moyens, le niveau d’analyse de cette étude ne peut aller jusqu’à la sous-espèce et s’arrête donc à l’espèce.

Etant donné que les espèces identifiées en 2010, l’ont été à partir d’analyses ADN, on part du principe qu’il existe une base de 10 espèces (et une sous-espèce) dans la réserve expérimentale de Vohibola. Si on ajoute à cela les autres espèces recensées, en retranchant à la fois les espèces mises en avant par Gehring (Gehring & al., 2010) comme étant susceptibles d’être des erreurs d’identification et les espèces qui n’ont été recensées que dans une seule étude, on obtient une richesse spécifique potentielle de 14 espèces (plus une sous-espèce).

On remarque également (cf. Tableau 6) que les espèces Guibemantis liber et Guibemantis pulcher n’ont été identifiées que lors de l’étude de 2010 (Gehring & al., 2010). Ceci peut s’expliquer par le fait que la distinction de ces espèces avec Guibemantis bicalcaratus est assez difficile (taille, morphologie, couleurs et habitat similaires) et pose un problème d’identification qu’une analyse ADN permet de résoudre aisément.

Dans tous les cas, si les moyens le permettent, il serait intéressant, lors des futures études sur les amphibiens de Vohibola, de prélever des tissus sur les grenouilles afin de permettre l’identification sûre et définitive des espèces présentes, car à ce jour la biodiversité réelle des amphibiens de Vohibola n’est toujours pas totalement connue.

Peut-être les analyses de tissus seraient-elles possibles grâce à un partenariat entre MATE et le département biologie de l’université d’Antananarivo avec laquelle plusieurs chercheurs ont déjà collaborés (Gehring & al, 2010 ; Crottini & al, 2011).

Période d’inventaire

Le présent inventaire a été réalisé entre février et avril 2011, ce qui ne correspond pas tout à fait à la période la plus favorable pour l’observation des amphibiens. Celle-ci se situant plutôt entre décembre et mars qui correspond à la saison chaude et pluvieuse dont les amphibiens profitent pour se reproduire. De ce fait, on peut penser que certaines espèces n’ont pas été rencontrées lors de l’inventaire car celles-ci avaient déjà accompli leur cycle de reproduction.

Cette hypothèse de décalage temporel du cycle entre les espèces semble se confirmer lorsque l’on analyse l’évolution du nombre d’individus de quelques espèces au cours du temps (cf. graphique 6).

On peut observer que certaines espèces voient augmenter leur effectif observé comme Mantidactylus betsileanus, que d’autres n’ont plus été observées après février (ex : Gephyromantis eiselti) et qu’à l’inverse d’autres n’ont été recensées qu’à partir du mois d’avril (ex : Boophis madagascariensis).

On ne peut donc pas exclure la possibilité que d’autres espèces que celles rencontrées au cours de cette étude, aient pu déjà effectuer leur période de reproduction avant le début de l’inventaire et puissent donc être présentes sur le site de Vohibola.

Graphique 6 : Evolution du nombre d’observations de 3 espèces au cours du temps

Evolution du nombre d'observations de 3 espèces au cours du temps

L’idéal pour le suivi des amphibiens de la réserve serait alors de commencer les futurs inventaires plus tôt, c’est-à-dire en décembre, car la période de reproduction qui correspond au pic d’activité des grenouilles malgaches est constituée par la saison des pluies qui s’étale de décembre à mars (Glaw & Vences, 2007). Toutefois, il paraît important de poursuivre les inventaires au cours du mois d’avril, tout du moins pour ce qui concerne la réserve de Vohibola, certaines espèces n’ayant pu être observées qu’à partir du mois d’avril (cf. Graphique 6).

En conclusion, la période d’inventaire la plus propice pour la réalisation d’un suivi amphibien efficace à Vohibola devrait se situer entre début décembre et fin avril.

Les sites de suivi

L’analyse et la comparaison des résultats en termes de diversité des sites a permis de mettre en évidence la richesse et donc l’intérêt des sites n° 3, 4 et 7 pour le suivi amphibien que souhaite mettre en place MATE dans la réserve de Vohibola.

En plus de ces 3 sites, on a également pu voir qu’il existait d’autres sites intéressants de par la biodiversité particulière qu’on y retrouve, il s’agit des zones d’embarcadères (et en particulier la mare) du village et de la réserve (cf. Carte 4). Certaines espèces observées ont en effet été retrouvées uniquement sur ces sites (cf. Tableau 3). De plus, l’inventaire réalisé en 2005 dans la réserve (Randrianirina & al., 2005) avait déjà mis en exergue cette zone, notamment en raison de la présence de l’espèce Boophis tephraeomystax qui, tout comme dans notre étude, n’avait été observée que sur ce site à l’époque. Toutefois, il existe une divergence assez importante en termes de composition spécifique recensée dans cette zone entre la présente étude et l’inventaire de 2005. Un examen plus approfondi de ce site serait donc particulièrement intéressant.

Par ailleurs, même si ils ne constituent pas des hotspots de biodiversité, il serait intéressant de poursuivre le suivi dans les savanes et zones dégradées afin d’étudier la recolonisation du milieu par les amphibiens et peut-être corréler cette recolonisation (si recolonisation il y a) à l’évolution du milieu. Ainsi, il serait possible de suivre en parallèle l’évolution du milieu et de la biodiversité.

Enfin, le site 15 mérite aussi une attention particulière car beaucoup d’espèces différentes (14 au total)(3) y ont été recensées lors de l’inventaire biologique de 2005 (Randrianirina & al., 2005), et même si il y a probablement eu des erreurs d’identification (voir ci-dessus), il serait intéressant d’identifier les espèces présentes. D’autant plus que les espèces citées dans ce rapport ne ressemblent pas morphologiquement aux espèces recensées au cours du présent inventaire. Ces dernières, qui avaient d’ailleurs également été recensées en 2005, ont peu de chances d’avoir été confondues avec tant d’autres espèces. De ce fait, il est plausible que le site 15 (et la forêt qui l’entoure) recèle une biodiversité amphibienne plus importante que celle mise en évidence dans la présente étude.

Ce résultat peut-être dû à la période tardive d’inventaire, ce site n’ayant pas été trouvé lors de la première session d’inventaire en février.

En conclusion, 6 sites seront retenus pour le suivi amphibien (cf. Carte 4). Il est bien sûr possible et même souhaitable de rajouter des sites intéressants à cette liste, la réserve n’ayant pas pu être explorée dans sa totalité.

Carte 4 : Sites sélectionnés pour le suivi amphibien de la réserve

Sites sélectionnés pour le suivi amphibien de la réserve

Impact de la collecte : quelle gestion pour le niaouli?

Le niaouli est une plante invasive introduite lors de la construction du canal des Pangalanes et qui aujourd’hui couvre une part importante (environ 300 ha) de la réserve.

Cependant, bien que cette plante soit invasive, les zones marécageuses composées par les niaoulis constituent aujourd’hui un milieu à part entière, présent depuis près de cent ans (ce qui représente de nombreuses générations d’amphibiens). On peut alors s’interroger quant à la gestion à appliquer à ce milieu : il faut à la fois éviter l’extension du niaouli à l’intérieur de la réserve car il entraînerait une uniformisation des zones humides, et à la fois tenter de préserver un bon état des forêts de niaouli qui, comme on a pu le voir, constitue un habitat pour de nombreuses espèces de grenouilles.

Bien que les résultats ne puissent être significatifs en raison d’un échantillon faible (2 sites seulement ayant été échantillonnés), on peut tout de même penser que ces résultats illustrent une tendance (à confirmer par d’autres études) et que la surexploitation pour la production d’huile essentielle représente un danger de dégradation du milieu avec un impact potentiel fort sur la faune.

En effet, au niveau des zones de collecte, seules 3 espèces de grenouille peuvent être observées contre 6 espèces en zone non exploitée.

De plus, à titre indicatif, dans la partie privée de la réserve (zone non exploitée), il n’est pas rare d’observer de nombreux lémuriens (Eulemur fulvus) dans la forêt de niaouli, or on a du mal à imaginer ces lémuriens sur une parcelle de ce même milieu, mais où la taille des arbres ne dépasse pas 2,5 m (contre plus de 4m pour les individus non exploités) et dont les feuilles ont quasiment toutes été prélevées.

Afin de déterminer de manière plus précise l’impact de la collecte sur les zones humides à niaouli, une étude serait particulièrement intéressante à réaliser. Il serait par exemple possible d’échantillonner les sites de collecte et plusieurs zones intactes afin de comparer la diversité spécifique et le nombre d’individus que l’on retrouve sur ces sites (pour plus d’information, l’étude pourrait également être menée sur le reste de la faune retrouvée dans ce milieu).

En ce qui concerne la gestion au niveau des zones de collecte, MATE a mis en place des “bonnes pratiques de collecte” censées permettre la régénération de ces zones et donc une exploitation durable du milieu. Mais si l’interdiction de coupe des troncs est respectée, la recommandation de prélever uniquement les feuilles afin d’éviter l’arrachage des branches quant à elle, n’est pas toujours suivie d’effets.

En réalité, il est difficile, pour les populations concernées, d’appliquer ces “bonnes pratiques”. Tout d’abord, car il n’existe pas de contrôle lors des phases de collecte et ensuite car le prix du kilo de feuilles ne le permet pas. Une étude, demandée par MATE, sur les impacts socio-économiques de la production des huiles essentielles à Vohibola (Chlémaire, 2011), estime qu’au tarif auquel sont payés les collecteurs/collectrices (36 Ar(4)/kg), il leur est impossible de répondre à cette pratique étant donné la chute de revenus que cela occasionnerait. En effet, les branches sont arrachées afin de défolier plus rapidement car les collecteurs/collectrices ne disposent pas d’escabeau pour un effeuillage en hauteur. La défoliation sans arrachage des branches entraineraît alors une augmentation du temps nécessaire à la collecte d’un kilo de feuilles et donc une diminution des revenus.

De plus, il ne faut pas oublier que ce projet est réalisé dans le cadre du commerce équitable, or, si les bonnes pratiques sont respectées et que cela induit une diminution des revenus pour les travailleurs locaux, le projet risque de ne plus répondre aux normes du commerce équitable (Chlémaire, 2011). En effet, MATE est tenue de payer ses travailleurs au salaire minimum légal (environ 90 000 Ar / mois) et se base sur les paramètres suivants pour la rémunération :

– Un mois correspond à 25 jours de travail
– Les collecteurs ramassent 100 kg/jour

De ce fait, pour que les revenus s’alignent sur le salaire minimum malgache, le prix du kilo de feuilles est fixé à 36 Ar (36×100 = 3600 x 25 = 90 000). Or, si les collecteurs cueillent moins de 100 kg/jour (ce qui serait le cas si la collecte se faisait sans arrachage des branches) ils ne pourront plus toucher l’équivalent du salaire minimum mensuel. Cependant une augmentation du rendement en huile essentielle est possible si seules les feuilles sont collectées, ce qui permettrait à la fois une augmentation du prix au kilo et le respect des bonnes pratiques (Chlémaire, 2011).

Il serait donc important de veiller au respect des bonnes pratiques pour une gestion durable du niaouli mais ceci ne peut se faire au détriment des revenus des villageois. Il faudrait alors trouver un système de rémunération plus approprié à cette activité.

Isolation de la réserve de Vohibola

La réserve expérimentale de Vohibola représente l’un des derniers fragments de forêt littorale humide de l’est de Madagascar, sa préservation est donc primordiale d’un point de vue environnemental. Des projets de protection sont justement mis en oeuvre. MATE entend ainsi intégrer la réserve de Vohibola au Réseau des Aires Protégées de Madagascar et inclure sa zone humide dans la convention Ramsar afin de renforcer son statut de protection, la réserve ne bénéficiant pour l’instant que d’un statut de réserve expérimentale.

Mais le fait que ce type d’écosystème soit si rare implique une isolation par rapport au reste des écosystèmes semblables et en bon état de conservation. La forêt de Tampolo constitue la forêt littorale humide plus proche et se situe à plus de 150 km au nord du site de Vohibola.

Cette forêt forme un habitat similaire à celle de Vohibola, et on y recense un richesse en amphibiens comparable (16 espèces) mais avec quelques différences lorsque l’on s’intéresse aux espèces retrouvées : 9 espèces sont communes aux deux sites (Randrianirina & al., 2005). Ceci signifie alors peut-être, qu’en cas de connexion de ces deux fragments d’un même écosystème, une biodiversité d’amphibien encore plus importante pourrait être retrouvée à Vohibola mais aussi à Tampolo.

Cependant établir une connexion écologique entre ces deux fragments sur une distance supérieure à 150 km paraît difficile, d’autant que la politique environnementale malgache s’axe principalement sur la création d’aires protégées pour répondre aux recommandations de l’IUCN. Pour l’instant il vaut donc mieux se concentrer sur la bonne gestion de ces zones avant de penser à la création de corridors écologiques.

Conclusion : recommandations

Pour parvenir à assurer un suivi fiable, le guide du village employé de MATE, Nabé, a été formé à la méthode d’inventaire et à l’identification précise des espèces d’amphibiens. Un porte-vue réalisé spécialement pour le suivi des amphibiens de Vohibola lui a été remis sur le terrain, et un autre exemplaire a été remis au bureau de MATE à Antananarivo. Ce document contient :

– des fiches d’aide à l’identification des espèces (clé de détermination) classées par type de milieu;
– la liste des espèces retrouvées et de celles que l’on peut potentiellement retrouver;
– une fiche d’inventaire reprenant les paramètres à noter et une fiche contenant les indices à recueillir pour une identification ultérieure d’un individu non capturé;
– Un CD contenant les chants des amphibiens présents et potentiellement présents accompagné d’une liste de référence associant une espèce à un numéro de piste sur le CD.

Ces documents forment une première base de travail, mais avec un peu de matériel supplémentaire il serait facile de rendre le suivi beaucoup plus efficace. En effet, sur le terrain il n’y a pas d’appareil photo en état de marche et à la disposition du guide. De ce fait, l’identification devra obligatoirement se faire sur place ce qui réduit la précision des données, étant donné que les individus observés ne sont pas toujours capturés. De plus, l’achat d’un dictaphone pour le suivi s’avérerait particulièrement pertinent pour permettre d’enregistrer les chants dont on a démontré l’intérêt pour réaliser une étude.

Mais, en plus du matériel nécessaire, cette étude à également permis de mettre en avant des éléments de réflexion dont la prise en compte pourrait permettre un suivi des amphibiens d’autant plus fiable.

Le Tableau 7 présente l’ensemble des mesures préconisées pour un suivi efficace sur le long terme des amphibiens de Vohibola.

Tableau 7 : Préconisations pour le suivi amphibien à Vohibola

Préconisations pour le suivi amphibien à Vohibola

Valorisation et développement durable

MATE tente au travers de son intervention de concilier développement économique et social et protection de l’environnement, ce qui correspond à la notion de développement durable.

MATE soutient en effet que les populations doivent pouvoir tirer profit de leurs ressources naturelles locales mais de manière raisonnée afin de permettre la préservation du milieu dont elles tirent les ressources. Ceci apparaît alors comme une action totalement légitime car l’Homme, aussi bien que toute autre espèce, doit pouvoir tirer parti des ressources de son environnement immédiat.

Toutefois, plusieurs problématiques, sur lesquelles une réflexion est initiée ici, peuvent alors émerger :

Tout d’abord, comme nous avons pu le voir plus haut, il existe un risque de surexploitation du milieu pour le niaouli. Il est donc primordial de mettre en place à la fois un système de surveillance permettant une exploitation réellement raisonnée de cette ressource et un système de rémunération des collecteurs plus approprié au respect des bonnes pratiques de collectes. De plus, la mise en place d’un suivi scientifique comme conseillé suite aux résultats de cette étude sur les amphibiens, serait un outil pertinent à la gestion du niaouli.

De plus, le projet huile essentielle, qui est le programme phare de MATE, s’inscrit dans le cadre du commerce international. En effet, on comprend facilement que les huiles essentielles et les produits cosmétiques dérivés de ces huiles ne constituent pas les besoins premiers d’une population dont environ 70%(5) de la population vivaient encore sous le seuil de pauvreté national en 2005.

Quel problème y a-t-il au commerce international de marchandises si cela permet l’amélioration de la qualité de vie de la population? Dans le fond aucun, car l’objectif semble tout à fait louable. Il est juste surprenant d’observer qu’un organisme qui se pose en protecteur de l’environnement à une échelle locale, oublie ainsi l’impact de son activité, en termes de bilan carbone notamment, sur le reste de l’environnement à l’échelle internationale. Ne résout-on pas un problème localement en l’aggravant à l’échelle globale?

Ceci, en particulier lorsque de nombreuses études scientifiques démontrent la diminution significative de l’impact de l’Homme sur l’environnement dans le cas d’échanges à une échelle locale contre la logique de commerce international actuelle (IPCC, 2001).

Ensuite, le concept de valorisation sous-entend que la biodiversité est un bien qui nous appartient et qui doit nous être utile. En extrapolant : si la technologie permettait de subvenir à tous nos besoins aurait-on pour autant le droit de détruire l’environnement?

De plus, il est probable que les villageois qui travaillent dans les projets de MATE ne voient dans l’environnement qu’une source de revenu. Ils n’auraient donc théoriquement aucun problème à faire une activité destructrice de l’environnement si cela leur rapportait un revenu plus élevé.

Cette politique est-elle réellement durable, c’est-à-dire viable sur le long terme? Ne risque-t-on pas en associant une valeur économique à certaines ressources naturelles, de créer un nouveau marché nécessairement soumis à la loi de l’offre et de la demande, qui peut, tout en conduisant à de réels progrès sociaux (développement d’écoles ou d’infrastructures sanitaires par exemple), provoquer une surexploitation de l’environnement que l’on cherche à protéger. Car que faire si les huiles essentielles bio et équitables deviennent les produits “à la mode”? Limitera-t-on alors la production afin de protéger l’environnement devant la pression du capital économique et des avancées sociales sous-jacentes que cela représente? Rien n’est moins sûr, surtout face à une population ayant tiré les bénéfices de cette activité et dont les besoins auront évolués.

En poursuivant cette logique, on peut également se demander : comment empêcher l’augmentation de la pression qu’exerce l’Homme sur l’environnement lorsque le développement économique est synonyme de croissance, donc d’augmentation de la production, du niveau de vie, de la taille des populations et nécessairement de la consommation qui les accompagne?

Ceci amène finalement, à un aspect essentiel qui n’est pas, du moins pas encore, totalement traité par MATE dans sa gestion de la réserve : la sensibilisation à l’environnement. C’est-à-dire, permettre une réflexion aux villageois et surtout pour les plus jeunes sur des questions comme : qu’est-ce que l’environnement? Pourquoi le protéger? Quelles sont les actions qui le dégrade? Nous appartient-il ou en faisons-nous partie au même titre que n’importe quelle espèce? Avons-nous un droit sur le reste de la vie? Cet aspect éducatif semble primordial si l’on souhaite un changement de notre relation à la nature qui est peut-être l’enjeu majeur de la sauvegarde de l’environnement dans le futur.

Il existe actuellement au sein de l’ONG une “mission éducation”. Cependant celle-ci n’existe que depuis deux ans et s’intéresse principalement à la scolarisation des enfants et au matériel scolaire.

Ceci est bien sûr une base fondamentale, car il faut tout d’abord permettre aux enfants d’avoir accès à l’éducation. Mais il serait également possible d’envisager des projets d’éducation à l’environnement à moindre coût. En ce sens, la mise en place d’une ou plusieurs journées de “classe verte” dans la réserve pourrait répondre à cet objectif.

Tout le monde s’accordera sur le fait que, face aux priorités qu’impliquent la situation de pauvreté dans laquelle se trouve une grande partie de la population malgache (nourriture quotidienne, logement, chauffage…), la préservation de la biodiversité est inévatiblement et logiquement reléguée au second plan. Pour autant, il ne faut pas oublier l’importance de la composante éducative qui s’avère nécessaire, d’une part dans le cadre d’un changement des comportements vis à vis de l’environnement, et d’autre part dans la compréhension et l’acceptation des actions de l’ONG (fondamentale pour la conduite d’un projet à long terme dont le but est l’autonomisation des populations).

De plus, une exploitation durable de l’environnement est un gage de ressources sur le long terme. De ce fait, il est possible d’en montrer l’intêret stratégique aux populations locales.

Toutefois, MATE à travers son action de valorisation des ressources naturelles s’inscrit totalement dans le cadre de la Politique Nationale de l’Environnement et de la Stratégie Nationale de Gestion Durable de la Biodiversité mise en place par l’Etat malgache. On peut citer, à titre d’exemple, le Madagascar Action Plan (MAP) élaboré en 2006 et appliqué pour le quinquennat 2007-2012. Ce nouveau plan d’action met l’accent sur le développement rural et à cet égard, la valorisation des plantes aromatiques à travers l’exportation des HE fait partie des activités prioritaires identifiées par le MAP.

La stratégie de préservation de la biodiversité qui prédomine actuellement dans le monde, est la valorisation des ressources naturelles, censée allier création de revenus et protection de l’environnement. Peut-être faut-il effectivement que la biodiversité apporte un gain direct à l’Homme avant qu’il ne puisse penser à préserver l’environnement pour ce qu’il est, mais peut-être aussi que cette vision inculque l’idée, que la nature, si elle ne présente pas d’intérêt, devient inutile et donc quelque chose qu’il n’est pas nécessaire de conserver.

3 En 2005, l’inventaire s’est déroulé sur un site qui recouvrait à la fois forêt dense et marécage. Ici, seul le marécage a été exploré.
4 L’ariary (Ar) est la monnaie malgache : 1€ équivaut à environ 2 800 Ar (en 2011)
5 source : http://donnees.banquemondiale.org/pays/madagascar

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