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SECTION 2 : Vers un droit à l’indemnisation systématique des victimes : une assurabilité forcée ?

ADIAL

La problématique de l’indemnisation des victimes dans le cadre de l’engagement de la responsabilité civile médicale professionnelle, particulièrement concernant les professions médicales à risque auxquelles on s’intéresse, se situe en filigrane de celle de l’indemnisation des dommages corporels en général(94). Depuis plusieurs années, plusieurs bouleversements juridiques, économiques, médicaux ont donné naissance à une augmentation exceptionnelle des indemnisations allouées aux victimes d’accidents médicaux.

Il convient d’analyser ces changements (§1) avant de tenter d’en identifier les sources (§2) et les solutions qui pourraient être appropriées pour limiter la part d’indemnisation insupportable pour les gynécologues-obstétriciens, chirurgiens et anesthésistes (§3). Enfin, à titre d’illustration, pourra être développé un exemple significatif afin de percevoir les conséquences notamment économiques de l’instabilité juridique (§4).

§1 : L’augmentation exceptionnelle des montants d’indemnisation, une mutation compréhensible

Actuellement, on constate, à la lecture des décisions de justice rendues en matière d’accident corporel et en matière médicale, que les juges font preuve d’une clémence exacerbée à l’égard des victimes quant au montant des indemnisations allouées. Il ne s’agit pas de dénigrer une place à la victime ni de lancer la pierre aux juges. Les éléments expliquant cette mutation sont, en effet, justifiés.

Afin d’illustrer l’affirmation selon laquelle les indemnisations sont très élevées, on peut citer des exemples relatifs à la sinistralité des gynécologues-obstétriciens libéraux qui sont les plus exposés aux sinistres graves et coûteux. Sur une étude faite de 1995 à 2005, le nombre de sinistres supérieurs à un million d’euros n’a cessé d’augmenter. On en dénombre quatre en 2005. Le même constat est fait pour les sinistres supérieurs à trois millions d’euros(95). Durant cette période, on remarque la grande volatilité du risque médical puisque certaines années, aucun sinistre ne survient.

Plusieurs raisons peuvent être mentionnées pour justifier cette évolution. Concernant l’aspect juridique et politique, un mouvement de protection des victimes notamment quant à leur indemnisation a été amorcé notamment avec la loi du 5 juillet 1985 dite loi Badinter(96). Cette dernière prévoit l’indemnisation quasi-systématique des victimes des accidents de la circulation afin de redonner une place à la victime et faire prendre conscience que l’accident de la circulation est un risque social, d’où la création du fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages prenant en charge les sinistres en cas notamment d’absence d’assurance du conducteur du véhicule responsable.

Concernant le domaine médical, l’évolution des techniques médicales est inévitable et comporte de plus en plus de risques. En effet, de nouveaux traitements et techniques sont mis au point, plus précis et donc plus risqués. D’ailleurs, en cas de dommage corporel suite à une erreur médicale, un des préjudices permanents les plus importants de la nomenclature Dinthillac est l’assistance d’une tierce personne dont le coût peut être difficile à supporter pour un professionnel de santé.

Ces changements proviennent de diverses origines.

§2 : Des origines internes et internationales pour des changements aux conséquences contestables

Ce phénomène d’inflation des indemnisations en matière d’accident médical provient d’un phénomène américain. En effet, aux Etats-Unis, et non pas seulement dans le domaine médical, les dommages et intérêts alloués aux victimes sont d’une importance telle qu’on devine l’objectif d’exemplarité voulu par les juges. Fort heureusement, les indemnisations en France n’atteignent pas les seuils incroyables voire ubuesques des indemnisations aux Etats-Unis mais entraînent un risque de ruine financière pour les professionnels de santé libéraux exerçant des spécialités à risque.

Aux Etats-Unis, ce phénomène peut se justifier par la volonté de compenser l’absence de sécurité sociale, quoi qu’une réforme soit en cours, et la difficulté des particuliers et patients à accéder à l’assurance et aux mutuelles privées. On a même pu parler du « symptôme d’une contamination du corps social par l’idéologie procédurière américaine »(97).

Au niveau interne, la première source de la hausse des indemnisations est juridique : le principe de réparation intégrale du préjudice constitue « le propre de la responsabilité civile [qui] est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit »(98). Par un effet « boule de neige », la politique ambiante préconisant la protection, voire la surprotection des victimes ainsi que l’évolution des techniques médicales entraîne des préjudices plus conséquents et donc une indemnisation importante.

De plus, cette croissance des indemnisations est due à un mouvement de judiciarisation de la société sous plusieurs aspects. Un premier aspect de l’évolution plus générale de la responsabilité civile prévoyait que toute personne, créatrice de risque, devait garantir le dommage en découlant(99). On peut observer aujourd’hui une certaine résurgence de cette théorie dans la mesure où tout risque ou tout dommage doit trouver un responsable. On souhaite trouver un responsable et ce, à n’importe quel prix ce qui peut être source de dérive puisque le seul fait de créer un risque entraînerait indemnisation. De même, une partie de la doctrine contemporaine voyait à travers la responsabilité civile, un rôle de prévention.

Or, l’engagement de toute responsabilité civile, y compris médicale, suppose l’existence d’un fait dommageable, d’un préjudice et d’un lien de causalité, lien de cause à effet entre les deux premiers(100). Cette théorie ne peut donc être admise en l’état actuel de la législation bien que dans les faits, la pratique se rapproche d’une telle conception. Actuellement, le régime de responsabilité civile médicale, dans le cas de praticiens libéraux, est fondé sur la faute prouvée(101), ces derniers étant débiteur d’une obligation de moyens à l’égard du patient sauf dans certains cas où une obligation de sécurité de résultat est exigée(102).

Cependant, une autre tendance peut être observée concernant la responsabilité civile dont les conséquences se répercutent sur la matière médicale. La loi, notamment la loi du 4 mars 2002, a permis d’étendre le champ de l’obligation d’information due par le médecin et a augmenté, par là, le risque de condamnation des praticiens sur ce fondement. Le directeur des affaires juridiques et des droits des patients de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, J-M. Morin avait même constaté en 2007 que huit affaires sur dix qu’il traitait avaient pour origine un manque d’information, un défaut d’information ou une information mal faite(103). C’est dire la charge qui pèse sur le professionnel de santé. Il ne faut pas omettre la prise de décision et donc le consentement du patient qui est contractant à part entière de la relation médicale contractuelle quant au risque encouru.

Cela entraîne plusieurs conséquences. Tout d’abord, cela déresponsabilise le patient ce qui crée un déséquilibre au sein de la relation contractuelle entre le débiteur des soins et le patient, bien que ce déséquilibre soit intrinsèque au contrat(104).

En effet, bien que le faute du patient ne soit que rarement retenue celle-ci, si elle n’est pas découverte, nuit clairement au praticien alors que ce dernier pourrait être exonéré de sa responsabilité. On brandit souvent le spectre de l’obligation d’information due par le médecin au patient(105) en oubliant que le patient aussi, partie au contrat, se doit d’informer son médecin sur sa situation médicale ou ses prédispositions. En effet, en cas de rétention d’informations jugées essentielles, le médecin ne pourra que mal exécuter sa prestation de soins(106).

Par ailleurs, on a pu observer un glissement de l’obligation de moyens du praticien vers une obligation de moyens dite renforcée ce qui laisserait penser qu’on se dirige vers une éventuelle obligation de résultat ce qui remettrait en cause le système de santé français(107). Admettre une obligation de moyens « renforcée » équivaudrait à présumer la faute du médecin ce qui est inconcevable pour des raisons qui seront évoquées ensuite. Enfin, d’un point de vue général, de tels changements n’ont fait qu’intensifier la crise de la responsabilité médicale ambiante.

Par ailleurs, une confusion juridique est faite en France entre la sanction et la réparation du dommage ce qui entraîne une augmentation sérieuse des indemnisations : « en France, dans l’optique actuelle, c’est l’indemnisation des dommages qui est considérée comme l’objectif essentiel de la responsabilité civile »(108) alors que l’un des objectifs serait de distinguer le préjudice de la faute, une faute légère pouvant entraîner des dommages irréversibles(109).

L’IGAS est parvenue à cerner la problématique par la formule selon laquelle « la responsabilité a pour vocation principale la réparation de la faute, elle ne peut être conçue comme un mode de sanction proportionné à la faute »(110). En effet, l’indemnisation va dépendre des dommages causés et non du type de faute, erreur, maladresse ou négligence commise. Les pays nordiques opèrent une dissociation entre la sanction du praticien et l’indemnisation du patient. Les dommages sont appréciés objectivement et ce, avant toute recherche d’une éventuelle responsabilité du patient(111).

En France, cette appréciation se fait au regard du degré de responsabilité du professionnel de santé. Dès lors, l’indemnisation ne peut qu’en être augmentée. En effet, on sanctionne le professionnel par une indemnisation élevée sans pour autant opérer des nuances entre des faits comme la faute, l’erreur, la négligence ou la maladresse et leurs conséquences.

L’important est d’apprécier le dommage et le lien de causalité, point souvent sujet à discussion. Il serait intéressant donc de procéder en deux temps : tout d’abord, apprécier les dommages sans mention d’une quelconque responsabilité ou exonération, puis, mettre en corrélation le dommage et l’acte médical.

Rechercher à tout prix à punir le professionnel de santé relève de la subjectivité, subjectivité qui doit être évincée au profit d’une appréciation objective bien que basée sur des faits. Ceci permettrait une évaluation plus mesurée de l’indemnité allouée aux victimes.

Il est clair que ces éléments concernent l’ensemble des professionnels de santé et non spécifiquement ceux exerçant des spécialités à risque. Pourtant, ces derniers sont les plus touchés par de telles mesures au regard de leur activité dite sensible.

Après avoir évoqué les différents bouleversements et sources à l’origine de la hausse des indemnisations, il convient de proposer quelques solutions.

§3 : La recherche difficile d’une limitation des indemnisations

Plusieurs solutions peuvent être envisagées afin de cantonner les indemnisations mais non sans heurts. Aussi bien l’encadrement des indemnisations au profit des professionnels de santé libéraux exerçant des spécialités à risque (A) que la réforme de l’expertise médicale pour l’ensemble de la profession afin d’éviter des disparités quant au montant des indemnités allouées (B) peuvent être envisagées.

A) L’encadrement contesté des indemnisations

La première idée que l’on peut formuler, car logique et spontanée, pour limiter les indemnisations importantes serait leur encadrement. Pourtant, il a été affirmé, notamment par l’IGAS, qu’un tel système serait difficile voire impossible à mettre en place en France alors que d’autres, dont Rémi Pellet, professeur de droit, estiment cette possibilité réalisable dans une certaine mesure.

D’emblée, il serait tentant de rejeter en bloc cette possibilité puisqu’un encadrement des indemnisations serait en contradiction avec le principe de réparation intégrale gouvernant le droit du dommage corporel et plus largement le droit de la responsabilité civile(112). On peut le qualifier de principe général ou « naturel » du droit de la responsabilité civile. Certains voient même en ce principe, un principe à valeur constitutionnelle(113) auquel on ne peut déroger, d’où l’impossibilité d’encadrer les indemnisations. Les partisans de la qualification du principe de réparation intégrale comme un principe à valeur constitutionnelle arguent de la décision du Conseil constitutionnel du 22 octobre 1982(114).

Cette dernière reprend dans son considérant l’article 1382 du code civil, suggérant le principe de réparation intégrale qui en découle pour affirmer qu’il existe, certes un droit à réparation intégrale mais que celui-ci est susceptible de connaître des dérogations ou aménagements selon les intérêts en présence sans qu’il soit permis pour l’auteur du dommage de se soustraire à sa responsabilité et à l’indemnisation qu’il doit à la personne lésée.

Le principe de réparation intégrale ne pourra donc être effectif notamment dans le cas de la preuve d’une faute de la victime. Comme il a été remarqué, à juste titre, « c’est bien le principe même du droit à réparation qui doit être garanti et non pas son caractère intégral (…) et que le législateur peut (…) aménager les règles relatives au montant de la réparation » par des régimes spéciaux(115).

De même, la décision du 13 décembre 1985 a été invoquée(116) comme témoignant de la reconnaissance par le Conseil constitutionnel de la valeur constitutionnelle du principe de réparation intégrale. Pourtant, L. Favoreu et L. Philip ont pu préciser qu’il s’agissait simplement pour le Conseil constitutionnel de reconnaître un principe de la « réparation de l’intégralité des préjudices » et non un principe de réparation intégrale(117). L’argument de la valeur constitutionnelle du principe de réparation intégrale ne peut donc tenir. Le législateur peut donc y dérogea.

Le raisonnement de Monsieur Christophe Radé peut trouver un prolongement dans celui de Monsieur Vincent Heuzé proposant « une reconsidération du principe de la réparation intégrale »(118). En effet, au regard des fondements de la responsabilité civile et de la jurisprudence, il est permis de s’interroger sur le cantonnement que pourrait initier le législateur afin d’instaurer un encadrement des indemnisations de victimes d’accidents corporels et plus spécifiquement médicaux.

L’auteur se fonde tout d’abord sur la situation « privilégiée » de la victime accordée par la loi Badinter du 5 juillet 1985 pour dire que « c’est bien plutôt à cette victime qu’il devrait revenir, si elle entend garantir en toute hypothèse la pérennité de cette situation privilégiée, d’en assumer le coût, en contractant une assurance pour le montant qui lui paraît désirable ». Il s’agirait donc de responsabiliser la victime et de réduire la responsabilité de l’auteur du dommage.

On peut faire un parallèle avec la situation des victimes d’accidents médicaux et plus particulièrement dans le cas de l’engagement de la responsabilité de professionnels de santé libéraux exerçant des spécialités à risque. Il semble que le problème pourrait ainsi être solutionné mais cela engendrerait des primes d’assurances insupportables pour les victimes elles-mêmes. Le problème touchant lesdits professionnels serait reporté sur une autre population, celle des victimes d’accidents médicaux. Une réduction de la responsabilité de ces professionnels serait souhaitable mais il faut se demander à quel prix, c’est-à-dire à l’impact sur les victimes. Un juste équilibre pourrait être trouvé entre le droit à réparation de la victime et la responsabilité du médecin. Un cantonnement des indemnisations semble être une solution.

Puisqu’on a considéré qu’on se dirigeait de plus en plus vers une hypothétique responsabilité objective en matière de responsabilité civile médicale, une limitation des préjudices indemnisables ainsi qu’une forfaitisation ou un plafonnement des indemnités allouées aux victimes pourraient être envisagés par le législateur(119). Certes, comme il a été évoqué, les victimes et associations de victimes n’accueilleraient pas d’un bon oeil de telles restrictions(120) et pourtant, il en va de leur égalité, les unes par rapport aux autres.

L’encadrement des indemnisations ne signifie pas forcément une restriction financière mais bien un cadre juridique afin d’attribuer une indemnisation juste, bien que cela puisse être contestable concernant les préjudices extrapatrimoniaux. L’indemnisation juste s’entend selon nous comme l’indemnisation évaluée selon des critères objectifs bien qu’une part de subjectivité intervienne, chaque victime étant différente et ce, pour éviter toute évaluation arbitraire du juge.

Il convient de faire mention d’un rapport de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques(121) mettant en avant différentes législations ayant adopté une limitation des indemnités et proposant des pistes pour améliorer l’assurabilité du risque médical. Depuis, nombre des propositions ont été réalisées en France comme la mutualisation entre professionnels de santé depuis le 1er janvier 2012(122) qui permettra le prélèvement sur un fonds alimenté par leur contribution des indemnisations dépassant les nouveaux montants de garantie instaurés. On note donc la volonté et la progression du système français vers une amélioration de la situation des professions de santé à risque. L’esprit de solidarité qui anime ces spécialités y est aussi pour beaucoup.

Cette question est évidemment en lien avec celle de l’expertise médicale dont beaucoup souhaitent une réforme afin d’encadrer cette étape vers l’indemnisation.

B) Les erreurs expertales, source de l’inflation des indemnisations

Actuellement, la question de l’expertise médicale est souvent évoquée pour soulever les imperfections sur la qualité de celle-ci. Des réformes sont d’ailleurs proposées.

L’expertise se définit comme l’évaluation du montant d’un dommage par un technicien ayant une spécialité, l’expert(123). En matière médicale, elle permet d’estimer les dommages corporels subis par une victime. C’est là que se pose le problème de la qualité de l’expertise c’est-à-dire les compétences de l’expert, son impartialité, les critères utilisés pour exécuter sa mission.

A fortiori, se pose la question de la hausse des indemnisations due à la quasi-systématique responsabilité pour faute des praticiens, l’expert ayant constaté une faute de ces derniers. L’exemple le plus représentatif est celui de l’expertise médicale appliquée à l’obstétrique(124). L’obstétrique est une spécialité très sensible et donc la plus exposée au risque de dommages corporels. C’est pourquoi, il est réclamé un encadrement de l’expertise pour éviter le trop de subjectivité et d’incertitude.

L’une des premières contestations est l’absence de règles législatives quant aux critères utilisés par l’expert pour apprécier la situation médicale du patient. Cependant, la pratique a développé bon nombre de procédés afin de pallier à cette absence. On peut citer la célèbre nomenclature Dinthilhac.

L’Association pour l’étude de la réparation du dommage corporel (AREDOC) a, quant à elle, mis en place un certain nombre de pratiques afin de donner des lignes directrices aux experts et aux juges notamment ce qui contribue évidemment à la transparence de la mission d’expertise. On peut citer un guide de bonnes pratiques pour les médecins experts(125).

Cependant, est contestée la qualité même de l’expertise. Concernant l’obstétrique, les experts sont dits trop souvent imprécis quant à la constatation d’un lien de causalité entre le dommage subi par le nouveau-né et l’acte médical du médecin(126).

La caractérisation du lien de causalité n’est appréciée que vaguement et en référence à des notions larges comme celle de souffrance. Cela conduit évidemment à une condamnation du praticien et à l’attribution de dommages et intérêts particulièrement élevés pour ce dernier. En obstétrique, ce qui est apprécié en cas de dommage est le taux d’infirmité motrice d’origine cérébrale(127).

Depuis 1992, l’American college of obstetricians and gynecologists et l’American academy of pediatry, appuyés par le Collège national des gynécologues obstétriciens français, ont développé une grille de lecture permettant d’établir la causalité ou de la réfuter selon des critères prédéterminés. La mise ne oeuvre de ce dispositif a permis de voir que le praticien n’avait pas commis de faute et que le dommage était dès lors dû à une malformation cérébrale ante natale par exemple(128) comme en témoigne l’expérience du Professeur Claude Racinet, expert honoraire près la Cour d’appel de Grenoble de 2001 à 2007(129).

Dès lors, aucune responsabilité n’étant établie, les praticiens étaient naturellement moins exposés à des indemnisations élevées. Pourtant, il faudrait apprécier l’impartialité ou la partialité de ces critères. Comme le propose Claude Racinet, un contrôle de la qualité de l’expertise devrait être effectué par le biais de la validation d’acquis par exemple(130).

De même, a pu être proposée la création d’une structure juridique spécialisée « dédiée aux problèmes médicaux » avec des juges bénéficiant d’une formation spécifique pour l’évaluation des pratiques expertales(131).

La pratique des juges a, elle aussi, permis de donner des critères d’évaluation quant au montant des dommages et ce, afin d’assurer une certaine égalité de traitement entre les victimes. Il faut rappeler que l’expert ne statue qu’en fait mais n’évalue pas le montant des dommages. Ont été créés des barèmes de capitalisation pour l’indemnisation des victimes pris comme référence pour calculer les capitaux à verser aux victimes de dommages corporels au titre de leurs frais futurs(132). Parfois, l’indemnisation se fait sous forme de rente viagère dans le cas par exemple de handicaps graves. On comprend donc que les indemnisations puissent être aussi élevées. Par ailleurs, on peut mentionner la proposition de loi dite Lefrand adoptée le 16 février 2011, visant à améliorer l’indemnisation des victimes de dommages à la suite d’un accident de la circulation dont l’exposé des motifs préconisait notamment la mise en place de barèmes, le caractère obligatoire de la nomenclature Dinthilac afin d’encadrer la mission d’expertise. Il serait intéressant qu’une telle proposition intervienne en matière de responsabilité civile médicale ou soit étendue à cette matière.

Afin de remédier au problème d’inflation des indemnisations dues aux victimes d’accidents médicaux dans le cas de spécialités médicales à risque, des efforts juridiques sont à faire pour encadrer celles-ci mais également des efforts concernant la manière dont sont menées les expertises médicales. Ces efforts ne pourront qu’être bénéfiques pour les professionnels de santé exerçant des spécialités à risque tout en préservant les intérêts des victimes.
Un exemple tout à fait significatif et actuel a été choisi pour démontrer la progression des indemnisations.

C) Les rebondissements de l’arrêt Perruche

La jurisprudence Perruche a fait grand bruit de part ce qu’elle reconnaissait mais également par les rebondissements qui sont intervenus. On envisagera l’évolution de cet arrêt d’un point de vue de l’indemnisation donc financier supportée par les professions médicales à risque. Par un arrêt du 17 novembre 2000(133), la Cour de cassation accepte d’indemniser le préjudice personnel de l’enfant né handicapé et celui des parents incluant les charges particulières découlant du handicap et ce, en cas de non diagnostic, par le médecin, d’une malformation foetale ayant empêché la mère de l’enfant de procéder à une interruption volontaire de grossesse. Déjà un arrêt dit Quarez du 14 février 1997 avait initié une telle jurisprudence(134).

On imagine d’emblée l’impact sur l’indemnisation des victimes. Cette indemnisation jugée non légitime a été contrée par un dispositif dénommé « anti-Perruche » mis en place par la loi du 4 mars 2002. Cette dernière, dans son article 1er prévoit que nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance sauf en cas de faute du médecin. Dès lors, seul le préjudice moral des parents est indemnisé, les charges liées au handicap étant supportées par la solidarité nationale.

L’introduction d’un tel dispositif permet, à première vue, de réduire l’indemnisation due, le préjudice de l’enfant né handicapé n’étant pas considéré comme indemnisable. Il est clair que les conséquences ne sont pas favorables aux victimes. Pourtant, elles se justifient tant d’un point de vue moral que d’un point de vue financier. Concernant ce dernier aspect, il est en effet difficile pour les professionnels de santé de dénicher une assurance correspondant au risque en question au vu de l’importance des dommages et des indemnisations à allouer.

Une des interrogations portaient sur l’application dans le temps du dispositif « anti-Perruche ». Dès l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, fixée au 7 mars 2002, il était prévu que le dispositif s’appliquait aux affaires en cours et affaires nouvelles au regard du critère de la date d’introduction de l’instance sauf aux affaires où une décision irrévocable est intervenue. Pour plusieurs raisons déjà énoncées, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité(135), le Conseil constitutionnel a validé le dispositif qui n’est pas contraire à la Constitution du 4 octobre 1958, le principe de réparation intégrale n’ayant pas une valeur constitutionnelle.

Il invalide cependant la rétroactivité de la loi pour des raisons sociales et éthiques, à savoir l’égalité de traitement entre les personnes handicapées. La raison juridique qui peut être invoquée est l’article 2 du code civil selon lequel la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif. Une charge considérable, autant morale que financière, disparaissait pour les professionnels de santé qui pouvait trouver plus facilement un assureur. Cela a également permis une réduction de l’importance des indemnisations tout en préservant l’intérêt des victimes puisque la solidarité nationale intervient pour leur indemnisation. Il s’agit donc, entrer autre, d’une forme d’encadrement des indemnisations.

94 L’assurance en responsabilité civile médicale, Rapport de l’IGAS, fév. 2007, p. 9.
95 Idem, p 30.
96 Loi n°85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation.
97 Le risque médical et les praticiens, Les cahiers de droit de la Santé du Sud-est, Le risque médical, n°1, Pierre Tourame, 2003, p. 49.
98 Cass. civ. 2, 28 oct. 1954, JCP 1955, II, 8765, et, en matière contractuelle : Cass. civ. 3, 6 mai 1998, B. III, n° 91.
99 En 1897, Saleilles et Josserand proposèrent la théorie du risque, www.courdecassation.fr, comm. sous Cass 2ème civ., 22 février 2005, Rapport de M. Trédez, conseiller rapporteur.
100 Article 1382 du code civil : tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
101 Article L1142-1 I du code de la santé publique : hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut de produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du code (…) ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.
102 C’est le cas pour les médecins utilisateurs des produits de santé. Responsabilité, assurance et expertise médicales, Rémi Pellet, Dalloz, éd. 2008, p. 14.
103 Médecine-justice : quelle responsabilité ?, Esprit 2007.331.53.
104 La faute de la victime, cause exonératoire de responsabilité du médecin ?, Quentin Mameri, Nicolas Gombault, Catherine Paley Vincent, in Responsabilité, sept. 2009, n°35.
105 Article L1111-2 alinéas 1 et 2 du code de la santé publique : « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information incombe à tout professionnel de santé (…). »
106 CA Bordeaux, 13 octobre 1999 : la responsabilité d’un gynécologue-obstétricien a pu être limitée dans la mesure où le risque pris par sa patiente après son accouchement avait concouru à la réalisation de son préjudice.
107 Voir infra.
108 Introduction à la responsabilité, G.Viney, Traité de droit civil, 2ème éd., LGDJ, 1955, n°36.
109 Pour une nouvelle réforme de la responsabilité civile professionnelle des médecins libéraux…, in Responsabilité, assurance et expertise médicales, Rémi Pellet, Dalloz, 2007, p. 53.
110 Idem.
111 Idem, p. 55.
112 Les dommages-intérêts doivent réparer le préjudice subi sans qu’il résulte ni perte ni profit pour la victime, Cass.2e civ., 5 juillet 2001, Mlle Tronchon c/M.Tizghat, BICC, n°543.
113 Les victimes d’accidents du travail, victimes aussi d’une discrimination, Lyon-Caen, , Dr. soc. 1990, p. 737 et s.
114 Cons.const. 22 oct. 1982, n°82-144 DC, Loi relative au développement des institutions représentatives du personnel, site du Conseil constitutionnel : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/depuis-1958/decisions-par-date/1982/82-144-dc/decision-n-82-144-dc-du-22-octobre-1982.8004.html.
115 Liberté, égalité, responsabilité, Cahiers du Conseil constitutionnel, Christophe Radé, n°16, juin 2004.
116 Décision du Conseil constitutionnel n°85-198 du 13 décembre 1985, loi modifiant la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 et portant diverses dispositions relatives à la communication audiovisuelle, site du Conseil constitutionnel :http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/depuis-1958/decisions-par-date/1985/85-198-dc/decision-n-85-198-dc-du-13-decembre-1985.8178.html.
117 Idem n°79.
118 Cour de cassation, Colloques et activités de formation, Une reconsidération du principe de réparation intégrale, Vincent Heuzé, 2005.
119 Idem n°82.
120 Pour une nouvelle réforme de la responsabilité civile professionnelle des médecins libéraux…, in Responsabilité, assurance et expertises médicales, éd. Dalloz, 2008, p. 64.
121 Prévenir, assurer et couvrir les incidents médicaux, 2006, in Responsabilité, assurance et expertises médicales, éd. Dalloz, 2008, p. 202 et s.
122 Voir infra, Deuxième partie.
123 Vocabulaire juridique de l’Association Capitant, PUF, 2007, p. 391
124 application à l’obstétrique, L’expertise médicale en question, Pr. Claude Racinet, in Responsabilité, assurance et expertise médicales, éd. Dalloz, 2008, p. 112.
125 Site de l’AREDOC : http://www.aredoc.com/content/textes-de-reference.
126 Idem n°117.
127 Idem n°117.
128 Idem n°117.
129 Idem n°117.
130 Idem n°117.
131 Idem n°117.
132 Note d’information du 28 septembre 2007 relative aux barèmes de capitalisation pour les victimes de dommages corporels pour 2008, site de la Fédération française des sociétés d’assurances.
133 Cass, ass. plén., 17 novembre 2000, n°99-13.701, Bull. civ. ass. plén. 2000, n° 9 ; JCP G 2000, II, 14038, rapp. Sargos, concl. J. Sainte-Rose, note F. Chabas.
134 CE, sect., 14 février 1997, n°133238, CHR Nice c/Epx Quarez, JCP G 1997, II, 22828, note J. Moreau ; RFD adm. 1997, p. 374, concl. V. Pécresse, note B. Mathieu ; RD publ. 1997, p. 1139, note J.-M. Auby.
135 Décision n°2010-2 du 11 juin 2010, Journal officiel 12 juin 2010, Dr. famille 2010, étude 34, N. Nefussy-Venta.

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