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Section 1. La preuve des pratiques discriminatoires

ADIAL

Il est notable qu’en droit de la responsabilité, le régime de la preuve constitue un
véritable obstacle à franchir par la victime pour obtenir une juste réparation à un dommage
qu’il soit matériel, physique ou moral. La violation du principe de non-discrimination
n’échappe pas à la règle. Dans ce domaine, la preuve de la pratique discriminatoire
s’administre en deux temps (§2) mais cette pratique nécessite d’être qualifiée préalablement
de discriminatoire (§1).

§ 1. La caractérisation de l’illicéité de la discrimination

L’illicéité de la discrimination résulte, comme nous l’avons précédemment étudié,
d’un traitement moins favorable (A) et d’un motif illicite (B). Ces deux problèmes se
retrouvent confrontés lors de la constitution de la preuve de la discrimination.

A. L’appréciation du traitement moins favorable

Dans la plupart des hypothèses, cette preuve résulte d’une étude comparative du
traitement de salariés placés dans une même situation. Cette analyse comparative résulte des
nombreuses dispositions, communautaires et également de la loi du 27 mai 2008, qui font
expressément mention de cet « autre » avec lequel il convient de comparer le salarié qui
s’estime victime de discrimination.

Cependant, cette référence à l’autre n’implique pas que le juge doive nécessairement se livrer
à une appréciation « in concreto » de la différence de traitement et qu’il trouve effectivement
un salarié, placé dans la même situation au sein de l’entreprise et qui ait subi un traitement
plus favorable. En effet, une telle affirmation rendrait improuvable la situation d’un salarié
victime de discrimination uniquement pour des motifs qui lui seraient personnels sans qu’un
autre salarié ne profite des mauvais traitements.

Dès lors, la comparaison peut également s’effectuer « in abstracto » comme le suggère
l’emploi du conditionnel dans les textes précités(16). Ainsi, il peut être fait référence soit au bon
père de famille auquel on prêtera les mêmes caractéristiques que le salarié mal traité, soit au
salarié lui-même pour observer quel traitement il a dores et déjà reçu ou aurait reçu si
l’employeur n’avait pas pris en compte le motif discriminatoire. C’est en ce sens que la
jurisprudence a précisé que « l’existence d’une discrimination n’implique pas nécessairement
une comparaison avec la situation d’autres salariés »(17).

Ainsi, la comparaison doit s’effectuer « in abstracto » lorsque le juge apprécie le caractère
éventuellement discriminatoire des conditions du bénéfice d’un droit ou d’un avantage posées
par un texte. Pour autant, le problème du caractère illicite reste à prouver (B).

B. La preuve du caractère illicite

Il y a discrimination si la différence de traitement constatée repose bien sur un motif
illicite. Si cette différence repose sur un motif licite, il ne peut s’agir que d’une simple
différence de traitement. Or, la différence de traitement est licite lorsque son motif est
totalement étranger aux listes préalablement citées. De même, la différence de traitement
pourrait relever d’une situation autorisée, lorsque la mesure fondée sur un critère en principe
prohibé bénéficie d’une autorisation expresse et exceptionnelle de la loi.

A ce propos, il est important de reconnaître que la loi ne confère, aux personnes présentant
une ou plusieurs caractéristiques protégées, aucune immunité. En effet, la législation
protectrice envers certaines personnes confère seulement le droit de ne pas être mal traité en
raison de l’une de ces caractéristiques. Ce cas peut parfaitement s’illustrer par la protection
des personnes atteintes d’un handicap.

Ainsi, le juge doit pouvoir bénéficier d’éléments objectifs fournis par les parties et
contradictoirement discutés par elles afin qu’il puisse juger de l’illicéité ou non de la
différence de traitement(18).

Si l’appréciation de la discrimination illicite s’opère par l’analyse du traitement moins
favorable et par la détermination du caractère illicite, la charge de la preuve reste à déterminer (§2).

§ 2. La charge de la preuve.

En matière de droit de la responsabilité, celui qui se prévaut du droit à réparation pour
un dommage causé doit en apporter la preuve(19). Une fois n’est pas coutume, la charge de la
preuve en matière de discrimination n’échappe pas à ce principe. Cependant, il s’agit d’une
simple obligation probatoire. En effet, le salarié n’a pas à prouver la matérialité de l’ensemble
des faits allégués dès lors que certains le sont et qu’ils laissent supposer qu’il a été victime
d’une discrimination(20).

En matière pénale, l’administration de la preuve peut également être faite par la méthode dite
du « Testing »(21). Cette dernière, encore appelé « test de discrimination », consiste à comparer
le traitement réservé à des personnes « de référence » avec celui réservé à des personnes
susceptibles d’être discriminées. Pour exemple, lorsqu’un employeur est suspecté de réserver
un traitement discriminatoire à certaines candidatures à l’embauche, la méthode du « testing »
s’exécute comme suit : un certain nombre de profils de salariés rigoureusement identiques, à
l’exception de la variable testée, sont adressés à l’employeur. Il faudra alors analyser les
réponses données à ces différents profils pour déterminer si l’employeur réserve un traitement
particulier à ces différents profils. Selon cette méthode, une discrimination peut valablement
être suspectée lorsque l’écart statistique, entre les demandes des profils de salariés, atteint
15%.

Nonobstant son caractère déloyal ou illicite, cette méthode a été reconnue valide par la
jurisprudence pénale. En effet, cette pratique a été jugée conforme aux principes qui
gouvernent la preuve des infractions pénales par la Cour de cassation qui a pu décider
qu’« aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter les moyens de preuve
produits par les parties au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale
(…) il leur appartient seulement (…) d’en apprécier la valeur probante après les avoir soumis
à la discussion contradictoire »(22). A la suite de cette décision, la loi du 31 mars 2006(23) a, par
son article 45, légalisé le test en matière pénale et créé un article 225-3-1 du Code pénal
spécifique à la discrimination.

En droit civil, cette méthode n’a pas été retenue comme valable car elle contrevient au
principe selon lequel les preuves obtenues par un procédé déloyal ou illicite ne peuvent être
produites. Pour autant, la matière civile, tout comme le droit pénal, dispose de nombreux
autres moyens d’apporter la preuve de la discrimination. L’écrit constitue toujours un mode
de preuve certain. Ainsi, le salarié victime pourra produire des courriers ou encore demander
la production de rapports d’évaluation. De même, le salarié pourra produire les attestations
d’autres salariés pour établir la matérialité des faits sur lesquels il se fonde(24). L’administration
de la preuve en matière de discrimination reconnaît même la validité de la simultanéité des
événements. Le salarié licencié pendant le déroulement d’une grève bénéficie même d’une
présomption d’imputabilité de ce licenciement à l’exercice du droit de grève et peut en obtenir
l’annulation, sauf si l’employeur prouve que cette rupture du contrat de travail a été
prononcée en raison de faits antérieurs au conflit social(25).

Ainsi, le mécanisme de la charge de la preuve pèse au préalable sur le salarié qui s’estime
victime. Mais si l’ensemble des éléments de preuve laisse transparaitre une situation de
discrimination, la charge de la preuve s’inverse. C’est alors à l’employeur que revient la
charge de prouver « son bon droit ». Si l’employeur n’y parvient pas et qu’un doute
raisonnable subsiste, c’est le salarié qui obtient gain de cause(26).

La charge de la preuve est ainsi plus aisée pour le salarié qui devra néanmoins s’organiser
pour amener des éléments suffisants pour s’offrir la possibilité d’engager la responsabilité de
l’employeur. S’agissant des recours ouverts au salarié victime de discrimination, plusieurs lui
sont possibles (Section 2).

16 La Directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 utilise le conditionnel présent « ne le serait » ; La loi du 27 mai
2008 a préféré l’usage du conditionnel passé première forme « ne l’aurait été ».
17 Cass. soc., 10 novembre 2009, Borruto, Dr. Soc., 2010, p. 111, obs. Ch. Radé.
18 M.-A. Moreau, « La justification des discriminations », Dr. Soc., 2002, p. 1112.
19 Principe de droit civil codifié aux articles 1382 et 1383 du C.civ.
20 Cass. soc., 19 octobre 2010, n°09-42.391.
21 Cette méthode fut créée par F. Bovenkerk. Depuis 1992, elle est utilisée par le Bureau International du Travail
pour évaluer les différentes discriminations.
22 Cass. crim., 11 juin 2002, Bull. crim. n°131.
23 Loi n°2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances.
24 Cass. soc., 2 décembre 2009, n°08-44.243.
25 Cass. soc., 19 janvier 2011, n°09-43.547.
26 Cass. soc., 16 décembre 2008, Dr. Soc. 2009, p. 363, obs. Ch. Radé.

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