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Section 1 : Une coexistence de régimes de responsabilité applicables aux produits de santé nuisible aux victimes

ADIAL

§1. Une articulation difficile entre les régimes

La première difficulté tient au champ d’application temporel de la loi du 19 mai 1998. En effet, il est nécessaire de s’interroger sur la date de mise en circulation du produit en question.

Dans le cas où le produit a été mis en circulation après le 20 mai 1998, la loi du 19 mai 1998 s’applique. Si la mise en circulation est antérieure au 30 juillet 1988 (date à laquelle la directive aurait dû être transposée), le droit prétorien s’applique c’est-à-dire celui mis en place par la jurisprudence pour la responsabilité du fait des produits défectueux. La Cour de cassation faisait peser une obligation de sécurité de résultat sur les fabricants de produits défectueux ainsi que sur les intervenants dans la chaine de distribution du produit de santé défectueux.(79)

Enfin, pour les produits mis en circulation entre le 30 juillet 1988 et le 20 mai 1998, la Cour de cassation prévoit que les textes internes devront être appliqués à la lumière de la directive de 1985(80). En pratique, cela revient presque systématiquement à l’application de la directive, sauf pour les points pour lesquels les états membres avaient une marge de manœuvre ou d’appréciation en termes de transposition (par exemple pour la cause d’exonération pour risque de développement).

Une autre difficulté d’articulation concernait d’une part le régime de responsabilité du fait des produits défectueux mis en place par la loi du 19 mai 1998 et d’autre part l’obligation de sécurité consacrée par la jurisprudence. Le problème a été réglé par l’arrêt de la CJCE du 25 avril 2002 qui considère que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux issu de la directive n’autorise pas les États membres à maintenir un régime général de responsabilité différent du fait de tels produits, fût-ce pour apporter aux victimes une protection supérieure.(81)

Des problèmes sont également apparus entre le régime de responsabilité du fait des produits défectueux et le régime mis en place par la loi Kouchner du 4 mars 2002 en ce qui concerne les fournisseurs des produits de santé.

La loi du 19 mai 1998 a mis en place un principe de subsidiarité s’agissant des fournisseurs puisqu’il est prévu à l’article 1386-7 du Code civil que « le fournisseur professionnel n’est responsable du défaut de sécurité du produit dans les mêmes conditions que le producteur que si ce dernier demeure inconnu ».

La loi Kouchner confirmant la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation82, prévoit, quant à elle, une responsabilité sans faute du professionnel ou de l’établissement en raison de dommages causés par un produit de santé. Ce régime apparaît donc contraire aux dispositions de l’article 1386-7 du Code civil.

Le Conseil d’État est allé dans le même sens dans son célèbre arrêt « Marzouk » du 9 juillet 2003.(83)

A ce titre, la France a été condamnée par la CJCE au motif que la directive du 25 juillet 1985 s’oppose à ce que le fournisseur puisse être tenu responsable du régime de responsabilité sans faute que la directive impute au producteur.(84)

Cette condamnation a suscité de nombreuses interrogations notamment sur l’éventuelle distinction fournisseur/utilisateur. En effet, une différenciation semble être possible entre les produits simplement utilisés tel un matelas où la responsabilité de l’établissement de santé pourrait être recherchée sans faute et les produits fournis tels que les prothèses pour lesquels la responsabilité des prestataires sera recherchée pour faute.

Une telle distinction pourrait donner naissance à un paradoxe: en effet si l’application d’une responsabilité de plein droit aux prestataires de services utilisateurs d’un produit défectueux est assurément protectrice des victimes, le fournisseur d’un produit de santé apparaît mieux protégé que le simple utilisateur de ce produit. D’une part, sa responsabilité n’est que subsidiaire, d’autre part il peut bénéficier comme le producteur des causes d’exonération prévues à l’article 1386-11 du Code civil. Deux avantages dont le prestataire de services ne bénéficie pas(85).

Puis, saisi d’un doute le Conseil d’État a posé une question préjudicielle(86) portant sur le point de savoir si la directive permettait de maintenir en faveur des victimes de dommages causés par la défaillance de produits de santé utilisés par un établissement public de santé un régime de responsabilité sans faute.

En réponse, la CJUE valide la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’État et prône une responsabilité civile sans faute du médecin, de l’établissement ou de l’hôpital en cas de défaillance d’un produit utilisé.(87)

Contre toute attente, la Cour de cassation décide, par un arrêt de revirement du 12 juillet 2012(88), que le prestataire de soins n’est responsable qu’en cas de faute.(89) Par cet arrêt, la Cour de cassation redéfinit le régime de la responsabilité du prestataire de soins: un régime de responsabilité pour faute est retenu si le médecin n’est que l’utilisateur ou le fournisseur du produit et si le prestataire de soins est aussi le producteur du produit alors la directive de 1985 s’applique et sa responsabilité n’est engagée sans faute de sa part.

On assiste alors à une interprétation restrictive des dispositions de l’article L1142-1 du Code de la santé publique.

§2. Un éparpillement contraire à l’intérêt des victimes

Tout d’abord, la condamnation, par la CJCE, de l’idée que puissent coexister des régimes de responsabilité différents pour sanctionner un même manquement à la sécurité est nuisible aux victimes.

En effet, des divergences existent entre le régime de responsabilité du fait des produits défectueux et l’obligation prétorienne de sécurité.

Premièrement, l’obligation d’avoir à répondre du défaut de sécurité d’un produit n’était nullement limitée dans le temps contrairement à la responsabilité encourue sur le fondement des articles 1386-1 et suivants qui s’éteint, quant à elle, dix ans après la mise en circulation du produit.

Ensuite, le délai de prescription de l’action de la victime était de dix ou trente ans, alors que l’article 1386-17 du Code civil n’autorise son action que dans les trois ans à compter de la date à laquelle elle a eu connaissance du dommage.

Enfin, la jurisprudence refusait au responsable la possibilité de s’exonérer pour risque de développement, tandis que la loi de 1998 admet une telle cause d’exonération.

Depuis l’arrêt de la CJCE, le régime de l’obligation de sécurité est appelé à s’aligner sur le dispositif légal entrainant ainsi la disparition de ces divergences. Cela profite sans aucun doute aux producteurs et fabricants au détriment des victimes dont le niveau de protection se trouve alors amoindri.

Par ailleurs, la multiplication des régimes de responsabilité, en nombre et en variétés, complique inévitablement la tâche des victimes et constitue un frein à l’accès au droit. En effet, la grande hétérogénéité des règles applicables et des niveaux de protection reconnue aux victimes entrainent d’importantes discriminations.

De plus il est reconnu que la complexité des règles mises en place conduit souvent les victimes à saisir le juge pour s’entendre dire le droit ce qui entraine des coûts considérables pour ces dernières.

79 Cass. civ 1ère, 20 mars 1989, Bull. Civ. I, n°137 ayant initié cette jurisprudence
80 Cass. civ 1ère, 24 janv. 2006, Bull. Civ. I, Bull. Civ. I, n°33
81 CJCE, 25 avril 2002, Commission c. France, affaire n° C-52/00, Rec. 2002, I, p. 3827
82 Cass. civ 1ère, 9 nov. 1999, n° 98-10.010, Bull. Civ. 1999, I, n°300: « le contrat formé entre le patient et son médecin met à la charge de ce dernier (…) une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les matériels qu’il utilise pour l’exécution d’un acte médical d’investigation ou de soins ».
83 CE, 9 juill. 2003, n° 220437: JurisData n° 2003-065726: « le service public hospitalier est responsable, même en l’absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu’il utilise ».
84 CJCE, 10 janv. 2006, affaire n° C-403/03
85 VERON P et VIALLA F. « La nouvelle lecture de l’article L.1142-1, I, du code de la santé publique à la lumière des évolutions jurisprudentielles relatives aux produits défectueux », D., juin 2012 n°24
86 CE, 4 oct. 2010, n°327449: JurisData n° 2010-017829
87 CJUE, 21 déc. 2011, affaire n° C-495/10
88 Voir infra annexe n°2
89 Cass. civ 1ère, 12 juill. 2012, n°11-17.510: JurisData n°2012-015717,
HOCQUET-BERG S., « La sécurité des produits de santé dans la tourmente de la jurisprudence judiciaire », RCA, nov. 2012, étude 8: « la responsabilité des prestataires de services de soins ne relève pas, hormis le cas où ils en sont eux-mêmes les producteurs, du champ d’application de la directive du 25 juillet 1985, et ne peut dès lors être recherchée que pour faute lorsqu’ils ont recours aux produits, matériels et dispositifs médicaux nécessaires à l’exercice de leur art ou à l’accomplissement d’un acte médical (…) ».

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