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SECTION 2 : L’assurabilité du risque médical, un postulat nécessaire

ADIAL

« Pour qu’un risque soit assurable, il faut qu’il soit un tant soit peu connu des intervenants à l’opération d’assurance »(18) : la constatation de ce postulat apparaît peut-être évidente mais mérite d’être rappelée dans la mesure où ce postulat constitue le socle et le préalable de toute opération d’assurance. En effet, la question de l’assurabilité d’un risque est fondamentale puisque déterminante pour l’assureur qui décidera de la couverture ou non d’un risque. Concernant le risque médical, l’inassurabilité qu’on voulait bien lui prêter (§1) s’est muée en un commencement d’assurabilité (§2).

§1 : L’inassurabilité de principe du risque médical

Après avoir tenté de définir les contours de la notion de risque médical, il convient de s’intéresser à celle, complexe, d’assurabilité. Comme l’a souligné le Professeur Luc Mayaux, le droit permet l’assurabilité en organisant la sélection des risques ou en imposant la souscription d’une assurance, élargissant alors le domaine des assurances obligatoires(19).

La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, reprise dans l’article L 1142-2 du code de la santé publique et L251-2 du code des assurances, prévoit une obligation d’assurance notamment pour tout professionnel de santé exerçant à titre libéral destinée à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative susceptible d’être engagée en raison de dommages subis par des tiers et résultant d’atteintes à la personne, dans le cadre de l’ensemble de cette activité.

Le fait d’imposer une assurance obligatoire en la matière rend le risque assurable. Pourtant, le risque médical est souvent dit inassurable, en témoignent les éléments traités précédemment : l’assureur n’ayant pas une maîtrise suffisante quant à l’analyse et le traitement du risque du fait d’un degré d’incertitude trop élevé(20). Sa volatilité notamment fait de lui un évènement imprévisible et a posteriori non assurable.

Par l’instauration de l’assurance obligatoire, le droit favorise donc l’assurabilité alors qu’au départ, le risque médical était considéré comme inassurable. Par cette parade, on peut dire que le législateur a perçu les difficultés des professionnels de santé libéraux exerçant des spécialités à risque à s’assurer : l’obligation d’assurance et la création du bureau central de tarification (BCT) font que l’assureur, choisi par le professionnel de santé, se trouve contraint d’assurer ce dernier. L’objectif est clairement de garantir l’assurabilité du risque médical.

Cette inassurabilité du risque médical est une inassurabilité pratique mais non théorique : en effet, tout risque est en théorie assurable dès qu’il est aléatoire mais en pratique, le risque ne peut pas forcément être supporté par l’assureur(21). Il n’est d’ailleurs par étonnant de voir certains risques considérés comme inassurables mais devenir assurables par la suite notamment par l’oeuvre du législateur et des pouvoirs publics. L’opacité du risque est alors vaincue. Pour cerner la notion d’assurabilité, plusieurs éléments de définition peuvent être mis en évidence.

Claude Delpoux(22) expose trois points qui rendent compte, selon lui, de l’assurabilité ou non d’un risque de responsabilité civile. Tout d’abord, la délimitation du risque doit garantir une certaine sécurité juridique notamment sur les conditions de la garantie de l’assurance souscrite : comme il a été précédemment expliqué, le professionnel de santé doit pouvoir identifier les règles de responsabilité ce qui suppose une stabilité de la législation. De plus, la situation de l’assureur doit être adaptée au risque quant au domaine de la garantie et ses plafonds de garantie.

En contrepartie, la prime doit être proportionnée au risque en question et aux capacités de l’assuré, capacités analysées au regard de son activité. Toutes ces données sont essentielles à apprécier pour avoir une idée de l’assurabilité du risque. Concernant le risque médical, celles-ci font plus ou moins défaut ce qui met donc en question l’assurabilité de ce risque. Malgré l’obligation d’assurance des professionnels de santé libéraux exerçant une activité à risques, la possibilité de contracter une assurance est encore insuffisante. Le législateur n’a donc pas remédié totalement au problème ce qui mérite réflexion et réforme, point qui sera envisagé par la suite.

§2 : La conquête de l’assurabilité du risque médical par l’innovation

Pour progresser sur le chemin de l’assurabilité du risque médical, on peut se référer aux solutions proposées par David Laster et Christina Schmidt à travers un ouvrage intitulé Innover pour assurer l’inassurable. L’objectif recherché est d’élargir le domaine de l’assurabilité afin de satisfaire les professionnels de santé souhaitant s’assurer mais également de donner des méthodes aux assureurs pour assurer une situation à haut risque. Bien que l’étude des auteurs concerne en premier lieu les nouveaux risques, on peut, par analogie, utiliser les solutions mises en évidence pour les appliquer au cas du risque médical.

D’emblée,une remarque intéressante doit être relevée : les limites de l’assurabilité peuvent être changeantes c’est-à-dire qu’un risque peut être dit inassurable mais peut devenir assurable et vice-versa.

Cependant, l’inassurabilité ne peut être réduite à néant. Pour apprécier l’assurabilité, onze critères ont été mis en évidence parmi lesquels ceux déjà étudiés précédemment. Un terme anglais résume dans sa globalité la démarche adoptée par l’assureur pour couvrir un risque, risk appetite ou appétit du risque qui est une méthode, notamment utilisée en risk management permettant de guider l’assureur pour apprécier la qualité du risque et l’adaptation de celui-ci à ses objectifs.

Les méthodes traditionnelles telles que la réassurance ont été expérimentées pour couvrir le risque médical mais un autre terme interpelle dans l’étude de ses auteurs : l’innovation ou l’introduction des méthodes nouvelles. La création du fonds de garantie des professionnels de santé en 2012 témoigne de cette volonté de repousser les limites de l’assurabilité du risque médical, innovation qui sera étudiée plus tard dans le développement.

C’est la technique de la mutualisation qui sera développée sous un regard plus novateur. De même, l’idée de partenariats entre organismes privés et publics devrait être creusée plus en profondeur bien qu’il existe déjà la prise en charge par la solidarité nationale. Une autre innovation pourrait être davantage approfondie : la prévention des risques.

La prévention des risques n’est pas une pratique nouvelle mais a été peut-être oubliée, laissée pour compte. Cependant, les assureurs autant que les professionnels de santé concernés réalisent combien elle peut contribuer à la maîtrise de l’assurabilité du risque médical. Le risque médical est particulièrement exigeant puisque l’erreur médicale peut être fatale.

En effet, un degré maximal de sécurité est requis afin de limiter les sinistres graves pour la victime et coûteux pour l’assureur. Dès lors, la prévention apparaît comme un passage obligé. Il convient de préciser la consistance de cette prévention et sa mise en oeuvre. Une démarche traditionnelle de l’assureur voudrait que celui-ci façonne une structure de gestion des risques en identifiant les risques et en les hiérarchisant afin de mettre en place un plan d’action. L’identification des risques se fait en premier lieu a priori : l’assureur va, au regard des statistiques sinistres, de la spécialité médicale exercée, adapter ses conditions de garantie.

L’identification des risques peut également être réalisée a posteriori au vu, durant l’exercice écoulé, de la survenance de risques que l’assureur n’avait pas envisagé. Par exemple, l’American Journal of Obstetrics and Gynecology a cité une pratique mise en oeuvre dans certains hôpitaux américains et qui consiste en un comité de sécurité chargé de développer la culture du risque afin d’améliorer les politiques de sécurité menées au sein des établissements(23). Ailleurs, sont mis en place des référentiels de risques et des cellules de crise afin d’empêcher la survenance future éventuelle des mêmes risques. La démarche collective entreprise par les professionnels passe aussi par la création d’associations et de syndicats permettant la défense des professionnels de santé exerçant des spécialités à risques, certes, mais aussi l’analyse des risques et la mise en place de bonnes pratiques comme guide. On peut citer La Prévention médicale, le Syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France (SYNGOF) ou encore la Société française d’anesthésie réanimation (SFAR). De même, des associations exclusivement consacrées à la gestion des risques médicaux ont été créées comme Surgirisq.

Cette idée de culture du risque est d’ailleurs aujourd’hui devenue un leitmotiv. Cette notion a été définie par un sociologue anglais, Anthony Giddens et permet de rendre effective les politiques de prévention des risques médicaux pour mieux se protéger. Cet auteur définit la culture du risque comme « un aspect culturel fondamental de la modernité, par lequel la conscience des risques encourus devient un moyen de coloniser le futur »(24). Comme le précisent certains praticiens(25), « le déficit de culture du risque se traduit par l’absence de mesures de prévention efficaces, conduit à la prévalence de l’urgence sur l’anticipation et aboutit à un coût économique supérieur ». C’est dire combien il est important de sensibiliser et mettre en oeuvre des partenariats pour mieux connaître le risque médical et pouvoir assurer les professionnels de santé libéraux exerçant des spécialités à risques en conséquence. L’assurabilité du risque médical peut donc être remise en question concernant les professionnels de santé exerçant des spécialités à risque au vu des difficultés rencontrées par eux pour s’assurer. Pourtant, ces difficultés sont à relativiser puisque l’action concertée des pouvoirs publics, des assureurs et des professionnels eux-mêmes a permis d’y remédier. Les efforts de tous ces acteurs ont permis d’aboutir aux lois des 4 mars et 30 décembre 2002. Ces deux lois se caractérisent par une certaine ambivalence : elles ont, d’une part, constitué un premier pas pour permettre l’accès à l’assurance à tous les professionnels de santé libéraux exerçant des spécialités à risques. En effet, elles ont permis de contrôler quelque peu l’assurabilité du risque médical notamment par l’instauration de l’obligation d’assurance. Mais elles ont, d’autre part, accentué, dans une certaine mesure, la crise latente de la responsabilité civile médicale. En ce sens, on pourra voir que leurs apports connaissent clairement des limites puisqu’elles continuent à entretenir le « risque de ruine » des professionnels de santé exerçant des spécialités à risques.

18 Traité de droit des assurances, t.III, chap. XI, Paris, LGDJ, octobre 2002.
19 Aspects juridiques de l’assurabilité, Luc Mayaux, in Risques, Les cahiers de l’assurance, Analyses, juin 2003, n°54, n°ISBN 2-912916-56-9.
20 Dictionnaire Permanent Assurances, Mise à jour 55, 18 avril 2011, p. 433.
21 Risques et solutions : l’assurabilité des professions à risques, Revue Risques n°68, déc. 2006, n° ISBN 2-912916-90-9.
22 Risques et solutions : l’assurabilité des professions à risques, Le Livre blanc de l’assurance responsabilité civile six ans après !, in Revue Risques n°68, Claude Delpoux, déc. 2006, n° ISBN 2-912916-90-9.
23 A comprehensive obstetrics patient safety program improves safety climate and culture, American Journal of Ostétrics and Gynecology, Annual Meeting of the Society for Maternal-Fetal Medicine, Chicago, 1er fév. 2010.
24 Giddens, 1991, p. 244.
25 Le Monde, La culture du risque est un problème démocratique, Pierre Michel, Directeur général adjoint de la Caisse centrale de réassurance, actuaire qualifié membre de l’Institut des actuaires ; Jean-Marie Nessi, membre agrégé de l’Institut des actuaires ; Pierre Picard, professeur à l’Ecole Polytechnique, 25 mars 2011.

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