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Introduction

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1. Les premières sociétés d’auteurs qui ont été plus que de simples associations professionnelles et qui ont aussi lutté pour la reconnaissance des droits des auteurs sur leurs oeuvres ont été créées en France(1). La première société de ce genre doit sa création en grande partie à Beaumarchais. Il a mené des batailles juridiques contre les théâtres réticents à reconnaître et à respecter les droits patrimoniaux et moraux des auteurs. Il fonde en 1777 le Bureau de législation dramatique, qui fut ultérieurement transformé en la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatique (SACD), le première société chargée de gérer collectivement des droits d’auteurs(2).

2. Dans le domaine de la littérature, Honoré de Balzac, Alexandre Dumas, Victor Hugo et d’autres écrivains français ont constitué la Société des Gens De Lettres (SGDL) dont l’assemblée générale s’est réunie pour la première fois à la fin de 1837(3).

3. Cependant, les évènements qui devaient conduire à la mise en place d’une gestion collective au plein sens du terme n’ont commencé qu’en 1847 lorsque deux compositeurs, Paul Henrion et Victor Parizot, ont intenté, avec l’appui de leur éditeur, un procès au café-concert « Les Ambassadeurs » de l’avenue des Champs-Elysées, à Paris(4). Il y avait à leurs yeux une contradiction flagrante dans le fait qu’ils devaient payer pour leur siège et leur repas alors que personne n’avait l’intention de payer pour leurs oeuvres que jouait l’orchestre. Ils prirent la décision de ne pas payer tant qu’eux mêmes ne l’étaient pas(5).

Les auteurs obtinrent gain de cause dans le procès et le propriétaire du café-concert fut obligé de leur verser des droits. Cette décision judiciaire ouvrait de grandes possibilités aux compositeurs et aux paroliers d’oeuvres musicales non dramatiques. Cependant ils ne pourraient pas veiller eux-mêmes, individuellement, au respect des droits qui venaient de leur être reconnus. Cette prise de conscience devait conduire à la fondation, en 1850, d’une société de perception, laquelle fut bientôt remplacée par la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musiques (SACEM). La création de la SACEM est un moment important car cette société de gestion collective a servi de modèle et reste la plus importante(6). Elle s’est imposée comme une nécessité avec les utilisations de masse des oeuvres musicales qui rendaient impossible en pratique la gestion individuelle des droits.

4. A la fin du XIXème siècle et au cours des premières décennies du XXème siècle, des sociétés similaires furent constitués dans presque tous les pays européens et dans certains autres. Une coopération devait s’instaurer entre ces organismes qui ressentirent la nécessité de créer une organisation internationale pour coordonner leurs activités et contribuer à une protection plus efficace des droits des auteurs dans le monde. En juin 1926 les délégués de 18 sociétés fondèrent la Confédération Internationale des Sociétés d’Auteur et Compositeurs (CISAC). Elle a vu le nombre de ses membres augmenter régulièrement et compte désormais parmi eux, en dehors des sociétés traditionnelles, des sociétés qui s’occupent d’autres types d’oeuvres. Au départ la CISAC était constituée de cinq fédérations responsables des droits de représentation dramatique, des droits d’exécution publique, des droits mécaniques, des droits littéraires et des droits cinématographiques. En 1966, la CISAC unifiait ces cinq fédérations pour former la Confédération Internationale des Sociétés d’Auteurs et Compositeurs telle qu’on la connaît actuellement.

5. A la fin des années 70, après une série de négociations, la CISAC, la Fédération Internationale des Associations de Producteurs de Films (FIAPF), et l’Union Européenne de Radiodiffusion (UER) ont adopté, en octobre 1979, une déclaration commune sur les principes fondamentaux d’un futur système de gestion collective.

6. En Europe, la volonté d’harmonisation communautaire du droit d’auteur a fait l’objet de plusieurs directives, mais elles laissent subsister certaines disparités entre les législations nationales. Le sujet de la gestion collective n’a fait l’objet d’aucune directive communautaire. La proposition de directive du 11 juillet 2012 serait la première. Ainsi, les règles concernant la gestion collective son organisation et ses pratiques sont profondément ancrées dans la culture juridique de chaque nation et diffèrent selon les Etats-membres(7). La Commission européenne à travers le droit communautaire de la concurrence, très prégnant sur l’activité des sociétés de gestion collective, a contribué à faire apparaître le visage actuel de la gestion collective en Europe avec notamment la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur(8). De plus en 2005, la recommandation 2005/737/CE(9) de la Commission relative à la gestion collective transfrontière du droit d’auteur et des droits voisins dans le domaine des services licites de musique en ligne a invité les Etats membres à promouvoir un environnement réglementaire adapté à la gestion du droit d’auteur et des droits voisins aux fins de la prestation de services licites de musique en ligne et à améliorer les normes de gouvernance et transparence des sociétés de gestion collective(10). Mais les recommandations ne constituent pas des normes impératives et la proposition de directive comble cette lacune.

7. Au niveau des Etats membres de l’Union européenne, les activités des sociétés de gestion collective sont règlementées et contrôlées, notamment dans le cadre de la CISAC, ces sociétés ont volontairement accepté de se soumettre à des règles professionnelles définissant les meilleures pratiques à suivre. On peut parler d’acquis communautaire en matière de gestion collective car cette activité a été reconnue en 1992 avec la directive du 19 novembre 1992 relative au droit de location et de prêt(11). La gestion collective est mentionnée dans une série de directives sur le droit d’auteur et notamment dans la directive satellite-câble du 27 septembre 1993(12) qui prévoit la gestion collective obligatoire en matière de cablo-diffusion. Avant la proposition de directive du 11 juillet 2012, le législateur européen n’avait pas souhaité légiférer en matière de gestion collective, probablement en raison de l’absence de base juridique solide et compte tenu du principe de subsidiarité et de proportionnalité. Mais aussi en raison de la diversité des législations et des traditions culturelles des différents Etats membres. L’élaboration de la proposition de directive sur la gestion collective est la première action prévue au titre de l’agenda numérique adopté en mai 2010 par la Commission européenne. Elle souhaite supprimer les obstacles à la libre circulation des biens culturels numériques et accroitre la transparence des sociétés de gestion collective.

8. Les sociétés de gestion d’auteur du répertoire musical, en réponse aux changements technologiques ont, déjà adaptés leur mode de gestion. Dès 1990, grâce aux accords de Sydney13 un système de guichet unique a été mis en place pour les exploitations transnationales satellitaires des radiodiffuseurs. Quelques années plus tard, les sociétés d’auteurs ont conçu une solution comparable pour l’exploitation numérique transfrontière des droits dans le domaine musical avec les accords dits de Santiago et de Barcelone. Ces accords ont été considérés par la Direction Générale de la Concurrence, incompatibles avec le droit de la concurrence(14). Mais à l’heure actuelle les répertoires sont fragmentés et il n’est plus possible d’obtenir les droits relatifs au répertoire mondial auprès d’une seule société pour une exploitation numérique. La proposition de directive entend régler ces problèmes au niveau européen(15).

9. Concernant la transparence des sociétés de gestion collective les principales critiques ne proviennent pas des auteurs eux-mêmes, mais des usagers. Les auteurs reconnaissent la transparence du système de gestion collective. Ainsi, l’Alliance Européenne des Compositeurs et Paroliers, l’ECSA considère la gestion collective comme un mode de gestion bien plus transparent que n’importe lequel des éditeurs de musique. Mais une transparence accrue peut créer de nouvelles contraintes administratives qui pourraient affaiblir la gestion collective.

10. Certaines critiques existent tout de même concernant la rémunération des auteurs. Ainsi les sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD) sont chargées de la perception des montants relatifs aux droits d’auteur. Cependant, beaucoup déplorent la façon dont la redistribution, notamment de manière « équitable et proportionnelle », est effectuée dans la pratique. En 2010, les sociétés de gestion européennes n’auraient pas redistribué aux artistes la somme encaissée de 3,6 milliards d’euros(16). D’après la Commission seulement 27 à 45 % des sommes collectées seraient redistribués dans l’année et environ 10 % des paiements seraient versés aux auteurs avec 3 ans de retard et une partie de cette somme ne serait pas redistribuée et serait acquise à titre définitif par les sociétés de gestion collective.

En 2007 la Société Belge des Auteurs Compositeurs et Editeurs (SABAM) connaît des mises en examen pour fraudes, en 2011, 9 membres de la Société Générale des Auteurs et Editeurs (SGAE) sont interpellés par la police. Puis en 2012 la Société Italienne des Auteurs et des Editeurs (SIAE) est épinglée pour sa gestion, ses salaires et ses méthodes de recrutement. La SACEM, elle, avait dû se séparer de son Président du Directoire, qui avait un salaire jugé trop élevé, et vendre sa collection d’art. L’amélioration de la transparence dans les sociétés de gestion collective en Europe apparaît comme une réponse à ces problèmes.

En France des efforts ont été fait en matière de transparence, ainsi la SACEM publie sur son site internet notamment la répartition des droits collectés. En 2012 pour chaque euro collecté 15,4 centimes sont dévolus à la gestion et 84,6 centimes sont reversés aux créateurs et éditeurs(17). Depuis l’année 2000 la SACEM subit un contrôle interne et un contrôle par la Commission de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits qui est une émanation de la Cour des comptes laquelle publie tous les ans un rapport sur son site. On peut voir sur ce schéma de quelle manière la SACEM est contrôlé :

Les différents contrôles de la SACEM, sacem.fr (2012)

Les différents contrôles de la SACEM, sacem.fr (2012)

11. Si des évolutions concernant la transparence ont eux lieu en France comme nous l’avons vu avec l’exemple de la SACEM, il existe encore beaucoup de disparité entre les législations des Etats européens concernant la transparence des sociétés de gestion collective. La proposition de directive a notamment pour but que dans tous les secteurs, la gestion collective des droits doit être adaptée pour que le service fourni aux membres et aux utilisateurs soit efficace, fiable, transparent et responsable. Ces exigences s’inscrivent comme nous l’avons vu dans le contexte de l’Agenda numérique pour l’Europe de la stratégie Europe 2020 « pour une croissance intelligente durable et inclusive », et des communications de la Commission intitulées « vers un marché unique des droits de propriété intellectuelle » et « un cadre cohérent pour renforcer la confiance dans le marché unique numérique du commerce électronique et des services en ligne » et du suivi du « Livre vert sur la distribution en ligne d’oeuvres audiovisuelles dans l’Union européenne »(18).

12. C’est donc l’enjeu de cette proposition de directive du 11 juillet 2012, permettre une plus grande transparence des sociétés de gestion collective en Europe. Il faut donc évaluer les apports effectifs qui vont être mis en place par la proposition de directive pour la transparence des sociétés de gestion collective, mais aussi voir les difficultés d’une transposition homogène au niveau européen.

13. Tout d’abord nous verrons que la transparence énoncée par la directive du 11 juillet 2012 se veut comme un vecteur de stabilité pour l’écosystème des sociétés de gestion collective en Europe (Titre I), puis nous examinerons les éléments astreignants de la directive qui pourraient nuire à son but d’harmonisation (Titre II).

1 Organisation Mondiale de la Propriété intellectuelle, Gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins.
2 http://www.sacd.fr/Historique.31.0.html
3 Edouard Montagne, Histoire de la société des gens de lettres, Librairie mondaine (Paris).
4 André Schmidt, Les sociétés d’auteurs SACEM – SACD. Contrats de représentation, Librairie générale de droit et de jurisprudence. Paris 1871
5 http://www.univers-musique.com/Licences-droits-d-auteurs/367-SACEM-Site-officiel-de-la-SACEM.htm
6 André Lucas, Historique des sociétés d’auteur, http://www.sgdl.org/sgdl/126/695-introduction
7 Fabrice Siiriainen, La gestion collective en Europe
8 Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.
9 Recommandation 2005/737/CE de la Commission relative à la gestion collective transfrontière du droit d’auteur et des droits voisins dans le domaine des services licites de musique en ligne.
10 Thèse d’Yvan Diringer, Gestion collective des droits d’auteur et droit de la concurrence, pour une relecture à l’heure d’internet.
11 Directive 92/100/CEE du Conseil du 19 novembre 1992 relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle.
12 Directive 93/83/CEE du Conseil du 27 septembre 1993 relative à la coordination de certaines règles du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble.
13 Etude de la SACEM, La gestion paneuropéenne des droits d’auteur : rappel historique et situation actuelle, http://www.sacem.fr/files/content/sites/fr/files/mediatheque/sacem/presse/etudes/La_gestion_paneuropeenne_des_droits_janv10.pdf
14 Reto M.Hilty, La gestion collective du droit d’auteur en Europe.
15 Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil concernant la gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins et la concession de licences multi-territoriales de droits portant sur des oeuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne dans le marché intérieur.
16 Etienne Wery et Florent Deslandes, Gestion collective des droits d’auteur : la Commission européenne veut du changement.
17 http://www.sacem.fr/cms/lang/fr/home/la-sacem/reponses-a-vos-questions/toutes-les-reponses/toutes-les-questions-reponses/sacem-qui-quoi
18 Avis du Comité économique et sociale européen sur la « proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant la gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins et la concession de licences multi-territoriales de droits portant sur des oeuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne dans le marché intérieur ».

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