A l’heure ou la globalisation a plus que jamais installé une compétition entre les territoires pour l’attraction des entreprises, la construction des avantages territoriaux compétitifs devient plus qu’une réelle nécessité. « Comme la mer qui essuie, de façon parfois saccadée mais souvent rythmée, les coups de pagaie des concurrents d’une course de pirogues, Douala est désormais au pied du mur. Face à son destin. Plus que par le passé d’ailleurs, celui-ci paraît largement dépendre d’un double choix, urgent et incontournable : Devenir une vraie “afrocité” et accéder au rang des “cités globales” : auquel cas la ville de Douala opterait urgemment pour l’adoption d’une démarche stratégique de développement, en vue de reconstruire son attractivité et sa compétitivité territoriale »(39). Dans cette perspective, les responsabilités de la planification et de l’aménagement du territoire « Doualais » nous paraissent s’amplifier considérablement et, catapultent plus que par le passé, de nouveaux défis pour les acteurs de la ville de Douala. Nous pouvons néanmoins à cet égard suggérer des pistes de solutions sérieuses pouvant permettre à la ville de Douala de renforcer durablement son attractivité. Les articulations pourraient notamment porter sur l’accroissement de l’offre en infrastructures et l’amélioration de la gouvernance locale.
II.1- Accroître l’offre en infrastructures locales
Dans une perspective de renforcement de l’attractivité de la ville de Douala, l’on doit « savoir passer de la gestion du quotidien (logique du présent) à celle consistant en la mise en place des actions structurantes (dynamique de moyen et long termes) » (Essombe Edimo, 2007).
En effet, si les stratégies des entreprises et leurs modalités d’organisation internes commandent désormais leur comportement en matière de localisation, la présence des infrastructures(40) sur le territoire ne continuent pas moins à valoir leur pesant d’or pour l’attraction de ces derniers.
L’existence d’un lien entre infrastructures et attractivité territoriale n’est plus à démontrer(41). Car les entreprises sont attirés dans les espaces présentant les meilleures équipements publics et qui offrent par la même la possibilité de profits accrus. Il importe d’ailleurs d’illustrer dans cette étude quelques canaux de transmission possibles des effets des infrastructures sur l’attractivité territoriale.
II.1.1- Effets directs des infrastructures sur la productivité des entreprises
L’effet de productivité sur les entreprises est le canal le plus couramment évoqué pour montrer l’incidence positive des infrastructures sur l’attractivité territoriale. Les externalités spatiales engendrées par les infrastructures sont de nature à stimuler l’activité des entreprises implantées sur le territoire et les économies de localisation des firmes. En effet, une augmentation du stock d’infrastrures publiques aurait tendance à augmenter la productivité des facteurs de production des entreprises, permettant par ailleurs la réduction de leurs coûts de production ou l’augmentation de leurs volumes de production.
II.1.2- Effets de complémentarité des infrastructures sur le capital des entreprises
La relation de complémentarité entre le stock d’infrastructures et le capital privé peut être établie à travers l’incidence des infrastructures sur le taux de rentabilité anticipé de l’investissement privé (ainsi que l’on montrer plusieurs études de Aschauer 1989a ; 1989b ; 1989c). En effet, une augmentation de la productivité du capital grâce à une meilleure offre infrastructurelle, pourra être perçue par les investisseurs comme le signal d’un taux de rentabilité (anticipé) élevé de l’investissement. Le taux de rentabilité anticipé élevé étant par ailleurs un paramètre majeur dans la décision d’investissement, cela induirait une augmentation de l’investissement du secteur privé et stimulerait ainsi l’attractivité du territoire. Par exemple, toutes choses restant égales par ailleurs, le taux de rentabilité anticipé d’une entreprise industrielle sera probablement plus élevé dans un territoire si ce dernier a déjà suffisamment investi dans les infrastructures de transports, de télécommunications, la production et la distribution de l’énergie électrique, etc.
C’est à travers son impact positif sur la productivité des entreprises qu’une amélioration de l’offre infrastructurelle permet d’accroître l’investissement privé selon le principe de l’accélérateur (TOUNA Mama, 2008). Par ailleurs, la Banque mondiale(42) dans son rapport sur le développement dans le monde consacré aux infrastructures, a fait de la construction des infrastructures un défi majeur pour l’économie du développement.
II.1.3- quelques techniques adéquates de financement des projets d’infrastructures
Si dans le cadre des politiques d’aménagement du territoire, le financement des infrastructures s’avère un véritable « casse-tête » pour les autorités locales, quelques techniques et voies idoines de financement des projets d’infrastructures pourraient être emprunté, à savoir :
– La création et l’utilisation d’une partie des taxes spécifiques locales au profit du financement des projets d’infrastructures ;
– Le financement des projets d’infrastructures par le marché financier domestique, par les crédits concessionnels ou par les accords de dons ;
– Par ailleurs l’une des techniques éprouvées de financement des projets d’infrastructures consiste pour les autorités locales à rentrer dans un partenariat public-privé(43). Cette technique permet de faire réaliser par une société privée des projets d’infrastructures ou d’équipements publics qui auraient été réalisés et gérés par le secteur public. La société privée bénéficie alors d’une concession du secteur public pour financer, réaliser et assurer l’exploitation du projet pendant une durée convenue pour la concession. Au-delà de cette période de concession, l’opérateur privé rétrocède les infrastructures au secteur public. Notons que cette technique peut être bénéfique dans le cadre de la construction des marchés, des logements, des hôpitaux, des établissements scolaires, de l’aménagement des espaces de loisirs…
Toutefois, nous pouvons affirmer avec Courlet (2008, op.cit) que pour construire l’attractivité durable des grandes villes à l’instar de Douala, les facteurs géographiques et infrastructurels bien qu’importants ne suffisent pas à eux seul pour relever le défis. Il conviendra également d’améliorer la gouvernance des villes.
II.2- Améliorer la gouvernance locale
Les acteurs de la ville de Douala dans leur ensemble doivent contribuer positivement au renforcement de l’attractivité de la ville. Dans cette perspective, leurs actions doivent résolument se situer dans la construction continue des « faisceaux d’encadrement favorable » dans l’optique d’améliorer de la gouvernance locale (Gourou, 1985). La démarche devrait consister à : stimuler des réseaux de coopération entre les acteurs de la ville, lutter contre la corruption et promouvoir des jardins d’entreprises.
II.2.1- lutter contre la corruption et réduire les tracasseries administratives
Les opérateurs économiques déplorent dans leur grande majorité l’environnement économique peu favorable au développement de leurs activités dans la ville de Douala au triple plan administratif, juridique et financier. C’est pourquoi la corruption doit être combattue avec vigueur à tous les niveaux. Il n’est de secret pour personne que ceux qui entament une démarche de création d’entreprise doivent parfois se préparer à affronter un chemin long et truffé d’embuches, du fait de la négligence et même du clientélisme de certains agents publics. Ceci est de nature à freiner l’élan des opérateurs économiques de tous bords désireux d’investir dans la ville. En 2008 par exemple, on estimait à 34 jours le temps nécessaire à un promoteur pour créer son entreprise au Cameroun alors que dans certains pays d’Afrique, le processus pouvait être bouclé en trois ou quatre jours seulement. Cette disparité seule suffit à réduire la compétitivité du pays par rapport à d’autres en ce qui concerne l’attrait qu’il exerce sur les investisseurs.
Notons également qu’avec la globalisation, les entreprises ne supportent plus l’accroissement de leurs coûts de transaction au travers des pratiques de corruption et des lenteurs administratives. De ce fait, il n’y a pas lieu de s’étonner qu’à la faveur de l’apparition d’une offre mondiale des sites d’implantation, les firmes se localisent dans les espaces où les tracasseries administratives sont moins nombreuses et où la capacité de réponse à leurs besoins est également plus rapide. Pour faire face à ces mauvaises pratiques qui sont de nature à dégrader l’image de la ville de Douala et de manière à réduire son attractivité vis-à-vis des entreprises, Les autorités publiques locales de la ville pourraient désormais intégrer les « outils ou la culture d’entreprise » dans la gestion quotidienne du territoire (le management par objectifs).
II.2.2- renforcer la gouvernance locale à travers la stimulation des réseaux de coopération à la fois territoriaux, nationaux et internationaux.
Il s’agit ici de promouvoir l’instauration d’un cadre participatif permanent entre le secteur public et le secteur privé pour une réflexion collective sur les objectifs et sur les moyens d’actions pour le développement de la ville de Douala. Cette politique devrait avoir vocation d’associer tous les acteurs locaux et partenaires internationaux et de créer une synergie entre les différentes actions. La démarche peut se traduire dans les faits par la mise en place d’un « contrat de ville ».
En effet, comme le suggère Essombe Edimo (2007, op.cit), « le développement naît du partenariat entre les acteurs locaux réunis autour d’un projet et où le territoire, plus qu’un cadre spatial muet est un support de relations sociales ». C’est dire que, le développement de la ville et surtout son « image » reposera désormais aussi sur la capacité de tous les acteurs locaux (conscients de leur appartenance à la même unité spatiale) à former un groupe cohérent et uni sur les objectifs communs. Il est certain que lorsque la ville véhicule une bonne image, les investisseurs n’hésitent pas à y localiser leurs entreprises.
II.2.3- Promouvoir des « jardins ou parcs d’entreprises »
Il s’agit ici d’un projet antérieurement proposé par Essombe Edimo (2005, op.cit) dont la mise en œuvre serait d’une grande importance pour la structuration du système productif local de la ville de Douala. En effet, selon l’auteur, il s’agit de favoriser le regroupement sectoriel (ou par métier) d’un ensemble d’entreprises au sein des aires de production bien ciblées et dans lesquelles elles devraient bénéficier en commun à la fois des économies d’agglomération, des effets de voisinage et de coordination de l’ensemble de la branche. Tout comme cette concentration spatiale des acteurs de la même filière dans une aire de production devrait permettre aux uns et aux autres de tirer un maximum de bénéfices de la localisation à proximité d’autres entreprises et de la présence d’un marché de travail. Ou encore de bénéficier à la fois des externalités de réseaux et informationnelles ainsi que des savoir-faire spécifiques.
La promotion des « parcs d’entreprises » rentre en droite ligne dans la dynamique de restructuration de l’espace urbain en vue de renforcer le foncier d’entreprises et surtout de reconstruire l’attractivité de la ville de Douala. En même temps qu’elle permet en effet d’avoir une maitrise des extensions périurbaines de la ville.
Par ailleurs, à travers l’abondante littérature sur le développement local, l’on peut retenir que de tous temps, les collectivités territoriales décentralisées ont eu à recourir à des interventions directes auprès des entreprises(44) afin que celles-ci s’installent ou pérennisent leurs activités sur leur territoire. A cet égard, il s’agira ainsi pour l’exécutif communautaire de la ville de Douala de :
– Financer sous diverses formes une partie des immobilisations des entreprises. Ce qui reviendrait à baisser leur besoin en fonds de roulement. Cette politique peut bien être adaptée pour la promotion des PME qui ont difficilement accès au système bancaire.
– Construire et aménager des zones d’activité à bas loyer.
– Mettre à la disposition, soit à faible coût, soit gratuite des bâtiments adaptés aux entrepreneurs, ou encore à la mise en place d’exonérations fiscales et autres garanties d’emprunts des entreprises (Datar, 1995, op.cit).
En somme, si la stabilité économique, la présence des ressources humaines qualifiées, la stabilité politique, ainsi que l’Etat de droit sont des prérequis indispensables pour mener à bien la bataille de l’attractivité du territoire, les recommandations ci-dessus énoncées font également partie des conditions nécessaires pouvant permettre d’inciter les entreprises à se localiser dans la ville de Douala. Parallèlement, les politiques publiques doivent également s’orienter vers une formation massive et l’éducation civique des populations, la lutte contre l’insécurité urbaine et la création des institutions d’appui au secteur privé.
Encadré 1 : les facteurs clés de succès de la « Sillicon Valley »
Source : Madiès.T & Prager. J-C, (2008)
CONCLUSION DU QUATRIEME CHAPITRE
Dans le présent chapitre, nous avons effectué une régression économétrique dans l’objectif de déceler les variables influençant l’attractivité des entreprises dans la ville de Douala. Nous avons à cet effet utilisé une batterie de neuf variables exogènes pour estimer notre fonction d’attractivité des entreprises dans cette ville sur la période allant de 1996 à 2009. Notons que cette étude économétrique a nécessité la mobilisation de certains tests économétriques visant à respecter la méthodologie en la matière et afin d’avoir des résultats valables. Ainsi, il ressort des résultats de nos estimations que seules quelques variables sont statistiquement significatives. Il s’agit des variables présence d’une agence de développement et autres structures de promotion des entreprises (PADEV) ; la croissance économique locale (TXPLB) qui traduit la bonne santé de l’économie locale ; et la stabilité politique (STAB).
A la suite de nos développements, nous avons également suggérer quelques perspectives envisageables pour le renforcement de l’attractivité de la ville de Douala. En effet, à l’heure ou la globalisation a plus que jamais installé une compétition entre les territoires pour l’attraction des entreprises, la construction des avantages territoriaux compétitifs devient plus qu’une réelle nécessité. Dans cette perspective, les responsabilités de la planification et de l’aménagement du territoire « Doualais » nous paraissent s’amplifier considérablement et, catapultent plus que par le passé, de nouveaux défis pour les acteurs de la ville de Douala en matière d’amélioration de l’environnement des entreprises. A cet effet, quelques articulations à mettre en œuvre concernent notamment l’accroissement de l’offre en infrastructures, l’amélioration de la gouvernance urbaine, la lutte contre la corruption, la promotion des « jardins ou parcs d’entreprises », la réduction des tracasseries administratives et la stimulation des synergies et des réseaux de coopération à la fois territoriaux, nationaux et internationaux.
39 ESSOMBE EDIMO J.R. (2007b) : spatialité et développement économique à Douala : entre le hasard et la nécessité, L’harmattan, Paris.
40 Il s’agit des infrastructures de transport, d’eau, d’éducation, d’énergie, de télécommunications, l’habitat, le sanitaire, de loisirs, etc.
41 Notons que l’absence ou même le mauvais état des infrastructures a des impacts sur les activités des entrepreneurs, et par ricochet sur l’attractivité du territoire.
42 World Bank (1994)
43 Cette technique de financement des projets d’infrastructures est connue sous l’expression anglo-saxonne « Build, Operate and Transfer (BOT)».
44 A travers une panoplie d’actions s’exprimant sous forme d’aides financières directes ou encore à la promotion de « l’immobilier d’entreprises ».