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Introduction générale

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La question de départ

Les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP) prennent en charge l’ensemble des mesures de justice en milieu fermé, c’est-à-dire en détention, comme en milieu ouvert : les peines alternatives à l’incarcération, les aménagements de peine, les contrôles judiciaires et depuis peu, les mesures de sûreté. Ces services, dépendant de l’Administration Pénitentiaire, ont été récemment médiatisés lors de l’affaire dite « de Pornic»(1), en janvier 2011 : une jeune femme y a été sauvagement assassinée par une personne, placée sous main de justice et récemment sortie de détention sans suivi effectif par le SPIP à l’extérieur.

Les médias nationaux ont largement relayé les difficultés rencontrées par ces services face à la surcharge de mesures engendrées par les différentes politiques pénales passées et présentes. La mise en cause publique par le Gouvernement de l’action des Juges d’Application des Peines de la juridiction nantaise et des Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (CPIP) a créé un mouvement(2), unique à ce jour, de l’ensemble des personnels de justice, des magistrats aux agents administratifs, mouvement qui s’est poursuivi dans les SPIP une partie de l’année 2011. Ce fait divers a surtout, à notre sens, confirmé de manière criante le manque de visibilité de l’action des SPIP aux yeux du grand public, malgré leur rôle charnière au sein de la Justice Pénale, rôle réaffirmé par la loi Pénitentiaire du 24 novembre 2009.

Cette Loi, intégrant en partie les recommandations édictées par les Règles Pénitentiaires Européennes(3), consacre le principe du caractère exceptionnel de l’emprisonnement, le déploiement massif de la surveillance électronique, et des aménagements de peine et la généralisation des programmes de prévention de la récidive. Elle s’inscrit dans la continuité de réformes d’envergure comme la juridictionnalisation de l’Application des Peines en 2004, la mise en oeuvre des peines planchers en 2007 et la création de nouvelles mesures de sûreté en 2008. Les missions d’accompagnement social des CPIP sont amenées à être confiées à d’autres professionnels et leurs missions recentrées sur la prévention de la récidive, sur la base d’un diagnostic à visée criminologique et de méthodologies d’interventions nouvelles : les programmes de prévention de la récidive. En 2008, un mouvement social(4) avait cristallisé un malaise latent des CIP, face aux prémisses de ces évolutions majeures, et entraîné une revalorisation indiciaire accompagnée d’un changement de nom.

Depuis le 1er janvier 2011, les Conseillers d’Insertion et de Probation s’appellent désormais Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation.
De surcroît, les SPIP n’ont jamais été confrontés à un nombre aussi conséquent de personnes à suivre. Au 1er juillet 2011, la France comptait 73 320 personnes sous écrou, dont 64 726 détenus, contre 49 718 et 49 342 dix ans plus tôt (soit + 47,5 % et + 31,2 %). Au 1er juin 2011, il n’y a jamais eu autant de détenus dans les prisons françaises (64 971). Au total, les CPIP sont au contact, au 1er janvier 2011, de 239 997 personnes condamnées à des mesures de justice.
Les mesures, en milieu ouvert, sont en constante augmentation depuis 1999. Au 1er janvier 2011, 173 022 personnes étaient suivies en milieu ouvert contre 123 492 en 2005, soit une augmentation de 28,6%.(5)

Ce sont ces fonctionnaires du Ministère de la Justice que nous avons choisis d’étudier, du fait de notre accès privilégié aux SPIP en tant que Conseiller Pénitentiaire d’Insertion et de Probation, en poste au Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation de la Seine-Saint Denis. Nous nous proposons, ici, de mettre en perspective les évolutions des missions des CPIP en regard avec les évolutions institutionnelles concernant les SPIP. Comment documenter les tensions et paradoxes traversant la filière Insertion et Probation de l’Administration Pénitentiaire ? Comment analyser ce passage, en une dizaine d’années, d’un travail social pénitentiaire datant de la création des Juges de l’Application des Peines en 1958, à un traitement pénal d’inspiration criminologique ?

Qu’est-ce qu’être Conseiller Pénitentiaire d’Insertion et de Probation aujourd’hui dans un contexte d’évolutions institutionnelles constantes depuis la création des SPIP en 1999 ?

Revue de littérature

L’Administration Pénitentiaire a principalement été étudiée par le prisme emblématique de la prison, sous l’angle de la place qu’elle occupe dans la société, mais aussi de l’influence sur les trajectoires des détenus qu’elle exerce, ou bien les stratégies développées par ceux-ci pour s’adapter à l’univers carcéral.

Les concepts fondamentaux d’institution totale, « un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées». [GOFFMAN, 1961] et de « gouvernementalité » [FOUCAULT, 1975] consistant, pour l’État, à « exercer par rapport aux habitants, aux richesses, aux comportements de tous et de chacun, une forme de surveillance, de contrôle tout aussi attentive que celle du père de famille sur la maison et sur les biens » [DIMIER, 2010] ont irrigué des générations de travaux sociologiques en France.

Ils concernent notamment des récits de « carrières » de délinquants incarcérés en maison d’arrêt [CHANTRAINE, 2004] ou bien les interactions entre la prison et l’extérieur, dans une perspective d’écologie sociale [MARCHETTI, COMBESSIE, 1996], [FAUGERON, CHAUVENET, COMBESSIE, 1996], [COMBESSIE, 2001].
La généralisation de la surveillance électronique est, toutefois, venue peu à peu brouiller les frontières entre milieu ouvert et milieu fermé et élargir les études au champ de la probation.

Qu’elle soit fixe ou mobile, la surveillance électronique initie un mouvement de privatisation de l’espace public et de publicisation de l’espace privé qui interpelle les chercheurs. Cette délimitation plus floue entre le milieu ouvert et le milieu fermé, les a conduits à porter leur attention sur les personnels mettant en oeuvre ces mesures de surveillance électronique, de manière périphérique [FENECH, 2005] [CARDET, 2004] [RAZAC, 2010]. De même, lorsque des études abordent l’action des personnels pénitentiaires (Surveillants, Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation, administratifs, fonctions d’encadrements), elles concernent en premier lieu des thématiques transversales comme la santé [FERNANDEZ, 2010], le travail [MARCHETTI, 1997] ou bien les liens familiaux [RICORDEAU, 2005] entre autres nombreux travaux.

Il existait toutefois une littérature concernant les surveillants pénitentiaires en France antérieure à la surveillance électronique. L’activité des surveillants est ainsi analysée dans sa double situation de soumission vis-à-vis de la hiérarchie et de domination vis-à-vis de la population pénale [CASADAMONT, 1984].

Suite à des mouvements sociaux importants dans les années 1990, les contradictions multiples des missions des surveillants pénitentiaires entre sécurité interne, sécurité externe, obligation légale de moyen et obligation pratique de résultats, logique bureaucratique et logique du maintien de l’ordre, sont analysées [CHAUVENET, ORLIC, BENGUIGUI, 1994]. La construction d’une identité professionnelle spécifique [LHUILIER, AYMARD, 1997] et la constitution d’une conscience collective paradoxale [MONTANDON, CRETTAZ, 1981] sont traitées.

L’étude de la socialisation professionnelle des surveillants, et notamment du décalage entre une politique institutionnelle qui érige leur professionnalisation en « objectif indiscuté » et une organisation dont le fonctionnement promeut un « professionnalisme déviant » [MALOCHET, 2007, p33] est abordée. Dans cette étude, la question de la formation initiale des surveillants à l’École Nationale d’Administration Pénitentiaire est centrale.

Il est abondamment décrit « l’ambiguïté de la « professionnalisation » revendiquée dans le discours institutionnel. Il ne s’agit pas tant de promouvoir les surveillants comme groupe professionnel autonome, mais plutôt de mobiliser les professionnels et de normaliser leur activité pour satisfaire à un impératif de sécurité. Dans ce cas, la « professionnalisation » ne doit donc pas s’analyser comme un processus menant à la constitution d’un monopole professionnel. Loin d’être le prélude à une autonomie accrue, le discours institutionnel sur la professionnalisation masque, au contraire, la volonté de renforcer le contrôle sur les professionnels » [MALOCHET, 2007 p108].

Les travaux concernant uniquement les Conseillers d’Insertion et de Probation sont nettement plus rares et tous issus de commandes institutionnelles. L’identité professionnelle des CIP est ainsi analysée en référence à une circulaire(6) définissant les modalités d’un travail social pénitentiaire aujourd’hui caduques [LHUILLIER, 2006]. Dans cette étude, inscrite dans une approche théorique psychosociale, il apparaît que 60% des personnes ayant répondu au questionnaire dans le rapport, n’utilisent pas le terme de CIP mais majoritairement celui de travailleur social.

Mais certains « souhaitent affirmer une identité spécifique de CIP, et prennent le temps d’expliquer, militant pour une visibilité du métier en externe … certains vont expliquer inlassablement ce qu’est un CIP, ce qu’il fait ». [LHUILLIER, 2006, p81]. Une autre commande institutionnelle emprunte aux travaux sur la socialisation professionnelle des surveillants pour analyser celle de la douzième promotion des Conseillers d’Insertion et de Probation.

On observe, chez ces Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation en formation initiale, « une tendance à se replier vers le cadre juridique de leur intervention, l’exécution de la peine (58%). En supposant que ce constat résulte d’un recrutement massif d’élèves issus de la filière juridique, on peut également penser que c’est parce que la réinsertion est difficilement mesurable pour des élèves en attente de repères, qu’elle n’est pas, dans le cadre d’une initiation professionnelle, un pilier auquel ils peuvent se raccrocher pour asseoir leur construction identitaire » [GRAS, 2008, p39].

Problématique et hypothèse

Nous proposons, dans notre étude, de mettre en dialogue la volonté de professionnalisation des personnels affichée par l’Administration pénitentiaire, avec les évolutions institutionnelles et structurelles des SPIP, et les représentations des CPIP sur leurs pratiques. Dans quelle mesure les évolutions des missions des Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation depuis 1999 ont-elles fait émerger chez les CPIP de nouvelles professionnalités inscrites dans un processus de professionnalisation cohérent ?

En effet, les études suscitées, portant sur les personnels pénitentiaires, sont fréquemment construites autour des notions d’identité professionnelle et de socialisation professionnelle, notions connexes au concept de professionnalisation. La professionnalisation désigne ce mouvement par lequel un groupe professionnel exprime un désir de reconnaissance dont le sens est donné par le modèle professionnel en tant « qu’ensemble de représentations sociales des rôles et de l’organisation des professions (…) qui justifient le monopole des professions établies sur une sphère d’activité comme condition de la compétence technique et du respect de règles morales dans l’exercice des activités présentées comme au service de l’intérêt général » [CHAPOULIE, 1973, p86-114].

Dans cette quête de reconnaissance sociale, les travailleurs vont donc construire progressivement une argumentation tendant à démontrer que la production du service, à laquelle ils contribuent, requiert la mobilisation de véritables professionnels.

Les notions de profession et de professionnalisation s’inscrivent difficilement dans la réalité socio-politique française alors qu’elles renvoient à une réalité historique apparue au XVIIème siècle dans les pays de tradition protestante et à un type particulier de stratification sociale qui situe les professions, et plus largement les activités intellectuelles, au sommet de la hiérarchie sociale. En effet, il existe en France une polysémie du terme profession qui peut être une « déclaration comme vocation professionnelle, une fonction et une position professionnelles, un métier et une spécialisation professionnelle et un emploi au sein d’une classification professionnelle » [DUBAR, TRIPIER, 2005, p6].

Deux principaux courants se sont longtemps opposés dans le champ théorique de la sociologie des professions.

Ainsi, le courant fonctionnaliste [PARSONS, 1939] [PARSONS, 1955] [GOODE, 1957] [WILENSKY, 1964], qui prend ses sources aux États-Unis dans les années 40-50, « a longtemps entretenu cette mystique des professions nourrissant l’idée d’une autorité et d’une légitimité données d’avance, indépendamment de leur mise à l’épreuve dans des situations de travail concrètes.» [DEMAZIERE, GADEA, 2009, p21]. En effet, selon ce courant, il existe des caractéristiques propres aux professions, que d’autres activités rémunérées ou non, réunies sous le vocable « occupations », ne possèdent pas.

Avec quelques nuances, selon les auteurs, la référence à « un savoir spécialisé et appliqué, acquis au terme d’une longue formation supérieure » [LE BIANIC, 2005, p57] est le coeur de cette sociologie des professions américaines. Ainsi, les professions sont naturalisées, essentialisées et leurs activités prennent un certain nombre de traits spécifiques.

Cette approche naturaliste des professions, qui les fige dans une fonction sociale déterminée, va être, très vite, remise en question et critiquée par la sociologie interactionniste des professions qui démontre le caractère construit et constamment négocié des savoirs mobilisés par les groupes professionnels.

Pour les auteurs interactionnistes, [HUGHES, 1952] [ABBOT, 1988] [BUCHER, STRAUSS, 1992] « les groupes professionnels ne sont pas des professions séparées, unifiées, établies et objectives, ce sont des processus historiques, de segmentation incessante, de compétition entre segments, de professionnalisation de certains segments et de déprofessionnalisation d’autres segments, de restructuration périodiques sous l’effet des mouvements du capital, des politiques des états ou bien des actions collectives de ses membres» [DUBAR, 2003, p 58].

Ainsi, « tout collectif exerçant une activité, un métier, un emploi est conduit à stabiliser son domaine, son territoire, sa définition, en obtenant des partenaires une autorisation spécifique. Lorsqu’un groupe y parvient, il devient, au moins pour un temps, une profession » [DUBAR, TRIPIER, 2005, p101].
Analyser un processus de professionnalisation en France, c’est donc surmonter cette opposition initiale en empruntant à la fois à la sociologie du travail, à la sociologie des professions et à la sociologie des organisations [FREIDSON, 2001] [EVETTS, 2003] [CHAMPY, 2011].

Hughes, dès 1952, en réponse aux émules fonctionnalistes de Parsons, avait ainsi critiqué radicalement l’approche fonctionnaliste. Selon son point de vue, analyser toutes les activités de travail selon le double point de vue de l’interaction et de la biographie implique que celles-ci ont toutes une égale dignité et un égal intérêt sociologique: on parle alors de «groupes professionnels» et non de professions. Nous emploierons donc ce terme dans l’ensemble de notre étude.

Nous émettons l’hypothèse qu’il existe des professionnalités propres au CPIP entre savoirs d’actions bureaucratisés et savoirs experts pouvant leur permettre de co-construire le contenu de leurs missions avec l’Administration Pénitentiaire en tant que groupe professionnel homogène. L’exploration dynamique d’un éventuel processus de professionnalisation des CPIP en cours s’appuiera sur la description des évolutions institutionnelles impactant le groupe professionnel des CPIP, les traductions structurelles des ces évolutions dans la pratique professionnelle des CPIP au sens large, la place dans la division de travail des CPIP entre exécution et expertise et enfin la capacité de ce groupe professionnel à argumenter sur leur savoir-faire avec leur Administration.

L’enquête

Pour tenter de saisir les nouvelles dynamiques au sein du groupe professionnel des CPIP, il nous a fallu lever différents obstacles méthodologiques. Ce groupe professionnel est caractérisé par une grande diversité de lieux de pratique – milieu ouvert et milieu fermé – avec des modalités d’intervention très spécifiques selon la taille des services et les régions d’exercice (disparités entre la Province et la région parisienne sur le nombre de dossiers affectés notamment) et ce, dans le cadre du milieu fermé : Établissements pour Peine ou bien Maison d’Arrêt, Centres pour Peines Aménagées, Centre de Semi Liberté, quartiers de Semi Liberté, Centre National d’Observation de Fresnes.

De plus, certains services sont organisés en pôles dédiés à des types de mesures : pôle aménagement de peine, pôle TIG, pôle PPR, pôles suivi renforcés, pôles suivi espacés, pôle Palais pour les permanences d’orientation pénales avant la condamnation des personnes.

Pour des raisons de moyens, il ne nous a pas été possible d’analyser chacune de ces organisations spécifiques pour chacune des mesures suivies par le SPIP.

La démarche ethnographique d’immersion dans un contexte spécifique de travail et l’observation systématique des interactions entre acteurs de l’exécution des peines – JAP, Parquet, greffiers, agents administratifs, surveillants PSE ou en détention et personnes placées sous main de justice -, n’a donc pas été utilisée dans notre recherche.

De nombreuses mesures restant quasiment inchangées dans les textes depuis 1999, comme le travail d’intérêt général ou bien le sursis avec mise à l’épreuve, nous les avons exclues de notre propos.

Si des changements dans les pratiques les concernant sont certains, ils nécessitent une analyse systématique beaucoup plus fine que l’approche adoptée. Ils constituent de fait un sujet de recherche en soit pouvant mobiliser d’autres corpus théoriques.

Nous avons ainsi décidé d’observer plus particulièrement les mesures mises en avant par l’Administration Centrale et pouvant concerner à la fois le milieu ouvert, et à la fois le milieu fermé, afin de saisir au mieux la dynamique interne au sein du groupe professionnel des CPIP. Le placement sous surveillance électronique est au coeur de l’action des SPIP depuis 2005, avec des évolutions législatives importantes et notables, entre 2005 et 2010, tant dans le champ post-sentenciel que dans le cadre de l’exécution d’une fin de peine, ou bien encore comme peine complémentaire, comme nous le verrons ultérieurement. Les Programmes de Prévention de la Récidive sont mis en avant depuis 2008 avec une mise en place très récente dans les services.

Ce sont ces deux mesures qui sont au coeur du mandat décerné par le législateur aux CPIP avec la loi Pénitentiaire du 24 novembre 2009. Ce sont donc ces deux types de mesures qui seront ici analysées, car cristallisant au mieux les évolutions des missions des CPIP depuis 1999. Cette approche nous a conduits à interroger, sur la base d’entretiens semi-directifs, les agents du SPIP 93 impliqués dans la pratique de ces mesures. Il nous a semblé, en complément, nécessaire d’interroger des personnes ayant connu des socialisations professionnelles différentes, pour percevoir ce qui a changé dans leurs pratiques et leurs représentations du métier par rapport à la mise en oeuvre de nouvelles mesures souhaitées par l’Administration Pénitentiaire et le législateur.

La confrontation avec de jeunes professionnels et celle avec des personnes ayant connu les Comités de Probation et d’Assistance aux Libérés, permettra de repérer les différences et les concordances en terme de pratiques professionnelles et de représentations sur celles-ci. Qu’est-ce qui a changé, qu’est-ce qui demeure en termes de pratiques et de représentations du métier, dans les évolutions des missions des CPIP ?

L’échantillon(7) constitué

Nous avons interrogé, sur la base d’entretiens semi-directifs, 15 agents du SPIP 93 impliqués dans la pratique des PSE et du PPR, avec des anciennetés dans l’Administration Pénitentiaire très diverses. Deux entretiens de contrôle ont été réalisés en dehors du SPIP 93 afin de vérifier que les convergences et divergences de points de vue ne relèvent pas d’organisations de services propres au SPIP 93.

Ces entretiens ont été réalisés au SPIP de Paris et au SPIP des Hauts de Seine, suite à une sollicitation par mail à l’ensemble des CPIP de l’Île-de-France, sollicitation qui n’a abouti qu’à ces deux réponses.

Trois des entretiens ont dû être interrompus pour des contingences professionnelles et ont donc eu lieu en deux parties. Ils ont été partiellement retranscrits en raison de diversions sur l’organisation interne du SPIP 93 principalement. Ce biais méthodologique a eu un impact sur les entretiens effectués sur le pôle aménagement de peine où nous exerçons actuellement. En effet, nous pratiquons le placement sous surveillance électronique nous-mêmes.

Dans certains entretiens, les questions pratiques, concernant cette mesure, ont parfois été remplacées par des diversions sur l’organisation du service appauvrissant notre recueil de données. Notre position de collègue a donc influé sur la passation des entretiens sur ces questions d’organisation de service exclusivement. Les questions posées sont restées les mêmes concernant les PPR et le PSE à l’exception des entretiens abordant la criminologie, de nature plus exploratoire autour d’un même sujet, l’apparition de la criminologie dans les missions des CPIP. Le thème principal d’investigation était alors l’apparition de la criminologie dans les missions des CPIP.

Nous avons tenté d’identifier les représentations, sur les évolutions des missions d’une part et les modifications dans l’exercice quotidien du métier d’autre part : quelles pratiques professionnelles sont stabilisées, quelles figures émergent et quelles pratiques disparaissent ?

La confrontation avec les représentations des acteurs sur les mesures de PSE et de PPR nous permettra d’évaluer les tensions, consensus et facteurs structurants du groupe professionnel étudié dans la pratique de ces mesures récentes.

Les questions posées sont restées les mêmes, incluses dans un guide d’entretien(8) afin de lisser les réponses et de repérer les éléments redondants dans les discours et les éléments singuliers illustrant de manière plus forte les mouvements internes à ce groupe professionnel. Tous ont été retranscrits de manière ciblée sur des thèmes sélectionnés.

Pour appréhender les modes de relais avec l’Administration Centrale, nous avons interrogé en parallèle les représentants syndicaux des deux organisations les plus représentatives du groupe professionnel des CPIP : le SNEPAP -FSU (9) et l’UGSP-CGT(10), et un ancien Président de l’Association Française de Criminologie(11).

Malgré nos multiples sollicitations, nous n’avons pas pu interroger de responsable de la CFDT-Interco, troisième organisation syndicale siégeant en Comité Technique Paritaire Central.

Ces entretiens des représentants syndicaux ont permis, en parallèle, de repérer ce qui fait consensus et ce qui diverge dans l’analyse des différentes évolutions des missions des CPIP.

Ils ont été réalisés au siège de la centrale syndicale pour l’UGSP-CGT à Montreuil sous bois, au SPIP 75 pour le SNEPAP-FSU et au domicile de l’interviewé concernant l’AFC.

Ainsi la dimension dialectique et rhétorique du processus de professionnalisation sera également abordée dans notre étude.

Ces entretiens ont été réalisés entre janvier 2009 et juillet 2010 et ont duré entre 35 minutes et 1 heure et 33 minutes concernant les CPIP, et entre 1 heure et 1 heure et 21 minutes pour les organisations syndicales. Ils ont eu lieu, pour les 15 CPIP du SPIP93, dans les locaux du SPIP, soit dans notre bureau, soit dans celui de la personne interrogée, soit en salle de réunion. Ils ont été enregistrés systématiquement avec l’accord des personnes.

Nous avons complété ces entretiens par l’analyse de données secondaires « grises », issues de différents documents internes à l’Administration Pénitentiaire et des principaux textes juridiques : Lois Pénitentiaires, Décrets statutaires, Circulaires, Rapports de la Cour des Comptes, encadrant l’activité des SPIP. La confrontation de ces textes avec les représentations des acteurs nous permettra de nous situer dans une perspective historique.
L’échantillon ainsi constitué se présente comme suit :

Tableau De la réinsertion à la prévention de la récidive  quel processus de professionnalisation pour les Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation 1
Tableau De la réinsertion à la prévention de la récidive  quel processus de professionnalisation pour les Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation 2

Le plan

Notre propos s’articulera en quatre parties et 10 chapitres. La Loi pénitentiaire du 25 novembre 2009 consacre les aménagements de peine et les programmes de prévention de la récidive comme principaux outils de la lutte contre la récidive sur fond de critique générale du travail social et de changement latent de logique pénale. Ce sont les CPIP, un groupe professionnel majoritairement féminin et diplômé en Droit, qui mettent en oeuvre ces orientations de l’Administration Pénitentiaire. Ce groupe professionnel a changé de nom et de grille indiciaire suite à un mouvement social inédit en 2008 (Première Partie).

Ces évolutions ont des traductions structurelles à l’échelle des SPIP entre 1999 et 2011. Le discours institutionnel, tenu par l’Administration Pénitentiaire, s’appuie sur les notions d’expertise, d’autonomie fonctionnelle des services et sur une revalorisation indiciaire.

Nombre de propos indiquent pourtant que le métier de CPIP s’est considérablement bureaucratisé alors qu’un premier clivage générationnel sur la pérennité de la hiérarchie et l’utilisation de l’informatique s’est créé (Deuxième partie).

Il existe un mouvement concomitant entre l’acquisition de nouvelles connaissances théoriques avec la pratique des programmes de prévention de la récidive et une systématisation du PSE. Le monopole de l’instruction des placements sous surveillance électronique et les savoirs d’actions y afférant sont, de surcroît, partagés avec les surveillants pénitentiaires.

Une analyse collégiale des situations entre pairs est induite par la pratique des programmes de prévention de la récidive confortant leur monopole dans cette pratique, malgré des savoirs théoriques non spécifiques (Troisième Partie).

Nous monterons enfin que, du fait de leurs modes de socialisation professionnelle très divers et de leurs motivations différentes à entrer dans le groupe professionnel, les CPIP ne sont pas un groupe professionnel homogène. Un clivage générationnel s’est créé venant interférer et amplifier d’autres antagonismes sur la conception du métier. Des professionnalités stabilisées depuis plus de 50 ans, à savoir, l’aide à la décision judiciaire et le suivi de mesures de justice, ne sont pas pour autant relayés par les organisations syndicales. (Quatrième Partie)

1 « Tony Meilhon, avait été condamné à 6 mois de prison ferme et à 18 mois de « sursis avec mise à l’épreuve » pour « outrage à magistrat » à l’audience. Ce multirécidiviste de 31 ans avait déjà accumulé 13 condamnations, dont une pour le viol d’un codétenu. Mais le SPIP de Nantes n’a pas affecté cette mesure de mise à l’épreuve non prioritaire pour ses services. Sorti de prison en février 2010, il n’avait jamais été convoqué. Le suivi médical, que lui avait imposé le juge, n’a donc jamais été mis en place non plus. Côté policier, l’homme, sans adresse fixe, n’avait pas répondu aux convocations pour son identification au fichier des délinquants sexuels, et il avait été simplement inscrit au fichier des personnes recherchées ». Source Le Figaro consultable http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/01/27/01016-20110127ARTFIG00723-pornic-le-recidiviste-n-etait-plus-suivi-par-la-justice.php
2 « C’est de Nantes qu’est partie la révolte, après des propos de Nicolas Sarkozy, le 3 février à Orléans, promettant des sanctions à l’encontre des responsables de “dysfonctionnements graves” des services de police et de justice dans le suivi du meurtrier présumé de Laëtitia Perrais à Pornic (Loire-Atlantique). Les magistrats n’ont pas supporté cette mise en cause avant même que soient connus les résultats des inspections en cours et alors qu’ils tirent, depuis des années, la sonnette d’alarme quant au manque de moyens de la justice ». Source Le Point consultable au http://www.lepoint.fr/societe/les-magistrats-battent-le-pave-10-02-2011-1293763_23.php
3 « Adoptées pour la première fois en 1973, révisées en 1987, puis en 2006, les règles pénitentiaires européennes visent à harmoniser les politiques pénitentiaires des États membres du Conseil de l’Europe et à faire adopter des pratiques et des normes communes. Ces 108 règles portent à la fois sur les droits fondamentaux des personnes détenues, le régime de détention, la santé, l’ordre et la sécurité des établissements pénitentiaires, le personnel de l’administration pénitentiaire, l’inspection et le contrôle des prisons ». Source Site du Ministère de la Justice http://www.justice.gouv.fr/europe-et-international-10045/les-regles-penitentiaires-europeennes-10283/
4 Voir Annexe 4 p 165
5 Chiffres clés de l’Administration Pénitentiaire, site du Ministère de la Justice – http://www.justice.gouv.fr/prison-et-reinsertion-10036/les-chiffres-clefs-10041/
6 Voir infra p43
7 Voir Annexe 1 p 150
8 Voir Annexe 2 p 154
9 Le SNEPAP-FSU (Syndicat de L’Ensemble des personnels de l’Administration Pénitentiaire) revendique une spécificité pénitentiaire de ces missions et la distinction d’avec les travailleurs sociaux Parmi les CIP, le SNEPAP représente 36,6% des suffrages. Parmi les personnels de direction, le SNEPAP recueille 62,5 % des suffrages. Ces chiffres sont extraits du bilan social 2009 de l’Administration Pénitentiaire consultable au http://intranet.justice.gouv.fr/site/apnet/index.php?rubrique=2084&ssrubrique=7696
10 L’ UGSP-CGT (Union Générale des Services Pénitentiaires) défend le caractère social des missions des CIP et un rapprochement avec les travailleurs sociaux diplômés d’Etat. Chez les CIP la CGT a recueilli lors du scrutin du 27 mars 2007 46,7 % des suffrages. Parmi les personnels de direction, la CGT représente 13,1%. Ces chiffres sont extraits du bilan social 2009 de l’Administration Pénitentiaire consultable au : http://intranet.justice.gouv.fr/site/apnet/index.phprubrique=2084&ssrubrique=7696
11 « L’Association Française de Criminologie a pour objectif de rapprocher les chercheurs et enseignants de toutes disciplines, les praticiens de toutes professions – mais aussi les personnes morales – dont les activités ont à voir, de près ou de loin, avec le « phénomène criminel », la manière dont il est défini et contrôlé. Elle a été créée le 9 octobre 1965. Se rattachant à la tradition des sociétés savantes, l’association cherche à innover en intégrant dans ses rangs des étudiants, des professionnels de tous âges, mais aussi des citoyens qui veulent participer au débat démocratique sur ces questions. Association indépendante, l’AFC vit principalement des cotisations de ses adhérents. » Source : Site de l’Association consultable au http://www.afc-assoc.org/?q=node/9

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