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Introduction

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« Liberté, égalité, fraternité, oui la voiture est un merveilleux instrument de liberté, comme l’est une arme qui permet de reconquérir la dignité et le territoire d’un pays envahi, mais comme une arme, elle est un insupportable moyen de commettre des agressions »(1).

Les accidents de la route constituent un véritable fléau social dans notre société. Chaque année, le bilan est lourd : environ 1254000 personnes y trouvent la mort dans le monde(2), dont plus de 4000 en France. Les blessés sont 40 fois plus nombreux. Les accidents de la circulation représentent ainsi la première cause de mortalité chez les jeunes âgés entre 18 et 24 ans. L’évolution de la sinistralité routière en France est particulièrement lente, même si on ne peut que constater les progrès qui ont été fait depuis 1972, année meurtrière avec 16545 tués.

Malgré les polémiques qu’il suscite actuellement, notamment celles liées à la pollution de l’environnement et au nombre important de victimes, l’usage de l’automobile n’est pas prêt de disparaitre. Pour preuve, la France recensait 31 millions de voiture particulières en 2009, sans compter les véhicules utilitaires, les deux roues et poids lourds. Toute personne qui emprunte une voie ouverte à la circulation s’expose donc à un risque grave, susceptible de lui ôter la vie ou de la changer, en cas de blessures.

L’Etat, grâce au combat que mènent chaque jour les nombreuses associations de défense des victimes d’accident, a pris conscience de la nécessité de mettre tous les moyens en oeuvre pour lutter contre cette pandémie. Cette lutte s’exprime de deux manières :

– En amont, par un renforcement des moyens de prévention afin d’éviter ce genre d’accident,

– En aval, d’une part en réprimant les comportements fautifs à l’origine du dommage, et d’autre part en offrant une réparation satisfaisante du préjudice subi par les victimes.

Il est possible de catégoriser les causes des accidents, ainsi que les facteurs de risque. La plupart du temps, ils sont dus au comportement de l’usager de la route, manifesté par un manquement aux règles du code de la route. La prise de drogue, alcool, médicaments tranquillisants, la fatigue et l’excès de vitesse sont autant de facteurs d’aggravation de l’insécurité routière.

Pour limiter ce type de comportement, l’Etat a donc pris toute une série de mesures. La circulation automobile fut soumise pour la première fois à la loi de 1851, concernant « la police du roulage et des messageries ». Puis, en 1899, un décret a été promulgué, afin de limiter la vitesse des véhicules à moteur à 30km/h en rase campagne. L’ensemble des règles de la circulation routière fut intégré au code de la route le 27 mai 1921. C’est la consécration d’un code de bons usages en un code administratif, dont le contenu a été modifié à de nombreuses reprises afin de tenir compte de l’évolution des véhicules et des voies routières. Le conducteur, dès l’origine, est donc perçu comme le véritable créateur du risque que constituent les accidents de la circulation.

Les victimes d’accidents peuvent être atteintes à des degrés différents. Parmi elles, on distingue les tués, qui décèdent généralement sur le coup ou dans les 30 jours qui suivent l’accident, et les blessés hospitalisés plus de 24h, ou blessés légers, dont l’état nécessite simplement des soins médicaux. La plupart ne souffre que de blessures légères. Néanmoins, certaines d’entre elles gardent d’importantes séquelles, permanentes, qui les empêchent de retrouver une vie normale qui était celle d’avant l’accident. En plus d’être victime d’un accident et de subir un préjudice corporel, elles peuvent se trouver victimes une deuxième fois : facilement perdre leur travail, et se trouver ainsi exclues de la société. Jehanne Collard(3) raconte l’histoire d’une jeune femme, retrouvée en fauteuil roulant, victime d’un accident de la circulation, qui s’est retrouvée à la rue, avec son mari et ses deux enfants de 4 et 6 ans. Concierge à l’essai depuis 3 mois, elle s’était vu retirer son logement de fonction.

Elles se trouvent encore victimes lorsque l’assureur du responsable refuse de verser une provision, ou lorsque l’enquête judiciaire traîne, ce qui les empêche de saisir un tribunal. Victimes du manque de moyens : l’hôpital qui a besoin de libérer un lit, victimes encore de la rigidité de la justice qui se focalise sur les responsables de l’accident et oublie l’urgence à laquelle elles sont confrontée, ou de la mauvaise foi des assureurs qui s’entendent entre eux pour limiter les indemnisations.

La nécessité de les protéger et de faciliter leur indemnisation a été prise en compte par le législateur. Certes, les dommages provoqués par un accident de la circulation sont difficilement réparables. En effet, on ne peut remédier aux troubles graves de la personnalité engendrés par la brutalité et le choc de l’accident, ni habituer une personne à passer le restant de ses jours dans un fauteuil roulant, ou faire disparaitre la peine provoquée par la perte d’un proche. Néanmoins, on peut trouver des moyens qui permettent d’assister les victimes, de les aider à s’en sortir, tels qu’un soutien financier. Pour leur permettre de réparer leur préjudice corporel, ou de vivre dans des conditions décentes lorsque la réparation n’est pas possible, le législateur a progressivement mis en place un régime d’indemnisation autonome.

Dans toute société de droit, la réparation du dommage est une préoccupation essentielle, qu’il s’agisse d’un dommage corporel ou matériel. La France a connu une très longue évolution pour admettre l’idée d’une réparation intégrale du dommage corporel. Avec la reconnaissance progressive du principe général de responsabilité pour faute, on a considéré rapidement que toute faute du responsable devait être réparée. C’est l’essence même de l’article 1382 du code civil qui affirme que « tout fait quelconques de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui-ci à le réparer ». Le système traditionnel de la réparation des dommages est donc celui de la responsabilité pour faute.

C’est seulement au cours du 20ème siècle, en raison du contexte de l’époque, que l’on a souhaité offrir un traitement particulier aux victimes de préjudice corporel. Avec la révolution industrielle à partir du 19ème siècle, les machines se sont développées, entrainant de ce fait une augmentation des sources accidentelles du dommage corporel. D’abord dans le cadre du travail, les outils de travail des ouvriers et agriculteurs étant de plus en plus sophistiqués et dangereux, puis concernant les accidents de la circulation, avec le développement de l’automobile. Par ailleurs, le progrès de la médecine a contribué à la réparation du dommage corporel, même si dans le même temps les accidents médicaux ont fortement augmenté. Le principe de réparation du préjudice corporel fut consacré par le conseil constitutionnel(4). Il s’agit donc désormais d’un principe fondamental du droit.

Par ailleurs, la notion de la faute a peu à peu évolué. D’une conception subjective(5), on est passé à une conception objective6, dans le but de se placer uniquement du côté de la victime. Le XXème siècle est marqué par la multiplication des régimes spéciaux d’indemnisation des victimes. L’intérêt de ce mouvement est double : faciliter l’engagement de la responsabilité mais aussi canaliser la responsabilité vers un responsable solvable. C’est le cas avec l’instauration d’une responsabilité des parents du fait de leurs enfants. De nombreux textes nationaux ou communautaires ont vu le jour, afin de légiférer dans des domaines particuliers. L’idée d’une socialisation des risques est donc apparue. Le plus ancien et le plus autonome par rapport à la responsabilité civile est sans doute le régime d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnels. Il consacre en effet le principe du droit à réparation qui n’est plus subordonné à l’idée d’une faute, ni à l’établissement d’une responsabilité.

Face à la survenance des dommages corporels spécifiques, résultant des accidents de la circulation, le législateur est intervenu. Il considère que ces accidents constituent un risque social, qui doit être pris en charge collectivement et non par les victimes.
Comment permettre cette prise en charge ?

D’abord, en rendant l’assurance automobile obligatoire, ce que la loi du 27 février 1958, codifiée à l’article L211-1 du code des assurances a entreprit. Puis, en créant un fond de garantie automobile lorsque l’assurance fait défaut, c’est-à-dire lorsque le responsable n’est pas identifié ou non assuré. Chose faite dès 1951. L’idée que les accidents de la circulation sont pris en charge collectivement n’est pas totalement vraie. Si l’indemnisateur final n’est plus l’individu, mais l’assureur ou le fonds de garantie, qui sont des personnes morales, en réalité ils sont financés par le conducteur. En effet, sauf exception, c’est le propriétaire et donc le conducteur qui souscrit le contrat d’assurance, et qui en paie la prime. Par ailleurs, une grande partie des ressources du fonds de garantie est constituée d’un taux de prélèvement sur les contrats d’assurance.

Cette prise en charge des accidents de la circulation par la société consiste également à assouplir les règles classiques de la responsabilité civile. Le législateur français est allé plus loin, par l’instauration d’un régime d’indemnisation autonome. Il s’agit de la Loi Badinter, adoptée le 5 juillet 1985. Aujourd’hui, on peut en vanter les mérites. C’est une avancée importante dans le droit des victimes. A l’époque où elle fût votée, chaque année, la route faisait plus de 10000 morts et 100000 blessés graves(7). Or, à cette époque, le système n’était pas adapté à l’indemnisation des dommages subis dans le cadre d’accidents de la circulation. Il a fallu du temps avant d’arriver à un tel régime.

Les professeurs ont très tôt proposé des projets pour permettre l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation. Parmi eux, on retiendra celui d’Ambroise Colin de 1907, celui d’Henri Capitant de 1923. L’idée d’une réforme législative a refait surface dans les années 60, sous l’égide de Jean Foyer, Garde des Sceaux à l’époque. Celui-ci a confié au Professeur Tunc la mission d’élaborer un projet de réforme du régime d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation. En 1966, ce dernier propose un système de sécurité routière assurant l’indemnisation automatique des victimes d’accidents de la circulation, à l’image de la Sécurité sociale pour les accidents du travail, à la différence près que la gestion aurait été laissée à l’assurance privée. Il consiste à offrir une indemnisation des préjudices corporels de plein droit, dès lors qu’est constaté un accident de la circulation, et au bénéfice de toutes les victimes conducteur, passager, ou piéton(8). Ce projet fut rejeté en raison du retrait de la notion de responsabilité pour faute.

Le Professeur Tunc dans un second projet, a conservé l’idée de remplacer l’assurance Responsabilité automobile par une assurance automobile(9). Selon lui, l’objectif principal est d’améliorer l’indemnisation de l’ensemble des victimes, supprimer les causes d’exonération partielle ou totale en évinçant le droit de la Responsabilité civile. En contrepartie, le projet prévoit une évaluation forfaitaire de la perte d’intégrité corporelle, l’abandon de la réparation du préjudice d’affection, et impose un plafond à l’évaluation du préjudice professionnel. Pour André Tunc, il est plus important d’indemniser raisonnablement le plus grand nombre de victimes, qu’intégralement une minorité d’entre elles. Ce projet n’a pas été suivi.

La nécessité d’adopter un véritable régime d’indemnisation se faisant de plus en plus sentir, face à l’instabilité des décisions jurisprudentielles, une réforme a été entreprise par Mr Badinter, ministre de la justice. Comme André Tunc, Robert Badinter souhaitait une modification des règles de la responsabilité civile, et permettre une indemnisation de l’ensemble des victimes. Confronté aux réticences de la profession judiciaire et des assureurs, restés attaché à l’idée d’une faute, il a fallu faire des concessions. Cette réforme a donc donné lieu à des affrontement et oppositions très durs, qui ont par conséquent obligé le législateur à des compromis, ce qui donne l’impression d’une réforme inachevée, comme le souligne Mme Viney(10). Le régime, s’il permet d’indemniser les victimes sans rechercher la faute de l’auteur du dommage, est encore attaché au droit de la responsabilité et civile, et ne permet pas d’indemniser toutes les victimes de la même manière. Il distingue en effet les victimes conductrices des victimes non conductrices.

Alors que les victimes non conductrices ont un droit à indemnisation quasi-automatique, en ce que seule leur faute inexcusable, cause exclusive de l’accident peut leur être opposée, les conducteurs continuent à devoir supporter les conséquences de leur faute, ce qui se répercute sur leurs proches.

Incontestablement, la loi Badinter a mis en place un régime spécial, dont la particularité est qu’il mêle à la fois des concepts de Responsabilité civile, fortement attachés à la faute, et d’indemnisation automatique.

A l’époque, on a souhaité justifier cette inégalité de traitement par le fait que la victime non conductrice est la partie faible dans l’accident de la circulation, celle-ci n’étant pas protégée par une cuirasse. Il s’agit par ailleurs d’un agent passif, comme le souligne Mme Lambert-Faivre, qui précise que ces victimes piétonnes, ou cyclistes, ne sont pas « usagers d’un véhicule terrestre à moteur, et sont tiers type en matière d’accident de la circulation ». Le législateur a donc clairement fait le choix en 1985, de privilégier le sort des victimes non conductrices.

De son côté, le conducteur est considéré comme le créateur de risque par l’énergie cinétique de son véhicule. Il est un agent actif de la circulation, et responsable du risque qu’il crée. Derrière cette différence de traitement, il y a l’idée qu’un piéton ou cycliste ne peut occasionner des dommages d’un degré de gravité aussi important qu’un conducteur par le biais de son véhicule. On a préféré prendre en compte le comportement de ce dernier pour déterminer le montant de l’indemnisation afin de le responsabiliser, tout ceci dans un but préventif. Celui-ci est en effet censé avoir la maitrise de son véhicule, comme le rappelle l’article R134-17 du code de la route(11). Ce dernier précise que le conducteur doit réduire sa vitesse lors du croisement ou du dépassement de piétons ou de cyclistes isolés ou en groupe. Cette disposition qui prévoit des sanctions en cas de non respect, démontre la vigilance particulière que le législateur exige du conducteur.

En réalité, cette discrimination est liée à des raisons économiques. Depuis la loi de 1958 qui institue l’assurance obligatoire, le débiteur final est l’assureur. Les conditions de la loi Badinter ayant donné à l’assurance obligatoire toute son efficacité, les assureurs ont craint qu’avec une indemnisation systématique de toutes les victimes, ceux-ci ne puissent assumer l’indemnisation de l’ensemble des victimes d’accidents de la circulation sur un plan financier. Cela se comprend étant donné qu’à l’époque, on ne pouvait avoir une idée exacte de l’impact financier d’une indemnisation quasi-systématique de l’ensemble des victimes. A titre préventif, les assureurs auraient donc augmenté leurs cotisations en assurance responsabilité civile obligatoire d’au moins 20 à 25%. Ils ont donc fait pression sur le législateur pour restreindre d’une manière ou d’une autre le droit à indemnisation des victimes et ainsi éviter une augmentation trop brutale des primes. Sur ce point, François Chabas(12) souligne « l’incapacité financière de la Nation d’indemniser toutes les victimes et la nécessité d’en sacrifier certaines, soit le conducteur ».

Si cette inégalité de traitement pouvait se justifier à l’époque, il semble qu’elle soit totalement dépassée aujourd’hui, dans un monde qui tend à devenir toujours plus égalitaire et où l’individu est au centre de notre droit, dans un monde encore où les règles de responsabilité civile sont en constante évolution.

Ainsi, on peut légitimement s’interroger sur le maintien d’une telle disposition discriminatoire à l’égard des conducteurs. Le conducteur bénéficie-t-il d’une réelle protection de sa personne ? La différence de traitement instaurée entre les victimes est-elle discriminatoire ? Quelles sont les solutions actuelles pour faire évoluer le régime ? Pour être à même d’y répondre, l’objet de cette étude portera sur deux points dont l’analyse parait incontournable. Dans une première partie, démontrer que le régime instauré par la loi Badinter est clairement inégalitaire, et dans une deuxième parties, étudier les solutions pour mettre fin à ces discriminations qui ne sont pas nécessaires.

1 J.Collard, « victimes de la route, vos droits, Maître Johanne Collard, 1996 »
2 La sécurité routière dans le monde, OMS, juin 2009
3 COLLARD (J), LAFOND (R) Victimes défendez-vous, le guide des accidentés, édition Flammarion février 2007
4 Décision Conseil constitutionnel, 22 octobre 1982, Dalloz 1983, p.189
5 Pendant très longtemps, le système français a eu une conception subjective de la faute, c’est-à-dire que le responsable devait avoir conscience de la portée de ses actes, pour qu’il soit condamné à réparer le dommage.
6 Assemblée plénière 9 mai 1984, JCP 84 ii n°20255
7 Victimes défendez-vous, le guide des accidentés, Maître Jehanne COLLARD Maître Romy Lafond, édition Flammarion février 2007
8 A.Tunc, la sécurité routière, esquisse d’une loi sur les accidents de la circulation, 1966
9 A.Tunc, pour une loi sur les accidents de la circulation, Economica, 1981 p.17
10 G.Viney, l’avenir des régimes d’indemnisations ans égard à la responsabilité », les cahiers de droit, vol 39 n°2-3, 1998, p.287-301
11 Article R413-17 du code de la route : les vitesses maximales « ne dispensent en aucun cas le doncuteur de rester constamment maître de sa vitesse et de régler cette dernière en fonction de l’état de la chaussée, des difficultés de la circulation et des obstacles prévisibles ».
12 F.Chabas, la situation faite au conducteur fautif de véhicule terrestre à moteur, Gaz Pal, 3 février 1994

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