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SECTION 1 : LE CARACTERE PERSONNEL DU DROIT AU RACHAT

ADIAL

La doctrine suivie par la jurisprudence a considérés très tôt que le droit de rachat était un
droit personnel. Un droit attaché à la personne est selon une définition de la Cour de cassation du
8 juin 1963, relatif à l’interprétation de l’action oblique de l’article 1666 du Code civil, celui « dont
l’exercice est subordonné à des considérations personnelles d’ordre moral et familial(80) ». La
conséquence attachée à la reconnaissance du caractère personnel d’un droit est son insaisissabilité
par les créanciers. La haute juridiction a expressément reconnue en 1994 le caractère personnel du
droit au rachat. Ainsi, « la demande de rachat, en exécution de laquelle le souscripteur d’une police
d’assurance sur la vie obtient une révocation de la désignation du bénéficiaire […] est un droit
exclusivement attaché à la personne du souscripteur(81) ».

L’arrêt Praslicka a donc pour effet de contraindre le souscripteur à racheter, c’est-à-dire à
exercer le droit personnel de révocation du bénéficiaire (1). Même en reconnaissant que le
caractère personnel attaché au droit au rachat n’est pas absolu et supporte des limitations, la
valeur d’un droit n’est pas exclusivement fongible dans celui issu de son exercice (2).

1. LE DROIT DE RACHAT ET LA REVOCATION INDIRECTE DU BENEFICIAIRE

Nul ne conteste que la désignation du bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie est un droit
strictement personnel au souscripteur, et même de nature extrapatrimoniale. Comme le soulignent
Picard et Besson, « le stipulant est seul juge des sentiments ou des mobiles qui le guident dans
l’attribution des bénéfices(82) ». Comme le souligne la Cour de cassation, le droit de rachat constitue
une révocation indirecte du bénéficiaire. Il semble en effet indiscutable que « l’exercice du rachat
aboutit au même résultat pour le bénéficiaire de l’assurance que sa révocation, en privant de toute
consistance son droit éventuel sur la valeur du contrat(83) ».

Une doctrine dissidente considère néanmoins que « l’affirmation du caractère personnel du droit
de rachat tient plus de l’incantation que de la démonstration(84) ». Pour, Jean Aulagnier, dans le cas de
l’assurance-vie mixte, « l’interruption d’une opération d’épargne au profit de l’épargnant lui-même a
du mal à passer pour un droit strictement personnel, sauf à considérer que toute opération de même
type (demande de remboursement d’un livret d’épargne) peut recevoir le même qualificatif(85) ». Cet
argument ne semble pas emporter la conviction. La particularité d’une assurance-vie mixte est de
constituer sous le même contrat, par la dualité de bénéficiaires, une opération d’épargne et de
prévoyance. C’est précisément ce que souligne le Conseiller Rémery à l’occasion de l’arrêt de la
Cour de cassation de 1994 en considérant que “présenter la demande de rachat c’est arrêter
l’opération de prévoyance et d’épargne entreprise par le souscripteur. Cette décision paraît
strictement personnelle(86)».

Le caractère personnel du droit au rachat fondé sur la révocation indirecte du
bénéficiaire explique qu’il soit bloqué par l’acceptation du bénéficiaire en vertu de l’article L. 132-9
du code des assurances qui stipule que « la stipulation en vertu de laquelle le bénéfice de
l’assurance est attribué à un bénéficiaire déterminé devient irrévocable par l’acceptation de celui-ci ».
Le rachat portant atteinte au contenu du droit du bénéficiaire, une jurisprudence dominante
considérait qu’il n’était plus possible après acceptation.

La réforme de la loi du 17 décembre 2007 réformant le régime de l’acceptation du bénéficiaire
du contrat d’assurance-vie a entériné ce principe et modifié l’article L. 132-9 du Code des
assurances. Ce dernier dispose dorénavant que « pendant la durée du contrat, après acceptation du
bénéficiaire, le stipulant ne peut exercer sa faculté de rachat et l’entreprise d’assurance ne peut lui
consentir d’avance sans l’accord du bénéficiaire ». La jurisprudence a cependant apporté en 2008
une réponse contraire pour les contrats antérieurs à la loi nouvelle, sous l’impulsion d’un courant
doctrinal emmené par Jérôme Kullmann(87). Ainsi, selon la chambre mixte de la Cour de cassation
« lorsque le droit de rachat du souscripteur est prévu dans un contrat d’assurance-vie mixte, le
bénéficiaire qui a accepté sa désignation n’est pas fondé à s’opposer à la demande de rachat du
contrat en l’absence de renonciation expresse du souscripteur à son droit(88) ». Selon Jérôme Kullmann,
l’acceptation de la stipulation pour autrui doit s’étendre au « bloc contractuel et légal » du contrat
d’assurance-vie, et notamment de la disposition d’ordre public de l’article L. 132-21 du Code des
assurances(89) qui fait obligation à l’assureur d’honorer une demander de rachat dans un délai de
deux mois, sans considération d’une éventuelle acceptation(90). Comme le démontre Luc Mayaux,
« présenter la question en terme de conflits de droits n’est pas pertinente(91) ». La disposition légale
d’une obligation d’accueillir une demande de rachat dans un certain délai n’a pas vocation à
conférer un droit au rachat en toute circonstance et ne concerne que les modalités d’exercice d’un
droit présupposé acquis.

La Cour de cassation semble avoir retenu une autre voie. Celle qui tient à considérer que la
stipulation pour autrui contient implicitement une condition résolutoire qui ne peut être écartée
qu’après une renonciation expresse. Cette solution est toujours critiquable au regard du caractère
potestatif de cette clause et de son caractère tacite qui est manifestement contraire à l’objectif de
prévoyance que poursuit un contrat d’assurance-vie(92). Cependant, la solution jurisprudentielle,
même justifiée par des arguments juridiques totalement opposés à ceux sous-jacents dans la
réforme législative, unifie dans une certaines mesure les règles applicables. Il « ressort de la loi du
17 décembre 2007 et de l’arrêt [de la chambre mixte] que le droit de rachat peut toujours être exercé,
sauf manifestation expresse de volonté du souscripteur de renoncer à ce droit(93) ». En effet, il ne faut
pas perdre de vue que la loi de 2007 a réglementé les conditions de l’acceptation du bénéficiaire(94).
Dès lors, il est difficile de considérer le droit au rachat comme constituant la valeur d’un contrat
d’assurance-vie puisqu’il peut être soumis à l’accord du bénéficiaire en cas d’acceptation. Mais plus
encore, la valeur de ce droit personnel et potestatif ne peut se figer dans celle résultant de son
exercice (2.)

1. LA DUALITE ENTRE LA VALEUR D’UN DROIT ET CELLE ISSUE DE SON EXERCICE

Le droit au rachat est, on l’a vu, personnel au souscripteur. En retenant que la valeur du contrat
de l’assurance-vie non dénouée correspondait à ce dernier, la jurisprudence considère donc que la
faculté de rachat a la même valeur que le produit de son exercice. Comme le souligne Luc Mayaux,
« ce droit ne peut avoir la même valeur que la créance née d’un rachat effectif. Soutenir le contrat
conduirait à admettre que l’usufruit a la même valeur que la propriété(95) ». En allant plus loin dans le
raisonnement, il faut considérer « qu’il n’existe pas de créance de rachat dont la valeur fulgurerait
dès l’origine dans le patrimoine du souscripteur ». Ce dernier n’aurait que « le droit de demander le
rachat et non un droit sur une créance de rachat proprement inexistante(96) ».

La valeur du droit du rachat correspond à son utilité pour le souscripteur. Cette utilité est par
nature subjective puisque ce droit est personnel et ne devrait pas être l’objet d’une évaluation
patrimoniale avant son exercice. Il faut considérer que le véritable objet du droit au rachat est de
permettre au souscripteur de récupérer les sommes placées en assurance-vie. C’est un remède à un
problème de liquidité. Comme le souligne un auteur, l’histoire montre que le droit au rachat est né
du « fort mauvais souvenir de situations dramatiques qu’avaient connues nombre de souscripteurs
lors des soubresauts historiques et économiques des premières décennies du XXe siècle : ayant un
urgent besoin d’argent, ils ne pouvaient, avant la loi, obliger l’assureur à admettre la résiliation du
contrat d’assurance au moyen du rachat(97)». Ce n’était pas autre chose qui était prévue dans le
contrat d’assurance en cause dans l’arrêt de chambre mixte du 18 décembre 2007. Il était convenu
entre les parties que « le contrat garantit par ailleurs le droit de rachat pour le cas ou le souscripteur
entendrait disposer des fonds pour satisfaire ses propres besoins, sans que l’acceptation des
bénéficiaires puisse constituer un obstacle(98) », le souscripteur ayant ensuite demandé le rachat pour
payer les charges de curatelles sous laquelle il avait été placé.

La jurisprudence de la Cour de cassation conduit à considérer que la valeur d’un droit
permettant de se prémunir contre les effets d’un blocage des fonds alimentant une opération de
prévoyance est égale aux sommes retrouvées en libre disposition ! Il n’en est évidemment rien.
Par ailleurs, même dans une compréhension patrimoniale de la créance de rachat, la valeur du
droit au rachat ne peut se confondre avec son exercice si celui-ci est subordonné à l’accord du
bénéficiaire. Dans ce cas, « la valeur du contrat est alors très inférieure pour le souscripteur à celle
du rachat : son droit devient conditionnel, dépendant de la volonté du bénéficiaire, dont on peut
supposer que, en règle générale, il ne sera pas naturellement enclin à autoriser les rachats(99) ». Cet
auteur préconisait alors d’affecter une décote sur la valeur de rachat.
On peut se demander comment calculer cette décote. En fait, il faut aller plus loin et admettre
définitivement la nature particulière de la valeur de rachat (Section 2).

80 Cass. Civ. 1ère, 8 juin 1963, D. 1964 p. 763
81 Cass. Com., 25 octobre 1994, CNP c/ Géniteau, syndic de la liquidations de biens Le Guen
82 M. Picard et A. Besson, Les assurances terrestres, t. I, Le contrat d’assurance, L.G.D.J., 1982
83 J. Bigot, note sous Cass. 1re civ., 28 avr. 1998
84 G. Courtieu, Réflexions inconvenantes sur le droit et la valeur de rachat, R.C.A. 1995, chron. n ° 27
85 J. Aulagnier, Le droit de rachat : un droit de créance discuté, J.C.P.N. oct. 1999, p. 1405
86 Cité par J. Bigot, loc. cit.
87 J. Kullmann, Pour le maintien du droit au rachat en dépit de l’acceptation du bénéficiaire, in Propos
impertinents de droit des affaires, Mélanges Gavalda, Dalloz 2001, p. 199
88 Cass. Mixte 22 février 2008,06-11934, R.G.D.A.,01 avril 2008, p. 405 ; suivi des intéressants rapports
préalables du conseiller rapporteur Madame Aldigé et de l’avis de Monsieur De Gouttes restituant l’ampleur
du débat doctrinal sur la question
89 Art. L132-21 du Code des assurances : « En cas de demande de rachat du contrat par le contractant,
l’entreprise d’assurance ou de capitalisation lui verse la valeur de transfert du contrat dans un délai qui ne peut
excéder deux mois ».
90 J. Kullmann, Le droit de rachat et l’acceptation du bénéficiaire : la découverte simultanée de deux droits
positifs, celui du passé et celui du futur, R.G.D.A. 2008, p. 277
91 L. Mayaux, Les grandes questions du droit des assurances, L.G.D.J. 2011, q. n° 12, L’assurance-vie réalise-telle
une libéralité ?
92 Ibid.
93 L. Lefebvre, Contrats d’assurance-vie mixtes : racheter n’est pas révoquer !, Revue Lamy de droit civil, mai
2008, n° 49, p. 53
94 En faveur de la loi nouvelle, L. Mayaux, Assurance-vie : plaidoyer pour une loi injustement critiquée, R.G.D.A.
2008, p. 869
95 L. Mayaux, Assurance et valeur, Par delà la diversité, Mélanges Jerry Sainte-Rose, non publié
96 L. Mayaux, L’assurance vie est-elle soluble dans la capitalisation ? Réflexions sur l’arrêt Leroux (Civ. 1re, 18
juillet 2000) et certaines propositions du 96e congrès des Notaires de France, R.G.D.A., 1 juillet 2000, p. 789
97 J. Kullmann, précit.
98 Avis de M. de Gouttes, premier avocat général, précit.
99 F. Lucet, Le sort des contrats d’assurance-vie non dénoués à la dissolution de la communauté, J.C.P.G. 1993,
art. 35481, n° 6, p. 277

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