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Section 1 : La responsabilité spéciale du fabricant d’EPERS

ADIAL

Il s’agit d’une responsabilité spéciale applicable au fabricant lorsque l’entrepreneur achète les matériaux au fabricant d’EPERS et qu’il les met en oeuvre pour le compte du maître de l’ouvrage. Le fabricant est ainsi soumis au régime juridique des constructeurs et est susceptible de voir sa responsabilité engagée solidairement avec celle de l’entrepreneur en cas de dommages à l’ouvrage(127).

Seul le fabricant est susceptible de voir sa responsabilité engagée, à l’exclusion du simple fournisseur ou du simple négociant de produits de construction. Certaines personnes sont toutefois assimilées au fabricant afin de faciliter l’action du maître de l’ouvrage : il s’agit de l’importateur d’un ouvrage, d’une partie d’ouvrage ou d’un élément d’équipement fabriqué à l’étranger mais aussi de la personne qui appose son nom, sa marque de fabrique ou tout autre élément distinctif (article 1792-4 alinéa 2 du Code civil).

Avant de s’attacher aux conditions de mise en oeuvre de cette responsabilité solidaire (§2), il convient de s’intéresser à la notion d’EPERS dont les contours apparaissent incertains (§1).

§1) Les contours incertains de la notion d’EPERS

La notion d’EPERS est évoquée à l’article 1792-4 du Code civil lequel dispose que « le fabricant d’un ouvrage, d’une partie d’ouvrage ou d’un élément d’équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service à des exigences précises et déterminées à l’avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d’ouvrage qui a mis en oeuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l’ouvrage, la partie d’ouvrage ou élément d’équipement considéré ».

Il paraît difficile, à la lecture de cet article, de se rendre compte de ce qui relève de l’EPERS, c’est pourquoi il est nécessaire de développer les termes utilisés par le législateur. Le Code civil fait référence à l’ouvrage, partie d’ouvrage ou élément d’équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l’avance. La notion d’ouvrage n’est pas définie par la loi mais il est admis qu’il peut s’agir d’un ensemble immobilier ou d’une partie d’un ensemble immobilier(128). Le fabricant d’ouvrage est celui qui fabrique des toitures, ossatures, des éléments préfabriqués. La partie d’ouvrage sera un élément d’ossature, un mur, une cloison…Les matériaux indifférenciés tels les tuiles, la pierre, le bois ne sont donc pas visés. Enfin les éléments d’équipement ne sont pas des éléments constitutifs de l’ouvrage, il s’agit en principe des appareils mécaniques et électriques, tout en précisant que les éléments d’équipement « dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage sont exclus du régime des EPERS » (article 1792-7 du Code civil)(129).

Plusieurs tentatives de définition des EPERS ont été effectuées, tout d’abord à l’article A 241-2 du Code des assurances (A), puis lors de l’entrée en vigueur de la circulaire du 21 janvier 1981 (B). A ceci s’ajoute la position du Bureau Central de Tarification (C) ainsi que celle de la jurisprudence (D).

A) La définition restrictive de l’article A 241-2 du Code des assurances

L’arrêté du 17 novembre 1978 a permis l’insertion de l’article A 241-2 dans le Code des assurances lequel donnait une définition restrictive des EPERS : il s’agissait « des parties de la construction dénommées composants, conçues et fabriquées pour remplir dans un bâtiment un ou plusieurs rôles déterminés avant toute mise en oeuvre ». Cette définition ne semblait pas faire l’unanimité et de vives discussions ont été engagées, notamment du fait de la référence à la notion de composant considérée comme floue(130). Le législateur n’a en effet jamais défini ce qu’était un composant (il pourrait s’agir d’éléments préfabriqués ou de matériaux indifférenciés mais il apparaît que le législateur n’a pas souhaité viser ces matériaux bruts). Dans un arrêt en date du 30 novembre 1979, le Conseil d’Etat a procédé à l’annulation de ladite définition(131).

B) La circulaire d’Ornano du 21 janvier 1981

L’Administration a une nouvelle fois tenté de définir les EPERS dans la circulaire du 21 janvier 1981 dite circulaire « d’Ornano »(132) laquelle a d’ailleurs permis, par la suite, l’apparition de l’acronyme EPERS (Eléments Pouvant Entraîner la Responsabilité Solidaire). Quatre conditions cumulatives doivent être remplies afin qu’un produit soit qualifié d’EPERS, que l’on soit dans le cadre d’un marché public ou privé.

La première condition est qu’une partie de la conception doit être déplacée vers le fabricant. Ensuite, il est nécessaire que l’utilisation du produit soit spécifique, c’est-à-dire que tous les matériaux indifférenciés sont exclus. De surcroît, le produit doit satisfaire en état de service, à des exigences précises et déterminées à l’avance : ces exigences seront par exemple des exigences de sécurité, d’isolation et le fabricant indiquera les performances de son produit. La dernière condition est celle de « la capacité du produit à être mis en oeuvre sans modification» c’est-à-dire que l’entrepreneur doit se conformer aux règles d’utilisation du fabricant et ne pas transformer le produit (que ce soit sa structure, sa composition ou ses caractéristiques(133)).

Afin d’illustrer ces conditions, la circulaire propose des exemples : les blocs-fenêtres et huisseries semblent répondre aux conditions énumérées, à l’inverse des briques et tuyaux. Dans ce dernier cas il est admis que la finalité d’utilisation n’est pas spécifique(134).

Cette circulaire n’a pas de valeur impérative mais elle est tout de même prise en considération puisque le Bureau Central de Tarification y fait référence.

C) La position du Bureau Central de Tarification

Cet organe a été amené à qualifier certains produits d’EPERS ou non avant de se prononcer sur la prime en cas d’obligation d’assurance. Les critères de la circulaire du 21 janvier 1981 sont rappelés dans ses décisions. Ainsi, dans une décision en date du 16 mars 1988, il a pu décider que le vitrage isolant constitue un EPERS(135). Il en est de même concernant les faux planchers à dalles amovibles, des réservoirs de production d’eau chaude sanitaire… A l’inverse, des tuiles, de la colle, du béton prêt à l’emploi, du ciment, des moellons, du marbre, du carrelage n’ont pas été qualifiés d’EPERS(136).

Malgré ces tentatives de définitions, il n’est toujours pas possible de savoir ce qu’est exactement un EPERS. La jurisprudence a essayé, à son tour, d’apporter un éclaircissement à la question.

D) La jurisprudence en la matière

Il convient de distinguer la position des juges du fond de celle de la Cour de cassation. Les juges du fond avaient initialement adopté une position libérale, reconnaissant facilement la qualification d’EPERS, mais en 1987 cette tendance a évolué.

Quant à la Cour de cassation, elle s’est fondée sur les critères dégagés par la circulaire de 1981, repris par la Bureau Central de Tarification, pour se prononcer en faveur de l’exclusion des matériaux indifférenciés de la qualification d’EPERS. Ne constituent pas des EPERS : du béton prêt à l’emploi, des tuiles, des produits liquides d’étanchéité, des tuyaux, des dalles. Elle a toutefois jugé qu’entraient dans le champ des EPERS une pompe à chaleur (en invoquant le fait qu’elle n’est amené à subir aucune transformation et qu’elle devait remplir une fonction précise de générateur de chaleur), une coque de piscine, un plancher d’étage, un châssis de fenêtre sur mesure et des panneaux d’isolation(137). Le contentieux à propos des panneaux d’isolation a évolué puisque par la suite la Cour de cassation a décidé que ces panneaux, identiques à ceux d’autres fabricants, découpés sur le chantier constituaient « des matériaux indifférenciés et nécessitant des modifications pour leur mise en oeuvre excluant la qualification d’EPERS(138) » ; il s’agissait de produits de catalogue ne répondant pas à une prédétermination en vue d’une finalité spécifique. Il convient de préciser que le Conseil d’Etat avait adopté une position inverse le 6 octobre 2004.

L’arrêt de l’Assemblée Plénière de la Haute juridiction du 26 janvier 2007, faisant suite à l’arrêt du 22 septembre 2004 précité a constitué un tournant important. Elle a considéré que ces panneaux constituent bien des EPERS car ils répondaient à « des exigences sanitaires et thermiques spécifiques(139)». La Cour de cassation s’est ainsi affranchie des critères auparavant mentionnés(140). Consécutivement, plusieurs arrêts ont été rendus le 25 avril 2007, reprenant la position du 26 janvier 2007.

Enfin, deux derniers arrêts sont importants. Il apparaît, dans celui du 19 décembre 2007, qu’il est nécessaire que l’élément ait été conçu et produit pour être intégré à l’ouvrage afin de pouvoir être qualifié d’EPERS(141). Dans celui du 27 février 2008, la solution est identique puisque la Cour de cassation relève que les panneaux isolants n’ont pas été fabriqués spécifiquement pour le chantier en question, qu’aucun dimensionnement particulier n’avait été défini et donc qu’ils n’étaient pas différenciés(142). Dès lors, le critère posé par l’article 1792-4 du Code civil est le seul critère déterminant, l’élément devant avoir été « conçu et produit pour satisfaire, en état de service à des exigences précises et déterminées à l’avance » (le produit doit avoir été fabriqué en tenant compte de conditions spécifiques pour un chantier en question).

Toute cette évolution n’a pas rendu aisée la distinction entre les éléments pouvant être qualifiés d’EPERS et ceux qui en sont exclus, et il est encore difficile à l’heure actuelle de se positionner de façon certaine(143).

Afin de régler les incertitudes, certains assureurs ont mis en place une liste conventionnelle des EPERS qui n’a toutefois aucune force obligatoire. Selon cette liste, les produits constituant par eux-mêmes des éléments d’ouvrage de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos et de couvert, ainsi que certains éléments d’équipement indissociables des éléments d’ouvrage précités (tels des blocs compacts non démontables pour ensemble sanitaire ou technique) sont des EPERS(144).

Il convient à présent de s’intéresser aux conditions de mise en oeuvre de la responsabilité solidaire du fabricant.

§2) Les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité solidaire

Il est nécessaire qu’un contrat de louage d’ouvrage ait été conclu entre un entrepreneur et un maître de l’ouvrage pour que la responsabilité solidaire du fabricant puisse être engagée (si l’ouvrage est réalisé par un sous-traitant l’article 1792-4 du Code civil n’est pas applicable. Il en est de même si le maître d’ouvrage met en oeuvre lui-même le produit).

Par ailleurs, l’ouvrage, la partie d’ouvrage ou l’élément d’équipement doit avoir été mis en oeuvre par le locateur d’ouvrage sans modification. La notion de modification prête à discussion. S’il est communément admis que l’entrepreneur effectue une simple pose concernant une charpente ou une toiture, il est possible d’en douter concernant d’autres éléments comme la pose d’une toiture-terrasse. Dès lors, si de simples ajustements sont nécessaires, la qualification d’EPERS peut être retenue, ce qui ne sera pas le cas si des modifications doivent être effectuées comme le découpage sur un chantier d’un panneau d’isolation (voir l’arrêt du 22 septembre 2004 précité). Si la nature de l’élément considéré induit des aménagements, il ne s’agit pas de modifications(145).

La dernière condition est relative à la mise en oeuvre « conformément aux règles édictées par le fabricant » (article 1792-4 du Code civil) c’est-à-dire que l’entrepreneur doit se conformer aux prescriptions du fabricant qui apparaissent dans un mode d’emploi par exemple, ainsi qu’aux précautions explicitées par ce dernier.

Lorsque toutes ces conditions sont réunies, la responsabilité du fabricant d’EPERS pourra être engagée solidairement avec celle de l’entrepreneur-poseur, et ce, à l’égard du maître de l’ouvrage. Toutefois, ceci n’est possible que si la responsabilité décennale de l’entrepreneur-poseur est recherchée c’est-à-dire en cas de dommages « qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination(146) ». Le fabricant et l’entrepreneur-poseur seront donc responsables pendant dix ans à compter de la réception des travaux (article 1792-4-1 du Code civil). De même, le fabricant d’EPERS sera solidairement responsable lorsqu’une action en responsabilité est engagée contre l’entrepreneur suite aux dommages causés aux éléments d’équipement dissociables (un véritable dysfonctionnement de l’élément d’équipement doit être révélé) : il s’agit de la garantie biennale de bon fonctionnement de l’article 1792-3 du Code civil.

Nous avons pu constater que la notion d’EPERS n’est pas facile à comprendre et qu’il n’est pas aisé de délimiter ses conditions. D’ailleurs, certains auteurs comme Philippe Malinvaud et Jean Bigot souhaitent l’abrogation pure et simple de l’article 1792-4 du Code civil(147).

Après s’être intéressé à la responsabilité solidaire du fabricant d’EPERS, il convient d’étudier la responsabilité décennale du fabricant procédant à l’intégration des matériaux.

127 MALINVAUD (P.), Droit de la construction, Dalloz action, 2010, p. 1260 ; CASTON (A.), La responsabilité des constructeurs, 6è ed. Moniteur, 2006, p 225
128 KULLMANN (J.), Lamy assurances, Editions Lamy, 2012, n°3263
129 MALINVAUD (P.), Droit de la construction, Dalloz action, 2010, p. 1263
130 KULLMANN (J.), Lamy assurances, Editions Lamy, 2012, n°3518
131 CE 30 nov. 1979, n° 15.935 et 17.366, AJPI 1980, 224, obs. F. Moderne ; DURRY (G.), L’annulation de l’article A 241-2 du Code des assurances, RDI 1980, 30
132 Circulaire n° 81-04 du 21 janvier 1981 du ministère de l’Environnement et du Cadre de vie pour l’application aux marchés publics de la loi n° 78-12 du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction en ce qui concerne les produits pouvant entraîner la responsabilité solidaire du fabricant et du metteur en oeuvre, Annexe n°1
133 MALINVAUD (P.), Droit de la construction, Dalloz action, 2010, p. 1263 ; ZAVARO (M.), La responsabilité des constructeurs, 2è ed., Lexis Nexis, 2007, page 83 ; CASTON (A.), La responsabilité des constructeurs, 6è ed. Moniteur, 2006, p 227
134 KULLMANN (J.), Lamy assurances, Editions Lamy, 2012, n°3568
135 Déc. BCT n° R. 88-41, 16 mars 1988
136 KULLMANN (J.), Lamy assurances, Editions Lamy, 2012, n°3568; ZAVARO (M.), La responsabilité des constructeurs, 2è ed., Lexis Nexis, 2007, page 83
137 PERINET-MARQUET (H.), La responsabilité des fabricants de matériaux de construction, Gazette du Palais, 24 février 2007, n°55 ; CASTON (A.), La responsabilité des constructeurs, 6è ed. Moniteur, 2006, p 229
138 Cass. 3è civ., 22 sept 2004, n°03-10.325, Bull. civ. III, n°151
139 Cass. ass. plén., 26 janv. 2007, n°06-12.165, Bull. civ. ass. plén., n°2, RDGA 2007, p. 369, Annexe n°2
140 BEAUGENDRE (S.), A propos de la responsabilité des fabricants et du périmètre de l’assurance construction: l’assemblée plénière a-t-elle percé le secret des EPERS ?, LPA 20 juin 2007, p.11 ; MALINVAUD (P.), Coup d’éclat ou coup de grâce pour les EPERS ?, RDI 2007, p. 166
141 Cass. 3è civ., 19 déc. 2007, n°06-19.595, RDI 2008, 105, obs. Ph. Malinvaud
142 Cass. 3è civ., 27 févr. 2008, n°07-11.280, Bull. civ. III, n°33, RGDA 2008, p. 391, note Karila J.-P. et Charbonneau C.
143 LE LESCURE (P.), La catégorie des éléments pouvant entraîner la responsabilité solidaire (EPERS), RDI 2006, p. 347
144 CASTON (A.), La responsabilité des constructeurs, 6è ed. Moniteur, 2006, p 229 ; KULLMANN (J.), Lamy assurances, Editions Lamy, 2012, n°3669
145 Cass. 3è civ., 4 janv. 2006, n°04-13.489, Bull. civ, III n°1
146 Article 1792 du Code civil, 111è ed, Dalloz, 2012
147 MALINVAUD (P.), Requiem pour l’article 1792-4 du Code civil, RDI 2008, p. 285 ; BIGOT (J.), L’EPERS, l’herpès de l’assurance construction, Argus, 25 nov.1988, p. 3038

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