Le mode de consommation a évolué ces dernières années, sans doute en raison de la récession. Des caractères généraux de comportements de consommation apparaissent chez le consommateur. En premier lieu, la publicité donne de moins bons résultats que durant les dernières décennies, mais elle reste malgré tout indispensable pour lancer de nouveaux produits. En deuxième lieu, le consumérisme a quasiment disparu. Finies les grandes campagnes de lutte contre un produit ou un ensemble de produits, les boycotts de produits ou de marques. Cette nouveauté est peut-être en partie due aux nouvelles approches de la clientèle par les entreprises qui prennent en compte les remarques des clients afin d’améliorer la qualité de leur production. En troisième lieu, il est de plus en plus difficile de classer les comportements d’achats par segments stratégiques. “Mais aujourd’hui, les méthodes d’analyse du consommateur sont chahutées… par le consommateur lui-même. Il ne se laisse plus enfermer dans des modèles. Il s’approprie deux ou trois façons d’agir différentes, parfois au cours de la même journée. Il se rend à midi dans un fast-food et le soir dans un grand restaurant. Prend la première classe la semaine et la seconde le week-end. Il est consommateur «caméléon», roi de l’éphémère. Et, du coup, une belle source de tracas pour les entreprises qui se demande comment le saisir”(1). Enfin, les consommateurs réclament des produits vraiment adaptés à leurs besoins. Ils ne veulent plus de biens génériques. Ils ne veulent plus une automobile parce qu’elle roule, mais ils veulent une voiture de ville, avec un habitacle évolutif ou une forme originale, avec une couleur bleu tirant sur le vert, etc… .
Cette évolution de goût est poussée par l’offre des producteurs qui proposent des gammes de produits de plus en plus élargies. Il suffit de se rendre compte : il existe plus de onze millions de modèles de bicyclettes, Sony, à lui seul, propose plus de 250 modèles de baladeurs, Mitsushita 220 types de téléviseurs et 62 types de magnétoscopes. Il en est de même pour l’automobile, les clubs de vacances, l’électroménager et même les journaux(2). Chaque besoin détecté conduit au développement d’un nouveau bien qui propose de l’assouvir, tant qu’il est techniquement (et profitablement) productible. La firme monoproductrice a disparu du paysage. Henry Ford disait “le consommateur peut préférer n’importe quelle couleur, tant que ce soit le noir”. Aux nouveaux producteurs de rétorquer “les consommateurs peuvent préférer n’importe quoi du moment que ce soit rentable”.
Peut-on dire pour autant que notre époque est caractérisée par la différenciation des produits, par opposition avec l’époque d’après-guerre illustrée par un marché de produits standards ? La théorie économique tente de répondre à cette question. La théorie micro-économique standard répond simplement en indiquant que le marché doit être composé de bien normés au sein d’une même classe de produits mais pouvant être substitués par d’autres biens (tous les produits d’une classe sont identiques et les acteurs sont très nombreux et anonymes). La théorie de l’offre de bien différenciés – la concurrence monopolistique de Chamberlin – prend le contre-pied de ce type de modèles. Ici, contrairement au précédent, tous les producteurs offrent un produit unique (et un seul). Même si celui-ci possède les mêmes caractéristiques que celui de son voisin, le bien sera différent parce que le producteur est différent. Cette théorie présente un monde dans lequel tous les biens sont uniques, les producteurs pouvant jouer sur un côté relationnel. La nouvelle théorie de la demande aborde différemment le point de vue de la différenciation : pourquoi les gens choisissent tel produit plutôt que tel autre ?
La nouvelle organisation de la production développée autour du modèle Toyota de flux tendus depuis les années 70 vient bouleverser la notion de diversification des produits décrits par ces théories de la différenciation. La théorie de la concurrence monopolistique, en raison de sa nature fondamentalement fordiste, peut paraître obsolète dans cette nouvelle conjoncture, mais elle reste malgré tout très actuel dans les concepts et les résultats obtenus. Quant au modèle de la demande de caractéristiques de Lancaster, il parait beaucoup mieux adapté au mode actuel de production – puisque ce modèle de production se base sur une nouvelle considération de la demande -, mais il doit néanmoins subir quelques modifications.
Dans les pages qui suivent, nous décrirons les modèles de bases de l’analyse de la différenciation des produits que sont la concurrence monopolistique et la nouvelle théorie de la demande, puis nous verrons l’impact de ces théories sur l’organisation fordiste, et enfin nous verrons la conséquence du changement de modèle de production sur la vision de la différenciation des produits.
1 Dubois B., 1991, “Le consommateur caméléon”, Harvard-l’Expansion, été, n° 61, pp. 7-13, citation p. 7.
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