L’article L. 132-16 du Code des assurances énonce que « le bénéfice de l’assurance contractée
par un époux commun en biens en faveur de son conjoint, constitue un propre pour celui-ci ».
Prise à la lettre, cette disposition ne règle pas le sort du bénéfice au profit du conjoint
souscripteur. L’alternative est alors d’interpréter ce texte par analogie pour faire prévaloir la logique
des utilités du Code des assurances (1.), ou alors d’écarter ce texte par une interprétation a
contrario et faire application du droit commun des régimes matrimoniaux, fondée sur une logique
des quotités. (2.)
1. LA CONFRONTATION DE LA LOGIQUE DES UTILITES CONTRE CELLE DES QUOTITES
Pour une partie de la doctrine et notamment Jean Bigot, il faudrait raisonner par analogie avec
l’article L. 132-16.
En effet, une approche exégétique consistant à rechercher l’intention du législateur dans les
travaux préparatoires de la loi de 1930 révèle que, selon le rapporteur Monsieur Lafarge :
« Trois solutions sont possibles :
a) L’assurance peut être contractée par l’un des conjoints communs en bien, sur sa tête, au
profit de l’autre, c’est l’assurance courante quand une assurance est souscrite en cas de
décès du mari au profit de la femme ;
b) L’assurance peut être souscrite par un conjoint commun en biens à son propre profit, sur
la tête de l’autre ;
c) Elle peut l’être encore par un conjoint commun en biens sur la tête et au profit de l’autre
et, dans ce cas, ce sera souvent une assurance en cas de vie.
Chacune de ces assurances répond à une destination spéciale, qui ne peut être remplie
que si le bénéfice de l’assurance constitue un propre pour le bénéficiaire.
Que les primes aient été prélevées sur la communauté ou prises sur les biens propres du
conjoint, il importe peu, il n’est dû aucune récompense, à moins que les primes aient été
‘manifestement exagérées eu égard aux facultés du stipulant’ comme le déclare l’article L.
132-13(19) ».
Ainsi, « dans l’esprit des rédacteurs de la loi, l’assurance personnelle alimentée par des fonds
communs doit être traitée comme une assurance au profit du conjoint(20) ». Cette solution est
confortée par l’application de l’article 1404 du code civil(21). Pour Jean Bigot, « s’il est bien à caractère
personnel et un droit exclusivement attaché à la personne, c’est bien le capital et le droit du
bénéficiaire à ce capital, fût-il le souscripteur lui-même(22) ».
La question des récompenses est la plus délicate. En effet, « la récompense équivaut à
neutraliser les avantages attachés à la qualification de bien propre » et « prive l’opération de tout
intérêt pratique ». En effet, dans le cadre des assurances en cas de vie, le bénéfice équivaut aux
primes payées majorées des intérêts.
Pour Jean Bigot, « si le souscripteur entend vider l’actif de la communauté au détriment de son
conjoint, la notion de prime manifestement excessive prévue par la loi pourrait fournir un correctif
aux abus manifeste dont se rendrait coupable l’un des conjoints au détriment de l’autre ».
Cette solution doctrinale a le mérite de conserver la cohérence du droit des assurances qui est
une logique des utilités. La mesure de celle-ci se trouve dans la notion de prime manifestement
exagérée au moment de la dépense faite par le souscripteur. Cette solution est contraire à la
logique des quotités que poursuit le droit des régimes matrimoniaux(23). Comme le souligne un
auteur, les solutions « du Code des assurances, en pratique, devant un contrat spécifique, éliminent
en grande partie, en faveur d’un droit spécifique, les règles du droit commun des successions et des
régimes matrimoniaux. Si l’on veut combiner droit commun et droit spécifique, à défaut de pouvoir
l’éliminer, on ne rencontre que difficultés(24) ».
C’est cependant la logique des régimes matrimoniaux que la doctrine majoritaire fait prévaloir
en l’absence d’un texte spécial contraire (2).
2. LE CARACTERE COMMUN DU BENEFICE
Selon un adage, « nul ne peut se constituer un propre aux dépens de la communauté ». Dans
cette logique de quotités, le questionnement est double. Il s’agit de qualifier le bénéfice de bien
commun ou propre, et dans ce dernier cas de déterminer si une récompense est due.
Pour la doctrine majoritaire, il convient d’écarter l’application de l’alinéa 2 de l’article L. 132-16
qui reviendrait « à permettre à un époux de se constituer des propres au moyen de biens communs
employés en cours de mariage, mais aussi à le dispenser de toute récompense dès lors que les primes
ne sont pas manifestement excessives ». Dans ce cas, « une récompense devrait pour le moins peser
sur le souscripteur-bénéficiaire dès le premier franc de prime(25) ». Dans la situation de l’époux qui
souscrit à son propre bénéfice, l’intention libérale qui explique et justifie la mise à l’écart du droit à
récompense est nécessairement absente.
Cette position doctrinale qui considère le capital comme propre, mais sous réserve d’un droit
intégral à récompense, ne nous semble pas complètement convaincante. L’exception de l’article L.
113-16 qui qualifie l’acquêt constitué par le bénéfice de l’assurance-vie comme un bien propre est
dérogatoire. Il est difficile d’estimer que l’on se trouve dans le champ d’application de cet article et,
dans le même temps, de soustraire le deuxième alinéa de ce même article.
Certains auteurs se sont attachés à une interprétation littérale de l’article L. 132-16. Par un
raisonnement a contrario, le bénéfice serait commun(26). L’exception devrait s’interpréter de manière
stricte car elle constitue une dérogation aux dispositions plus générales des régimes matrimoniaux.
Comme le souligne Michel Grimaldi, « le capital ne peut qu’entrer en communauté car il n’est pas
autre chose que l’accumulation des primes versées : primes supposées puisées de la communauté(27) ».
La doctrine reste donc très divisée et la jurisprudence n’a pas eu l’occasion de trancher cette
question de droit. A notre sens, le bénéfice de l’assurance-vie au profit du conjoint souscripteur
devrait être considéré, en l’état des textes, comme un bien commun.
Ces solutions qui rétablissent les droits de la communauté peuvent être transposées au
bénéfice d’un tiers. La problématique est en effet similaire, dès lors qu’il permet un
appauvrissement sans contrepartie de la masse commune (CHAPITRE 2).
19 JO AN PV Déb., 1926, p. 1172
20 M. Picard et A. Besson, Traité général, Assurances terrestres, t. IV, n° 231, p. 581
21 Art. 1404 C. civ : « Forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le
mariage, les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage
corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, et, plus généralement, tous les biens qui ont un caractère
personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne. »
22 J. Bigot, Clair-obscur sur l’assurance-vie ; De l’arrêt Pelletier à l’arrêt Praslicka, J.C.P.G. 1993, I, n° 3718, n° 13,
p. 481
24 J. Repoll, Rev. Not. Ass.-vie 1992, p. 40
25 F. Lucet et B. Vareille, La valeur d’un contrat d’assurance-vie au jour de la dissolution de la communauté doit
être prise en compte dans les opérations de liquidation, R.T.D.Civ 1992, p. 632
26 L. Mayaux, obs. sous Cass. Civ. 2ème, 8 septembre 2005 et Cass. Civ. 1ère, 19 avril 2005, R.G.D.A.,
1 octobre 2005 n° 2005-4, p. 1011
27 M. Grimaldi, Réflexions sur l’assurance-vie et le droit patrimonial de la famille, Defrénois 1994, art. 35841
