Gagne de la cryptomonnaie GRATUITE en 5 clics et aide institut numérique à propager la connaissance universitaire >> CLIQUEZ ICI <<

INTRODUCTION

Non classé

Les recherches archéologiques, ethnolinguistiques ou anthropologiques ont contribué à l’histoire des migrations et du peuplement de l’Océanie (2). Or, si le flux migratoire austronésien(3) Nord-ouest/ Sud-est en passant par la Nouvelle Calédonie est communément admis, cette théorie néglige les incessants retours de ces anciens océaniens sur leur pas et notamment la théorie des réseaux d’échanges permanents entre les îles, bien au-delà des frontières ethno-géographique admises actuellement : Mélanésie, Polynésie et Micronésie. Par exemple, dans l’archipel mélanésien de la Nouvelle Calédonie, est parlé le « fagaouvéa » aux extrémités de l’île d’Ouvéa, la plus septentrionale des îles Loyauté, dont la tradition orale donne son origine aux îles Wallis situées à plus de 2000 kilomètres à l’Est en Polynésie Occidentale (4). La prise de possession de ces archipels par les puissances européennes va interrompre ces réseaux d’échanges traditionnels intra ou inter- îliens.

Entre temps, la Nouvelle-Calédonie sera marquée par son histoire coloniale de peuplement. Si quelques années auparavant déjà, le relent d’évangélisation bat son plein dans la région de l’Océanie, c’est seulement en 1853 que la France prend possession de l’archipel calédonien. Elle en fera plus tard un centre pénitencier, destin commun de plusieurs colonies sous tutelles françaises. Mais la découverte des minerais exploitables sur la Grande Terre, dès 1862, favorise durant plus d’un siècle l’immigration massive d’autres populations venues d’Europe, d’Afrique ou d’Asie mais aussi d’autres archipels du Pacifique.

Les « Autochtones » seront dès lors, confrontés pour la première fois à des vagues de populations non seulement très nombreuses mais aussi à des cultures très différentes de la leur, favorisant du coup de nombreux malentendus, et très peu d’intercompréhension. L’implantation coloniale du gouvernement français ne laissera pas les populations indigènes indifférentes. En 1878 et en 1917 des révoltes ont eu lieu sur la Grande Terre pour des raisons foncières à l’encontre des colons installés. Ces insurrections indigènes ont toutes été réprimandées par l’armée française. L’accession des Kanak à la citoyenneté française en 1946, a fait émerger en eux l’idée d’autonomie politique qui n’a pu se concrétiser pleinement (5). Après ces tentatives politiques avortées, l’idée d’indépendance a surtout été portée par la nouvelle génération kanak de l’après guerre.

Ainsi, lors de la période dite « des évènements » (1984-1988) où une autre crise institutionnelle se dégage, les indépendantistes incarnés par le FNLKS, en majorité des Kanak, s’insurgent violemment contre les partisans de la « Calédonie française » dits « loyalistes » en majorité d’origine européenne. Cette période sera surtout marquée par la prise d’otage à Ouvéa de gendarmes par les nationalistes indépendantistes de l’île qui se soldera par la mort de 19 militants du FLNKS et de plusieurs gendarmes juste à la veille des élections présidentielles en mai 1988. Cet évènement violent sera le catalyseur des Accords de Matignon entre les différents belligérants dont la finalité sera surtout le retour à la paix civile. Ces accords couteront la vie du leader indépendantiste Jean Marie Tjibaou qui sera assassiné un an plus tard par Djubelly Wéa à Fayaoué lors du recueillement devant les tombes des 19 militants originaires d’Ouvéa.

La montée du nationalisme kanak semble aujourd’hui, alimenter le débat sur la légitimité des nouveaux groupes en présence, sur leur positionnement idéologique et politique et notamment sur un projet de société où toutes les sensibilités doivent être prises en compte. L’accord de Nouméa signé en 1998 entre le FLNKS et le RPCR et l’Etat français, sans évacuer la question de l’indépendance, oriente toutes les autres communautés qui constituent les forces vives du Pays à participer à un projet commun de société. Cette nouvelle donne se traduit notamment par l’établissement de nouveaux rapports entre le pays de la Nouvelle Calédonie et le Territoire des îles Wallis et Futuna.

Effectivement, après un siècle et demi de ruptures de liens traditionnels entre la Polynésie Occidentale et la Nouvelle-Calédonie, une des composantes immigrées de la population du Territoire aujourd’hui, sont originaires des îles Wallis et Futuna. Ils constituent à ce jour, la plus grande minorité « ethnique ». Dans la période « pré Matignon » (6), leur soutien inconditionnel au maintien du Territoire dans la France n’a pas favorisé l’entente entre ces deux « communautés océaniennes », bien au contraire. Après les Accords de Matignon de 1988 et qu’une tentative politique d’une troisième voie sous l’impulsion de l’Union Océanienne ait avorté, une frange de l’électorat « wallisien » s’est alliée au FLNKS, mais cela n’a pas empêché les conflits « kanako-wallisiens ».Les récents évènements de « l’Avé Maria » à Saint Louis le démontrent dans lesquels des centaines de familles d’origine wallisiennes et futuniennes ont dû quitter contre leur gré leur lieu d’habitation. Le 25 juillet 2009, une déclaration solennelle, faite par les représentants coutumiers kanak du Sénat et les représentants des chefferies de Wallis et de Futuna (7), ouvre une nouvelle perspective de relations entre ces deux « communautés » océaniennes : celle « d’une Communauté de Destin » dans le cadre de l’Accord de Nouméa.

Si les raisons de ces antagonismes ou de ces rapprochements sont multiples, ces rapports semblent avoir des origines beaucoup plus lointaines et complexes. Le passé dite précoloniale et l’histoire proprement dite pourrait sans doute nous renseigner à ce sujet. Quoi qu’il en soit, l’émergence d’une communauté dite « pluriethnique » est au cœur du débat, la question de l’immigration d’une manière générale et les problèmes sociaux de tous ordres interpellent l’opinion publique calédonienne.

Face à ces paradoxes, un certains nombres de questions nous préoccupe : aux temps anciens, quand, pourquoi et comment s’opéraient ces migrations, en particulier entre les marins venus d’ailleurs et les occupants des terres immergées?

Dans le contexte colonial de peuplement, dans quelles conditions les ressortissants originaires des îles Wallis et Futuna se sont infiltrés dans leur nouveau pays d’accueil pour devenir par la suite la plus grande minorité culturelle installée en Nouvelle Calédonie après les Européens ?

Quel rapport peut ont établir entre ces migrations dite « polynésiennes » l’une plus ancienne dans un contexte dit « traditionnel » et l’autre plus récente dans un contexte dit « colonial ou post colonial » dans lequel les enjeux sont différents ?

Notre hypothèse est qu’il existait de véritables réseaux d’échanges traditionnels entre les îles en Océanie, et, l’archipel calédonien bien avant l’arrivée du Blanc a intégré dans sa population des groupes extérieurs venus de l’Est dits « polynésiens » en autre des îles Wallis. Cependant ces « enracinements » n’étaient possibles que dans un cadre social et juridique spécifique aux sociétés océaniennes dont les liens de parenté fondent l’identité des groupes et des individus. Dans le contexte contemporain, même si la présence européenne depuis 1853 et l’arrivée de plusieurs vagues de populations « étrangères » a bouleversée les sociétés autochtones, entre les groupes en présence, en autre entre la communauté wallisienne et le peuple kanak- pour reprendre les qualificatifs discursifs actuels- des stratégies de rapprochement « coutumières et traditionnelles », réciproques se créent, se forment ou se renouent. Par exemple la révélation du mythe des origines de certaines chefferies kanak entre les îles Wallis et Ouvéa via les Loyauté et la Grande Terre va constituer un lien de rapprochement entre les deux communautés, alors que l’histoire coloniale fera d’eux des d’impitoyables belligérants.

L’exposé qui va suivre fera un état des lieux concernant l’ancienne présence « polynésienne » dans l’archipel calédonien lors des premiers contacts en recoupant les témoignages des premiers découvreurs européens et en s’appuyant notamment sur le patrimoine oral des autochtones. Après avoir dégagé la stratégie d’approche de cet objet d’étude, une réflexion épistémologique sur la façon dont l’altérité océanienne a évolué et s’est construite me semble intéressante à traiter en terme de rapports sociaux entre d’une part les anciens océaniens et d’autre part entre les « nouveaux polynésiens » récemment immigrés, et « les Kanaks d’aujourd’hui » qui aspirent à une émancipation culturelle et politique. La question de l’enracinement « polynésienne (8) » dans la période dite précoloniale dans cette partie de la Mélanésie, d’après des faits historiques ou d’ après d’autres auteurs en Sciences Sociales, sera mise en exergue. L’apport du mythe fondateur de la chefferie de Nékélo, à Ouvéa, mais connu dans d’autres versions dans plusieurs lieux de l’archipel calédonien, nous sera très précieux pour aborder ensuite la question identitaire dans la période dite post coloniale.

Ce lien entre l’altérité d’hier et les identités d’aujourd’hui peut être renoué et visible, en l’étudiant sous un aspect diachronique dans le contexte de la colonisation de peuplement dans lequel le pluralisme culturel a émergé en même temps que le contre courant nationaliste. Pour cet exposé nous tenterons d’utiliser différentes sources, en y associant certains préceptes d’auteurs. Avant chaque partie annoncée, nous rappellerons succinctement la méthodologie et les sources utilisées. Ce travail ne mentionne pas de témoignages oraux d’enquêtés, le temps nous étant imparti était trop court.

Archipel calédonien, à l’Est de l’archipel du Vanuatu

Carte 1. Archipel calédonien, à l’Est de l’archipel du Vanuatu

2 Cité par Jean Chesneaux in le Pacifique un monde éparses, l’Harmattan, 1998, p 29 : Le terme « Océanie » ici est employé à la manière du géographe Benoît Antheaume qui définit comme suit : « Ensemble des terres insulaires du Pacifique, laissant de côté les franges côtières de l’Amérique et de l’Asie, mais incluant l’Australie et la Nouvelle Zélande ».
3 Voire carte 3 : la répartition linguistique austronésienne, chapitre III p 41.
4 Voire carte 4 : le berceau polynésien.
5 Un ouvrage consacré à cette période a été écrit par l’historien Ismet KURTOVITCH.
6 Période peu avant 1988, qui correspondrait à la période dite des évènements : 1984-1988.
7 Cf. l’ouvrage d’un collectif de l’association wallisienne Tavaka, Ta’vaka Lanu’imoana, Mémoires de Voyages.CCT, 2009, le texte de la déclaration est en annexe 2.
8 Plusieurs notions clefs serons mises entre guillemet comme « communauté », « Wallisiens et Futuniens », « Polynésiens » etc. dans la mesure où ce sont des concepts modernes employés ici avec précaution pour des raisons pratiques en sachant que dans le contexte précolonial, ces désignations sémantiques n’avaient pas forcément de sens.

Page suivante : CHAPITRE I : APPROCHE HISTORIQUE DES SOCIETES DE TRADITION ORALE EN OCEANIE

Retour au menu : Enracinements « polynésiens » d’hier et d’aujourd’hui : Le cas des Wallisiens dans l’archipel de la Nouvelle Calédonie : histoires, mythes et migrations : Entre « Uvea Mamao » et « Uvea Lalo »