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Introduction

« Si la réalisation du risque due au fait non intentionnel de l’assuré est toujours
couverte, il n’en est pas de même si c’est de propos délibéré. » (1)

Les auteurs visent ici le cas du suicide, forme de mort volontaire. Le droit français
des assurances n’a pas de complexes vis-à-vis de la mort et autorise dans certaines
conditions d’assurer le risque que constitue la mort. Des personnes peuvent ainsi s’assurer
contre ce risque particulier par la souscription de contrats dits vie qui regroupent
les contrats en cas de décès et en cas de vie. Il en va autrement dans les cas de mort
intentionnelle et particulièrement du suicide.

Le Petit Larousse définit le suicide ou autolyse comme l’action de se donner soi
même la mort, du latin sui, de soi et caedere, se tuer. C’est donc un des cas de mort
volontaires résultant de l’individu qui en est victime. C’est aussi selon l’Organisation
mondiale de la santé un acte délibéré accompli par une personne qui en connaît parfaitement
l’issue fatale. Le suicidé est donc l’individu décédé suite à son suicide réussi.

Quand tel n’est pas le résultat le National Library of Medicine traite de tentative de
suicide désignant « la tentative non réussie de se donner la mort ». Un sujet peut adopter
des conduites suicidaires, c’est le cas du suicidaire, distinct du suicidant qui a des idées
de suicide en ayant ou non déjà réalisé une tentative ou dont l’entourage redoute que cela
ne se produise comme le souligne le docteur Emmanuel Garnier. Enfin le docteur Michel
Debout définit les conduites suicidaires comme un ensemble plus large où « sans réaliser
directement un geste auto agressif, les personnes multiplient par leur comportement les
situations de risque ou parfois leur vie, ou en tout cas leur santé qui peut être mise en
jeu », ce que la profession médicale distingue des idées suicidaires qui sont des idées
de mort volontaire plus ou moins abouties, qui sont toujours le signe d’une souffrance
psychologique conséquente sans pour autant conduire à l’acte.

Le suicide est appréhendé par le droit des assurances. Celui-ci régit les relations
entre les assurés et les assureurs. Les deux parties concluent un contrat d’assurance.
Celui-ci est défini par le dictionnaire de l’assurance de Julien Molard comme l’accord
intervenu entre l’entreprise d’assurance et une personne physique ou morale, fixant
l’objet, les conditions et les modalités d’exécution de la prestation d’assurance, formalisées
dans une police, dans laquelle sont réunies les stipulations contractuelles. Maître
Jean-François Carlot définit le contrat d’assurances comme celui par lequel une partie
dénommée le souscripteur se fait promettre par une autre partie dénommée l’assureur
une prestation en cas de réalisation d’un risque, moyennant le paiement d’un prix appelé
prime ou cotisation. Le contrat d’assurance remplit différents critères. Il est synallagmatique
dans la mesure où il crée des obligations pour chacune des parties, créancière
et débitrice chacune l’une de l’autre ; il est successif dans la mesure où son exécution
s’exécute dans le temps, et conclu à titre onéreux puisqu’il garantit l’assuré contre un
risque moyennant le paiement d’une prime en versant une indemnité en cas de sinistre.
Enfin le contrat d’assurance est qualifié de consensuel car parfait dès la rencontre des
volontés du proposant et de l’assureur sur le risque et la prime (2). Le contrat est aléatoire,
le risque dont il assure la garantie étant incertain.

La notion du suicide ne pose pas de difficultés en tant que telle en assurances de
choses et de responsabilité, c’est pourquoi l’essentiel de notre réflexion portera sur le
suicide en assurance vie souscrite en cas de décès. Cependant par souci d’exhaustivité
nous aborderons à la fin de notre étude les dispositions relatives au suicide en assurances
de choses et de responsabilité.

L’intérêt du sujet réside dans le fait que le suicide est une notion difficile à cerner,
que l’on rencontre dans différentes disciplines, philosophie, histoire et sociologie. Le
suicide a toujours fasciné voire intrigué comme en témoigne le philosophe Albert Camus
quand il écrit dans le mythe de Sisyphe qu’« il n’y a qu’un problème philosophique
vraiment sérieux : c’est le suicide ». Cet acte est condamné par ceux qui comme Platon
estiment que se suicider est aller contre la volonté des dieux spécialement des Parques
qui coupaient le fil de la vie, la mort relevant de leur seul domaine. Il sera considéré
pour certains comme un acte de liberté, comme un acte de faiblesse ou de renoncement.
Il peut aussi être assimilé à un abandon à la nature dont la mort est partie intégrante.

Jean-Jacques Delfour estime, lui, qu’il n’y a pas rejet de la mort, terra incognita pour
le suicidaire, mais seulement un moyen de mettre fin à une souffrance. La liberté de
se tuer n’est pas envisagée en tant que telle, d’où une absence de suicide à proprement
parler mais plutôt « une agression du corps pour laquelle rien n’est venu interrompre le
processus mortel ».

Le suicide a toujours fait partie de l’histoire, ainsi du temps de l’empire romain où un
proche de l’empereur souhaitant se suicider en demandait auparavant l’autorisation à
ce dernier ; dans l’Antiquité il était d’usage après une défaite dans une bataille pour
éviter d’être fait prisonnier et donc la plupart du temps esclave, et éviter ainsi menaces,
humiliation et tortures. C’est aussi quelle que soit l’époque un moyen pour l’individu qui
s’est rendu coupable d’un déshonneur de se laver de sa faute et restituer biens et honneur
à sa famille à l’instar du célèbre seppuku japonais.

Le suicide fait l’objet de nombreuses statistiques et met en exergue d’affolants constats :
les sociologues comptent près de 12 000 suicides en France chaque année soit près de 1
décès sur 50 avec 90 000 hospitalisations par an. Ce « phénomène » aura ses catégories
de prédilection, comme le montre le bulletin épidémiologique hebdomadaire en date
du 13 décembre 2011. Il en ressort que les individus les plus exposés au risque du
suicide sont les femmes, les minorités sexuelles, les foyers d’une personne, sans situation
professionnelle, appartenant à la classe d’âge des 45-54 ans, sans diplôme, souffrant
d’alcoolisme, de tabagisme et ayant subi des violences sexuelles. Une cartographie est
même envisageable : des régions sont à risque, telles la Bretagne et la Picardie.
Le suicide revêt donc une certaine ampleur et mérite aussi d’être qualifié de phénomène
de société. En témoignent récemment la vague de suicides très médiatisée au sein de
l’entreprise France Télécom et le suicide de la jeune Amina Al Filali contrainte d’épouser
son violeur.

Enfin c’est une notion qui met mal à l’aise, une sorte de tabou comme le dénonce le professeur
Michel Debout dans un livre sorti cette année d’où sa mise à l’écart alors qu’au
contraire ce concept ne demande qu’à être explicité et peut faire l’objet de réflexions
constructives.

Le suicide fait l’objet d’un article L132-7 du code des assurances, remontant à la loi
de 1930. Celle-ci s’est vue modifiée au fil des décennies mais conserve une appréhension
à l’égard du suicide et l’exclut toujours par principe de la garantie. Cependant l’assurance
couvre le risque de suicide dans certaines conditions. Les dispositions précitées sont
d’ordre public.

Faire du suicide en assurance le sujet de notre travail nous amène à étudier le champ
de la garantie et de l’absence de garantie du suicide et ainsi comprendre le mécanisme
du contrat d’assurance.

Il semble qu’il y ait une incompatibilité entre le suicide et sa garantie en droit des
assurances, ce qui révèle des carences du droit positif.

Quelles sont les insuffisances relatives à l’absence de garantie du suicide en droit des
assurances ? Quels sont les remèdes envisageables ?

Nous tenterons dans une première partie de présenter les lacunes relatives à l’absence
de garantie du suicide en droit des assurances puis dans une seconde de proposer des
solutions pour les combler.

1. PICARD et BESSON, Droit des assurances, 1974
2. J. MOLARD, Dictionnaire de l’assurance, 2006

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