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Introduction

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Parler des migrations au Mexique implique différents éléments. Commençons par signaler que ce territoire est caractérisé comme étant un « pays d’origine, de transit, de destination et de retour des migrants » (CNDH, 2011, p.5). Avant les années 1980, il était catégorisé comme pays d’émigration. Cette évolution s’explique par divers facteurs. Précisons qu’actuellement, les problèmes de migration au Mexique concernent essentiellement les personnes d’origine étrangère, vivant ou transitant dans ce pays et non plus l’émigration comme se fût le cas durant de nombreuses années.

Ajoutons que le sujet migratoire est délicat, « l’augmentation de la pauvreté, la disparité entre les salaires, le chômage, les différentes perspectives de vie et la brèche éducative, qui ne cesse d’augmenter, sont directement liées avec la migration » (CNDH, 2011, p.5). Ce sont des facteurs de marginalisation et discrimination qui vont à l’encontre de certains droits de l’Homme tels l’éducation, la dignité ou encore l’accès au travail.

À cela, s’ajoutent grand nombre de violations des droits de l’Homme que subissent de nombreux migrants durant leur trajet migratoire. Elles sont parfois à l’origine même de la migration. Cela est dû à différents facteurs dont le plus connu est l’oppression des différents cartels existants. La lutte contre les violences liées au trafic de drogue et à la pauvreté fut un des points forts de la campagne présidentielle du premier juillet 2012 grâce à laquelle Enrique Peña Nieto, du parti politique du PRI, a été élu(1).

Dans cette recherche, la zone d’étude est la frontière sud du Mexique, porte d’entrée pour un grand nombre de migrants qui ont pour objectif d’atteindre les États-Unis. Le rêve étasunien est toujours fortement présent dans les mentalités. Nombre d’entre eux ont conscience des risques inhérents au périple. L’institut national des Migrations (INM) estime qu’à la frontière Sud, il y aurait annuellement 1,9 million d’étrangers entrant au Mexique, toutes raisons confondues. Ce nombre illustre l’importance des flux migratoires de personnes transitant dans le pays dont pour beaucoup le but est d’atteindre les États-Unis.

Dans le but de limiter les migrations de nombreux barrages militaires et des contrôles des forces de l’ordre, toujours plus nombreux, ce sont développés à la frontière sud du pays et à différents embranchements des routes nationales. Cependant, la frontière sud du Mexique reste poreuse. Il existe de nombreux points de passage permettent de se rendre du Guatemala au Mexique, aussi bien officiels qu’officieux.

Dans ce développement, nous nous intéresserons spécifiquement à la ville de Tapachula et à sa région, le Soconusco (numéro I sur la carte ci-dessous), limité au Sud avec la frontière guatémaltèque et à l’Ouest avec la côte Pacifique au sud de l’État du Chiapas. Le lieu de cette région qui illustre au mieux le passage irrégulier de migrants internationaux est le fleuve Suchiate qui délimite la frontière entre Tecún Umán au Guatemala et Ciudad Hidalgo au Mexique d’où traversent de nombreux migrants sur des embarcations instables.

Figure 1 : Points de contrôles d’identité à la frontière sud du Mexique :

Points de contrôles d’identité à la frontière sud du Mexique

Source : NAJERA AGUIRRE, 2010, p.3.

Comme nous pouvons le voir sur cette carte ci-dessus, il existe divers points de contrôle permettant le passage de façon régulière(2), la majorité se trouve dans l’état du Chiapas et plus particulièrement au sud de la région du Soconusco. Cela illustre l’importance de la migration pour cette région.

Les points de contrôles des papiers d’identité et le renforcement militaire à la frontière Sud font suite aux pressions internationales reflétées par différents accords. Un des exemples pouvant illustrer nos propos est le plan Mérida3 entre États-Unis et Mexique, dont les exigences proviennent du gouvernement des États-Unis, mais aussi de celui du Canada. Celuici comme d’autres accords bilatéraux entre ses pays permettent de façon officielle, mais bien souvent officieuse, à diminuer le nombre de passages de migrants. La lutte contre le trafic de drogue et le crime organisé servent parfois de justification pour inclure la thématique migratoire.

Malgré l’augmentation des contrôles, les migrants continuent de passer, tout comme les armes ou encore la drogue. Cela a contribué à l’augmentation du crime organisé notamment à cause des nombreuses « nouvelles routes » non officielles qu’empruntent les migrants irréguliers pour arriver au Mexique (INTER PARES, 2011). De plus, nombre d’entre eux utilisent leur corps comme « body card », particulièrement les femmes qui travaillent comme prostitués dans des bars mexicains appelés « cantines ». Le corps devient alors une forme de paiement pour remonter jusqu’aux États-Unis (ROSALES, GARRIDO, 2011). Le développement des réseaux de prostitution ouvre ses portes à des pratiques sordides. Entrer dans l’un d’eux devient avant tout, un moyen de traverser une ou des frontières (MADUEÑO HAON, 2009).

Lutter pour la défense des droits des personnes migrantes est le travail quotidien de nombreux organismes de la ville de Tapachula. C’est particulièrement le cas de l’Association Civile nommée « Centro de Derechos Humanos Fray Matías de Cordóva A.C.4 » (CDH Fray Matias) qui cumule défense et suivi juridique, plaidoyer, recherche scientifique et communication envers des personnes migrantes.

Pour plus de clarté concernant le statut du CDH Fray Matías, parlons ici de l’ambivalence du terme d’association civile. Il faut dire que cette notion est souvent associée à celui d’Organisation Non Gouvernementale (ONG) dont la première caractéristique est d’être indépendante de l’État. C’est le cas de cette structure qui ne reçoit pas de fond du gouvernement mexicain. Précisons que le terme d’ONG apparaît dans l’article 71 de la Charte des Nations Unies adoptée en 1945. Ce terme succède « alors dans le langage commun à ce que l’on nommait précédemment les associations transnationales […] Il n’existe aucune définition légale d’une ONG. Le département de l’information des Nations Unies (DPI) définit une ONG comme un regroupement de citoyens dans un but altruiste » (RUBIO, ZIEGLÉ, 2006, p.1 et 2). Dans son mémoire, Les ONG humanitaires, leur financement et les médias, Zsuzsa FERENCZY nous dit que : « les juristes internationalistes, pour la définir, s’appuient généralement en France, sur les travaux de Marcel Merle, qui les décrit comme « tout groupement, association ou mouvement constitués de façon durable par des particuliers appartenant à différents pays en vue de la poursuite d’objectif non lucratif » (2005, p.7), en d’autres termes une ONG « désigne souvent des organisations ayant vocation à traiter d’affaires internationales. […] Les ONG sont des associations dont la finalité peut être qualifiée de service public puisque consistant (pour l’essentiel) en une assistance au sens large, gratuitement apportée à des populations nécessiteuses » (QUIENNEC, 2007, p.83 et 84).

De la sorte, d’après les intéressés, le fait de se regrouper entre intéressés, de rendre un service public, de ne pas être rattaché à un gouvernement, d’être altruiste, sans but lucratif et ayant des projets transnationaux sur le long terme pourrait permettre de se qualifier d’ONG. Ainsi, le terme d’ONG n’a pas une définition claire : ses limites sont variables en fonction des auteurs et des États dans lesquelles elles se trouvent. Malgré cela, les diverses définitions qui existent se rejoignent sur le fait qu’une ONG est : « une organisation de nature privée par opposition à publique ; son but n’est pas d’atteindre un profit, donc non lucratif » (LANGLOIS, TUYISHIME, 2007, p.36). Ajoutons à cela, le fait d’avoir une reconnaissance ou bien un but international, ce qui est le cas du CDH Fray Matias comme nous venons de le voir.

En travaillant avec des migrants internationaux et en collaborant avec des représentants de gouvernements comme les consuls, son influence est internationale. Ceci nous permet d’affirmer que dans son pays d’origine, il est possible de mener des actions internationales sans sortir de son territoire et être considéré comme une ONG ; « Ainsi qualifie-t-on souvent d’ONG telle groupement communautaire ou association de solidarité locale » (QUIENNEC,2007, p83).

L’autre terme souvent employé est celui « d’Organisation de la Société civile (OSC). La société civile regroupe notamment les organisations syndicales et patronales (les “partenaires sociaux”), les organisations non gouvernementales (ONG), les associations professionnelles, les organisations caritatives, les organisations de base et les organisations qui impliquent les citoyens dans la vie locale et municipale » (LANGLOIS, TUYISHIME, 2007, p.37). Ici le CDH Fray Matias serait considéré comme association professionnelle, membre de la société civile avec laquelle elle travaille. D’après les chercheurs Rubio et Ziegle : « En France, si le terme ONG est souvent employé, on lui préfère généralement celui de OSI (Organisation de solidarité internationale) ou ASI (Association de solidarité internationale). Les OSI/ASI peuvent être des associations (loi du 1er juillet 1901) ou des fondations (loi du 23 juillet 1987) » (2006, p.2). Pour que cela soit plus compréhensible, d’un point de vue français le plus juste serait de qualifier le CDH Fray Matias d’ASI ou d’OSI.

En conséquence, pour être au plus proche des termes utilisés au Mexique et ceux employés dans le monde associatif à l’échelle du globe, nous parlerons du CDH Fray Matias comme d’une association civile pouvant parfois la qualifier d’ASI, pour faciliter nos propos. Parfois, nous utiliserons des références se rapportant aux ONGs qui nous paraissent pertinentes dans notre développement et pouvant correspondre au CDH Fray Matias.

Pour en revenir à notre sujet, nous partons du postulat que Tapachula est une ville prédominante concernant la thématique de la migration au Mexique.

Cela nous mène à poser la problématique suivante :

Dans quelle mesure un organisme de la société civile établi à la frontière sud du Mexique peut-il défendre les droits de personne d’origine étrangère compte tenu du contexte juridique du pays ? De quelle façon un tel organisme peut-il être considéré comme indépendant sur le plan économique ?

Pour répondre à ces interrogations, nous nous appuierons essentiellement sur le travail du centre de défense des droits de l’Homme Fray Matias de Cordova A.C. (CDH Fray Matias) à Tapachula.

Nous partons de deux hypothèses :

– La défense des droits de l’Homme envers des personnes immigrées, à la frontière sud du Mexique est laborieuse. La cause principale serait la complexité de la loi.

– Une association civile n’est jamais entièrement indépendante sur le plan économique.

Elle relève aussi bien de l’État ou des États dans lesquels elle agit que de ses financeurs. Ces dernières permettront de guider notre travail.

Concernant la méthodologie, nous nous appuierons sur différents outils. Il convient de préciser ici que durant quatre mois, de début avril à début août 2012, nous avons collaboré avec le CDH Fray Matias comme stagiaire. La mission fût d’une part, de réaliser une base de données répertoriant les donateurs en mesure de financer les futurs projets de l’organisme, d’autre part de concevoir la suite de certains projets en cours à destination de divers bailleurs de fonds (PCS, Mac Arthur et l’Union Européenne, collaboration au projet à destination de Fondo Global para los Derechos Humanos). Pour cela, un secteur nommé « durabilité » a été mis en place. Cela nous a permis de faire de l’observation participative au sein de cette association et de récolter des données et discours nous permettant d’argumenter et/ou d’illustrer certains de nos propos.

Aussi vivre à Tapachula, permet de faire de l’observation quasi permanente de la situation locale, ce qui permet de vérifier de nombreuses informations lues et écoutées, ainsi que de se forger une opinion personnelle. La place centrale de la ville est un espace clef pour comprendre différents aspects du phénomène migratoire à Tapachula (photographie cidessous).

Figure 2 : Place centrale : le zócalo de Tapachula :

Place centrale le zócalo de Tapachula

Source : photographie personnelle, juillet 2012. © B-W Matthieu

Par ailleurs, sept entretiens semi-directifs d’environ une heure et demie avec des membres de différents organismes, du monde associatif (4) et rattachés à l’ONU (3) nous ont donné l’occasion de récolter diverses opinions qui facilitent l’argumentation tout au long du développement. À cela s’ajoutent des entretiens réalisés de façon informelle pendant le stage, au sein du CDH Fray Matias et au cours de visites dans différentes structures.

De surcroît, de nombreuses lectures d’auteurs essentiellement mexicains, chercheurs, universitaires de même que des personnes d’organismes publics et privés travaillant sur le thème migratoire ont également permis d’argumenter la recherche.

Nous voulons tout au long du développement, soulever des questionnements qui nous paraissent pertinents sans pour autant terminer par des réponses figées. Nous avons deux objectifs, le premier est d’ouvrir des portes permettant la réflexion. Quant au second, nous souhaitons arriver à des constats, contribuant au débat concernant la pertinence de la défense des droits de l’Homme des personnes migrantes de la part d’un organisme de la société civile, dans le contexte juridique mexicain. Tout cela, pour en arriver à proposer des recommandations plus enclines au CDH Fray Matias. Cette recherche s’étant réalisée durant un laps de temps restreint, arriver à de véritables conclusions paraît dénué de sens. C’est pourquoi nous pouvons la qualifier de recherche exploratoire.

En nous appuyant sur les informations récoltées via notre méthodologie, nous tenterons dans un premier chapitre de faire un panorama du contexte migratoire de la ville de Tapachula. Nous aborderons ensuite les questions d’ordre juridique avant d’en venir à l’aspect plus technique du fonctionnement sur le plan économique du CDH Fray Matias. Enfin, nous exposerons les constats établis au cours de notre développement pour nous permettre de proposer certaines recommandations.

1 Article du journal le Monde du 2/07/12 : Mexique : violence et pauvreté, les deux défis d’Enrique Peña Nieto
2 Représentés sur cette carte par des ronds rouge remplis d’une étoile jaune
3 Entrée en vigueur en 2008, c’est un accord entre les deux pays permettant de lutter contre le trafic de drogue et la criminalité. Nous y reviendrons dans le chapitre II.
4 Centre de Défense des droits de l’Homme Fray Matías de Cordóva A.C.

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