L’art public : l’art du public, pour lui et par lui. L’art qu’on rencontre, qu’on croise, sur lequel on tombe. L’art qui existe dans le même espace que le public, qui vit la même vie, la même ville ; l’art de l’espace public, de l’agora.
Il y a celui qui est déjà là : monuments, bâtiments, statues de gens qui ont dû être importants en leur temps et qui nous servent encore de repère, plutôt géographique que moral.
Il y a celui auquel on s’attend, plus ou moins : œuvres de commande longuement débattues, destinées à commémorer ou décorer.
Il y a enfin celui qui nous tombe dessus, qui nous bouscule et disparaît en courant, nous tape sur l’épaule et nous vole notre attention. L’art intrusif qui s’immisce dans les interstices, couvre les murs nus, pousse entre les pavés. L’art qui pousse, tout court : qui exagère. Peint, dansé, sculpté, fait pour durer ou éphémère, criard ou invisible à l’œil non averti, l’art dans la rue est aussi varié que les artistes qui le créent, les murs qui le portent et les passants qui le perçoivent. C’est un art populaire, enfant de son temps, encore mal défini mais déjà catalogué au musée et copié par la publicité. Gratuit par essence – don de l’artiste au public –, il s’insère pourtant dans une économie et entretient des rapports complexes avec les institutions politiques et artistiques, tout comme avec le secteur marchand. Cet art qui ne vend rien, qui n’est même pas à vendre, cet art qui est en trop parce qu’il montre les failles qu’on ne saurait voir, qu’en faire ? Qu’en penser ? A quelle aune le juger ? Et à quoi sert-il ?
Parce qu’il s’expose dans la rue, livré au jugement du public sans l’intermédiaire d’un discours ou d’un cadre qui attesteraient de son statut artistique et de sa qualité esthétique, c’est un art qui joue avec les définitions et les conventions du monde de l’art. Parce qu’il s’impose dans l’espace public, sans autorisation préalable des autorités en charge, c’est un art qui joue avec les frontières de la
légalité et de la liberté d’expression. C’est donc dans ses dimensions esthétiques et politiques que je vais considérer l’art public non programmé, en commençant par le terrain de jeu et d’enjeux, la ville.
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