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Section 2–La décision du Conseil Constitutionnel de 2010 : vers une réparation intégrale

ADIAL

Le mécanisme forfaitaire offrant une indemnité que l’on pourrait qualifier de « réduite » par rapport à la valeur du préjudice effectivement subi est loin d’avoir satisfait tout le monde.

A notamment pu lui être reprochée la dérogation au principe de « réparation intégrale » dont disposent les victimes de droit commun de la responsabilité.

Partant pourtant d’une bonne démarche – assurer aux travailleurs une réparation en toutes circonstances –, la réparation limitée est apparue aux yeux de certains comme une mesure « discriminatoire » face aux victimes de droit commun.

Rappelons d’abord ce que prévoient les dispositions du CSS (I), afin de mieux comprendre la décision du Conseil Constitutionnel (II).

I. Les dispositions du Code de la Sécurité Sociale

Le titre IV du CSS relatif aux indemnités forfaitaires octroyées automatiquement au salarié constitue la « base » de ce régime spécifique. C’est une sorte de « droit commun » à ce droit spécial.

A la suite, le titre V prévoit les conséquences d’une éventuelle faute de l’assuré ou d’un tiers, et notamment de la faute inexcusable de l’employeur.

La reconnaissance d’une telle faute entrainera un droit pour la victime à une majoration des indemnités déjà allouées par le titre IV(60).

Indépendamment de cette majoration, la victime est également en droit de demander la réparation « du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelles »(61)

Ensuite, tout dépend de la manière dont on interprète cet article.

D’un premier abord, on comprendrait que la victime peut demander réparation des préjudices mentionnés et uniquement de ceux-ci. Tout autre préjudice subi qui ne serait ni cité par cet article, ni déjà indemnisé par la Sécurité Sociale, resterait non réparé.

La victime ne pourrait pas prétendre à une réparation intégrale même dans l’hypothèse extrême d’un grave manquement de l’employeur, cause exclusive du dommage subi.

Le salarié n’ayant aucune faculté d’opter pour l’un ou l’autre des régimes, il est contraint d’agir sur le fondement du système spécial et de se « contenter » de ces articles.

Ceci a soulevé des contestations et a lancé la polémique. Face à ces constats et réactions, une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) a été formulée, aboutissant à une décision constitutionnelle de 2010.

II. La décision du Conseil Constitutionnel

C’est à l’occasion d’un pourvoi formé devant la Cour de Cassation que cette QPC a été introduite. La cour a alors saisi le Conseil Constitutionnel le 10 mai 2010 afin qu’il se prononce sur l’interrogation émise.

Elle était relative au fait de savoir si les articles L451-1 et L452-1 à 5 du Code de la Sécurité Sociale(62) étaient conformes aux droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution française du 4 octobre 1958.

Le Conseil Constitutionnel s’est prononcé dans une décision du 18 juin 2010 : il déclare ces dispositions relatives à l’indemnisation des AT-MP en cas de FI de l’employeur constitutionnelles, à une réserve près.

Il admet la conformité du caractère forfaitaire de l’indemnisation des risques professionnels, mais n’est pas aussi catégorique concernant le caractère limitatif des préjudices indemnisables en cas de faute inexcusable.

Selon lui, un tel principe « porterait une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs ».

Il consacre dès lors le caractère non limitatif des postes de préjudices énoncés par l’article L452-3 CSS.

En cas de FI, la victime est donc fondée à demander, outre une majoration de l’indemnité versée par la Sécurité Sociale, une réparation de tout préjudice qu’elle aurait subi, même non mentionné par les dispositions du Code.

Ceci ouvre donc la voie vers un droit à réparation intégrale lorsque le dommage a été causé par une FI de l’employeur.

La réalité de ce caractère intégral dépendra bien entendu des circonstances entourant le dommage (préjudices effectivement subis, gravité de la faute commise…).

C’est également ouvrir la voie vers la reconnaissance de préjudices toujours plus divers. A l’image du droit du dommage corporel et de sa nomenclature « Dinthillac » à la liste de postes de préjudices de plus en plus étoffée, tous les préjudices invoqués par la victime peuvent potentiellement donner lieu à indemnisation, à la charge de l’employeur « inexcusablement fautif ».

Cette réparation intégrale ne serait que théorique. En pratique, le Conseil Constitutionnel a notamment pu admettre la validité des plafonnements de rente compensant la perte de salaires. Cette décision constitutionnelle implique donc davantage un élargissement de l’énumération des postes de préjudices pouvant donner lieu à indemnisation, plutôt que l’affirmation d’un principe de droit à réparation intégrale.

Malgré tout, l’impact n’est pas négligeable et entraine deux répercussions majeures. D’une part, l’employeur peut être amené à payer dans un nombre d’hypothèses bien plus important qu’auparavant. D’autre part, ces préjudices sont bien difficiles à appréhender par avance.

Les juges reconnaitront au cas par cas que tel ou tel préjudice invoqué est de nature à donner lieu à réparation complémentaire, et dans quelle mesure. Une forte incertitude pèse donc sur l’employeur.

L’assouplissement des conditions requises pour qualifier la faute d’inexcusable, couplé à l’incertitude liée aux nouveaux préjudices indemnisables au caractère non limitatif, constituent un impact substantiel pour l’employeur. Il est susceptible d’être amené à payer beaucoup plus, dans des hypothèses plus diverses et plus larges.

Face à cette « insécurité » et ce risque accru de mise en cause, les employeurs sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à souscrire des garanties les couvrant contre leur propre faute inexcusable.

Non encore obligatoire, elle tend à devenir absolument nécessaire face aux évolutions actuelles.

60 Conformément à l’article L452-2 du Code de la Sécurité Sociale.
61 Conformément à l’article L452-3 du Code de la Sécurité Sociale.
62 Titre V du CSS sur la réparation complémentaire à la charge de l’employeur

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